BIBLIOTHÈQUE DE LITTÉRATURE COMPARÉE
OssiAN EN France
PAR
P. VAN TIEGHEM
TOME SECOJ^D
mi
F. RIEDER & Cic, ÉDITEURS
PARIS
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Ossian en France
DU MEME AUTEUR
Le Mouvement J(omanUque, — Paris, Hachette et Cic, 1912,
in-iî.
L'Année Littéraire (1 j54-t'jgo) comme intermédiaire en France
des Littératures étrangères. — Paris, F. Riedcr et Cic,
1917, in 8°.
Tous droits r黫rvé5. Copyright
by F. Riedcr et Cie. Nineteen
hundred and seventeen.
BIBLIOTHÈQUE DE LITTÉRATURE COMPARÉE
OSSIAN EN FRANCE
PAR
P. VAN TIEGHEM
ProficMeur au Lycée Condorcct
Docteur es lettres
TOMB SECOJ^D
F. RIEDER & Cie, ÉDITEURS
lOJ. RUE DE YAUGIRARD, PARIS
1917
LIVRE TROISIEME
L'APOGÉE
(1800-181 5)
CHAPITRE PREMIER
Napoléon 1" et la mode ossianique
I. Caractères généraux de cotte époque. L'ossianisme de Napoléon : le
général Bonaparte ; le Premier Consul ; l'Empereur. Ossian poète
préféré de Napoléon : l'ossianisme dans sa parole et dans son style.
h'Ossian de poche de l'Empereur. Raisons diverses qu'on a données
et qu'on peut donner de cette préférence. Ossian et Corneille.
II. Poésie ossianique officielle ou de circonstance. Poèmes divers ; la
Couronne Poétique; les Hommages Poétiques; L'Hymen et la /Yat's-
sance. Ossian dans les bibliothèques des lycées.
m. La mode ossianique. La Mulvina, de M"» Cottin. Témoignages de
notoriété.
IV. Prénoms ossianiques. Un exemple : l'état-civil de Fontainebleau.
V. Influences ossianiques sur le sentiment et l'expression. Les Scandi-
naves de Chérade-Montbron ;Castel; ChênedoUé ; Millevoye ; divers.
— Aux environs d'Ossian : bardes ; scaldes ; Celtes et Gaulois. L'Aca-
démie Celtique fondée par Napoléon et le nationalisme gaulois. —
Rencontre de l'ossianisme avec le genre troubadour : Clotilde de Sur-
ville. Fabre d'Olivet et ses Poésies Occitaniques.
Une nouvelle époque s'ouvre pour Ossian en France du
jour où il est adopté par le glorieux vainqueur vers qui se
tournent tous les yeux. Inondé des rayons de cette jeune
gloire, le vieux Barde connaît une splendeur nouvelle.
Goûté jusqu'ici des âmes sensibles ou mélancoliques, imité
des poètes, étudié par les critiques, favori des esprits nova-
teurs, il va connaître pour un temps la grande vogue : il
va être à la mode, fournir des prénoms, des romances et
des cantates, paraître au théâtre et se multiplier dans la
peinture. Monté aux suprêmes honneurs en même temps
que le maître de la France, il en redescendra presque aussi
4 Ossian en France
vite que lui, mais non toutefois pour disparaître aussitôt
dans l'oubli : la gloire avait précédé pour Ossian la popu-
larité, elle lui survivra et ne s'éteindra que par degrés.
Le goût personnel de Napoléon pour Ossian est l'origine
de faits d'ordres divers qu'il convient de rassembler autour
de cette donnée initiale, et qui ont ce caractère commun de
représenter la 7node ossianique. Nouvel aspect d'Ossian, le
plus connu de l'historien et du lettré, le plus superficiel et
le plus éphémère de tous ceux qu'il revêt successivement
sous nos yeux.
Dans ce qu'on sait des lectures et des études de jeu-
nesse de Napoléon, on ne voit pas figurer Ossian. Malgré
le succès de Le Tourneur, il est resté très probablement
inconnu du jeune officier, au moins jusque vers 1790.
D'ailleurs ses lectures ne comprennent, de poètes français,
que les tragiques, et aucun écrivain étranger qui parle à
l'imagination plus qu'à la raison \ Ses notes et manuscrits
de jeunesse présentent le même caractère : ce sont pour la
plupart des projets d'ouvrages ou des analyses de livres
sérieux. La préoccupation visible de l'étudiant solitaire est
de s'informer solidement de beaucoup de pays : il lit sur-
tout l'histoire. Cependant il étudie, pour le vocabulaire,
rArioste,r£'.s'.sa2 sur les Mœurs, Les Incas et La Chaumière
Indienne '. Il cite deux fois Pope, et c'est tout pour la
poésie de la Grande-Bretagne. Les volumes de Le Tour-
neur durent lui tomber entre les mains entre 1790 environ
et 1795 ou peut-être 1794. Le plus ancien témoignage que
nous possédions du goût de Napoléon pour Ossian se trouve
dans les Mémoires si captivants de M""' de Chastenay \
Elle eut avec le général Bonaparte, à Chàtillon-sur-Seine,
à la fin de mai 1795, une conversation de quatre heures,
surtout littéraire, et dont Ossian fit en partie les frais :
Bonaparte me parla des poèmes d'Ossian, qui hii inspiraient
de l'enthousiasme. Je connaissais le nom du barde calédonien,
je ne connaissais pas ses chants, Bonaparte me proposa de m'en
apporter le recueil ; il allait à Paris et le retrouverait aisément.
1. A. Chuqiict, La Jeunesse de Napoléon, II, 1-13.
2. Fr. Masson et G. liii\gi, Napoléon inconnu, Papiers inédils (1786-1793).
3. Mémoires de Madame de Chastenay, I, 284.
Enthousiasme de Napoléon pour Ossian 5
J'étais jeune alors ', et un peu prude ; je remerciai... Il s'est
toujours souvenu de notre entretien.
On aime à évoquer par la pensée ce long entretien entre
le général de vingt-cinq ans, pâle, maigre et ardent, et la
jeune fille si sensée et si droite, dans le calme salon de la'
vieille demeure provinciale ; Bonaparte portant Fingal aux
nues dans son français incorrect et tumultueux, voulant
forcer son interlocutrice à partager son admiration, et met-
tant à lui prêter le livre cher cette insistance qu'ont les
jeunes enthousiasmes littéraires ; la « jeune fille bien éle-
vée » déclinant cette offre flatteuse, refusant le livre que
ces yeux de feu ont dévorés, dont ces doigts impatients ont
tourné les pages, sentant peut-être, avec sa délicatesse
innée, qu'il y a quelque chose d'intime dans le prêt du
poète préféré, et que ce lien, léger aux esprits vulgaires,
enserre les âmes d'élite d'une prise trop forte.
Il paraît que dès son mariage, et sans doute auparavant,
Napoléon avait fait partager ou tenté de faire partager à
Joséphine son enthousiasme ossianique. Le 14 mars 1796,
trois jours après son départ pour l'armée d'Italie, il écri-
vait à sa femme une lettre qui se termine par ces mots :
Ah ! ne sois pas gaie, mais un peu mélancolique: el surtout
que ton âme soit exempte de chagrin, comme ton corps de
maladie ; tu sais ce que dit là-dessus notre bon Ossian ^
Je ne connais absolument rien dans Ossian qui ressem-
ble à ce précepte d'hygiène physique et morale ; ou bien
le tendre époux de Joséphine attribue au Barde quelque
chose comme le mens sana in corpore sano de Juvénal, ou
bien les derniers mots se rapportent à l'idée de mélancolie^
exprimée d'abord, et contiennent une allusion au charme
de la tristesse, célébré souvent dans Ossian.
Plus le jeune vainqueur devenait glorieux, plus ses goûts
attiraient 1 attention. On savait désormais qu'il aimait le
1. Vingt-quatre ans.
2. Arthur Lévy, Napoléon uiliniz, p. 112; De Coslon, Les premières an-
nées de Xapoiéon, 1, 449.
6 Ossian en France
Barde calédonien, et sur cette préférence très réelle se
développait une légende qui faisait d'Ossian son bréviaire.
€ On dit, lui écrit Fontanes, que vous avez toujours Ossian
dans votre poche, même au milieu des batailles ; c'est en
effet le chantre de la valeur'. » Aussi le Barde commence-
t-il dès cette époque à participer à sa popularité. Vers le
milieu de 1797, le Magasin Encijclopédique, non content
d'avoir longuement étudié deux ans plus tôt le recueil de
Hill, pense qu'il est d'actualité, « dans ce moment où Ton
vient de parler de la passion du Héros Italique pour les
poèmes d'Ossian », de raconter à ses lecteurs la querelle
Macpherson-Johnson, et de leur traduire un morceau de
la Dissertation de Blair *.
Partant pour FEgjpte, Bonaparte fait écrire par Caffa-
relli à J.-B. Saj pour le remercier de s'être chargé de l'achat
et de l'emménagement de la « bibliothèque portative »
destinée à le suivre dans cette campagne \ Lui-même,
d'après Bourrienne, aurait écrit la note des livres à ache-
ter. Parmi ces 350 volumes environ, on peut remarquer
Ossian, un volume. Le conquérant usant d'une graphie
bizarrement phonétique, il paraît qu'il avait écrit Océan
pour Ossian comme Diicecling pour Thucydide *. Mais on
devina, car on connaissait « sa passion favorite pour ce
barde ». Cet Ossian au reste ne peut être que celui de Le
Tourneur relié en un seul volume, comme l'exemplaire de
la Bibliothèque Nationale, et peut-être à grandes marges
comme celui de la Mazarine : il était, d'après ArnauU^, «re
lié en peau de vélin, avec dentelles en or, doublé de tabis
et doré sur tranches ». A bord de l'Orï^w/, pendant la tra
versée de France en Egypte, ce volume jouissait du privi
lège de voyager dans la cabine du commandant en chef. Il
se trouvait habituellement « sur sa table, auprès de son lit»
Bonaparte causait volontiers avec Arnault, qui devait peut-
être à sa tragédie à^Oscar une part de la prédilection que
1. Lettre à Bonaparte {Mémorial du 22 août 1797), citée par Sainte-Beuve
Portraits Litléraires, II, 246.
2. Mar/asin Enci/clopédifiue, 1797, IV, 551.
3. Correspondance de Xaioléon I", IV, 37 : lettre du 28 mars 179S.
i. Mémoires de Bourrienne, I, 234.
5. Arnault, Souvenirs d'un sexaçfénaire, IV, 185,
Enthousiasme de Napoléon pour Ossian 7
lui marquait le général. Un jour, « n'ayant rien à faire »,
ce dernier se fit lire par lui le début de l'Odyssée. Mais il
l'interrompit bientôt pour critiquer ce poème, qu'il trouvait
très ridicule. « Et vous appelez cela du sublime, vous autres
poètes ! répétait-il en riant. Quelle différence de votre
Homère à mon Ossian ! Lisons un peu d'Ossian. » Et tout
aussitôt « il se met à lire, ou plutôt à déclamer Temoray son
poème favori ' ». Arnault ajoute qu'« il lisait très mal » ;
et nous le savons de reste. Peut-être cependant, si l'auteur
à'Oscav avait connu les résultats de la science ou possédé
l'intuition du génie, aurait-il pu sentir que l'idéal primitif
de lutte et de domination qui animait les chefs barbares
revivait, à travers les intermédiaires mensongers ou infi-
dèles, sur les lèvres minces du Corse, quand celui-ci décla-
mait avec une emphase maladroite et un fort accent la prose
pathétique de Le Tourneur. Mais ces instincts profonds se
revêtent de jugements littéraires ou moraux :
Ces pensées, ces sentiments, ces images, disait-il, sont bien
autrement nobles que les rabâchages de votre Odyssée. Voilà
du grand, du sentimental, et du sublime. Ossian est un poète,
Homère n'est qu'un radoteur.
Arnault proteste et, en bon classique, jette d'assez plai-
sante façon Horace dans le débat :'« Si Horace ressuscitait
et jugeait Ossian, je doute qu'il partageât en tout votre
opinion sur le barde. » L'auteur à'Oscar^ malgré son goût
personnel pour Ossian, n'ose « le préférer à aucun poète
épique connu », et encore moins « à Homère, le plus su-
blime de tous, s'il n'en est pas le plus parfait ».
Cette même année 1798, une femme poète s'écriait :
Nous avons un Achille, il nous faut des Homères *.
Elle pouvait se rassurer : les candidats au moins ne man-
queraient pas. Mais il faut autre chose à l'Achille nouveau,
1. Arnault, Souvenirs d'an sexagénaire, IV, 85.
2. Princesse de Salm, Œuvres, l, 35 : Epitre sur les dissensions des
gens de lettres.
8 Ossian en France
qui aspire décidément à être un Alexandre, un Auguste, un
fondateur d'empire et de dynastie. Tout grand homme doit
avoir son poète favori ; quel sera le sien ? En 1800, son
choix est fait. Dans la bibliothèque de la Malmaison, un
portrait-médaillon d'Ossian annonce qu'il compte parmi les
auteurs préférés du maître. Gérar.l et Girodet reçoivent la
commande de leurs importants tableaux. Dans cette même
Malmaison qui proclame ainsi ses goûts, le Premier Consul
s'en explique à Népomucène Lemercier : « Alexandre a
choisi Homère pour son poète... Auguste a choisi Virgile,
auteur de VEnéide... Pour moi, je n'ai eu qu'Ossian : les
autres étaient pris '. » Lemercier ajoute : « Je pensais...
qu'il eût mieux fait de choisir Milton ou Le Tasse pour
riionneur de son goût. » Désormais, en tous cas, Ossian
est investi presque ofliciellement de cette nouvelle dignité :
son nom « rappelle celui du grand homme qui en fait ses
délices - » ; il est le poète du Premier Consul, puis de l'Em-
pereur; il est donc le poète des tous les flatteurs et de tous
les singes du maître. Doù un renouveau de gloire et une
recrudescence d'intérêt. C'est le moment où commencent à
pulluler les traductions en vers et les imitations, et bien-
tôt la harpe du Barde, plutôt que la lyre désuète, accom-
pagnera les hymnes de la reconnaissance ou de l'adulation.
On sait que Napoléon s'entretint d'Ossian avec ses inter-
locuteurs allemands, lors de son séjour à Weimar ou à
Erfurt. Un ossianiste allemand félicite le grand homme
d'avoir Ossian pour poète favori,et de venger ainsi le Barde
du dédain que lui avait marqué V Encyclopédie '. Lorsque
Cesarotti fut envoyé par la ville de Padoue pour saluer
Napoléon à Milan, l'Empereur invita à sa table le véné-
rable traducteur d'Ossian, le fit placer entre lui et le Vice-
Roi, et dans la conversation « s'arrestô sulla Iode di Os-
sian * ».I1 demandait à tous les Ecossais qu'il rencontrait:
« Connai'5sez-vous les œuvres d'Ossian? » et dit à ladvMal-
1. Nép Lemercier, il/o_(/.se, 1823, p. 209 : Notice historique sur le poème
d'Alexandre.
2. Mémoires de l'Académie Celtique, I, 51 (1807).
3. Gurlilt, Ueher Os.st,i;i, isoi, II, 4.
4. Beuzoni, dans Giorimle Slorico di Lellcrutura ilaliana, 1902, XLl,
p. 341, cité par Weitnauer, Ossian in der ilalienischen Lileratur, p. 8.
Style ossianique de Napoléon 9
colm que c'était lui qui avait mis le Barde à la mode sur
le continent'. On pourrait sans doute, en étendant bien
davantage les investigations, retrouver beaucoup de témoi-
gnages analogues. C'est pourquoi il est curieux de cons-
tater que dans la lettre que l'Empereur faisait écrire par
Menneval à Barbier, le 17 juillet 1808, de Bayonne, pour
exprimer son désir de se constituer une bibliothèque por-
tative d'un millier de volumes petit in-l:2, parmi les écri-
vains cités Ossian ne figure pas. De Schœnbruun, le 12 juin
1801), c'est un nombre de 3.000 volumes qu il indique ;
mais cette fois aucun auteur n'est nommé ^ En tout cas, le
goût de l'Empereur pour Ossian persiste jusqu'à Sainte-
Hélène, jusqu'à la fin. S'il reçoit en 1815 M"'' Stuart, il cause
avec elle de l'Ecosse, sa patrie, et « beaucoup d'Ossian ^ ».
Un témoin de sa vie à Sainte-Hélène nous dit : « Je l'ai en-
tendu parler des poètes avec un certain dédain: il les appelait
des rêveurs ; cependant le seul qu'il lui arrivât de lire était,
de tous les poètes, certes le plus visionnaire *. » Il s'agit
d'Ossian.
On a attribué à l'influence de cette lecture favorite, aux
fortes et monotones impressions qu'elle avait laissées sur un
homme qui sans doute ne lisait rien en vain, quelques-uns
des caractères bien connus du style napoléonien : la subli-
mité et la brusquerie du ton, la grandeur des images, le tour
à la fois abstrait et métaphorique. Dans sa conversation
même, quand une grande idée s'emparait de son âme, il
ossianisait, dit un témoin de l'entrevue de Bayonne. Ce jour-
là, en revenant du palais du roi Charles, Napoléon assembla
sa cour ; il marqua de l'enthousiasme pour l'idée du Prince
de la Paix, qui avait proposé que la famille royale allât
s'établir en Amérique :
« ... C'est là ce qui était grand et beau ! » Et là-dessus il parla,
ou plutôt il poétisa, il ossianisa pendant longtemps sur l'im-
mensité des trônes du Mexique et du Pérou... 11 fut sublime;
je ne l'ai plus revu à la même hauteur ^
1. Maccunn, The contemporary English view of Napoléon, p. 307.
2. Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes, 3° éd., I, p. xii.
3. Mémorial de Sainte-Hélène, p. 38 (10 novembre 1815).
4. Mrs Abell, Napoléon à Sainte-Hélène, p. 26:3.
5. De Pradt, Mémoires sur la Révolution d'Espagne, p. 130.
lO Ossian en France
On sait, d'autre part, que le Barde fut la cause très indi-
recte des hostilités qui recommencèrent en janvier 1806 entre
l'Empereur etle Journal de l'E)tipire.Le« style ossianique »
de Napoléon excitait la raillerie: il est aisé de le comprendre
à travers les termes mesurés de l'historien du Journal des
Débats. Après Austerlitz, « il avait dicté une de ses procla-
mations ossianiques dont les expressions trop pompeuses
parurent contraires aux règles du goût, et de nature à choquer
une partie du public ' ». On en lit une autre ; mais la pre-
mière avait déjà été publiée; d'où querelle avec Fouché.
Dans quelle édition l'Empereur lisait-il son cher Ossian?
Quel est ce volume favori qui, selon Alfred de Musset, au-
rait franchi avec lui la Bérésina^,qui l'a, en tous cas, accom-
pagné dans bien des campagnes ? D'après Chateaubriand,
c'est V Ossian de Cesarotti qu'il avait à Sainte-Hélène '.C'est
fort possible. Avant l'exil, il se servait d'un texte sur lequel
Arvède Barine a donné des détails malheureusement incom-
plets. Je rappelle ce passage qui a été plusieurs fois repro-
duit :
Un ami m'écrit à ce sujet : « J'ai entre les mains les volumes
de la bibliothèque de campagne que Napoléon emportait à la
guerre et qui le suivirent à Sainte-Hélène. J'ai feuilleté son
Orlando Furioso et son Ossian où son pouce de priseur avait
estampillé les pages d'une marque jaunâtre. On sentait encore,
à travers le tabac et le camphre, une sorte de patchouli éner-
vant- Sur les marges, des coups de crayon, des points d'excla-
mation .. »*
On donnerait beaucoup pour retrouver ce volume. Mais
qui est cet ami qui néglige de donner le moindre détail sur
un ouvrage aussi intéressant? Cet Ossian, est-ce une des
nombreuses éditions de Cesarotti ? Est-ce l'ancien Le Tour-
neur que le général Bonaparte lisait à Arnault? C'est « pro-
bablement Le Tourneur », dit d'Arbois de Jubainville, sans
dire sur quoi se fonde cette probabilité \
1. A. Nettement, Histoire du Journal des Débats, 1, 1S7.
2. A. de Musset, OEuvres, IX, 137: Un mot sur l'a.rt moderne (1833,.
3. Mémoires d' Outre-tombe, IV, 74.
4. Journal des Débats, 27 novembre 1894.
5. D'Arbois, Cours de Littérature Celtique, V, p. XXIV
Raisons de cette préférence i >
Voilà donc une des préférences littéraires les plus con-
nues et les plus certaines, non pas due à la mode, mais pré-
cédant, déterminant la mode même, non pas éphémère et
superficielle, mais intime et constante, de la vingt-cinquième
année et de la première gloire à Sainte -Hélène et à l'agonie.
Comment s'explique-t-elle ? et comment a jailli la mysté-
rieuse étincelle entre le Barde nuageux et mélancolique, et
l'homme au regard clair, à l'esprit prompt et pratique, le
plus étonnant manieur de réalités positives que le monde ait
connu? Ce surprenant contraste ne pouvait échapper aux
contemporains. Certains savaient fort bien résoudre l'anti-
nomie. Les flatteurs de Napoléon, dit Villemain, dont l'en-
fance a été contemporaine de la vogue ossianique,« ne man-
quaient pas de trouver un rapport, une affinité secrète, entre
l'héroïsme simple et rude des guerriers calédoniens, et la
simplicité, la candeur d'héroïsme qu'ils attribuaient au héros
moderne ' ». Les flatteurs ont passé, et les historiens sont
venus, qui se posent la même question, mais ne la trouvent
pas si aisée à résoudre.
Il y a quelque chose de vrai dans l'expression de Sainte-
Beuve : Napoléon, dit-il, « prêtait de son génie à Ossian^ ».
11 remarque ailleurs que « Napoléon ne trouvait à embras-
ser dans Ossian que le fantôme du sublime * ». Cette idée
a été reprise de nos jours : on a essayé d'expliquer la pas-
sion de Napoléon pour Ossian par « le goût de l'impossible,
la hantise de l'immense, l'ardeur pour la chimère '"^ ». De
même M. Anatole France, quand il appelle Napoléon « un
rêveur enivré d'Ossian ^ ». Et sans doute ces chants répon-
daient au besoin de rêve que connaissent, à certaines heu-
res, les têtes les plus positives. C'est aussi ce que voulait
dire Talleyrand : si le général Bonaparte, d'après lui, adore
Ossian, c'est que « ses beautés sublimes le détachent de la
terre ^ ». Mais on peut trouver de ce goût si marqué quel-
1. Villemain, Dix-huitième siècle, sixième leçon, p. 4.
2. Causeries du Lundi, I, 180.
3. Nouveaux Lundis, II, 128.
4. Augustin Gabat, Les Porteurs de Flambeau, p. 161.
5. Anatole France, La Révolte des Anges, p. 298.
6. Cité sans indication de source par P. Albert, Littérature française
au XrX' siècle, I, 98.
1 a Ossian en France
ques raisons plus précises. Napoléon était au fond irréli-
gieux, et l'athéisme ossianique était fait pour lui plaire. Par-
tout ailleurs, il trouvait des héros soutenus et conduits par
quelque dieu. Achille, Enée, Godefroi, baignent dans le
surnaturel, et croient de quelque manière à un au-delà mys-
térieux. Le maigre surnaturel d'Ossian, son merveilleux
soufflé, l'Esprit de Loda et les ombres au sein des nuages,
ne peuvent pas avoir beaucoup occupé Napoléon. Le seul
au-delà dont rêvent les héros du Barde, l'espoir que ses
chants répètent et commentent à satiété, c'est la survivance
de la gloire dans le souvenir des générations. « Pour moi,
disait Napoléon, l'immortalité, c'est le souvenir laissé dans
la mémoire des hommes '. »
Une autre explication psychologique a été tentée par
Bourrienne '. On peut le croire quand il dit ; « A quelques
éclairs près, je n'ai jamais connu un homme plus insen-
sible que Bonaparte à la belle poésie et à la belle prose. »
Mais l'explication qui suit, et qui prétend donner la clef à
la fois des deux goûts littéraires les plus marquants du
maître, paraît peu acceptable sous la forme qu'elle adopte.
Elle peut indiquer cependant une direction juste.
Comme il y avait du vagus clans son esprit, une constante
énergie dans son caractère, et qu'il rapportait tout à lui, son
esprit se plaisait dans les nuages d'Ossian, et son caractère
positif se trouvait comme exprimé dans les hautes pensées de
<>orneille : de là sa prédilection presque exclusive pour ces deux
auteurs.
Je ne sais trop quel « vague dans l'esprit » pouvait avoir
Napoléon, et comment Corneille exprimait son « caractère
positif ». Mais je crois que ce qu'il admirait dans Ossian,
ce n'était pas ses « nuages »,mais ses héros, leur vaillance,
leur grandeur d'âme, leur pureté, la noblesse un peu dra-
pée de leur attitude, leur vertu austèrement pompeuse, à
la romaine — il y a dans Fingal ou Oscar du Romain de
théâtre — leur passion de gloire, tout ce que rêvait le jeune
1. Mémoires de Bourrienne, II, 421.
2. Ib.All, 171.
Ossian et Corneille i3
Bonaparte, et tout ce que le maître de l'Europe sentait à
certaines heures en lui-même comme la plus secrète et la
meilleure partie de son âme. Il retrouvait dans Corneille,
sans nuages cette fois, et la même vertu et le même amour
de la gloire et la même pompe dans l'expression. Si diffé-
rents que nous paraissent l'auteur de Fingal et l'auteur d'Ho-
race,il faut les rapprocher à cet égard. Lisons Lathmon par
exemple, et nous retrouverons Don Diègue et ses plaintes
sur sa vieillesse, Rodrigue et l'enthousiasme de sa jeune
ardeur. Gaul et Rodrigue ont le même famœ venientis amo-
rem ; Morni essayant de s'armer pour accompagner Gaul
dans les combats, c'est Don Diègue qui voudrait marcher
avec Rodrigue contre les Maures. Même élimination du
détail concret, expliqué ici par les lois de la tragédie clas-
sique, là par le manque de données positives et le vide dans
lequel opérait l'auteur; même abstraction, même tendance à
l'hyperbole, même sublime un peu tendu. Que d'ailleurs
cet éclat d'héroïsme soit pur diamant dans les meilleurs
passages de Corneille ou verroterie dans Macpherson, c'était
tout un pour le goût peu exercé de Napoléon.
Une dernière raison toute matérielle, et la plus solide peut-
être, c'est que l'Empereur « n'avait pas l'oreille poétique ;
il ajoutait souvent à un vers une ou deux syllabes, et ne
s'en doutait pas ' ». Comment s'étonner que la prose vague-
ment poétique et surtout très pompeuse de Le Tourneur
ait séduit de préférence son oreille ? Cette poésie non ver-
sifiée, qu'il lisait si mal, nous l'avons vu, devait lui conve-
nir : il n'était pas gêné par un rythme dont il eût été inca-
pable de goûter l'harmonie; il se donnait tout entier au
plaisir des images et surtout des sentiments.
Il
Tout le monde sait que la prédilection déclarée de l'Em-
pereur pour Ossian eut sur la poésie française un effet sur-
prenant. D'un commun accord, bien des rimeurs qui esti-
maient que le poète doit vivre de son état, et qui savaient
1. Comtesse de Montholon, Souvenirs de Sainte-Hélène p. 150
1^ Ossian en France
le maître prompt à récompenser qui le servait à son gré,
bien des guetteurs de bonne aubaine s'attaquèrent au Barde
de Morven. La lyre de Pindare et d'Horace s'était usée à
chanter la gloire ou les vertus des princes ; la harpe d'Os-
sian vint fort à propos la remplacer, L'Olympe s'effaça de-
vant les palais de nuages, et Achille devant Oscar ou Fin-
gai. Jamais mode poétique ne s'imposa avec plus de force,
et ne fut plus artificielle. Bien différente du sentiment sin-
cère de la poésie ossianicpie,elle ne survécut pas au régime :
née avec lui, elle disparut avec lui. Nous allons voir le Barde,
travesti en poète officiel de l'Empire français, jouer un rôle
nouveau et assez inattendu.
Dès 1800, Creuzé de Lesser, l'ennuyeux auteur de la Ta-
ble Honde, à.'Amadis et de Roland, lit au Premier Consul,
chez le consul Lebrun, ses Vers sur la Mythologie dOs-
sian ', où celle-ci n'est qu'un cadre à d'agréables flatteries :
Adieu les fables des vieux âges,
Les Dieux des Grecs et des Troyens :
Vivent les héros des nuages j
Dans leurs palais aériens !
Comme leurs âmes « viennent converser avec les héros
de la terre », il n'est pas étonnant que « le vainqueur de
Mêlas » croie à cette mythologie ; et le poète trouve occa-
sion de retracer la course triomphale de Bonaparte, à qui
sont apparues, en Egypte, l'âme d'Alexandre ; sur le Saint-
Bernard, celle d'Annibal; en France et dans la paix, celle
de Numa. Le ton est celui d'une profession de foi un peu
badine :
J'aime Ossian et ses combats ;
J'aime ses âmes, qui n'ont pas
D'autre demeure que les nues...
C'est « un culte » dont le poète se déclare l'apôtre. Et
la pièce finit comme un madrigal : l'auteur demande à ses
auditeurs où logeront les héros
1. Creuzé de Lesser, Vers sur la Mylholoçjie d'Ossian, 23 veudômiairc
an IX.
Poésie ossianique de circonstance i5
Quand, épuré par ses succès
Après tant d'horribles orages,
Le ciel qui luit sur les Français,
Grâce à lui, sera sans nuages ?
« La chute en est jolie », et le visage pâle du vainqueur
de Marengo put à bon droit s'éclairer d'un sourire.
Après la paix d'Amiens, la reconnaissance emprunte vo-
lontiers la voix du Barde. En 1803, c'est la pièce anonyme
Ossian à Bonaparte '. Ossian, qui depuis des siècles goûte
le repos dans les nuages, entend « les cent bardes gaulois »
faire monter à lui « leurs chants de paix et d'allégresse ».
Il apprend que l'ère des héros n'est pas close ; il salue Bo-
naparte, en qui « revivent ces héros révérés », en qui revit
surtout son cher Oscar ; il se permet de lui donner des con-
seils :
Détache, il en est temps, détache cette épée :
Les Bardes chanteront ton repos glorieux...
Mes hymnes quelquefois ont charmé tes instants ;
De l'illustre Fingal les combats éclatants
Peut-être ont enflammé ta jeunesse guerrière.
Ce poème de près de cent vers est très ossianique dans le
détail : on y trouve une biche^ des palais nébuleux, des
palais des vents. C'est la première fois peut-être que toute
cette fantasmagorie encadre la silhouette de Bonaparte : ce
ne sera pas la dernière. La même année, on exécute solen-
nellement un Chant gallique de Baour-Lormian, dont Le-
sueur avait fait la musique : deux ossianistes sans rivaux,
chacun en son art. Nous retrouverons ce poème en étudiant
Toeuvre de Baour-Lormian.
On s'attendrait à compter plus de pièces de ce genre dans
la Couronne Poétique'^. On n'y trouve que celles que nous
l.Almanach des Muses, 1803, p. 93 : Ossian à Bonapurte; et Couronne
poétique de i\apoléon-le-Grand, p. 89.
2. Couronne Poétique de Napoléon-le-Grand, 1807.
i6 Ossian en France
venons de citer, et deux autres qui apportent une noie
étrangère. Monti, assidu flatteur de l'Empereur-Roi entre
sa vocation républicaine et sa conversion aux princes légi-
tinies, Monti y figure par un fragment de son Barde de la
Forêt-Nuire '. Il faut mentionner le poème ici, puisqu'il
entre dans un recueil français, et qu'un court sommaire le
fait connaître au lecteur non italianisant. Par lui, Ullin et
Malvina rendent hommage à l'Empereur; par lui, on entend
im Barde répéter
Ghe tutto nell'Eroe, tutto è portento
Di fortezza, di senno e di coraggio...
et l'on est ravi d'apprendre que sa haute valeur n'a d'égale
que sa grande bonté, comme on l'a vu près d'Arcole, D'autre
part, une canzone de quinze strophes de J. Grobert : Napo-
leone al Danuhio, est mise en hexamètres latins par Cauchy
et en octosyllabes français par de Wailly :
Degli alti eventi cogli Dei ragiona
Il Barde afTettuoso. .
... Bardus
Mente domos petit aethereas, fruiturque deorum
Colloquio...
Loin du bruil le Barde s'élance...
Des grands intérêts de la terre
Il s'entretient avec les Dieux.
Ainsi les seules contributions nouvelles d'Ossian à la
Couronne Poétique nous venaient par l'Italie.
Le mariage de Napoléon avec Marie-Louise éveille un
enthousiasme qui se manifeste aussi sous forme ossianiquc.
Talairat donne son Chant des Bardes % dont il faut noter
surtout le décor :
On découvre dans les airs l'Olympe des Scandinaves. Les
guerriers célébrés par Ossian se promènent sur des nuages, et se
1. Couronne Poétique, p. 232 : Fragment du IV« chant du Poème de
V. Monti, intitulé : Le Barde de la. Forêt-Noire.
2. Talairat, Le Chant des Bardes au mariage de Napoléon et de Marie-
Louise, 1810.
Poésie ossianique de circonstance 17
livrent des combats. Les vierges calédoniennes paraissent dans
le lointain, et forment différents groupes. Fingal est le plus
élevé de tous; mais au-dessus de lui est une place vide avec
cette inscription : Au plus grand des héros, puisse-t-il ne Voc-
cuper que fort tard! Cent bardes avec leurs harpes sont au
pied du trône et chantent en s'accompagnant...
Il est assez étrange d'entendre dans ce décor, où le chef
des bardes évoque Ossian, d'autres bardes dire de Napoléon
qu'il a « moissonné les lauriers », et que
Il a d'Hercule effacé les travaux,
D'Octave la grandeur, de Titus la clémence !
Ces bardes connaissent trop bien l'histoire des « maîtres
du monde ». Puis, comme de juste, ils entonnent un hymne
à la nouvelle souveraine. On trouve dans cette pièce, dit
un critique souvent assez sévère, « le ton, les couleurs du
genre ossianique, assez bien saisis' ». La princesse de Salm
entre dans la lice avec une autre Cantate en strophes et
en vers libres ^ L'hymen y est célébré tour à tour par deux
vieillards, Ossian et Corneille, les deux poètes aimés de
l'Empereur, et par Sapho. Retenons cette symétrie déjà
constatée : Ossian et Corneille se font vis-à-vis autour du
portrait du maître.
L'année suivante, c'est la naissance du Roi de Rome. Col-
laborateurs fidèles qu'on est sûr de retrouver dans les gran-
des occasions, Arnault et Méhul donnent, l'un le poème,rautre
la musique d'un Chant d' Ossian^ qui « a été exécuté parle
Conservatoire Impérial, dans la salle du concert de l'Hôtel-
de-Ville, devant Leurs Majestés, après le banquet offert par
le Corps municipal » :
1. Almanach des Muses, 1811.
2. Princesse de Salm, OEnvres, II, 107-113 : Cantate sur le mariage de
l'Empereur Napoléon avec l'Archiduchesse Marie-Louise, 1810.
3. Le Chxnt d' Ossian, cantate, paroles d'Arnault, musique de Méhul
(1811) ; se retrouve dans Hommages Poétiques,!, 14 ; dans L'Hymen et la
Nussance, p. 193 ; dans le Mercure, XL VIII, 49 (13 juillet 1811).
i8 Ossian en France
Prends ta harpe, Ossian, père de l'harmonie !
Invente de nouveaux accords !
Jamais bonheur plus grand n'excita nos transports !
Jamais sujet plus beau n'enflamma ton génie !
Au barde qui lui annonce que « la couche royale est fé-
conde », Ossian répond, assez peu ossianiquement :
Ma harpe a prévenu ma voix :
De ses flancs que Zéphyr caresse
S'exhale déjà l'allégresse
Qui va redoubler sous mes doigts.
Cette harpe, bonne sujette, chantait déjà toute seule. Puis
il aperçoit « sur les nuages entassés » au haut des cieux
« les héros des siècles passés ». En elTet, le « Chœur des
ombres héroïques » salue l'enfant qui incarne l'espoir de la
France.
Mais deux recueils concentrent presque tout Tossianisme
officiel de Tépoque. Le premier est celui de Lucet et Eckard,
les Hommages Poétiques *. Dans leur préface, les éditeurs
disent avoir reçu 1263 pièces en dix langues différentes. La
plupart de ces pièces, sans doute, sont de goût classique : Os-
sian ne peut que se faire sa petite place dans un coin de l'em-
pire poétique que régit encore la tradition gréco-romaine. Il
y a même ici un regain d'antiquité : une ode saphique latine
est traduite en strophes saphiques grecques. Parfois, assez
rarement, c'est l'inspiration biblique. Il y a une ode bardique
allemande envoyée par Bielfeld, le chantre de Thuiskon, et
où respire, dit l'auteur, ein germanischer Biedersinn. On
ne sait à qui donner la parole pour saluer Napoléon : on fait
se réveiller du dernier sommeil Charlemagne, Guillaume le
Conquérant, un invalide deFontenoy. Tous les siècles, toutes
les nations fraternisent et font assaut d'adulation. Voici enfin
le cortège des Bardes qui paraît à l'horizon :
Troubadours, Bardes Celtiques,
Montez ici votre luth !
1. Hommages Poétiques à Leurs Majestés impériales et royales sur la
naissance du Roi de ^îome, 1811.
Poésie ossianique de circonstance 19
dit M"* Clarisse Hourcastremé,de Dieppe, âgée de 14 ans ♦.
L'aimable enfant n'est que de fort peu la plus jeune : Doré
de Nion, âgé de 16 ans, et Léonard Guibert, qui n'a que
15 ans et demi, la suivent de près. Fleuriais, qui appelle les
bardes « saints ministres des Dieux » ; Ch. Laserve, qui
apostrophe ceux des Gaulois :
Premiers chantres français ! Salut, Bardes antiques !
Ménégant, l'ingénieur en chef, chez qui les Bardes voisinent
avec Alcide et l'Aonie ; d'autres encore exploitent plus ou
moins franchement le domaine nouveau qu'Ossian a ouvert
à la poésie française. Parmi les 279 pièces du recueil, les odes,
les cantates, les poèmes, les stances se prêtent particulière-
ment à ce rôle. Professeurs, régents, maîtres d'étude, procu-
reurs impériaux, préfets, conseillers de préfecture, employés
aux Droits-Réunis, receveurs de l'enregistrement, avocats,
séminaristes, curés, pasteurs, anciens mousquetaires, tail-
leurs, tapissiers, imprimeurs des écuries, employés aux pos-
tes, dames de la Halle, dames du monde, combien d'entre
tous ces auteurs, dont la plupart sont novices, frottent leur
enthousiasme d'un peu d'ossianismo 1 Citons seulement le
Chant Héroïque de Parseval ^, très biblique d'inspiration,
et qui finit en montrant 1' « auguste enfant >
Qui rêvant d'Ossian les nébuleux royaumes
A cru de ses aïeux voir les pâles fantômes
et le Dithyrambe maçonnique deDupaty '.Ce franc-maçon
est éclectique : il évoque David, Pindare, Virgile et Ossian :
Que ta harpe, Ossian, sur tes rocs nébuleux,
Pour rendre au Roi guerrier de belliqueux hommages,
Ranimant de Fingal les accents fabuleux.
Cherche, au sein des vapeurs, d'héroïques images!
1. Homma,ges Poétiques, II, 322.
2.1b., I, 580.
3. Ib., II, 395 : Dithyrambe maçonnique prononcé dans la fête donnée
par le Grand Orient de France, le 24 juin 1811, sous la présidence du Sér.-.
Gr.-. Maître, le très illustre Prince Cambacérès, archichancelier de l'Em-
pire, Duc de Parme ; par E. Dupaty, orateur de la loge de Saint-Joseph.
âo Ossian en France
Michaud veut faire mieux que Lucet et Eckard,et l'année
suivante il réunit dans L'Hymen et la Naissatice ' les signa-
tures des plus notoires hommes de lettres du temps: Monti,
Arnault, Baour-Lormian,Greuzé de Lesser,Lemercier(même
Lemercier!), Parseval, Campenon, Brifaut, Aignan, G. Dela-
vigne, Esménard,Millevoye,et le jeune Soumet, et quelques
autres. C'est la garde qui donne pour célébrer Marie-Louise
et le Roi de Rome ; mais, hors les pièces déjà analysées,
je n'y trouve qu'un seul poème vraiment ossianique qui soit
nouveau: Hermann et Thusnelda, de Millevoye ^ Le cadre
est germanique; mais Hermann-Napoléon et Thusnelda-Ma-
rie-Louise sont entourés de bardes et de druides ; et l'on trace
leur devoir aux premiers :
Vos chants appelleront au bord de leurs nuages
Les fantômes de nos aïeux.
« Cette croyance, dit l'auteur, était commune aux Ger-
mains et aux Calédoniens. » C'est fort commode pour lui,
car cette identité supposée lui permet d'employer la couleur
ossianique dans un sujet germanique. On remarquera les
trois éléments qui se fondent ici sans scrupule : les druides
gaulois, les bardes calédoniens, les héros germaniques. Cette
synthèse, qui n'est que du sans-gêne, date de loin et durera
encore assez longtemps.
Le couronnement de l'ossianisme impérial est l'introduc-
tion d'Ossian dans la liste oflicielle des ouvrages destinés
aux bibliothèques des lycées. Cette liste, établie en 1804 et
signée Fourcroy ^, comprend 526 ouvrages, dont 22 de lit-
térature étrangère ; la proportion est plus considérable qu'on
ne s'y attendrait. L'Espagne manque. Le Portugal est repré-
senté par Camoëns; l'Allemagne par Gessner, Haller et Gel-
lert ; l'Italie par Dante, le Tasse et l'Arioste. L'Angleterre
à elle seule donne 14 ouvrages de 10 auteurs, parmi lesquels
1. L'Hymen et la Naissance, ou Poésies en l'honneur de Leurs Majestés
impériales et royales, 1812.
2. rh., p. 125.
3. Catalogue des livres qui doivent composer la bibliothèque d'unlycée,
1804.
La mode ossianique 21
Ossian, traduction de Le Tourneur. On y voit aussi le par-
rain d'Ossian, le D' Blair ; mais on y chercherait en vain
Shakespeare.
III
En dehors de ces manifestations quelque peu factices d'un
ossianisme quasi-oftîciel, l'influence personnelle de Bona-
parte contribua puissamment à encourager la mode ossia-
nique. Cette influence s'était exercée peu après sa première
campagne d'Italie ; elle se développa à son retour d'Egypte, et
donna tous ses etfets lorsque le vainqueur fut devenu le
maître. De cette mode, qui eut son apogée de 1800 à 1803,
certains témoignages généraux ne nous permettent pas de
douter. On connaît celui de Lamartine, qui rattache direc-
tement à Bonaparte la vogue ossianique : « C'était le moment
où Ossian, le poète de ce génie des ruines et des batailles,
régnait sur l'imagination de la France '. » Delécluze est plus
précis : « Bonaparte... en avait répandu le goût en France.
Ce goût devint un engouement ; et les chants vagues et
monotones du barde séduisirent précisément par l'étrangeté
des mœurs qui y sont peintes, par les formes inusitées du
langage. Bien que la grécomanie fût alors poussée à l'extrême,
Ossian balança la gloire d Homère ^ » — « On n'a pas oublié,
dit Villemain, cette vogue, pour ainsi dire populaire, qui
s'attachait encore il y a quelques années aux réminiscences
des poèmes d'Ossian \ » i^^t le successeur de Baour-Lormian
à l'Académie évoque avec complaisance l'époque où « de
jeunes et belles ossianistes écoutaient dans les pins les
accords d'une harpe mystérieuse *. » Si cette mode ne
s'affirme que vers 1800, une phrase d'un périodique impor-
tant semble indiquer qu'en 1805 elle était déjà un peu dé-
fraîchie : « Le goût que les Français ont montré il y a quelque
1. Lamartine, Confidences, livre VI, vi, début.
2. Delécluze, Souvenirs de soixante années, p. 48.
3. Villemain, Dix-huitième siècle, sixième leçon.
4. Ponsai-d, Discours de réception, 4 décembre 1856.
12 Ossian en France
temps pour tout ce qui rappelle le nom d'Ossian passe
actuellement en Allemagne '. »
Quand on parle de mode ossianique, il ne peut être ques-
tion que de mode littéraire, car le meuble, le vêtement, n'ont
pu s'inspirer d'Ossian comme de l'antiquiti' ou du moyen âge,
et pour cause. Maurice Quay, ami de Delécluze, « qui se
promenait dans les rues de Paris vêtu en Agamemnon »,
n'arborait pas le costume problématique de Fingal. quoiqu'il
eût fini « par préférer le chantre de Fingal à celui d'Achille,
et par avancer que la lune est plus poétique que le soleil^ ».
La harpe est le seul attribut ossianique qui s'impose. Je ne
parle pas de la mascarade à laquelle se livrèrent, paraît-il,
sous le Directoire, quelques joyeux compagnons : costumés
en Scandinaves, c'est-à-dire affublés de peaux de bêtes, ils
auraient allumé dans le Bois de Boulogne « le Chêne de la
fête », et dansé autour du brasier une ronde aux hymnes
des Bardes ^ Mais les témoignages abondent qui nous
montrent Ossian lu et relu sous le Consulat et l'Empire.
Dans le groupe de jeunes artistes que font revivre certaines
pages des Souvenirs de Delécluze, il est mis au rang d'Ho-
mère. Au cours d'une discussion d'atelier, Maurice Quay
proclame devant ses camarades irrévérencieux et étonnés :
« L'Evangile, c'est plus beau qu'Homère, qu'Ossian * ! »
Un ami de Maurice Quay et de Delécluze, Lullin, devait sa
mélancolie à la lecture de Werther, des romans du genre
de Mrs Radcliffe, et d'Ossian, qui contribuait « à augmenter
la teinte de tristesse vague "^ » qui inquiétait ses amis. Mais
d'autres supportaient plus agréablement la poésie du Barde.
Lebrun-Pindare, qui ailleurs le raillait, l'avait pourtant lu
avec plaisir \ Pierre Lebrun, au temps où il était receveur
des Droits-RéunisauHavre,en ces « neuf saisons radieuses »
qu'il passa au vieux manoir de Tancarville, parmi ses ruches
et ses lévriers, lisait Ossian, comme Homère et Pétrarque,
comme Ronsard, « et même Clotilde de Surville ». Et il
t. Magasin Encyclopédique, 1805, II, 151.
2. Delécluze, p. 48.
3. Cette anecdote est rapportée par Renard, De l'influence de l'antiquité
classique.... à qui J. Texte l'a empruntée.
4. Sainte-Heuve, Nouveaux Lutidis, III, 93.
5. Delécluze, p. 50.
6. Œuvres de Lebrun, II, 400.
La mode ossianique a3
ajoute en évoquant cette époque bénie : « Clotilde s'en est
allée, hélas ! avec Ossian, avec tant d'autres illusions de ma
jeunesse *. » De même l'Hermite de la Chaussée d'Antin
place un livre nouveau et qu'il aime « sur un rayon parti-
culier de sa bibliothèque, à côté des poésies d'Ossian, de
Clotilde, etc...' ». Le g^énéral Miollis est un ossianiste fer-
vent. Cesarotti lui écrit (en français) :
Vous tournez donc vos regards avec plaisir sur des pays
habités et chantés par notre Barde divin ? Que j'aime à me re-
présenter ce tableau intéressant ! Je vois mon général se pro-
mener solitaire sur le rivage, son Ossian à la main, s'entretenant
avec lui et la nature dans le plus doux ravissement ; je le vois,
s'abandonner à la rêverie, fixant les yeux tour à tour sur les
vagues et sur les Alpes, et tâchant parfois de les enfoncer dans
ces brouillards noirâtres, et brisés par des tonnerres qui s'ap-
prochent de plus en plus. Et ne vois-je pas Ossian lui-même
qui voltige dans les nues autour de vous, répondant à vos lec-
tures par le son harmonieux de son ^ harpe, qu'il accompagne
de ses chants touchants, pleins d'une douce tristesse, et entre-
mêlés de quelques gémissements dont vous comprenez bien le
sens * !
Ceux qui ne sont pas encore généraux, mais qui rêvent
de gloire, se promènent à douze ans avec un Ossian dans
leur poche, comme le jeune Gustave de Valérie, qui vit
« avec les héros, avec la nature ' ». C'est Ossian peut-être,
autant que les romans effrayants de Lewis, qu'a en vue
celui qui écrit :
Des spectres, des tombeaux, de lugubres romans
Sont les livres d'Elise, et font fuir ses amants ^.
1. G. Merlet, Tableau de la Littérature..., I, 451.
2. Œuvres d'Etienne Jouy, I, 45 : L'Hermite de la Chaussée d'Antin,
n» 11 (31 août 1811).
3. Sic.
4. Cento Lettere inédite di Melchiorre Cesarotti, 1814, p. 105 ; cité par
Weitnauer, Ossian in der italienischen Literatur, p. 24.
5. [Madame de Kriidner] Valérie, 1803, II, 175.
6. Nouvel Almanach des Muses, 1803, p. 243 : Epitre sur les avantages
de la poésie, par Gournand.
24 Ossian en France
Dans la nuit un poète mélancolique croit entendre « la
harpe gallique » et les accords de « l'Ecosse antique^ ». Si
Ton disserte sur les sépultures, on évoque les temps où
régnait le culte des morts, où Ton croyait que « l'âme des
braves Calédoniens, s'élevant aux accents des Bardes, plane
sur les nuages de Morven ' ». D'ailleurs nous ignorerons tou-
jours combien d'ossianistes fervents notre pays comptait
alors. Quelques-uns nous sont révélés par les catalogues
de leurs bibliothèques. Ainsi un M. de Larenaudière, ou
M. Auguis, plus tard conservateur à la Mazarine, dont la
collection particulière était la plus riche des 640 bibliothèques
que j'ai étudiées : il ne possédait pas moins de neuf éditions
d'Ossian, deux anglaises, deux françaises, deux allemandes
et trois italiennes.
Le roman et le poème narratif utilisent Ossian et tâchent
de se rajeunir en lui faisant des emprunts. C'est parfois
une simple épigraphe : celle des Chefs Ecossais est empruntée
à Ossian, mais le roman ne contient pas d'allusion au passé
ossianique de l'Ecosse ^ C'est ailleurs une intervention épiso-
dique des chants du Barde, moins précise toutefois que dans
Werther : « Non loin d'Edimbourg » un père chante avec
sa fille « quelques fragments des poésies mélancoliques
d'Ossian * ». Mais il faut s'arrêter davantage à la Malvi/m
de M'"" Cottin. Ce roman qui, d'après Alfred de Musset,
« faisait couler des larmes et répandait l'insomnie dans les
pensionnats ^ », jouit en effet d'un grand succès et a certai-
nement contribué à répandre, dans une classe de la société
qui ignorait Ossian, le prénom de l'héroïne. Malvina de
Sorcy est Française ; elle s'établit en Angleterre avec une
amie ; puis après la mort de celle-ci elle passe en Ecosse.
L'automne et ses vents lugubres, le paysage des landes
écossaises, jouent un grand rôle dans le roman.
1. Mercure, 30 juin 1804 : La. Mélancolie, poème, par Kicard Saint-Hi-
lairc fils.
2. J. Girard, Des Tombeaux, IUOI, p. 17.
3. Miss Jane Porter, Les Chefs Ecossais, roman historique, trad.fr ,1814,
rééditée en 1820. Le roman est de 1809, et annonce en quelque manière
le genre de Walter Scott.
4. Journal des Arts, des Sciences et de la Littérature, 25 juillet 1811 :
Edgard et Elfrida, nouvelle écossaise par Madame B...
5. Alfred de Musset, Œuvres, IX, 95 : Quinzième Revue fantastique
(16 mai 1831).
La mode ossianique x5
Cependant Malvlna voyait avec une sorte d'intérêt cette an-
tique Calédonie, patrie des Bardes, qui brille encore de l'éclat du
nom d'Ossian. Nourrie de cette lecture, il lui semblait voir la
forme de son amie à travers les vapeurs qui l'entouraient. Le
vent sifflait-il dans la bruyère, c'était son ombre qui s'avançait...
Son imagination malade était remplie des mêmes fantômes dont
ce pays était peuplé autrefois; son nom même, ce nom porté
par la fille d'Ossian, lui semblait un nouveau droit aux pro-
diges qu'elle espérait '.
La romancière ne connaît guère son auteur si elle croit
que Malvina, fille de Toscar, est la fille d'Ossian ; et ce
détail doit mettre en défiance contre les jugements précipi-
tés en matière d'inspiration littéraire. Voilà un écrivain qui
n'a lu Ossian que peu ou mal, elle nous en donne une preuve
décisive, et qui pourtant a révélé à beaucoup de lecteurs
la couleur et les thèmes ossianiques.
Ces mêmes lecteurs rencontraient assez souvent le nom
du Barde et ceux de ses héros dans leurs lectures les plus
diverses. Une autre Malvina figure dans un drame qui met
en scène le Prétendant ^ Un anonyme veut raconter les
impressions d'une jeune fille dans la région parisienne : il
l'appelle Oïcoma, en fait une « fille d'Ossian », ce qui lui
permet de débuter par une Invocation à la Mélancolie ^
Le Mercure publie une traduction d'un Voyage en Ecosse :
l'auteur, qui est une dame, écrit d'Oban, en juin 1810,
qu'elle veut croire à l'existence d'Ossian, comme à celle de
Guillaume Tell, sans quoi « les montagnes de la Suisse et
celles de l'Ecosse perdront » pour elle « la moitié de leurs
charmes* ». Marchangy, dans un livre dont on sait le suc-
cès, met au rang des poèmes nationaux anciens que pos-
sèdent toutes les nations de l'Europe ces « chants héroïques
des Calédoniens » que « Macpherson et J. Smith ont rappor-
tés des monts de l'Ecosse ^ ». Ailleurs, VEdda et Ossian
sont cités comme les monuments de ces « traditions popu-
1. M"" Coliïn, Malvina, 1801, I, 14.
2. Œuvres d'Alexandre Duval, IV : Edouard en Ecosse, 1802.
3. Oïcoma, ou la jeune voyageuse, 1808.
4. Mercure de France, 12 janvier 1811 : Fragment de Caledonia, ou
voyage en Ecosse, par M"' de Berleps, trad. de l'allemand par A. M. Herdez.
5. Marchangy, La Gaule Poétique, I, 59.
20 Ossian en France
laires trop méprisées ' ». Le Dictionnaire de la Fable de
Noël -, qui a fait autorité, fonde sur la « mythologie erse »
l'explication de certains mots. Il estime d'ailleurs, ce qui
simplifie sa tâche, que « la mythologie de Fingal est à peu
près la même que celle des Scandinaves ^ ». Ossian avait
déjà été comparé à Homère, à Virgile, à Milton : le voici
rapproché de Ercilla. L'auteur de VAraucanaei « Macphe-
son dans les poèmes où il a fondu les fragments dOssian >
ont tous deux tenté de suppléer à l'absence du merveilleux
par l'originalité des mœurs ; mais le « barde du Chili » y
a mieux réussi que « celui de la Calédonie * ». Ossian fera
partie de la bibliothèque modèle, « peu nombreuse, mais
choisie » de Desessartz ^ Il est cité dans un voyage en Ir-
lande, sous la forme Oisin, et d'une manière qui, pour le
Français peu au courant de la question, ne peut que con-
firmer l'authenticité ^ « Le célèbre Fingal, père du barde
Ossian », donne son nom, dans un roman sans valeur, à un
héros-troubadour de la Provence dont la sœur s'appelle
Inisthore'' (il y a dans Macpherson une île d'Inis-tlnina qui
est peu à peu en France devenue Inistore, très commode
pour rimer à encore ou aurore). Fingal donne également
son nom à un « prince d'Inverness » dans la classique et
ennuyeuse Bataille d'Hastings de Dorion, où l'on trouve
un barde, sa harpe, et « la Clyde et ses humides champs,
Que du (ils de Fingal ont illustrés les chants* ». Il figure
avec ses compagnons, Oscar, Fillan, Morni, dans les vers
fades de la princesse de Salm \ Creuzé de Lesser trouve
moyen de placer le saint Graal dans la grotte de Fingal ;
étrange contamination de deux thèmes poétiques profon-
dément distincts. J'arrive, dit Yvain à Artus,
1. Mémoires de V Académie Celtique, I, 51.
2. Noël, Dictionnnire de la Fubie, 180S.
3. Ib ., p. XI (Préface .
4. Malte-Brun: Le Spectateur, II, 164 (1814i, à propos de l&Columbiad,
dû Joël Barlow.
5. Desessartz, Nouveau Dictionnaire bibliographique portatif, 1809.
6. J. Carr, L'Etranger en Irlande, trad. fr., 1805.
7. V. Augier, Fingal et Inisthore, \%\\ .
8 .Dorion, La Bataille d'IIaslings, lH06,chanl V,p.83 ; chant VIII, p. 126.
9. Princesse de Salm, Œut'res, il, 108-109.
La mode ossianique 27
Du roc brumeux de la lugubre rive
Où, dès longtemps, la grotte de Fingal
Au roi pécheur garde le saint Graal. , .
C'est là, dit-on, que fidèle à sa haine.
Contre la for-ce et la fureur romaine,
Se retirait le célèbre Fingal '.
La curiosité qui s'attache à ces lieux célèbres fera ache-
ter peut-être les Vues pittoresques de l'Ile de Staff a et de
la grotte de Fingal aux îles Hébrides par Michel Picque-
not, « habile graveur », et E. Picquenot, sa fille, qui pa-
raissent en 1804, en 1805 et de nouveau en 1816. En 1813,
Sismondi reçoit « avec impatience et ennui » une lettre
« sur la question de juger si Macpherson était l'auteur ou
le traducteur des poésies dites d"Ossian ' ». De même, en
parlant, devant l'Institut, des bardes bretons, Delarue ne
peut manquer de faire allusion aux poèmes de Macpherson
« dont l'authenticité pourrait être contestée ' ». Celui qui
veut exprimer sous une forme concise l'infinie variété du
domaine des belles-lettres n'aura qu'à choisir les deux
termes extrêmes : il opposera « les nuages de la Calédo-
nie » au « beau soleil de la Grèce * ».
Le Magasin Encyclopédique est particulièrement atten-
tif à tenir ses lecteurs au courant de tout ce qui concerne
la publication ou la critique des poésies ossianiques. 11 an-
nonce en 1801, à propos de la mort de Blair, que M. Ross
prépare l'impression des originaux erses, et que pour don-
ner un texte correct de Dar-thula, de Temora, de Fingal et
de Carthon, on consulte des vieillards qu'on a la chance de
trouver encore en vie « grâce à leur frugalité et au climat
de ces contrées ^ ». Quand YOssian gaélique, si longtemps
attendu, est enfin publié, il s'empresse d'en faire part à ses
lecteurs \ qui ne douteront pas que le texte ainsi établi ne
l.Greuzé de Lesser, La Tahle /?on.de, 1814, chant XV, p. 303 ; chant XVII,
p. 334.
2. Lettres inédites de Sismondi, p. 205.
3. G. de la Rue, Recherches sur les ombrages des Bardes de la Bre-
tagne, 1815.
4. Castel, Discours sur la gloire littéraire, 1809, p. 7.
5. Magasin Encyclopédique, 1801, I, 265.
6. Ih., 1807, III, 390.
28 Ossian en France
soit le véritable, quant ils sauront que M. Batsany, savant
hongrois, refond d'après ce texte sa traduction publiée il
y a vingt ans '. On sait par le même périodique que le
< traité sur l'authenticité » (le Rapport de 1805) a été pré-
senté imprimé à la Highiand Society ' ; et que les asser-
tions de Malcolm Laing vont être réfutées par M. Patrice
Graham ' (je restitue ces noms, déformés par le transcrip-
teur ou le typographe français). En annonçant l'échantillon
ou essai d'une nouvelle traduction, d'après le texte gaélique,
que vient de donner Ahhvardt, il croit bien faire de ren-
seigner ses lecteurs avec quelque soin, car « les événements
politiques ayant rompu les communications littéraires avec
l'Angleterre, il n'est pas probable que des détails aussi cu-
rieux soient aussi répandus qu'il le méritent * ».
IV
On sait où se trouvent les traces les plus sûres de la mode
ossianique : dans les prénoms. La Révolution, en permettant
à chacun d'appeler ses enfants comme il voulait, avait élargi
à l'infini le cercle autrefois si restreint des noms de bap-
tême. A côté de l'actualité politique, le nouveau calendrier,
qui s'enrichit à perte de vue des fantaisies individuelles,
fait une large place à l'actualité littéraire. La mode dicte les
noms dont on orne ou dont on affuble les nouveau-nés : noms
exquis aux premiers jours d'engouement, et bien peu après
démodés et souvent ridicules. Villemain rappelait en 18:28
que dans sa jeunesse «les distributions de prix retentissaient
sans cesse des noms d'Oscar, de Malvina, de Temora^ ». Ces
lauréats étaient sans doute en majorité plus jeunes que Vil-
lemaii), né en 1790 ; car les hommes de sa génération ne
s'appelaient guère ainsi. Taine observe que, après avoir connu
un succès européen, Ossian « finit vers 1830 par fournir des
1. Magasin Encyclopédique, 1813, V, 183.
2. //)., 1805, V,'394.
3. //)., 1808, II, 156.
4. Ib., 1808, IV, 228.
5. Villemain, Dix-huitième siècle, sixième leçon.
Prénoms ossianiques ap
noms de baptême aux grisettes et aux coiffeurs ' ». Autre-
ment dit, les prénoms ossianiques étaient fashionables vers
1800 ; ils devinrent vulgaires une génération après. C'est assez
dans l'ordre. Chacun de nous, au reste, au cours de ses lec-
tures ou en faisant appel à ses souvenirs d'enfance, fera émer-
ger de l'oubli quelque Oscar ou quelque Malvina. Le plus
célèbre Oscar fut le fils de Bernadotte, né en 1799. On a dit
que le nom de l'enfant avait facilité au père l'accès au trône
de Suède ; cependant la biographie la plus complète ne men-
tionne aucun enthousiasme de cette sorte'. On connaît, par
George Sand, son neveu Oscar Cazamajou ; la science appré-
cie les travaux d'Ossian Bonnet, et Paris doit un passage à
Ossian Verdeau. Il y a surtout des Oscar dans bien des fa-
milles. Quant à Témora, qui est un nom de ville, je crois
qu'on en trouverait peu d'exemples. Les plus âgés de ceux
qu'on baptisait ainsi en Ossian tenaient leurs noms de la
lecture directe et d'une admiration personnelle des poèmes
du Barde. Puis sont venus les imitateurs, domestiques, four-
nisseurs, clients, qui ont trouvé ces noms très bien portés
et les ont fait changer d'étage ; il faut y joindre tous les
enfants qui ont reçu sans plus ample informé les noms de
leurs parrains, et ne pas oublier les influences littéraires du
second degré : beaucoup de petites Malvina ont dû leur nom
au roman de M'"° Cottin ; d'autres, peut-être, à la Malvina
de Scribe (1829). Les Malvina et les Oscar ne sont pas rares
dans les romans de la Restauration et de la période suivante :
il faut y joindre le Tremnor de George Sand dans Lé lia
(1884) et le Ryno de Barbey d'Aurevilly dans Une vieille
Maîtresse (1851). Mais n'a-t-on pas été s'imaginer que La-
martine avait pris à Ossian le nom d'Elvire, ou plutôt trans-
formé ainsi le nom d'Eviral/in, fille de Branno et femme sou-
vent regrettée du vieux Barde ^ ? Or Elvire, nom espagnol,
se trouve dans le Cid ; Lamartine a pu également le ren-
contrer dans Lebrun * et dans une chanson de Beaumar-
chais ^
1. Taine, Histoire de la Littérature anglaise, IV, 226.
2. Histoire de Charles XIV, 1838, II, 224.
3. Léon Séché, L' Elvire de Lamartine, p. 161.
4. OEuvres de Lebrun, III. 406.
5. Almanach Littéraire, 1780, p. 57.
3o Ossian en France
Au cours de recherches d'un ordre plus général sur l'in-
fluence de la littérature sur les prénoms, j'ai pu rencontrer
quelques exemples de noms ossianiques. Une enquête faite
aux archives de Tétat-civil de Fontainebleau ne m'a fourni,
pour la période 17(5:2-1819, soit pendant cinquante-huit ans,
sur environ 28.000 prénoms, aucun nom ossianique. Par
contre, la période 1820-1848, soit vingt-neuf ans, m'a fourni,
sur un total de 14.000 prénoms environ, les résultats sui-
vants :
4 Oscar (1823, 1825, 1830, 183G).
2 Malvina (1826, 1845).
Ce n'est guère, et ces deux noms sont perdus parmi les
Paméla, les Athalie, les Zaïre, les Atalide, les Télémaque,
les AmT/iite, et autres curiosités que j'ai relevées dans cette
ville. Remarquons surtout la date tardive où apparaissent
ces noms ossianiques : il y a là probablement une influence
du second degré. L'un des Oscar est le fils d'un peintre, et
il a pour parrain Abel de Pujol ; mais l'une des Malvina
est la fille d'un tailleur d'habits. En somme, les seuls noms
ossianiques bien usités sont Ossian, Oscar, Malvina. Pen-
dant que j'écris ces lignes, je rencontre dans une nouvelle
publiée par un journal quotidien une Ossianne qui est une
survivance quelque peu inattendue en 1914.
On peut avoir lu Ossian sans le citer. La plus sûre
marque en est dans certaines habitudes de style. Il y a des
expressions particulières qui viennent de lui sans aucun
doute possible, et qui d'ailleurs, trop étranges, trop locales,
ne sont pas restées dans la langue poétique. La plus com-
mune est celle qu'on trouve dans Ghênedollé ',dans Pierre
Lebrun - : fils de l'harmonie, enfants de l'harmonie, pour
désigner des poètes. Lorsque l'ombre de Brennus exhorte
Bonaparte à quitter l'Egypte pour rentrer en France, elle
1. Œuvres de Chénedollé, p. 99: Le Génie de l' Homme, chanl 111.
2. Œuvres de Pierre Lebrun, IV, 62: La Campagne de 1807, ode.
Influences ossianiques sur la poésie 3i
se conforme à son caractère celtique en parlant de barde,
de harpes et de météore ^ A défaut de semblables expres-
sions, l'ossianiste se reconnaît aux ombres des morts aimés
qu'il place dans les nuages errants. Le sujet des Scandi-
naves^ poème de Ghérade-Montbron, n'est pas ossianique :
l'auteur se contente de prendre à Ossian son épouse Eviral-
lina pour la placer dans son poème ; mais il lui emprunte
aussi cette nouvelle forme de merveilleux : « Quelles voix
aériennes se mêlent au mugissement des vents " ? > Le
Mercure lui reproche d'avoir « voulu quelquefois ossiani-
ser », car « ces demi-hardiesses ne contentent personne, pas
même les adorateurs d'Ossian ^ ». Castel ossianise dans la
forêt de Fontainebleau, où il s'inspire de ruines qui sont
peut-être celles de Franchard :
0 nuit mélancolique ! Ineffables moments,
Où seul et recueilli parmi ces monuments,
Aux rayons de la lune errants sur leurs décombres
Je crus de mes amis reconnaître les ombres !
Je leur tendais les bras, et je sentais mes yeux
S'emplir en les voyant de pleurs délicieux *.
Par contre, on chercherait en vain des traces de vraie
inspiration ossianique dans deux des poètes les plus no-
toires de Tépoque. Ghênedollé, rêveur et volontiers mélan-
colique, n'ossianise que par quelques expressions, et se
contente de s'intéresser une fois aux Scaldes \ Subit-il
l'influence anti-ossianique de Fontanes à présent converti?
Je ne crois pas non plus qu'il y ait lieu de parler de l'os-
sianisme de Millevoye. Sans doute, on peut penser à Ossian
en lisant l'invocation à.' Alfred:
\. Coupigny, Dernières Romances, p. 37 : VOmbre de Brennus, ode
(1800).
2. Chérade-Montbron, Les Scandinaves, 1801, p. 3, 27, 338, etc..
3. Mercure, i août 1801.
4. Castel, La Forêt de Fontainebleau, 1805, p. 17.
5. Œuvres de ChênedoUé, p. 304: Etudes Poétiques, ode XXVIII.
3a Ossian en France
Muse du Nord, qui seule et recueillie
Au bruit lointain de l'orageuse mer,
Vas répéter dans les longs soirs d'hiver
De l'Ecossais la ballade vieillie... '
Mais le poète peut avoir en vue, bien plus que les poèmes
d'Ossian, les ballades publiées par Walter Scott, qu'il cite
en note. Le poème est bien moins ossianique qu'anglais et
Scandinave. Le seul nom de Morven est Trcmmor {sic), qui
voisine avec Odin et Recner (Régner Lodbrog). L'auteur
parle indifféremment de bardes et de scaldes, lesquels s'ac-
compagnent du luth., non de la harpe. Sans doute, Mille-
voye connaît Ossian, il cite de longs passages du Lémor
de 'Victorin Fabre ; mais il ne s'engage nettement dans
aucun des chemins de l'ossianisme. La Rançon d'Egill est
un poème Scandinave, où à côté d'Enwia et d'Eginard se
trouvent des noms ossianiques ou pseudo-ossianiques, Ar-
niin, Ehnor' ; rien d'Ossian dans la couleur ni le paysage.
Je ne sais comment on a pu dire que c'est « un poème
ossianique ^ ». Un historien récent du poète a cru aussi que
Millevoye devait à Ossian « l'inspiration des vers qui ter-
minent Mathos et Zulma * ». Le nom de Mathos, peut-être,
mais non l'idée, qui n'a rien de spécifiquement ossianique.
Le même savant dit de l'œuvre du poète que « si... les clairs
de lune y sont en nombre, on sent qu'Ossian a passé par
là, et Chateaubriand après lui ^ ». Millevoye, en somme,
ossianise beaucoup moins que Parny, dont le même critique
croit (à tort, nous l'avons vu) qu'il « n'a point subi du tout
les influences septentrionales" ». Millevoye ne doit presque
rien à Ossian.
D'ailleurs, la mode ossianique peut se manifester où l'on
ne s'attendrait pas à la rencontrer, comme au contraire cer-
tains contemporains, hantés par Ossian, le voient où il n'est
1. Œuvres de Millevoye, III, 111: Alfred, poème en 4 chants.
2. Ib., III, 215 : La Rançon d'Egill, poème. — Elmor est le nom dont
Baour-Lormian avait rebaptisé Garthon.
3. L. Bertrand, La. fin du classicisme..., p. 347.
4. P. Ladoué, Millevoye, p. 246.
5. Ib., p. 268.
6. Ib., p. 246.
Les Bardes, les Gaulois et l'Académie celtique 33
pas réellement. Ainsi on rencontre une Elvi/ia antique qui
ressemble à Malvina de nom, d'accent, de style, et qui doit
certainement quelque chose à sa sœur calédonienne '. Par
contre, un « morceau de poésie gallique » qui, dit le Mer-
cure, « est un monument curieux de la mythologie des
peuples gothiques - », n'a rien du tout de ga/lique^h moins
que ce mot ne veuille dire Scandinave.
Même lorsqu'il n'y a pas d'allusions directes à Ossian ni
à ses héros, le succès de ses poésies a familiarisé les écri-
vains avec la notion de bardes et de poésie bardique. Le
Barde de Monti a été connu en France, notamment par
l'imitation de Deschamps \ Ce barde Ullin, héritier de
Velléda et descendant de ceux qui accompagnaient Gharle-
magne, représente assez bien le type traditionnel. Sa fille
Malvina est devenue en français Mathilda. Malte-Brun cite
à côté des troubadours et des scaldes la harpe de Sion et
« le télyn du Barde * ». Les scaldes sont rapprochés des
bardes, dont ils ont été contemporains, et des poésies erses
(car ce mot se rencontre encore jusqu'à la fin de l'Empire) ^
Le même Malte-Brun, ou un collaborateur anonyme, re-
marque, à propos des Romances du Cid de Creuzé de Les-
ser, que pas plus dans le Midi que dans le Nord ces vieux
poètes « n'arrivèrent à cette époque littéraire où la romance
se transforme en épopée ». Bardes, scaldes, troubadours,
ils ont « dédaigné les prestiges d'une composition artifi-
cielle * ». Le lecteur réfléchi pouvait conclure de là que le
vrai Ossian était dans quelques ballades que Macpherson
avait étirées en imaginaires épopées. On ne peut guère dé-
sormais écrire un Précis historique de la poésie sans dire
un mot des bardes et des scaldes '. Même on trouve barde
employé comme adjectif par Baour-Lormian lui-même ^
1. Alrnanach des Grâces, 180i, p. 129:Elviiia, prétresse de Vesta,h Pha-
nor, par Philidor R...
2. Mercure, 2 mars 1805 : La Descente d'Odin dans le séjour d'Hélah
par R. Menestrier de l'Yonne).
3. Le Barde de la Forél-Noire, poème imité de Monti, 1807.
4. Journal de l'Empire, 26 janvier 1813 (premier article du Spectateur
de l'Europe savante et littéraire).
5. Gatteau-Calleville {Mercure Etranger, 1813, I, 226).
6. Mercure Etranger, 1814, II, 221.
7. Pierre Chas, Poésies, 1809, p. 5.
8. Baour-Lormian, L'Atlantide, p. 8.
TOME II 3
34 Ossian en France
pour désigner les chants qu'écoutent volontiers les preux.
Bardes et scaldes, Celtes et Scandinaves, nous trouvons
la même confusion des races et des religions que nous re-
marquions sous Louis XV. Pour Barjaud, un Saxon est en
même temps un Scandinave ' ; pour Dorion * et pour Cam-
bry ^ les Francs sont des Gaulois. On parle d'Ossian à pro-
pos de Scandinavie, mais on le néglige lorsqu'on traite des
Celtes *. D'ailleurs la celtomanie du xviii' siècle persiste.
L'amiral Thévenard explique par le celtique les termes de
marine ^ ; le baron de Théis explique par le celtique les
noms des plantes \ Ces derniers détails paraissent éloigner
d'Ossian. Il semble pourtant que tout emprunt au fonds gau-
lois, toute évocation du passé celtique de notre race ait pu
être profitable à Ossian, ou du moins entretenir une curio-
sité dont il a pu bénéficier. Uy a plus. Par instinct national,
par impatience du joug gréco-latin trop longtemps porté, par
réaction politique autant que littéraire contre les influences
anglaises et allemandes, un mouvement celtisant se dessine
sousl'Empire, quis'incarne dans l'éphémère et quelque peu
artificielle Académie Celtique fondée en 1807 par Napoléon.
Celui que Cesarotti appelait V Empereur des Celtes voulait
donner des racines autochtones, gauloises, à un patriotisme
surtout dirigé contre l'Angleterre. L'Académie Celtique était
destinée à développer, à fonder en raison, à étayer d'argu-
ments historiques et de monuments découverts ou expliqués,
ce qu'on pourrait appeler le nationalisme gaulois. Ce mou-
vement celtisant coïncide avec l'apogée d'Ossian ; c'est que
l'un n'a pas été sans influence sur l'autre.
La mode ossianique se rencontre ici avec une autre mode
qui atteint également son apogée sousl'Empire Le genre
troubadour n'intéresse pas, comme le genre ossianique, les
plus hauts et les plus nobles esprits ; il n'offre pas le même
caractère héroïque et sublime; il ne s'appuie pas comme lui
sur une révélation que la plupart considèrent encore comme
1. [Barjaud] Poésies nouvelles, 1805.
2. Dorion, Bataille d'IIastings, 1806, p. 58, note.
3. Gambry, Monumenls Celtiques, 1805 : Préface, p. I, XVll.
4. Marchaugy, Li Gaule Poétique, I, 27. Gambry, ih.
5. Thévenard, Mémoires relatifs à la Marine, ISOO.
6. De Théis, Glossaire de Botanique, 1810.
Le genre troubadour et les Poésies de Clotilde 35
authentique. Par contre, il l'emporte sur lui en diffusion et
en succès. Parfois il lui prête l'épaule, et parfois il s'enri-
chit à ses dépens. Ces anastomoses délicates de deux cou-
rants qui vont à peu près dans le même sens ne sont pas à
négliger. Je renvoie, comme je l'ai déjà fait, pour le genre
troubadour lui-même, à l'excellente étude de M. Baldens-
perger S Je voudrais seulement insister sur ses rapports
avec Fossianisme français. Nous l'avons vu débuter à peu
près en même temps que lui, vers 1765. Tressan le déve-
loppe et lui donne la forme poétique ; sous cette forme, il
perce vers 1798, déborde après 1800, présente un maxi-
mum vers 1812, mais coule encore très abondamment après
1815 : le retour des Bourbons donne un regain d'actualité
et une signification politique à sa vieille France et à ses
chevaliers. Puis il est capté par le romantisme. Dupaty, Ga-
rât, Labiée, Le Prévost d'iray, cultivent ce genre vers 1804:
leurs romances sont plus souvent troubadouresques qu'os-
sianiques, et cela pendant dix à douze ans ; celles de Cou-
pigny sont des types du genre ^ Merlet 'faitdu ^^/zre trou-
badour un des trois genres principaux de la poésie sous
l'Empire (les deux autres étant l'antique et le didactique-
descriptif). Si l'on examine les titres des manuscrits de
pièces de théâtre conservés aux Archives Nationales, aux
dossiers de la Censure, on constate que le moyenâgeux et
le troubadour ne commencent guère à paraître sur la scène
que vers 1816 :1e théâtre est toujours en retard sur la poé-
sie et le roman. A ce moment-là, des romances comme celles
de Saint-Félix * deviennent incroyablement chargées de
couleurs, et, comme certaines Ballades de Victor Hugo,
quelque peu ironiques et « gauloises ».Un recueil bien as-
sorti en ce genre est le Rossini Français, vers 1816-1820.
La plupart des romances troubadour adoptent, soit la Ivre
classique, soit la harpe d'Ossian : le luth, cher aux Roman-
tiques, ne fait son apparition qu'un peu plus tard.
Le poème de Parny, Les Rose-Croix % appartient à ce
1. F. Baldensperger, Etudes d'histoire littéraire, l" série : Le genre
troubadour.
2. Coupigny, Romances et Poésies divirses, 1813.
3. G. Merlet, Tableau. .., l, liô.
4. Nouvel Alnia'iach des Muses, 1H13, p. 163.
5. OEuvres de Parny, 1808.
36 Ossian en France
qu'on pourrait appeler le genre pré-troubadour : le sujet est
saxon, et les noms, Scandinaves ou celtiques, rappellent un
peu ceux d'Ossian. A la même variété littéraire appartien-
nent le Mathos et Zulma de Millevoye, et, plus tard, YElgise
de Delphine Gay, Mais le poème de Parny, ouvrage man-
qué, que tout le monde trouve ennuyeux, malgré la réputa-
tion de l'auteur, et que personne ne peut se résoudre à
achever ', ne touche que de fort loin l'ossianisme.
Il en est un peu autrement des deux principaux essais
de pastiche moyenâgeux qui se soient produits à cette épo-
que, essais exactement contemporains, et qui ont fait quel-
que bruit en leur temps : les Poésies de Clotilde et les
Poésies Occitaniques de Fabre d'Olivet. Il y a une res-
semblance assez étroite entre certaines histoires que conte
Clotilde de Surville et les touchantes aventures de Y Ossian
de Smith. Lygdamon n'ayant permission d'épouser « que
fille qui sçauroit le javelot darder», Ismène s'arme en guer-
rier, et naturellement est blessée par son amant. Elle lui
fait ses derniers adieux dans un incroyable jargon que sem-
ble avoir dicté l'écolier limousin ;
Collig-e, Lygdamon, mes postrèmes soupirs I
Après quoi quelque « mire » la panse et la guérit ^ .
Au moment où il prétend révéler au public les Poésies
des Troubadours '% Fabre d'Olivet se rend fort bien compte
que sa révélation rappelle celle de Macpherson, et peut-être
la rappelle de trop près. L'épigraphe : i<'o/'//« factapatrum,
est celle même de la première édition de Fingal. Le mys-
térieux personnage de Montpellier qui signe Rescondut
{^=. caché) et qui envoie à Fabre un manuscrit de poésies
des troubadours, espère que ces poésies, traduites en fran-
çais, « pourront devenir pour les troubadours du Midi ce
que les poésies d'Ossian ont été pour les bardes du Nord».
Toutefois Fabre lui-même n'ose pas pousser jusqu'au bout
1. Lettres inédiles de l'abbé Morellet, p. 96 (24 août 1807).
2. Poésies de Clotilde,lM3, p. 144-147.
3. Les Troubadours, poésies occitaniques du XIII siècle, traduites et
publiées par Fabre d'Olivet, 1803. Sur ce personnage et sa carrière, la plus
récente étude est celle de M. Augustin Thierry, Les grandes Mijstift-
c9,lions Littéraires, 1911.
Fabre d'OIivet et ses Poésies Occitaniques "ij
le parallèle. Ossian est «né au milieu d'un peuple de héros» ;
il chante encore les « mœurs primitives » ; tandis que les
troubadours n'ont connu que les «ténèbres de la barbarie».
Les auteurs préférés du Macpherson de la Provence pa-
raissent avoir été Gessner et Milton '. Il se peut au reste
que, comme on l'a supposé, il ait imité Ossian dans une
pièce intitulée Podestad de Diii '.
L'article que les Débats consacraient à sa tentative est
intéressant à retenir. Après avoir caractérisé cette préten-
due découverte de poésies de langue d'oc ensevelies jus-
qu'ici dans l'oubli, et dit que l'auteur du recueil compte
ouvrir une nouvelle voie à la poésie française, le critique
ajoute :
Je ne me flatte point comme lui : jamais nous ne réussirons
à élever la poésie occitanique jusqu'au rang sublime où la poé-
sie erse se soutient encore: en ce genre, il ne faut compter que
sur un succès par siècle... On n'est plus en fonds pour admirer
de nouvelles découvertes en poésie : Ossian a tout pris ; avant
de songer à de nouveaux essais, il faudrait le laisser oublier '.
Est-ce dit cum grano salis ? on le croirait. L'observa-
tion en tout cas est très juste. Le provençalisme faux ou
vrai n'a eu aucun succès. Le faux genre troubadour et des-
sus de pendule, celui des ménestrels, des « gentes damoi-
selles », des paladins et des nécromants, des bacheliers et
des ermites, a au contraire joui d'une vogue incontestable.
Il empruntait, peut-être inconsciemment, certaines situa-
tions et certains thèmes de Tossianisme ; c'est l'élément
commun aux deux genres qui leur a le mieux réussi et qui
les a fait vivre longtemps côte à côte.
1. Les Troubadours, l, p. VII, XI, II.
2. Aug. Thierry, p. 142.
3. Journal des Débats, li.'avril 1804.
CHAPITRE II
L'Ossian de Baour-Lormian
(1801)
I. Baour-Lormian. Sa vie et sa carrière poétique. Son caractère. Son
attitude dans la bataille romantique. Ses dernières années.
II. Sa période ossianique. Ses essais. Son jugement sur ses prédécesseurs.
Traces d'ossianisme dans ses poésies postérieures. Son C/ian<srai/:gue
et sa Fête d'Oscar.
III. Les Poésies Galliques. Editions. Discours préliminaire. — Le Tourneur
base unique du travail de Baour. Liste des vingt-trois poèmes avec in-
dication de leur origine. Ce que Baour donne d'Ossian. Les quatre
poèmes nouveaux des éditions postérieures. Deux morceaux impor-
tants complètement refondus. — Gomment Baour abrège Le Tourneur,
Raisons de ces suppressions. Ingénieuse ordonnance du volume.
IV. Valeur de la traduction : exemples. Le style. La versification.
V. Jugements contemporains La traduction. On félicite Baour d'avoir
abrégé Ossian. Le style et la versiflcation. Appréciations générales et
succès. Influence sur les contemporains et sur les Romantiques.
0.ssian se trouve à la mode justement à l'époque où d'in-
trépides versificateurs abordent indifféremment tous les
genres, où se multiplient les traductions en vers, où toutes les
pensées, tous les tableaux. indigènes ou étrangers, revêtent
bon gré mal gré la livrée de l'alexandrin classique. Plusieurs
de ces versificateurs s'attaquent donc à Ossian, avec l'inten-
tion de le traduire tout entier, ou à peu près. Un seul y
réussit, le plus habile et le plus heureux de tous. L'Ossian
de Baour-Lormian dérive de la mode ossianique, et en même
temps la développe et l'enrichit. Il incarne par son caractère
et son succès l'apogée de l'ossianisme français, comme celui
de Le Tourneur était le point de départ de sa diffusion.
Baour-Lormian 39
On trouvera quelques détails biographiques sur Baour-
Lormian dans l'article d'Hippolyte Rigault ' et dans le dis-
cours de réception de Ponsard % qui lui succéda à l'Acadé-
mie française. Rigault a de l'esprit, mais il n'est pas toujours
bien informé; Ponsard est retenu par les convenances acadé-
miques. Tous deux d'ailleurs devaient du respect à une tombe
à peine fermée; et celui qu'ils avaient peut-être aperçu,
celui que quelques-uns de leurs contemporains avaient
connu, c'était l'académicien oublié, le poète aveugle qui
avait prolongé jusqu'à quatre-vingt-trois ans, dans sa retraite
des BatignoUes, une vieillesse studieuse, pauvre et respec-
table. Mais il faut compléter leurs indications par les témoi-
gnages de détail qui jaillissent de toutes parts quand on par-
court en tous sens la littérature du Consulat et de l'Empire;
par des notices ou des notes que consacrent à l'auteur des
Poésies Galliqiies l'amitié et parfois la malignité ou l'envie.
On voit alors sortir de l'ombre et se préciser peu à peu la
figure la plus achevée de spéculateur littéraire ; une figure
qui aurait dû tenter le pinceau délicat et sûr de Sainte-Beuve.
Cet homme ingénieux et pratique a fait de sa carrière une
suite d'opérations de Bourse : les yeux constamment fixés
sur le goût changeant du public, il a cherché chaque fois à
lui donner ce qu'il goûtait au moment précis où il le goû-
tait le plus; bien mieux, où il allait le goûter davantage.
C'est l'instant qu'il choisissait pour lancer une émission.
Mais, quoiqu'il fût madré, il se trompait tout comme un
autre : sa Jérusalem arriva trop tard ; il s'engagea à fond à
la baisse contre le romantisme qui montait ; et ses essais
tardifs de romantisme bâtard se noyèrent dans l'oubli. Un
seul succès répondit, et au delà, à ses calculs les plus auda-
cieux : tout concourut à lancer son Ossian, et son propre
talent, et le goût du public, et la faveur du maître.
Pierre-Marie-François-Louis Baour était né le 17 sep-
tembre 177:^ à Toulouse, fils unique d'un imprimeur de la
rue Saint-Rome. Dès ses premiers pas dans la carrière lit-
téraire, il jugea expédient de compléter son nom par celui
de Lormian, tiré d'une fontaine Lormiac ou Lormian, à
1. Journal des Débats, 25 janvier 1855. — OEuvres de Rigault, I, 186.
2. Discours de réception (4 décembre 1856).
40 Ossian en France
Gastelginest, où son père avait un petit bien '.Cela remonte
à 1795 environ : il serait donc hasardeux de prétendre, avec
Labouisse, qu'il choisit ce nom de Lormian « pour rimer
avec Ossian - ».I1 donna en 1795 la première édition de sa
Jérusalem Délivrée, assidu labeur de sa jeunesse, qu'il re-
prit, remania à plusieurs reprises, et republia en 1819 ^
Malheureusement pour lui, il y avait de la concurrence:
sans parler des travaux antérieurs qui abondaient sur les
rayons des bibliothèques, Ghénier pouvait dire qu'au même
moment
Clément, La Harpe et Lormian-Baour
Yoni traduisant le chantre d'Herminic.
Et puis, « le chantre d'Herminie » était très connu, très
lu, même en italien : quantité de lecteurs pouvaient remar-
quer les libertés étranges que Baour prenait avec son texte.
On raillait «l'Homère Toulousain » et sa « Jérusalem tra-
vestie ». On lui reprochait, dit-il lui-même, d'avoir
... deux fois, sacrilège et bai'bare.
Egorgé de ses mains le cygne de Ferrare.
On connaît l'épigramme qui courut contre lui :
Ci-dessous gît Baour, le Tasse de Toulouse,
Qui mourut in-quarto, qui remourut in-douze,
Et qui, ressuscité par un effort nouveau,
Pour la troisième fois mourut in-octavo.
Sa Jérusalem fut sans doute l'occasion de sa mémorable
guerre d'épigrammes avec Lebrun-Pindare. Le vieux Lebrun
était dur, le jeune Baour était méchant. En 1800, c'est un
feu roulant *. Baour lui-même a publié * dix-huit épigrammes
1. Vaïsse-Gibiel, Baour-Lormian {Recueil de la Société des Sciences,
Belles-Lettres et Arts de Tarn-et-Garonne, 186^-1869, p. 261).
2. L. de Rochefort [Labouisse], Souvenirs et Mélanges, I, 449.
3. Cette dernière date a fait croire à Sainte-Beuve, généralement plus
exact, que Baour avait traduit Ossian avant de « s'attaquer à la Jérusa-
lem Délivrée » (Nouveaux Lundis, V, 331).
4. Décade, XXIV, 47, 403, 404, etc.. (1800).
5. Baour-Lormian, Recueil de Poésies diverses, 1803.
Sa carrière poétique 41
de Lebrun, de Fabien Pillet ou anonymes, toutes dirigées
contre lui, et huit réponses qu'il y avait faites. UAcantho-
logie de FayoUe contient vingt-deux épigrammes contre lui,
antérieures ou postérieures à son Ossian.
Il n'avait pas attendu ce moment pour lancer ses Satires ;
c'est le genre peut-être dans lequel il a le mieux réussi. En
négligeant sa querelle de Toulousain avec le Toulousain
Despaze,ila pour ennemis les gens de la Décade ei quelques
autres, Ghénier \ Arnault, Cabanis, Garât, Ginguené, An-
drieux, Lucet, Saint-Ange, Mercier (de Gompiègne), Bon-
neville, qu'il appelle « dYoung vandale traducteur ». Il
poursuit au delà de la tombe, en Turgot, le traducteur des
Géorgiques ; mais rappelons-nous que Turgot fut le premier
parrain d'Ossian. Ses amis sont Ducis, Fontanes,et les au-
teurs des Veillées des Muses, Lava, Vigée, Legouvé ; il
honore Saint-Lambert, il respecte même Lebrun, à qui il
vient de faire une guerre loyale. Ainsi ceux qu'il poursuit
de ses railleries, ce sont les philosophes, les idéologues, les
rationalistes, dirions-nous ; ceux sur qui s'étend sa bienveil-
lance, ce sont des poètes tendres et volontiers mélancoliques.
Legouvé d'ailleurs lui rendait ses éloges \ Mais son goût reste
classique ; et lui, le futur traducteur d'Ossian,il n'a pas assez
de railleries pour le drame noir et le genre terrible et mys-
térieux, à la Radclilfe \ Il est mélancolique; il rime une
Nuit et d'autres morceaux du même genre*. Mais il est
satirique aussi, et Vigée dit qu'il «marche à grands pas sur
les traces de Gilbert S>. Si la haute inspiration lui manque,
il dépasse en savoir-faire l'auteur du Dix-huitième siècle.
Mon premier mot (1797), Mon second mot (1798), VEpître
à l'auteur anonyme des six satires {\^0\)^s,oni en ce genre
ce qui rappelle le mieux la verve de Boileau. Despaze, son
antagoniste, a plus raison qu'il ne croit lui-même quand
il reconnaît que « Lormian seul, de nos jours, écrivit la
1. Ghénier avait d'abord écrit Morellet dans les vers de La Calomnie où
il est question d'un sol; il a remplacé l'abbé par Lormian {OEuvres de
M.-J. Ghénier, III).
2. Veillées des Muses, I, n" 1, p. 95-100 (1798).
3 Baour Lormian, Mon second mot, an VI.
4. Journal des Muses, 1798.
5. Veillées des Muses, 1,91(1798).
42 Ossian en France
satire avec succès*». Je l'aime moins lorsqu'il hausse le ton
et s/écrie en parlant des poètes vengeurs :
Et leur Muse tonnait en l'absence des Dieux !
que lorsqu'il accumule sermone pedcstri de plaisantes at-
taques contre les plagiaires et les épigones du siècle philo-
sophique. Mais si Baour satirique a du talent et surtout du
savoir-faire, il lui manque le grand sentiment d'indignation
qui anime le généreux Gilbert ; il lui manque surtout les
idées générales, qu'elles soient morales ou littéraires, qui
font vivre l'œuvre de Boileau. On lit sans ennui et même
avec plaisir ces pages mordantes et pleines de verve ; on
est incapable d'en dégager une seule idée au nom de laquelle
le satirique mène l'attaque ou la défense.
Entre deux épigrammes, et au moment même où il écri-
vait ses meilleures satires, Baour cherchait quel auteur étran-
ger serait capable, mieux que le Tasse, de le mener en droi-
ture à la gloire et à la fortune. Car de faire œuvre originale,
il n'y fallait pas songer ; et il avait trop de bon sens pour
concevoir là- dessus la moindre illusion. Son incapacité à
penser comme à sentir par lui-même, mal dissimulée par
sa faconde méridionale, était passée en proverbe ; on lui
appliquait ces vers d'une de ses satires :
Personne ne dément le bruit si répandu
Que pour lui la pensée est un fruit défendu.
Delille, Ducis, Parny, Chénier, Legouvé, entre ces astres
glorieux quel éclat aurait eu son nom ? Mais ce poète sans
invention était un habile versificateur, qui se sentait capable
de nuancer sa poésie au reflet de l'âme d'autrui. Après le
Tasse, qui ne lui avait pas donné toute la renommée qu'il
en attendait, « il jeta les yeux sur la carte littéraire pour
découvrir une région qui ne fût ni trop inconnue ni trop
explorée, car il savait à merveille que si les vieilles choses
rebutent, les nouvelles effarouchent... * » et choisit Ossian.
Toujours habile, il tâta l'opinion en publiant çà et là des
1. J. Despaze, Les Quatre Satires, an VIll, p. vu.
2- Œuvres de Higault, I, 194.
Sa carrière poétique 4^
fragments de sa traduction ; et quand il sentit que décidé-
ment Ossian prenait, quand l'ossianiste vainqueur fut devenu
le maître de la France, il lança son volume.
Il ne s'agit nullement ici, comme on l'a cru à la légère,
d'une véritable commande faite par le Premier Consul.
Baour allait au devant de son désir, voilà tout. Une phrase
de Lamartine : « Baour-Lormian le traduisait en vers pour
les camps de l'Empereur », a induit en erreur Bailey Saun-
ders et à sa suite Arvède Barine, d'ordinaire plus atten-
tive. Mais Bonaparte sut montrer par des preuves certaines
que l'idée et l'œuvre lui agréaient. Il décora le traducteur
d'Ossian ; il fît de lui l'un de ses poètes officiels les plus
appréciés et les mieux rémunérés. Baour emprunte « la
harpe de David * » pour célébrer le Rétablisse?nent du
Culte % puis embouche la trompette lyrique en diverses
grandes occasions ^ La récompense ne tarda pas. En 1807
Napoléon écrit de Varsovie à M. de Ghampagny sa satisfac-
tion pour les vers de Baour-Lormian qu'on a chantés à
l'Opéra, et ordonne de donner à l'auteur une gratification*.
Le 30 septembre de la même année, un décret lui accorde
une pension de G. 000 francs. En 1811, c'est une nouvelle
gratification de 3.000 francs, pour avoir célébré sur le
mode ossianique la naissance du roi de Rome. Il paraît que
d'autre part il avait reçu de l'empereur de Russie une boîte
en or pour son Ossian.
Son activité littéraire se multiplie sans jamais trouver de-
rechef le grand succès. Le « grand barde Baour » comme
disait Lebrun \ avait eu un Antiochiis refusé au Théâtre-
Français vers 1803 * ; son Omasis, qui eut du succès, était
joué en 1806, son Mahomet //tombait en 1811, et tombait
à plat, à en juger par les consolations de ses amis ^ ; il tra-
duisait VAîninte du Tasse (1813). Il avait publié en 1811
1. Almanach des Muses, 1803, p. 258.
2. Le Rétablissement du Culte, poème, 1802.
3. Les Fêtes de l'Hymen, suivies du Chant Nuptial, 1810. Chant d'Hy-
men, s. d. Ode sur la naissance du roi de Rome, 1811. La Bataille d'Iéna,
s.d.
4. Correspondance de Napoléon, XIV, 252 : Lettre du 16 janvier 1807.
5. Nouvel Almanach des Muses, 1802, p. 66.
6. Grancher, Poésies, 1803, p. 99.
7. Nouvel Almanach des Muses, 1812, p. 123.
44 Ossian en France
ses Veillées poétiques et morales^ qui imitent Young et
Hervey, qui, paraît-il, doivent beaucoup à la plume de La-
mothe-Langon, et qui, réimprimées plusieurs fois, gros-
sissent le volume de son Ossian a partir de 1827. Pour la
seconde fois,a-t-on dit, son « ambition de plaire eu traitant
des sujets nouveaux» le mettait « sur le chemin du Roman-
tisme ' » ; mais on ne peut guère appeler Young un < sujet
nouveau ». L'Académie française l'accueillait en 1815.
Le changement de régime trouva Baour tout prêt à
changer de cocarde et d'habit. 11 rime aussitôt une Epître
au Roi \ et dit de Napoléon, qu'il avait encensé :
Un guerrier, quelque temps l'honneur de ce rivage...
Maudit, mais triomphant au gré de sa fureur...
Oh I qu'il a peu connu la véritable gloire '!
Fu vera gloria ? Manzoni avait le droit de parler ainsi
devant la tombe du conquérant, lui dont la muse était res-
tée vierge di servo encomio e di codardo oitraggio ; mais
il faut avoir lu Baour et son Chant d'Hgnien,et son Chant
Nuptial, et ses odes officielles, pour apprécier l'énormité
de son cynisme. C'est lui qui disait de son ancien dieu :
« Pour vous peindre la tyrannie de cet homme, il me suffira
d'un seul mot : Il m'a flétri d'une pension de six mille
francs ' ! » Tous les témoignages s'accordent à le représen-
ter comme doué d'un aplomb dans la hâblerie qui conQnait
à la naïveté. Il disait de la seconde édition de sa Jérusa-
lem : « J'ai ôté tous les vers qui n'étaient que bons, je
n'ai laissé que les excellents \ »I1 disait au même moment:
« Maintenant que j'ai fini ma traduction [du Tasse] et que
je n'ai plus rien à faire, je vais apprendre l'italien \ » Il
disait quelques années plus tôt à Edmond Géraud « qu'il
fallait faire un Dix-huit Brumaire dans la littérature ; qu'il
ne fallait qu'un homme, et qu'il serait cet homme-là ' ». Il
1. Œuvres de Rigault, I, 200.
2. Epllre au Roi, et Ode aur le mariage du duc de Berry, 1816.
3. Le Retour à la Relifjion, poème, s. d., p. 36.
4. Edmond Géraud, Fnujments de Journal intime, p. 223(1819).
5. OEuvres de Rigault, 1, 186.
6. M"' Ancelot, Un Salon de Paris (1824-1864), p. 36.
7. Edmond Géraud, p. 27 (avril 1806).
Sa carrière poétique 45
était hyperbolique et fatigant : « Eblouissant, fabuleux,
magique, énorme, colossal, épouvantable, écrasant, pyra-
midal, fantasmagorique, enivrant, telles sont dans la con-
versation les épithètes favorites de Baour-Lormian ; ... il
les prononce avec un accent méridional et d'une voix
criarde '. » Peut-être tous ceux qu'il avait agacés forçaient-
ils un peu ses mots en les reproduisant ; peut-être des
succès autres que littéraires lui attiraient-ils l'envie : « Sa
traduction d'Ossian plaisait à Napoléon, et l'auteur plai-
sait aux femmes 2. » Il était un des ornements des salons
littéraires. Il figure dans le tableau de M"'° Ancelot, peint
en 1824, qui représente Parseval-Grandmaison lisant son
épopée de Philippe-Augiiste devant des invités de choix,
parmi lesquels Soumet, Guiraud, Vigny, Victor Hugo et
plusieurs autres ' : Baour montre dans ce tableau un visage
lin, et aussi attentif que le comportait une lecture aussi
captivante.
Après son accès d'ossianisme, Baour était redevenu pur
classique, disciple des < vierges d'Aonie », et capable de
périphrases à rendre jaloux Delille :
Brillez, astres, enfants du salpêtre qui tonne * !
Vers 18:20, on trouve qu'il « ne fait que décliner '\ » Mais
il reprend du service actif lors de la bataille romantique,
dans laquelle il tient à combattre du côté des saines doc-
trines. Il avait dit en 1820, dans le tête-à-tête : « Pour ma
part, j'aime assez le romantique ; mais si les formes sont
neuves, soyez toujours classique pour le style ; sans cela,
point de salut ^ » Mais quand il lance ses quatre nouvelles
satires. Le Classique et le Romantique en 1825, Encore un
Mot en 1826,1e Canon d' Alarme ei les Nouveaux Martyrsen
1829, il n^accorde plus rien du tout. Jal fait semblant de croire
qu'un adversaire avait emprunté le nom de Baour pour ne
1. Edmond Géraud, p. 34.
2. M»" Ancelot, p. 36.
3. Ih.
4. Epitre au Roi, 1816 ; et déjà Les Fêtes de l'hymen, 1810
5. Biographie des Quarante, p. 29.
6. Edmond Géraud. p. xvii.
46 Ossian en France
lui prêter que de mauvais arguments ». En tout cas, il ne
manque pas de vigueur contre Victor Hugo :
Vive le hugotisme, et mort à la grammaire * !...
Avec impunité les Hugo font des vers ' !
contre Alexandre Dumas et son Henri III *, et même — le
croirait-on ? — contre Nisard,qui se fait dans les Débats le
défenseur de ces énergumènes. Il est surtout bizarre de
l'entendre, lui le grand-prêtre de l'ossianisme, reprocher à
l'école ennemie de
...peindre l'univers bien lugubre, bien noir,
Car toute poésie est dans le désespoir ^..
se moquer de Hugo en l'appelant « cet illustre Barde " »,
enfin présenter ironiquement le romantisme comme
... un mélange heureux de grâce et d'harmonie
Qui nous vient de l'Ecosse et de la Germanie '.
De l'Ecosse ! Et c'est lui qui en fait un reproche !
Il fait un double effort pour se mettre au ton de son siècle,
et capter encore quelque veine de popularité et de succès,
par ses Légendes, Ballades et Fabliaux % et par un roman
historique ' qui transporte au temps de la Ligue des préoc-
cupations politiques contemporaines. Ni les unes ni l'autre
ne paraissent avoir attiré l'attention ; tout cela est d'ail-
leurs au-dessous du médiocre. A partir de 1830, il se résigne
à disparaître de la scène littéraire II emploie ses dernières
années à traduire le Livre de Job *'. Les candidats à l'Aca-
démie, Vigny par exemple '', qui pour lui faire la visite
1. Mercure du XIX' siècle, XI, 62 (1S25).
2. Les Xouvestux Martyrs, 1S29.
3. Canon d'alarme, 1829.
4. Les Nouveaux Martyrs.
5. Encore un mot, 1826.
6. Ib.
7. Le Classique et le Romantique, 1825.
8. Légendes, Ballades et Fabliaux, 1829.
9. Duranli, ou la Ligue en province, 1828.
10. Le Livre de Job, traduit en vers français, 1847.
11. A. de Vigny, Journal d'un Poète {i février 1842).
Son caractère et son rôle 47
d'usage s'aventurent dans son lointain quartier, saluent
avec un respect mêlé d'indifférence ce vieillard pauvre,
aveugle « comme Ossian ' » — il commençait dès 1803 à
perdre la vue ' — ce témoin d'un passé déjà lointain. Il
s'éteint le 10 décembre 1854 au milieu de l'indifférence la
plus complète.
Je me suis un peu étendu sur cette biographie pour faire
mieux comprendre pourquoi Baour-Lormian n'a pu, malgré
un incontestable talent de versificateur, donner l'O.yiifl/i fran-
çais que beaucoup attendaient, et que plusieurs, en même
temps que lui, essayaient de donner chacun de leur côté.
Ce souple et habile Méridional à la voix chaude et un peu
criarde n'était pas l'homme qu'il fallait pour dire à la
France les pâles légendes et les paysages mélancoliques du
Nord ; ce cynique arriviste, ce poète à tout faire était mal
qualifié pour incarner l'héroïsme, les grâces, le rêve, le
charme vague et pur d'Ossian. De plus, Baour-Lormian est
le type d'un de nos derniers classiques. Absolument fermé,
malgré des essais maladroits ou avortés, à toutes les nou-
veautés fécondes qui pénétraient en France ou qui ger-
maient sur notre sol, il ne pouvait goûter et faire goûter
Ossian que par ses éléments les moins profonds, lés moins
intimes. Il représente en France ce qu'à la même heure,
et avec beaucoup plus d éclat, représente Bilderdijk en Hol-
lande, ce qu'avait représenté Cesarotti en Italie : le pur
classique, ennemi juré de tout romantisme, qui se fait
sectateur d'Ossian parce qu'Ossian lui offre une nouvelle
forme de beau classique, une forme plus moderne mais aussi
nette, encore plus décisive peut-être et plus parfaite en son
genre.
II
La période ossianique de Baour-Lormian remonte au
moins à 1796; c'est-à-dire, il faut lui rendre cette justice,
à une époque où la servilité et la flatterie n'avaient pas
1. Lamartine, Confidences, livre VI, xi.
2. Baour-Lormian, Recueil de Poésies diverses, 1803, p. 12 : Epilre à
mes yeux.
48 Ossian en France
encore étendu à Ossian le culte intéressé do Napoléon.
Entre la première et la seconde édition de Hill paraît son
premier essai : Toscar et Darthula \ emprunté peut-être
au chant IV de F'mgal, mais dont les détails sont inventés,
de même que le rapprochement de ces deux noms ossia-
niques est entièrement du fait de Baour. Celui-ci n'a pas
admis Toscar et Darthula dans son recueil définitif, parce
qu'il n'y a vu qu'une imitation trop libre. Ce court poème
(une soixantaine d'alexandrins) présente peu de sens, ainsi
isolé ; la couleur en est classique, mais le paysag-e ossia-
nique entrevu donne un singulier charme à des vers qui ne
sont pas dépourvus d'une harmonie chantante :
Assis au haut des monts sur la mousse sauvage,
Seul, je prête l'oreille au murmure des vents;
Le chêne se balance, et le bruit des torrents
Fait retentir au loin les échos du rivage...
Est-ce toi, Darthula, qu'aperçoivent mes yeux
S'avancer d'un pas lent à travers la bruyère ?
Tu soupires, des pleurs humectent ta paupière.
Et tes mornes regards se tournent vers les cieux.
L'année suivante voyait paraître Y Hymne au Soleil -, qui
figure dans V Ossian de Baour-Lormian. Quand il reparaît
deux ans plus tard % la Décade en parle comme d'une
nouveauté *. En 1797 également, Baour donne un Chant
funèbre sur la mort du général Hoche % qui est nettement
ossianique. C'est une sorte de cantate où figurent, entre
autres, un Barde et un Chœur de Bardes. A côté de la
harpe désolée et du palais mobile des vents, il y a là tout
une pacotille classique : « Sœur auguste de Mars, ô terrible
Bellone ! » s'écrie le Barde; et des Parques. ei des lauriers,
et des cyprès, et des cèdres du Liban ; troisième inspira-
tion, biblique celle-là. C'est une cacophonie poétique. A
1. Décade, VllI, 424 (29 février 1796).
2. Journal des Muses, 1797, H, 97.
3. Almanach des Muses, an VII, p. 17. Le même volume contient aussi
le Chant de Fingal, p. 188.
4. Décade, XIX, 290 (20 brumaire an Vil).
5. Journal des Muses, 1797, V, 128.
Sa période ossianique 49
partir de ce moment, Baour a dû se consacrer tout à fait
à son Ossiaii. On trouve ainsi les cinq ans dont il parle
en 1801.
Après les Trois Mots, c'est-à-dire probablement au début
de 1800, une admiratrice le presse de se consacrer à Ossian :
Quittez le fouet de la satire
Pour la harpe de Malvina K
Il lui répond par une promesse qui semble faire allusion
à un travail déjà avancé :
Ossian et ses fêtes
Ses rocs neigeux, ses bondissantes eaux.
Ses fantômes et ses tempêtes
Vont revivre dans mes tableaux '...
C'est vers ce moment qu'il commence à se croire l'homme
d'Ossian. Il tient à dire son mot sur les traductions de ses
prédécesseurs, qui ne trouvent point grâce à ses yeux. Nous
l'avons déjà vu louer Fontanes et blâmer Chénier ; il faut
peut-être voir dans ces jugements moins une opinion sin-
cère que le reflet de ses sympathies ou de ses inimitiés :
nous savons qu'il est l'ennemi de Chénier et des survivants
du xviif siècle, tandis qu'il n'a que des sourires pour le
parti bien pensant à tous égards auquel appartient Fon-
tanes, et qui tourne les yeux vers le soleil levant. Gêné,
ralisant ses observations, il conclut au sujet de ces imi-
tateurs d'Ossian ;
Les uns se sont astreints à conserver toutes ses formes, sant
conserver sa physionomie : les autres, dénaturant son style, ons
substitué un burin trop élégant à ses crayons larges et téné-
breux. Plusieurs enfin se sont bornés à rimer péniblement la
prose harmonieuse de Le Tourneur. Presque tous oat manqué
1. Comtesse d'Hautpoul, Poésies Diverses, p 110 : Epître à M. Baour-
Lormian sur son ouvrage intitulé : Mes Trois Mots.
2. Baour-Lormian, flec!jet7 de Poésies diverses, p. 25 : Réponse à r£pîfre
sur les Trois Mots par M°"» d'Hautpoul.
5o Ossian en France
leur but. Ossian sorti de leurs mains n'est plus qu'un corps
gigantesque, sans mouvement et sans vie ^
Après avoir publié ses Poésies Gai lignes, une peut tout
à coup oublier Ossian. Quoique son style reste ou rede-
vienne de plus en plus classique, on retrouve des traces
d'ossianisme dans plusieurs de ses nombreuses productions
poétiques. Veut-il peindre le triste sort des Trappistes sous
la Terreur? il les appelle « les enfants du rocher* », comme
les culdêes d'Ossian. 11 se souvient du tableau de la déso-
lation de Balclutha dans bien des détails de la même pièce,
sans compter les « feux du météore», ce qui ne veut abso-
lument rien dire ici, mais ce qui est du pur Ossian. Ces
mêmes « feux du météore » se mélangent, dans une pièce
des Veillées ', au « chêne d'Odin » et aux « trois fatales
sœurs » de la mythologie Scandinave. Il est vrai qu'on
rencontre dans la même pièce le zéphyr, Philomèle, et « le
fouet des Furies », et à la même page un « tombeau go-
thique ^ et un « vieux manoir»; quatre éléments d'origines
différentes, Tossianique, le Scandinave, le classique et le
gothique, qui à eux quatre fournissent de pittoresque l'é-
clectique Baour. Quand il allait au bal de l'Opéra, il y ren-
contrait une dame qui justement s'appelait Malvina, et il
lui adressait des vers de mirliton *. Dans un Poème sur la
Nuit^ qu'il n'a pas terminé, il commence par invoquer la
Nuit en style classique, puis il rappelle que c'est elle qui a
inspiré Young et Ossian:
C'est toi qui dans l'Ecosse et ses forêts glacées
Du sublime Ossian éveillais les pensées...
Dans ces vers, qui sont mauvais, on remarquera que les
saphirs du char de la nuit et les zéphyrs voisinent encore
avec les harpes, les torrents et les palais mouvants des
ombres.
1. Les Trois Mois, an VIII; note qui suit le Second Mot.
2. Le Rélablissement du Culte, 1802.
3. Veillées Poétiques et Morales, p. 3.
4. liecueil de Poésies diverses, ISOi, p. 111: Lesdeux Malvina, versadrcs-
sés au bal de l'Opéra à M"" L...
5. Ih., p. 100: Fragment d'un Poème sur la Nuit.
Ses poèmes du genre ossianique 5i
Une fois sa traduction publiée, il était devenu Tinterprète
presque officiel du Barde. Au printemps de 1802, la France
est en joie : la paix est revenue, la prospérité va renaître,
un grand homme mène la nation vers des destinées radieuses,
le Concordat rouvre les églises, et le Génie du Christia-
nisme paraît. Baour compose son Chant Gallique qui, avec
la musique de Le Sueur, est exécuté au Théâtre des Arts,
le 25 avril 1802 '. C'est une cantate de 50 vers dont les
six strophes sont distribuées entre Un Barde, Les Vieillards,
Les Guerriers, Les Jeunes Filles, Les Bardes, et un Chœur
général. L'apostrophe ossianique au soleil est habilement
travestie en éloge de Bonaparte :
La tempête s'éloigne : un astre radieux
Se lève, environné de force et de lumière;
Il affranchit de nos monts nébuleux
La cime longtemps prisonnière.
Salut, astre de paix, flambeau des nations !
L'allégorie continue, toujours transparente : la Révolu-
tion, la guerre, et la paix d'Amiens, sont ainsi agréablement
figurées. A la fin, le Premier Consul est encore plus clai-
rement désigné :
Noble enfant de la Renommée,
Chef des braves victorieux...
Il y a d'ailleurs quelque grâce chantante dans ces vers :
Vierges, d'amour parez vos charmes,
Geignez-vous de naissantes fleurs ;
Guerriers, laissez dormir vos armes;
Mères tendres, séchez vos pleurs !
Mais Ossian dans tout cela? Il est représenté par la harpe,
\e,sbardes,àe.?, réminiscences ossianiques comme « lumineux
météore, mont nébuleux », ou comme :
Videz la coupe hospitalière
Autour de cent chênes brûlants.
1, Recueil de Poésies diverses, 1803, p. 113; Almanach des Muses, 1803,
p. 13; Chansonnier des Grâces, 1803, p. 213; Annales poétiques du
XIX' siècle, 1807, I, 84; Couronne poétique de Napoléon-le-Grand, 1807,
p. 86.
5a Ossian en France
Quelques années plus tard, Bernadotte se fait roi de Suède.
La Scandinavie joue un grand rôle dans Ossian sous le nom
de Lochlin ; de plus, le fils de Bernadotte, né en 1799, s'ap-
pelle Oscar. Il n'en faut pas plus pour que l'habile Baour
saisisse la harpe du Barde, et compose un poème de circons-
tance, La Fête d^ Oscar, fih d' Ossian — 138 vers libres. Ce
poème est entièrement ossianique de cadre, de personnages,
de style : c'est une sorte de pastiche rempli d'allusions.
On fête dans Selma les dix-huit ans d'Oscar, fils d'Ossian ;
chants alternés des bardes et des vierges ; discours du père
et du fils. Puis — et c'est ici que le poème devient trans-
parent — un barde fait entendre une voix prophétique, et
annonce en termes assez clairs que dans des temps loin-
tains, plus heureux et plus civilisés (pas un mot de Napo-
léon), Bernadotte
Des fiers enfants du Nord viendra guider le char.
Son fils, le nouvel Oscar, croîtra en perfection sous les
yeux d'un père
Dont le trône d'Odin a payé la valeur.
Tout cela est dit avec grand accompagnement de nuages
qui portent les âmes des guerriers, et de boucliers aux bosses
prophétiques. Style de cantate.
III
V Ossian de Baour- Lormian a eu cinq éditions *. La pre-
mière % qui parut en 1801, se présentait sous la forme d'un
élégant petit volume, aisé à glisser dans la poche, à lire à
la promenade, bien différent à cet égard des in-octavo de
Le Tourneur. Cette édition est assez rare aujourd'hui : elle
manque aux quatre bibliothèques publiques de Paris. Sans
doute le tirage en fut assez restreint. Le succès encouragea
1. Quérard est très incomplet et inexact sur ce point.
2. Ossian, Poésies Galliques en vers français, par Baour-Lormian. Paris,
P. Didot l'aîné, an IX, in-18 de 264 p.
Ses « Poésies Galliques » 53
l'auteur à revoir son travail, à le compléter, et à le publier
à nouveau sous cette forme lui peu différente : ce fut
l'édition de 1804 ', qui présentait « d'heureuses corrections
et des additions précieuses ^ ». A partir de ce moment, le
texte des Poésies Galliques ne change plus. Je n'ai pu ren-
contrer la troisième édition ^ qui est de 1809. La quatrième,
de 1818 *, mise en vente de nouveau, mais sans date, en
1822, est un peu plus commune. Enfin la cinquième '" a une
importance particulière. C'est un assez beau volume qui
contient, outre les Poésies Galliques, les Veillées poétiques
etmorales qui avaient paru séparément en 1811 et qui depuis
avaient été rééditées plusieurs fois; neuf Fragments des
Nuits d'Young ; dix F ragments d' Uerveij ; et une Notice his-
torique sur Jeanne Gray qui n'a d'autre raison d'être que
de grossir de quelques pages le volume. Cette édition de
1827 a été la dernière : parue en plein Romantisme, elle
arrivait déjà un peu tard. Néanmoins, elle a dû avoir un
grand débit : c'est celle que l'on rencontre le plus fréquem-
ment. Nous lirons Baour dans son premier texte, celui de
1801 ; je signalerai ensuite les principales différences que
présente le texte de 1804 et des éditions suivantes.
La première édition était dédiée à Joseph Despaze, Tou-
lousain comme Baour, poète satirique comme lui, et comme
lui ami d'Ossian : du moins cette dédicace nous l'apprend.
Elle disparut des éditions postérieures. Le Discours Préli-
minaire de onze pages s'est conservé sans changement :
écrit en 1801, il datait étrangement en 1827, lors de la
dernière édition et de la plus répandue. Rien de plus déce-
vant et de plus vide, dans son allure brillante et aisée, que
ce morceau de critique apologétique. On y trouve des choses
très connues, et l'on n'y trouve pas ce que l'on y cherche,
ce qui éclairerait le lecteur sur le caractère propre du recueil,
son contenu et la méthode du traducteur. Ce Discours Pré-
1. Id., nouvelle édition corrigée et augmentée, an XII-1804, in-12.
2. Almanach des Muses, 1805, p. S'S.
3. Ossian, Poésies Galliques en vers français par Baour-Lormian,3' édi-
tion corrigée et augmentée, avec 1 gravure et 3 romances mises en mu-
sique par M. Boulïet. Paris, Michaud, in-18, 1809.
4. Ossiafi, barde du IIP siècle, Poésies Galliques en vers français, par
P.-M.-L. Baour-Lormian. Paris, Louis Janet, 1818, in-18, avec 4 gravures.
5. Id., suivi des Veillées poétiques. Paris, Gayet, 1827, in-8,2 gravures.
54 Ossian en France
liminaire suppose que le lecteur connaît déjà VOssian de
Le Tourneur : car il ne dit pas qui était le Barde, à quelle
époque, dans quelle société il vivait, quels étaient les objets
de ses chants; en un mot, il ne présente ni le poète ni ses
poésies. Il procède par allusions: car, diMl, « les Français
lisent Ossian » ; et il arrive tout de suil? à défendre son
auteur et à justifier sa méthode de traduction, ou plutôt
d'imitation. Le reproche que, d'après lui, on fait aux chants
du Barde, c'est d'otîrir« des incohérences, des répétitions ».
Les répétitions? elles ne sont pas plus monotones que celles
de nos poètes descriptifs, avec leurs vergers, leurs troupeaux,
leurs roses, leurs zéphyrs. Le paysage ossianique a au moins
l'avantage de la nouveauté ; de plus, il est moral : « il élève
l'âme, il la fortifie, il l'habitue à lutter contre le malheur,
il la prépare aux vicissitudes de la vie par le spectacle du
désordre des éléments. » Point de vue assez nouveau, semble-
t-il, et même paradoxal : car le paysage triste et sombre a
plutôt fait des rêveurs, des mélancoliques, des désespérés,
des Werther, des Obermann,des René. D'ailleurs, poursuit-il,
le paysage n'est pas tout dans Ossian : ses chants otfrent
aussi beaucoup d'action. Quant aux incohérences, elles
viennent de la manière dont iMacpherson recueillait des
fragments dispersés qu'il a tenu à publier intégralement.
Par contre, Ossian a pour lui la beauté poétique qui en-
chante l'imagination, la noblesse morale qui élève le cœur
(nous connaissons depuis longtemps cet ordre d'éloges),
une mythologie plus douce et plus pure que celle des
Scandinaves, plus logique et plus bienfaisante que celle des
Grecs ; le Barde lui-même inspire le respect et la sympa-
thie.
Mais il faut savoir le traduire. Le Tourneur a bien fait
de reproduire entièrement Macpherson sans « séparer l'al-
liage du métal ». L'auteur des Poésies Galliqnes suivra une
voie différente : « 11 traduisit, et j'imite ; il conserva tout,
et je choisis ; il voulut faire connaître Ossian, et je tâche
d'atténuer ses défauts, sans modifier en rien ses traits ca-
ractéristiques. » Cependant Baour n'a pas transformé es-
sentiellement son auteur : « Mon modèle n'eût plus été lui,
si j'avais totalement fait disparaître ses imperfections. » Il
n'entre pas dans d'autres détails sur la composition de son
Ses « Poésies Galliques » *5
recueil et ses procédés d'imitation. Mais il indique indirec-
tement une des principales raisons qui ont dirigé son choix.
Ce Latin est sensible surtout à l'ordre et à la logique. Il
n'aime que les poèmes où « les idées se lient comme les
faits, les transitions sont bien ménagées, l'intérêt suit la
marche progressive ». Le plus grand éloge qu'il fasse
d'Ossian, c'est que « sa marche est souvent aussi directe,
aussi sûre que celle de nos bons auteurs ». De là des préfé-
rences qui paraissent d'abord bizarres. Il préfère hautement
Minona (= Oïthona), Car thon, Té?nora, Lonna (= La
Bataille de Lora) à Cath-Loda et à Fingal. Il appelle ces
derniers poèmes « un long tissu d'incohérences». Aussi ne
les traduira-t-il pas, et se contentera-t-il d'emprunter à
Fingal quelques morceaux assez courts.
Ce Discours est donc fort peu exact et fort peu circons-
tancié. Un seul mot le date, et c'est un mot qui montre
que l'ingénieux Baour ne perd pas une occasion de faire sa
cour : « S'il était un héros qui aimât Ossian comme
Alexandre aimait Homère, je répondrais par cela même
de la bonté de son cœur, » L'encens était un peu gros : il
dut cependant flatter le maître.
L^édition de 1801 comprend 23 poèmes ou fragments,
d'étendue très inégale, et qui présentent des formes métri-
ques très variées. Le poème de Témora, qui à lui seul
compte 1470 vers, et 4 autres beaucoup plus courts, sont
en alexandrins ; ailleurs ce sont, ou des strophes d'octo-
syllabes, ou des décasyllabes (mètre malencontreux), ou le
plus souvent des vers libres ; quelques poèmes se com-
posent de plusieurs parties écrites chacune dans un mètre
différent. L'ensemble constitue un total de 4607 vers.
Pour élaborer son Ossian, Baour a eu devant lui la tra-
duction de Le Tourneur, et elle seule. Nous verrons qu'il a
découvert Hill entre Î801 et 1804. Du texte anglais il n'est
pas question, Baour n'ayant jamais eu la moindre préten-
tion à connaître cette langue. C'est à Le Tourneur que le
nouveau traducteur emprunte la plupart de ses notes : en
fait d'Ecosse et d'Ossian, il ne connaît visiblement d'au-
torité que la sienne. Or Le Tourneur, on l'a vu, avait puisé
toute sa science dans les Dissertations de Blair et de Mac-
pherson et dans les notes de ce dernier. Baour nous pré-
56 Ossian en France
sente donc le roman ossianique au troisième degré. C'est
ce qui explique le vague et l'incohérence de plusieurs de
ses notes. Si Ton y ajoute le fait que certains poèmes sont
tellement modifiés qu'ils en deviennent méconnaissables,
que beaucoup de noms sont transposés et d autres créés,
qu'aucun détail historique n'est donné dans la préface, on
comprendra que le lecteur de Baour-Lormian qui ne se re-
portait pas à Le Tourneur avait de Y Ossian de Macpherson
une idée tout à fait inexacte. Or c'est d'après Baour que cer-
tains ossianistes à la suite ont travaillé : l'opéra Uthal
dérive certainement de son f 7/ia/. Cet ossianisme-là peut
s'appeler du quatrième degré ; et il a été assez répandu au
xix° siècle. Un amateur de poésie, ayant appris dans Baour
à aimer Ossian, possédant assez bien ses Poésies Gaiiiques,
pouvait en 1847 trouver chez son libraire les premiers vo-
lumes parus dans la nouvelle collection Tauchnitz, et parmi
eux, avec le numéro 116, The Poems of Ossian ; notre
homme sait l'anglais, il achète le petit volume blanc, il
s'amuse à le parcourir. Son étonnement sera grand ; et, s'il
a quelque sens littéraire, il s'apercevra vite qu'il ne con-
naissait pas Ossian.
Voici la liste des Poésies Galliques, avec l'indication de
leur source et quelques mots de leur caractère.
1. Hymne du Soir. — C'est le début d'Oïnn-Morul.
2. Oïna. — C'est le reste d'Oïna-Morul, versifié avec assez
d'exactitude et souvent beaucoup de grâce. Mal-Orchal devient
Malor, et Thormod devient Dunthalmon [nom forgé de Dan-
lalhmon, qui est un nom de ville).
3. Darfhula. — Même poème.
4. Chant de Fingal sur la ruine de Balclutha. Emprunté à
Carthon (milieu).
5. Minona. — C'est Oïthona. Ce nom est remplacé par Mi-
no/ia, emprunté aux Chants de Selnia, et Gaul par Swaran,
bien connu dans Ossian, mais comme roi de Lochlin.
6. Hymne au Soleil. — Emprunté à Carthon (fin).
7. Carthon. — Même poème, moins la parenthèse sur Balclu-
tha et l'Hymne au Soleil, dont Baour a fait deux poèmes sépa-
rés.
8. Combat de Fingal et du fantôme de Loda. — Emprunté à
Carric-Thura.
Contenu de l'ouvrage 5y
9. Comala, poème dramatique. — Même poème.
10. La Mort d'Hidallan. — C'est un épisode de La Guerre
de Caros, détaché de ce poème et mis à cette place pour servir
de conclusion à Comala ; Hidallan, on s'en souvient, est le
traître qui a causé la mort de Comala en lui annonçant men-
songèrement la mort de Fingal ; celui-ci l'a banni ; son père
Lamor, vieux et aveugle, tue ce fils indigne.
11. Lorma. — C'est La Bataille de Lora.
12. Minvane. — Même poème,
13. Evèlina. — Le sous-titre dit : fragment du poème de
Fingal. C'est l'épisode de Fainas-OUis au chant III, raconté
par Fingal à son petit-fils Oscar, que Baour a remplacé par Fil-
lan, le plus jeune fils de Fingal. Faïnas-Ollis devient Evélina-,
nom emprunté aux romans anglais, et Borbar devient Bolhar.
14. Lathmon. — Même poème.
15. La Mort d^Oscar, fils de Caruth, et de Dermide,fils de
Diaran. — Même poème dans Le Tourneur: ; on sait que Mac-
pherson ne l'a pas admis dans son édition définitive.
16. Les Chants de Selma. — Même poème.
17. Morni et l'omhre de Cor mal. — Ce très court morceau
ne se trouve pas dans le texte anglais définitif; c'est le dévelop-
pement d'une note de Le Tourneur au chant III de Temora.
18. La Mort d' Agandecca. — Le sous-titre l'indique : Frag-
ment du poème de Fingal (chant III).
19. La Bataille de Témora, poème en six chants. — C'est Te-
jnora., le seul poème étendu qu'ait admis ce recueil. Baour a
condensé en six chants les huit chants du poème. Les deux pre-
miers sont assez complètement traduits. Le troisième est très
abrégé et réuni au quatrième pour former léchant 111 de Baour.
Le cinquième et le sixième ensemble, très résumés, font le
chant IV. Dardulena, fille de Foldath, prend le nom de Nina.
Le septième donne le chant V, avec suppression de tous les
détails historiques sur les Firbolgs d'Irlande. Le huitième donne
le chant VI ; Ferad-Artho devient Clommal. Le travail de con-
densation s'est donc porté nettement sur le milieu du poème.
20. Armin et Galvina. — Emprunté à Fingal (chant II).
Armin remplace Connal.
21. La Guerre d'Inistona. — Même poème.
22. Vthal. — C'est l'épisode central de Berrathon. Larmor,
père d'Uthal, devient Ronnan.
23. Le dernier hymne d'Ossian. — C'est Berrathon, moins
l'épisode d'Uthal.
Au total, ce petit volume donnait à peu près complète-
58 Ossian en France
ment dix petits poèmes sur vingt ; un long poème sur deux;
il y ajoutait deux morceaux traduits par Le Tourneur, qui
ne figuraient qu'en note dans Macplierson ; il tirait de Fin-
gai cinc^ morceaux ditlerents, et un de La Guerre de Caros.
Restaient dix petits poèmes et Fingal presque tout entier
qui n'étaient pas représentés dans le volume de Baour. En
tenant compte de la longueur des divers morceaux traduits,
on arrive à trouver que les Poésies GalVques représentent
59 °/o des publications de Macpherson.
Cette première édition se terminait par un morceau de
Goupigny, Fragment du Chant d'Armiti, auquel Baour
offre g-énéreusement l'hospitalité afin, dit-il, de le faire con-
naître davantage. Il ne le donne pas pour inédit ; et en
effet il avait paru dès 1794 ; nous l'avons déjà rencontré
et étudié. On est étonné de voir Baour, qui sans doute l'a
lu bien vite, déclarer que « le sujet n'en est point pris dans
Ossian », alors que Goupigny n'a fait que suivre, d'abord
Berratho?i, puis Les Chants de Sei?7ia, deux poèmes que
Baour lui-même avait traduits.
Goupigny et son Armin disparaissent en 1804 ; mais le
recueil se grossit de quatre poèmes nouveaux, en sorte
que le texte définitif de Baour- Lormian compte 5084 vers.
1. Olgar et Sulmina. — Ossian pleure la mort de son ami
Olgar qu'il a tué jadis sans le connaître parce qu'il lui disputait
le cœur de Sulmina. Ce dernier nom se trouve dans le Cattilava,
de Smith ; l'ensemble du poème de Baour n'est pas ossiani-
que ; il doit peut-être quelque chose au Calheluina de Smith.
2. La Mort de Gaul. — C'est le poème de Smith La Mort de
Gaul fils de Morni. Baour l'appelle « un des principaux et des
plus dramatiques d'Ossian », Evir-Ghoma devient Palmina, nom
inventé.
3. Les Adieux d'Oscar et de Malvina. — Court poème non
ossianique ; ce duo terminé par un ensemble de deu.x voix n'est
qu'une romance, pastiche du g-enre, qui peut convenir à tous
les amants que la guerre sépare.
4. Ossian à Sulmala. — Court morceau qui met en vers un
fragment cité par Le Tourneur dans une note au chant VIII de
Temora .
On s'aperçoit que dans l'intervalle Baour a découvert
VOssian de Hill, auquel il n'avait rien emprunté dans sa
Variantes de i 804 5^
première édition. Non seulement il a ajouté, mais il a mo-
difié. Car thon, nom jugé sans doute ridicule, est devenu
Elmor ; mais on a oublié jusque dans l'édition de 18!^7 de
faire ce changement en tête du sommaire. Darthula, tout
au moins au début, est profondément transformé ; de même
VHijinne au Soleil. Remarquons que ces deux morceaux,
que Baour a jugé à propos de refaire, sont deux illustres
exemples de poésie sidérale. L'hymne à la lune qui ouvre
Darthula n'a trouvé que dans la seconde édition la forme
sous laquelle il a été souvent cité. Le poète avait d'abord
écrit :
Fille du ciel, que j'aime les appas,
Et réclat virginal dont ton front se couronne !
Dans les plaines d'azur où s'impriment tes pas,
Des astres de la nuit la foule t'environne.
Les nuages obscurs s'éclairent de tes feux ;
Par toi l'air est plus doux, la nature plus belle.
Les vents n'osent troubler ton cours silencieux.
Que fais-tu loin de nous quand une ombre rebelle
Enveloppe ton globe et le cache à nos yeux?
Vas-tu, comme Ossian, plaintive, gémissante.
Dans l'asile de la douleur
Ensevelir ta beauté languissante ?
Reine aimable des nuits, connais-tu le malheur?
Maintenant, revêtu de toute sa lumière,
Ton char voluptueux roule au-dessus des monts ;
Prolonge, s'il se peut, le cours de ta carrière,
Et verse sur les mers tes paisibles rayons.
Les neuf premiers vers ont été remplacés par ceux-ci :
Ainsi qu'une jeune beauté
Silencieuse et solitaire.
Des flancs du nuage argenté
La lune sort avec mystère.
Fille aimable du ciel, à pas lents et sans bruit
Tu glisses dans les airs où brille ta couronne,
Et ton passage s'environne
Du cortège pompeux des soleils de la nuit.
Que fais-tu loin de nous, quand l'aube blanchissante
Efl"ace à nos yeux attristés
Ton sourire charmant et tes molles clartés?
6o Ossian en France
On lui avait sans doute fait observer que les pas de la
lune ne siyiiprhnenl guère dans le ciel, etqu'Ossian demande
ce que l'astre devient, non pas pendant la nouvelle lune,
mais pendant le jour. UHijmne au Soleil, ce morceau
fameux, a également subi une complète refonte, du moins
dans les vingt premiers vers. Les voici dans le texte de
1801 :
Invincible héros, roi du monde et du jour,
Quelle main, te couvrant d'une pompeuse armure,
Dans les plaines de Tair te marqua ton séjour.
Et sema d'un or pur ta blonde chevelure ?
Nul astre dans les cieux ne marche ton rival ;
Les filles de la nuit à ton éclat pâlissent ;
La lune devant toi fuit d'un pas inégal,
Et ses rayons douteux dans les flots s'engloutissent.
Sous l'elTort redoublé de l'âge et des autans,
Tombent le chêne antique et le pin solitaire ;
Le mont même, le mont, accablé par les ans.
Incline sous leur poids sa tête séculaire ;
Mais les siècles jaloux respectent ta beauté ;
Un printemps éternel sourit à ta jeunesse ;
Tu traverses l'espace en monarque indompté,
Et l'azur lumineux t'environne sans cesse ;
Quand la tempête éclate et rugit dans les airs,
Quand les vents font rouler au milieu des éclairs
Le char retentissant qui porte le tonnerre,
Ton disque ouvre la nue et console la terre.
Les cinq premiers vers sont devenus les suivants :
Roi du monde et du jour, guerrier aux cheveux d'or,
Quelle main, te couvrant d'une armure enflammée,
Abandonna l'espace à ton rapide essor.
Et traça dans l'azur ta route accoutumée ?
Nul astre à tes côtés ne lève un front rival...
Plus loin, huit vers sont changés ;
Sous les coups réunis de l'âge et des autans
Tombe du haut sapin la tête échevelée ;
Le mont même, le mont, assailli par le temps,
Du poids de ses débris écrase la vallée ;
Abréviations et suppressions 6»
Mais les siècles jaloux épargnent ta beauté ;
Un printemps éternel embellit ta jeunesse ;
Tu t'empares des cieux en monarque indompté,
Et les vœux de l'amour t'accompagnent sans cesse.
Enfin, le dernier des vers cités plus haut a été heureu-
sement transformé :
Tu parais, tu souris, et consoles la terre.
En dehors de ces deux morceaux, on ne constate que des
changements insignifiants. Ces différences signalées entre
la première édition des Poésies Galiiqites et les suivantes,
revenons au texte lui-même, et demandons-nous d'abord
jusqu'à quel point Baour traduit ce qu'il nous donne dé Le
Tourneur et jusqu'à quel point il se contente de le résumer.
La réponse est aisée : il abrège son texte. Un sondage
opéré sur les dix premières pages de sa Darthula montre
que ce qui reste de l'original équivaut à 48 "/„ ; dans Les
Chants de Selma, on trouve Oi "/„ ; dans Minona, beau-
coup plus court, 90 7o- Temora, on l'a vu, est extrêmement
simplifié. Il est impossible de donner une moyenne qui soit
rigoureuse, mais en tenant compte des poèmes qu'il ne tra-
duit pas et de ce qu'il omet dans ceux qu'il traduit, on peut
admettre que Baour-Lormian donnait dans ses vers l'équi-
valent d'environ un tiers de la prose de Le Tourneur. Lui
aussi, et mieux que les timides auteurs des Poésies Erses
de 1772, il a voulu faire une anthologie ossianique qui fût
variée, touchante, jamais ennuyeuse, et surtout poétique.
Ce qu'il supprime de préférence en effet, c'est ce qui offre
un intérêt plus historique, ou soi-disant tel, que poétique.
Ainsi dans Temora, au chant II, l'épisode de Gonar, fils de
Trenmor et premier roi d'Irlande, et l'histoire de Grothar,
ancêtre de Cathmor, « épisode, disait Le Tourneur d'après
Macpherson, qui répand un grand jour sur l'histoire d'Ir-
lande, et sur les prétentions de la famille de Cathmor au
trône ». De tout cela Baour-Lormian n'a cure ; l'histoire
d'Irlande et les prétentions de la famille de Cathmor le lais-
sent parfaitement indifférent, parce qu'il sait que le lecteur
français s'en souciera peu. Or, c'était justement l'élément de
6i Ossian en France
ses compositions auquel Macpherson donnait le plus d'im-
portance. Préoccupé, on Ta vu, d^asseoir la gloire de son
Ossian sur des fondements solides, il cherchait toutes les
occasions de le présenter comme un annaliste véridique,
comme un sûr témoin des âges antiques. Le Tourneur sui-
vait encore cette voie ; Baour s'en écarte résolument. Ce
qui l'intéresse dans Ossian, c'est l'évocation d'un paysage
lointain et nébuleux, ce sont des sentiments nobles ou
tendres, c'est l'héroïsme, c'est la gloire, c'est l'amour : c'est
en un mot le romanesque et le pathétique. Moins cette poé-
sie a de contact avec la vérité historique, moins elle est pré-
cise, et plus elle enchante l'âme. Sans doute, il répète, en
les abrégeant toutefois, un petit nombre des notes de son
prédécesseur ; mais ce ne sont presque jamais des notes
historiques ; ce sont des éclaircissements, presque néces-
saires d'ailleurs à qui ne connaît pas encore Ossian, sur les
usages et les expressions que l'on rencontredans ses poèmes.
Son Ossian est un livre de légende et de poésie, ce n'est à
aucun degré un monument historique.
Il avait d'ailleurs très habilement groupé les morceaux
de son anthologie. Le volume s'ouvrait par cet Hymne du
soir séparé à dessein du reste du poème à.'Oïna-MoruI, et
placé en tête du recueil comme une sorte de prélude, pour
donner le ton :
L'ombre à peine voile les cieux ;
Des temps évanouis la splendeur éclipsée
Se retrace dans ma pensée,
Et m'inspire des chants dignes de mes aïeux...
Là, toutes les principales cordes de la harpe du Barde
sont touchées, et la tonalité générale est posée. Ossian va
chanter : il indique en peu de mots sa situation et les sujets
habituels de ses chants ; il nomme Fingal, Oscar, Malvina ;
il évoque en quelques touches rapides le paysage calédo-
nien. Le lecteur se trouve tout de suite placé dans l'atmos-
phère si particulière, si neuve, qui est l'atmosphère ossia-
nique. Et la série des poèmes, au milieu de laquelle est placé
Têmora, le plus long, se clôt par Le dernier Hymne d Os-
sian, qui est une récapitulation générale du cycle que le
Composition du recueil 63
lecteur a parcouru, un dernier chant qui a quelque chose
de solennel :
Le Barde va chanter pour la dernière fois...
Et il s^apprête à mourir :
Vents orageux du soir, ma bouche vous implore ;
De vos bruyantes voix retenez les éclats :
Ossian va dormir... ne le réveillez pas...
La nuit doit être longue...
Lui qui a pleuré et chanté tant de morts héroïques, son
tour n'est-il pas venu de disparaître enfin, dernier survivant
d'une race et d'un âge glorieux ?
0 débile vieillard ! les hommes se succèdent
Comme les flots des mers et les feuilles des bois...
Meurs ! ta gloire vivra...
Cela ne vaut pas Hugo et la Promenade dans les Rochers,
mais il y a de la grandeur dans ces suprêmes adieux, où la
voix mélancolique du Barde reprend à son tour la plainte
que firent entendre jadis et Homère, et Simonide,etles Pro-
phètes d'Israël.
IV
Dans ce cadre restreint, et qu'il s'était si habilement tracé,
comment Baour s'est-il acquitté de sa tâche? Comment tra-
duit-il, et comment écrit-il ? Pour étudier en lui le traduc-
teur, on va droit aux morceaux que ses contemporains ont
le plus admirés et le plus cités. On vient diQliveV Hymne au
Soleil. Il a pu paraître beau à qui n'en connaissait pas l'ori-
ginal : c'était l'idée qui frappait par sa nouveauté ; mais
Baour n'a mis là que des hyperboles qui visent trop ouver-
tement au sublime. Il a supprimé plusieurs détails impor-
tants. La belle idée que Le Tourneur rend par « tu te ris de
la tempête >> n'est plus représentée que par le faible « tu
souris ». L'invocation à la lune, de Darlhula, qui a été citée
64 Ossian en France
également tout à l'heure, a charmé les contemporains. Ces
vers valaient sans doute ceux de Lemierre ; nous autres,
malheureusement pour Baour, nous avons tous dans le mé-
moire ceux de Lamartine, et cela nous rend un peu plus
difficiles; sans parler du Souvenir de Musset, et de Gœthe,
et de Leopardi. Les flots abondants de magnifique poésie
que certains titres, certains thèmes font jaillir de notre mé-
moire, ne doivent pas nous rendre injustes pour les pre-
miers qui chantèrent aux âmes cette mêçne chanson. Il y a
néanmoins deux lacunes ici, et fort regrettables : d'abord
l'idée que Le Tourneur rend par les mots : « A ton
aspect, les étoiles honteuses détournent leurs yeux étince-
lants » ; puis celle-ci : « Tes sœurs sont-elles tombées du
ciel ? Ne sont-elles plus, celles qui se réjouissaient avec toi
dans la nuit ? Ah ! sans doute elles sont tombées, lumière
charmante, et tu te retires souvent pour les pleurer !... »
Ainsi ce morceau gracieux est extrêmement incomplet, et
tout ce qu'il y avait dans le texte de nouveau, de rare, de
spécifiquement ossianique a disparu.
Prenons encore l'exemple de l'Etoile du soir, et sans écra-
ser Baour en le comparant à Musset, voyons s'il met heu-
reusement en vers la prose de Le Tourneur. Nous nous
apercevrons que ce qu'il nous donne n'est qu'une transcrip-
tion assez exacte et assez complète : mais l'expression reste
quelconque, la forme n'est pas créée.
Compagne de la nuit, étoile radieuse
Qui, sur l'azur du firmament,
Imprimes de tes pas la trace lumineuse,
Astre paisible, en ce moment
Que regardes-tu dans la plaine ?
L'aquilon est muet ; la cascade lointaine
Ne murmure que faiblement ;
Les insectes du soir font retentir à peine
Un triste et sourd bourdonnement.
Au bord de Thorizon tes clartés s'obscurcissent ;
Tu descends dans le sein de l'océan fougueux ;
Les flots bruyants se réjouissent,
Et baignent l'or de tes cheveux.
Mais ton dernier rayon a lui sur la bruyère :
Astre charmant, adieu ! Que mon génie éteint
Se rallume, et succède à ta vive lumière !.. .
Le Tourneur et Baour-Lormian 65
Voilà une impression d'ensemble, et qui n'est pas suscep-
tible d'une grande précision. On ne peut faire du metteur
en vers le même examen minutieux que du traducteur en
prose : toute comparaison de détail est impossible. 11 faut
seulement remarquer la liberté avec laquelle Baour trans-
forme les noms ossianiques, le plus souvent pour des rai-
sons d'euphonie, parfois aussi pour des raisons de clarté.
Autant Leconte de Lisle recherchera les consonnances extra-
ordinaires, les mots à ligure exotique ou barbare, autant
Baour les évite. Il est de l'école de Boileau, en matière de
noms propres comme pour le reste. De même il laisse sou-
vent tomber ce qu'il y a de plus nettement ossianique dans
les idées ou dans les sentiments. Voici un air de bravoure
assez typique, que je rencontre dans D art /nt la :
Le Tourneur
Pourquoi rouler avec tant de fracas tes flots écumants,ô mer
d'Ullin ? Pourquoi déployez-vous dans les airs vos bruyantes
ailes, tempêtes éclatantes du ciel ? Orages, croyez-vous que
c'est vous qui retenez Nathos sur le rivage ? Non, c'est son cou-
rage qui l'y retient, enfants de la nuit.
Baour-Lormian
0 mer d'Ullin ! avec tant de fracas
Pourquoi précipiter tes ondes furieuses ?
Pourquoi déployez-vous vos ailes orageuses,
Enfants de l'air et des frimas ?
Pensez-vous que vos vains éclats
Sur ce roc aride et sauvage
De Nathos enchaînent les pas ?
Non, il n'est retenu que par son seul courage...
Voici dans un genre différent le début d'une lamentation
funèbre empruntée aux Chants de Selma :
Le Tourneur
Mes pleurs, ô Ryno, sont pour les morts ; ma voix, pour les
habitants delà tombe. Tu es debout maintenant, ô jeune homme,
et dans ta hauteur majestueuse tu es le plus beau des enfants
de la plaine. Mais tu tomberas comme l'illustre Morar : l'étran-
66 Ossian en France
ger sensible viendra s'asseoir el pleurer sur la tombe. Tes col-
lines ne te connaîtront plus, et ton arc restera détendu dans ta
demeure...
Baour-Lormian
Mes pleurs sont pour les morts. Superbe, belliqueux,
Aujourd'hui le plus beau des enfants de la plaine,
Tu triomphes, jeune homme, et demain sur l'arène
Peut-être le trépas viendra fermer tes yeux.
Comme toi Morar fut célèbre ;
Comme toi Morar fut vaillant ;
Il n'est plus ; sur son lit funèbre
L'étranger s'assied en pleurant.
On voit tout ce que laisse tomber le traducteur ; surtout
on voit l'eilet que produit cette manière de broder à grands
traits de couleurs brillantes, mais peu variées, ce qui offrait
chez Le Tourneur un tissu, je ne dis pas serré, mais assez
rempli. La répétition, les reprises, sont pour beaucoup dans
l'effet pathétique du morceau : la même idée y paraît suc-
cessivement avec ses nuances diverses. Le poète dégage
l'idée, choisit pour la fixer quelques images frappantes, et
passe.
Le lecteur qui ne connaît pas Ossian se préoccupe mé-
diocrement de cette question d'exactitude, et sera plus sen-
sible à l'effet général et direct que produisent les vers de
Baour. Le style et la versification en ont été généralement
appréciés, du temps qu'on le lisait ; puis le discrédit du
fond a entraîné l'oubli total de l'œuvre, forme comprise.
Aujourd'hui, si l'on rencontre le volume des Poésies Galli-
qiies et qu'on ait la curiosité de le feuilleter, on ne trou-
vera au style ni originalité ni couleur. On n 'y remarcjuera que
des images usées et un vocabulaire poncif ; mais, si l'on
estéquitable,on se rappellera que certaines élégances démo-
dées abondent encore dans les premières Odes de Hugo et
dans quelques Méditatiotis. Même, si l'on est familier avec la
poésie impériale et avec celle aussi du xvin'' siècle, on appré-
ciera dans Baour un style qui fait aussi peu de concessions
qu3 possible à une mode éphémère et vite ridicule, et on
lui saura gré d'avoir laissé peu de fausses notes ou de traits
Le style et la versification 67
discordants. Sans doute, il a quelques expressions qui ne
sont pas à leur place dans le genre ossianique : les pha-
langes, les cohortes, les drapeaux, Yétendard, une cui-
rasse d'or pur, toutes choses inconnues des armées de Fin-
gai ; Vaigle, le cygne, qui ne font pas partie de la faune de
Morven, et le zéphire ou zéphyr qui se joue entre les ro-
seaux. C'est à peu près tout ; et c'est peu. Plus sensible
est l'abus d'une banale phraséologie pseudo-classique: V ai-
rain homicide, Idi flamme (de l'amour), son sein d'albâtre,
défendre tes charmes, les frimas, Vastre du jour. Ces en-
nuyeux clichés reviennent assez souvent ; moins souvent
que chez tant d'autres. Le poète fait parfois parler le vieux
Barde en stvle troubadour, comme lorsqu'il peint le jeune
Uthal
Dans l'âge des combats, dans l'âge de l'amour,
Des belles, des héros triomphant tour à tour...
Il n'échappe pas non plus à une faiblesse très fréquente
en ce temps de misère poétique. Il emprunte sans vergo-
gne les hémistiches les plus célèbres ; il sait trop bien par
cœur son Corneille et son Racine. Au premier appartien-
nent sans conteste Jeune présomptueux... — Connais-tu
bien Fingal ?... — la clarté qui tombe des étoiles... Le
second peut revendiquer l'horreur d'une profonde nuit...
— Une aimable rougeur couvrait son beau visage... Le
Barde a fait ses classes, et ses souvenirs classiques lui
sortent par tous les pores. Mais beaucoup plus fatigante,
parce qu'elle est plus continue, est cette élocution vague
et verbeuse, où régnent l'à-peu-près et l'image usée, ce style
d'une élégance facile et pompeuse, qui est proprement la
manière pseudo-classique. C est ainsi qu'écrit Baour toutes
les lois qu'il n'est pas soutenu et comme rafraîchi par l'ins-
piration ossianique. Heureusement qu'il n'invente guère,
et que son modèle lui fournit en abondance des idées et
surtout des images qui infusent un sang nouveau à son
style vieillot.
Sa versification est à la fois son triomphe et sa faiblesse.
Les contemporains ont été unanimes à louer l'harmonie
de ses vers, et à le préférer à cet égard à tous ses rivaux.
68 Ossian en France
Il est vrai qu'il est harmonieux : il sait à merveille rem-
plir l'une des plus importantes conditions de la poétique
classique, l'enchaînement euphonique des sons sans la moin-
dre dureté, sans le moindre heui-t. Son oreille experte, et
qu'avait sans doute assouplie encore le long travail de sa
Jérusalem Délivrée, lui fournit à chaque instant les groupes
de sons que sa mémoire fertile lui rappelle, ou que son
imagination combine aisément. Les mots, habitués à se
rencontrer, se présentent ensemble sous sa plume ; et cette
harmonie réelle n'est jamais neuve. Elle est d'ailleurs obte-
nue à grand renfort de chevilles. Baour abonde plus encore
en rimes quelconques, négligées, incolores, ou trop usées et
presque ridicules par leur facilité même A la fin de ses vers se
retrouvent régulièrement des mots qui sont de vieux amis,
comme épée et trompée, cœur et vainqueur, guerre et ton-
nerre, rivage et sauvage, roi et effroi, épouvante et me-
naçante ; j'emprunte ces exemples à une seule page de
Témora (chant I). La pauvreté des rimes touche à la mi-
sère, ainsi qu'on peut l'attendre de ce classique de déca.
dence. Les rimes en épithètes foisonnent. J'en relève 79
dans les 330 vers du chant I de Témora, et 46 dans les
200 vers de Lathmon ; quelquefois elles se suivent d'une
manière insupportable.
Par ses qualités comme par ses défauts, le vers de Baour-
Lormian est un vers de romance ou de cantate : il en a la
facilité lâche et un peu langoureuse, l'harmonie banale, la
fluidité impersonnelle, et tout ce qui n'impose à l'esprit au-
cun effort, ne provoque aucune surprise de l'oreille, et néan-
moins ou par cela même exerce un charme, peut-être de qua-
lité inférieure, mais indéniable.
Les défauts de cette versification sont surtout sensibles
dans l'alexandrin à rimes plates, le plus banal et le plus
difficile de tous les mètres. C'est celui de Témora, de Lath-
mon, de presque tout Elmor, de presque tout Lorma. Le
poète est beaucoup plus heureux dans les morceaux écrits
en alexandrins à rimes croisées ou embrassées, comme Mi-
nona, l'un des mieux venus du recueil. 11 y a là quelques
passages d'une mélodie légère de berceuse :
Le style et la versification 69
L'obscurité couvrait le palais de Lathmon ;
Aux rives du couchant, pâle, silencieuse,
La lune ne versait qu'une clarté douteuse,
Et le vent de minuit sifflait dans le vallon.
Ah ! que n'ai-je vécu comme la fleur des champs
Qui sur le roc désert naît et meurt inconnue !
A peine seize fois des volages printemps
Mon œil sur nos forêts vit la robe étendue ..
Aux bords de Duvranna, sur ces i-ochers antiques
.Que le temps couronna de lugubres sapins,
S'élève un vieux palais, dont les torrents voisins
Réfléchissent au loin les tours mélancoliques...
Plus fréquemment, le mètre varie ; et les effets de cette
variété sont en général assez heureux. Les poèmes que tra-
duisait Baour,par leur caractère semi-épique, semi- lyrique,
souvent même dramatique, invitaient à user de différents
mètres : il y avait place pour des récits en alexandrins, des
dialogues en stances, des récitatifs en octosyllabes ; et Tadroit
versificateur sait multiplier indéfiniment ses combinaisons.
C'est alors surtout que ses poèmes offrent Taspect de can-
tates. Enfin, il tire du vers libre d'assez heureux effets :
grâce à lui, il échappe aux contraintes dangereuses du vers
fixe ; il évite, grâce à lui, la cheville, et par suite la péri-
phrase ; il ne dit à peu près que ce qu'il a besoin de dire ;
et, pour un traducteur, c'est un bienfait particulièrement
appréciable.
On savait que les principes de Baour comme traducteur
n'étaient pas à beaucoup près aussi rigoureux que ceux de
Turgot. On les connaissait déjà par sa Jérusalem Délivrée.
Il avouait lui-même, que dis-je ? il proclamait hautement
qu'il avait « préféré le développement à la précision »; qu'il
avait su « se dégager des entraves de son modèle, et mar-
cher moins sur ses traces que son égal ». Il disait ; « Je
n'ai pas craint d'abandonner fréqr.oniment mon original
yo Ossian en France
pour me livrer à ma propre sensibilité'. » Les comptes
rendus remarquent et approuvent cette extrême liberté :
« Il retranche de l'original tout ce qui est sans intérêt...
plus de vingt stances manquent au xvii« chant... Quelque-
fois il ajoute... il agrandit de nouveaux traits la figure déjà
si grande de Soliman. » Il a corrigé « toutes les fautes con-
tre le goût et le naturel ». Il a « débarrassé le style de ce
poème du grand nombre de faux brillants qui le déparent ».
C'est ce que le critique appelle « rendre au Tasse de grands
et d'éminents services ' ».
Après le Tasse, Ossian. Encouragé par ces approbations,
comment Baour ne l'eût-il pas traité de la même manière?
L'anglais de Macpherson étant beaucoup moins familier aux
critiques que l'italien du Tasse, ils ne relevèrent pas avec
autant de détail les procédés du traducteur. Cependant on
vit bien qu'il abrégeait Ossian, et en général on sut gré à
Baour d'avoir taillé librement dans le texte. Il « ne tra-
duit pas tout, il imite ; et il n'imite pas tout, il choisit ^ ».
« En passant dans ses vers, Ossian. . .a même gagné sous quel-
ques rapports : on trouve dans l'imitation moins de désordre,
moins de monotonie, que dans l'original. » On le félicite
de n'avoir « pas cru devoir, comme Le Tourneur, suivre
Macpherson pas à pas » ; d'avoir « soumis les chants gal-
liques à l'analyse », et d'en avoir « retranché tous les dé-
tails oiseux » de façon à « en pallier les défauts sans rien
changer à la teinte * ». Il a conservé cette teinte en l'alVa-
dissant ; c'est bien ce que veulent dire ceux qui le félici-
tent d'avoir « sagement élagué tout ce qu'il y avait de gi-
gantesque et d'oiseux... S>. lia «abrégé le texte de l'Homère
écossais ». En résumé, « comme abréviateur, il a fait preuve
de goût et de sagesse « » ; et « la plupart des défauts d'Os-
sian ont disparu sous sa plume ' ».
Ces félicitations à peu près unanimes s'adressent k deux
1. La Jérusalem Délivrée en vers fiançais, 1796, 1, p. I-XIII (Préface).
2. La Renommée, 4 novembre 1819.
3. [lioissonade] Journal de l'Empire, 10 septembre 1810; et Boissonade,
Critique Littéraire. II, 47.
4. Spectateur du .Xord, XVIIl, 362 (juin 1801).
5. Magasin Encyclopédi([ue. 1801, I, 51-5'J.
6. [Boissonado] Journal de l'Empire, ih.
7. Les Quatre Saisons du Parnasse, printemps 1805, p. 251.
Jugements contemporains 71
procédés différents, mais que les critiques ne distinguent
jiçuère l'un de l'autre : l'un consiste à ne traduire que cer-
tains poèmes ou fragments d Ossian, l'autre à choisir des
développements ou des passages dans ceux même qu'il
traduit, et à faire de nombreuses coupures. L'un se voit du
premier coup d'oeil, pour peu que l'on compare la Table des
Matières des Poésies Galliques à celle de Le Tourneur :
l'autre échappe à celui qui ne se livre pas à une comparai-
son minutieuse. Nous avons donné tout à l'heure des exem-
ples de l'un et de l'autre. Mais cette liberté qu'il prend de
supprimer, il la prend aussi de traduire à sa façon. M. Zy-
romski dit que Baour-Lormian conserve trop souvent « l'at-
titude de l'écolier » devant les textes qu'il traduit '. Il veut
dire par là qu'il abonde en réminiscences classiques ; mais
un écolier se montre, ou cherche à se montrer, plus res-
pectueux dans ses versions. Seul, un autre traducteur, son
rival, regrettera « qu'il n'ait pas cherché à reproduire son
modèle avec plus de fidélité ^ ». En général, on le loue de
l'avoir « paraphrasé ' », de 1 avoir suivi « avec indépen-
dance * » d'avoir « atténué ses défauts ^ ». Cet éloge se re-
trouve même de nos jours : on a su gré à Baour « d'adoucir
le genre lui-même pour le plier au degré de mélancolie dont
la France était alors capable ° ». Si on loue la « fidélité »
de sa traduction, c'est en parlant de tel morceau plus heu-
reusement venu, comme le début des Chants de Selma \
Mais on s'accorde à appeler son œuvre « une imitation et
non une traduction * » ; et, si l'on veut être aimable, « une
imitation charmante que Buffon eût appelée volontiers une
belle création '' ». Rigault a trouvé une expression assez heu-
reuse en appelant Baour « le Ducis d'Ossian •" * .
1. Zyromski, Lamartine poète lyrique, p. 91.
2. Sainl-Fcrréol, Ossian, chants yaliiques, Iraduils en vers français, 1825,
p. XIV.
3. Esménard dans le Mercure (1802, IV, 407); article reproduit dans 1j
Mercure du 21 octobre 1809 et dans l'Ambigu du 30 novembre 1809.
4. M.-J. Ghénier, Tableau... de la Littérature Française, 1816, p. 252.
5. Almanach des Muses, 1802, p. 273.
6. Godefroy, Histoire de la Littérature Française, xix° siècle, II, 15.
7. B. JuUien, Poésie française à l'époque impériale, l, 158.
8. Jb., I, 150.
9. Saint-Ferréol, p. XIV.
10. Journal des Débats, 25 janvier 1855; Œuvres de Rigault, I, 194.
7* Ossian en France
L'art de Baour-Lormian, son style et sa versification n'ont
g'uère reçu à propos des Poésies Galliques que des éloges^
et parfois hyperboliques. Les plus tièdes lui reconnaissent
« une versification toujours élégante et harmonieuse ' » ;
« de la correction, de l'élégance, un style harmonieux et
brillant, une manière large et savante ' » ; « la couleur,
l'élégance, le mouvement ' » ; ou louent « son style harmo-
nieux, son coloris ferme et sombre... ses coupes, le balan-
cement, le mélange de ses rimes... un grand sentiment de
Tharmonie* ». D'autres vont plus loin : « Il répand les beaux
vers comme un homme riche et prodigue sème l'argent \ »
Le classique Dussault salue en lui « un poète très distingué,
dont le talent ne s'écarte jamais de la trace des grands mo-
dèles » , au point que « Racine et Boileau auraient pu lire
les vers de M, de Lormian '' ». Le classique Jouy s'extasie
devant « la lyre de Baour-Lormian, qu'on a comparée à la
harpe éolienne », et qui « rend des sons si purs, si doux, si
constamment mélodieux" ». Le classique Etienne ose voir en
lui « le poète moderne qui possède le mieux la langue de Ra-
cine ' »,Oui, « l'harmonie de sa phrase poétique et la variété
de ses coupes » font que « de tous les poètes de son ère, il est
celui au nom duquel on a le plus souvent associé le grand nom
de Racine ' ». On rencontre à peine parmi les contemporains
une note discordante. L'un constate que ces vers sont « plus
harmonieux qu'énergiques'"» ; et l'autre dit: « On pouvait y
désirer un ton moins emphatique et moins solennel". » Mais
à mesure que les générations se succèdent, et que le ro-
mantisme a rendu les lecteurs plus difficiles, on est moins
enthousiaste de la poésie de Baour. Ponsard parle encore de
« la douceur de son rythme'- »; mais, depuis, on lui trouve
1. Saint-Ferréol, p. XIV.
2. Alinanach des Muses. 1802, p. 273.
3. Esménard dans le Mercure (cf. note 3 de la page précédente).
4. Spectateur du Nord, XVIIl, 363 (juin 1801).
5. Tissot dans le prospectus du Mercure du XIX' siècle, 1823, p. 8.
6. Journal des Déia^s, 26 février 1813; Dussaull, A /irtaies littéraires, IV, 16.
7. Œuvres d'Etienne Jouy, I, 4.
S. La Minerve Française, III, 363 (1818).
9. Tastet, Histoire des quarante fauteuils..., 1844, II, 214.
10. M.-J. Chénier, Tableau..., p. 252.
11. Barbier et DésessarLz,;Youi)ei/e Bibliothèque d'un homme de goût,
p. 270.
12. Ponsard, Discours de réception, p. 245.
Jugements contemporains y3
une « forme souvent rude ' » — la rudesse n'est pourtant
pas son défaut — ; on lui reproche « des réminiscences clas-
siques et le jargon de la poésie impériale » et jusqu'à la sono-
rité des noms ossianiques '. Nous sommes très persuadés
maintenant que Baour n'est pas un vrai poète ; il est cu-
rieux de constater avec quel ensemble on l'a jugé tel pen-
dant une longue suite d'années.
Non seulement Baour est approuvé comme abréviateur et
admiré comme poète, mais l'ensemble de son recueil lui vaut
des félicitations presque unanimes. On ne trouve guère que
la Décade qui soit d'abord hostile. Affaire de parti d'ailleurs,
et de coterie littéraire : dès son arrivée à Paris, Baour eut
l'art de se mettre mal avec le groupe des idéologues, comme
s'il prévoyait que ce parti, quelques années plus tard, serait
en butte à la haine du souverain et aux traits de la réac-
tion bien pensante. Dès la fin de 17tJ8, Ginguené raille
l'apostrophe au soleil et son auteur, « un citoyen Baour-
Lormian qui se croit connu par une assez médiocre traduc-
tion de la Jérusalem délivrée » ; il passe au crible les
vers de « ce poète, si l'on peut lui donner ce nom ^ ». En
1804, à propos de la deuxième édition des Poésies Gal-
liques, ]& Décade, qui fait, comme nous le verrons plus tard,
les plus expresses réserves sur Ossian lui-même, donne au
traducteur des complimants un peu chiches et mesurés. Il
a « fait preuve de goût » en évitant « le néologisme qui
semblait inhérent » au genre. Mais « son talent eût été mieux
employé en s'attachant à un auteur d'une réputation plus
méritée * >>. Egalement intermédiaire est le jugement du
critique qui n'ose citer les vers des Poésies Galliqiies parce
qu'ils ont « quelque chose de trop bizarre. Il faut que le
lecteur s'y accoutume par degrés. » Cependant, dit-il, « ce
recueil manquait à notre littérature, et achève de natura-
liser Ossian ^ ». La plupart des aristarques du temps se
déclarent nettement satisfaits. Vigée proteste contre les
railleries que la Décade avait adressées à V Hymne au Soleil:
1. Zyromski, Lamartine poète lyrique, p. 95.
2. H. Potez, L'Elégie en France avant le Romantisme, p.
3. Décade, XIX, 290 (20 brumaire an VII).
4. Décade, XLI, 347 (30 floréal an XII).
5. Spectateur du Nord, XVIII, 363 (juin 1801).
74 Ossian en France
Baour s'est donné « des torts envers la Décade », mais on
doit reconnaître son talent ' . On estime qu'il « se fraye
une belle carrière... Son Ossian fera oublier ses Satires...
Il vivra pour sa gloire et le charme des gens de goût '. »
De même Boissonade ^ ; de même Auger qui, devant les
traductions de Young et de Hervey que Baour donnait un
peu plus tard, regrettait ses « chants héroïques » auxquels
« le public avait applaudi * ».
Hors du monde de la critique, le succès paraît avoir été
général. Nous en avons une preuve dans les quatre réédi-
tions de l'ouvrage. Nous en avons une autre preuve : on le
trouve fréquemment dans les bibliothèques privées. Dans
631 catalogues postérieurs à 1801, il se présente 23 fois
sur 174 exemplaires d'Ossian et sur 94 Ossians français.
Il est, avec Le Tourneur, celui qu'on a lu le plus. Il est
aujourd'hui beaucoup plus facile à rencontrer que Le Tour-
neur. D'ailleurs, les témoignages sont nombreux qui attes-
tent son succès. Un parodiste d'Ossian salue au passage
« d'Ossian le chantre éloquent '" » Si, dit un poète de la
mélancolie et de la nuit, les vers d'Ossian doivent être « ap-
plaudis par nos derniers neveux » c'est « grâce à Lormian,
honneur de ces rivages^ ». Un autre espère qu'il va devenir
le poète national et populaire qu'attend la France :
Le ciel donnant dans sa clémence
Un nouveau Fingal à la France
Lui devait un autre Ossian '.
L'enthousiaste ne s'aperçoit pas qu'il fait de Baour le fils
de Bonaparte en même temps que son héraut. Un autre
entre dans plus de détails, et après avoir passé en revue
héros et fantômes, vante l'auteur des Poésies GaUiques d'avoir
1. Veillées des Muses, IV, 83(1798).
2. Magasin Encyc opédique, 1801, I, 59.
3. [Boissonade] Journal de l'Empire, 10 septembre 1810, et Boisso-
nade, Crili(iue littéraire, II, 50.
4. Auger, Mélanges jdiilosopliicjues et littéraires, II, 318.
5. Barr6, Radet et Desfontaines, Omazelte, 1806.
6. Mercure, 30 juin 1804 : Lu Mélancolie, fragment, par Ricard Saint-
Hilaire fils.
7. Baour-Lormian, Recueil de Poésies diverses, 1803, p. 119 : Vers à
Baour- Lormian sur son imitation d'Ossian, par Martignac fils.
Influence de Baour-Lormian y5
SU faire résonner « en belliqueux accords » ou « sur la tombe
des morts » la harpe « chère à la Calédonie • ». On fait
mieux que de louer Baour, on le cite dans les anthologies.
UAlmanach des Muses donne en 1804 trois morceaux de
son Ossian ; en 1805, quatre ; en 1806, deux ; en 1810,
encore V Hymne au Soleil. Celui-ci se retrouve, non seule-
ment dans l'article de Boissonade % mais dans trois autres
ouvrages % une fois à côté d'un morceau de Lamartine.
L'apostrophe à la Lune qui ouvre Darthula ligure encore
dans l'anthologie toute récente intitulée Les Poètes de la
Lune, entre des morceaux analogues de Ronsard et de
M. Rostand *.
Autant les témoignages contemporains qui attestent le
succès des Poésies Galliques sont aisés à recueillir, autant
il est difficile de se faire, au moyen de textes précis, une
idée exacte du degré de l'influence qu'a pu exercer Baour-
Lormian. A-t-il fait connaître Ossian à des lecteurs qui
l'ignoraient encore malgré les traductions en prose ? A-t-il
provoqué le frisson ossianique dans des âmes que Le Tour -
neur n'avait pas suffi à émouvoir? Sa poésie a-t-elle exercé
une influence sensible sur la formation de la poésie roman-
tique ? Telles sont, semble- t-il, les trois questions princi-
pales que Ton peut se poser à cet égard. Je préviens le lec-
teur que sur aucune des trois je n'ai pu réussir à me faire
une opinion qui résulte avec évidence des textes que j'ai
pu étudier. Je voudrais qu'un plus heureux ou un plus avisé
trouvât la certitude là où je n'entrevois que des lueurs de
vraisemblance.
Sur le premier point, ce qui rend la réponse difficile, c'est
que les nombreux écrivains qui parlent d'Ossian, qui disent
avoir été plus ou moins touchés de la grâce ossianique, n'in-
diquent presque jamais avec précision à travers quelle tra-
duction la voix du Barde a charmé leur âme. On peut
1. Baour-Lormian, Recueil de Poésies diverses, 1803, p. 121: Au même,
sur ses Poésies Galliques, par le citoyen Lefèvre.
2. [Boissonade] Journal de l'Empire, 10 septembre 1810, et Boissonade,
Critique Littéraire, II, 47.
3. Répertoire de la Littérature ancienne et moderne, 1825, XX, 479 ; B.
Jullien, Poésie française à l'époque impériale, 1844, I, 155 ; Lemonnier,
Nouvelles leçons françaises de littérature et de morale, 1822, p. 19.
•4. Les Poètes de la Lune, p.p. P. Madières, p. 30.
76 Ossian en France
admettre que les diverses éditions de Baour-Lomian ont
élargi le cercle des lecteurs d'Ossian, que déjeunes hommes,
des femmes — à l'époque où les jeunes hommes et les femmes
aimaient et lisaient les vers — ont recherché la petite édi-
tion de 1818 par exemple, plutôt que les in-octavo un peu
sévères de Le Tourneur ; et qu'au total, Baour a gagné
à Ossian bon nombre de lecteurs. Pour le second point, il
est également vraisemblable qu'Ossian mis en vers a fait
découvrir la poésie ossianique à ceux même qui croyaient
par Le Tourneur ou Hill connaître les chants des Bardes ;
riiarmonie aisée, le rythme ample et sonore du vers de Baour
ont pu donner pour la première fois toute leur valeur poé-
tique à des thèmes devant lesquels certains lecteurs étaient
passés indifférents. Je n'ai pas rencontré de témoignage
ainsi conçu : J'avais lu l'Ossia?i de Le Tourneur et je croyais
connaître les chants du Barde ; le recueil de Baour-Lor-
mian me les a fait sentir pour la première fois. Mais il est
possible que cela soit arrivé à plus d'un : simple hypothèse,
qui ne figure ici que pour mémoire.
Quant à l'influence possible de Baour sur la poésie ro-
mantique, il ne peut être question de sa versification, pure-
ment traditionnelle, et qui lui valait, nous l'avons vu, les
chaudes félicitations des gardiens de l'arche classique. Ses
images, ses expressions, son matériel poétique n'ont pu être
de quelque utilité qu'aux plus timides, et encore à l'époque
de leurs débuts. Soumet, Guiraud, le Vigny des Poèmes,
le Victor Hugo des premières Odes, le Lamartine même
des Méditatioîis lui doivent-ils quelque chose ? C'est pos-
sible. Peut-être Lamartine a-t-il puisé dans ses Rêveries
l'inspiration mélancolique de Young et de Hervey.On a dit
que parmi les premiers romantiques Vigny avait été sur-
tout tributaire de Baour-Lormian. C'est douteux. Pour
l'ensemble de l'influence des Poésies Galliques sur les poètes
de cette époque, nous avons heureusement le précieux té-
moignage de Sainte-Beuve '. Rigault avait dit de Baour
qu'il avait été par son Ossian « le parrain de toute une gé-
nération ». Sainte-Beuve proteste. Lui qui appartient à cette
génération même dont parle le critique, il peut mesurer
1. Nouveaux Lundis, 1, 265.
Influence de Baour-Lormian "]"]
Thyperbole. Non, à partir de 1825 au plus tard, il ne semble
pas que les poètes aillent rien prendre chez Baour-Lormian.
Non seulement les principaux d'entre eux se sont brouillés,
à la suite de sa campagne anti-romantique, avec Thomme
qui les avait parfois reçus à sa table au temps de leurs
débuts incertains ' ; mais le poète n'a plus rien qui puisse
encore leur plaire. Ceux à qui Ossian continue de parler
un langage qu'ils aiment le liront dans n'importe quelle
traduction ; mais celle-là relève d'une poétique trop contraire
à la leur pour ajouter rien au charme du Barde. Ils aime-
ront Ossian malgré Baour-Lormian, et non à cause de lui.
1. A. de Vigny, Journal d'un Poète (4 février 1842).
CHAPITRE III
Traductions diverses, imitations et romances
I. Deux traductions réimprimées : les Variétés Littéraires de 1804 ; l'Os-
sian français complet de 1810. — Labaume et ses poèmes irlandais
(1796-1803). Origine et caractère de ces morceaux.
II. Traductions partielles en vers: D'Arbaud-Jouques, traducteur d"Os-
sian d'après Gesarotti (1801). Ses sentiments ossianiques. Valeur de
son travail. Son style. Appréciations de la critique.
III. Miger et ses deux poèmes traduits d'Ossian (1797-1804). Ses idées.
Son langage. Le lieu commun lyrique. Le style. Ossian intermédiaire
entre le classique et le romantique.
IV. Autres traductions partielles en vers : Taillasson (1802). Lebrun des
Charmettes (1S05). Le général Despinoy (1801). Imitations qui sont
des traductions libres : Glavareau, Goupigny, Masse, Monperlier et
divers (1802-1813).
V. Le genre ossianique et Vimitation libre. Théorie du genre : Victoria
Fabre et Kdmond Géraud. Les résultats : poèmes et chants ossia-
niques de Fabre, Arnault, Dorion, Géraud, VioUet-le-Duc et quelques
autres (1801-1813).
VI. La romance ossianique. La harpe du Barde et celles de Pleyel. Baour-
Lormian mis en musique. Nombreuses romances bardes ou galUques
(1801-1814).
Avant d'entrer dans l'étude des traductions diverses qui
se multiplient pendant cette période du Consulat et de
TEmpire, il convient de rappeler tout d'abord deux réim-
pressions importantes, celle des fraj^ments d'Ossian tra-
duits par Suard et celle de la traduction de Le Tourneur
complétée par Hill. En 180't paraissait une seconde édition
des Variélés Littéraires de 17()8, à laquelle la mode ossia-
L'Ossian complet de 1810 79
nique n'était peut-être pas étrang-ère '. « M. Suard, disait
V Avertissement, arewu avec soin les morceaux qui lui appar-
tiennent, et y a fait des corrections et même quelques
additions. » Parmi ces morceaux figuraient, on s'en sou-
vient, douze poèmes, fragments, ou analyses de poèmes,
sans compter la Lettre de Turgot et le résumé des Obser-
vations de Blair : tous, anonymes en 1768, reparaissaient
signés de Suard en 1804. Quant aux « corrections » et aux
« additions », elles sont, il faut l'avouer, peu visibles, si
même ces mots s'appliquent aux morceaux ossianiques.
Beaucoup plus important dans l'histoire de l'ossianisme
français est le nouvel Ossian qui parut chez Dentu en 1810 '.
Nouveau, il ne l'était à vrai dire que par l'Avertissement
qui disait le but et le contenu de 1 ouvrage, par la Notice de
Ginguené sur la question ossianique, que nous étudierons
plus loin, et surtout parce qu'il offrait pour la première
fois, et d'une manière commode, V Ossian de Le Tourneur et
celui de Hill — c'est-à-dire l'œuvre de Macpherson et celle
de Smith — intimement soudés de façon à former un
Ossian français homogène et complet. Les préfaces, les notes
de chacun des deux traducteurs étaient reproduites, sauf
quelques coupures dans V Avertissement de Hill. Mais les
deux séries de poèmes étaient habilement mélangées, de
sorte qu'il était impossible de savoir par cette publication
seule ce qui était du premier traducteur et ce qui était du
second. Le tome I contient 16 poèmes (10 de Macpherson
et 6 de Smith) ; le tome II, 23 poèmes (15 de Macpherson
et 8 de Smith) ; soit en tout 39 poèmes et un total de
974 pages d'Ossian. L'éditeur affirme que cette traduction
a été revue et constitue un progrès même sur Tédition de
l'an VII, qui sortait également de ses presses. Il serait fas-
tidieux de contrôler de près cette assertion ; qu'il me suf-
fise de dire que ces améliorations me paraissent se réduire
à bien peu de chose. Un frontispice oifre le portrait d'Os-
1. Variétés Littéraires, ou Recueil de pièces tant originales que tra-
duites, concernant la philosophie, la littérature et les arts. Nouvelle édi-
tion corrigée et augmentée. Paris, Déterville, an XIl-1804, 4 vol. in-8.
2. Ossian, barde du 111° siècle, Poésies Gfilliques, iraduiles par Le Tour-
neur ; nouvelle édition, augmentée des Poèmes d'Ossian et de quelques
autres bardes, etc.. Paris, Dentu, 1810, 2 vol. in-8 de 3S-XLV111-429 et
553 p.
8o Ossian en France
sian « d'après le tableau que l'on suppose esquissé par Run-
ciman, ancien peintre écossais ». 11 est moins âgé qu'on ne le
représente d'ordinaire, et porte une cuirasse assez moderne.
Quatre autres gravures par Tardieu aîné ornent les deux
volumes ; elles sont médiocres. Les héros ossianiques y
paraissent uniformément revêtus d'armures complètes de
plates. Le lecteur était invité, en les regardant, à rappro-
cher davantage encore ces poèmes des romans de chevale-
rie qui avaient la vogue.
L'édition Dentu, publiée en pleine mode ossianique, était
une adroite et légitime entreprise de librairie : elle offrait
un grand intérêt et répondait à un réel besoin. Je rencontre
peu d'indices d'influence particulière de cette édition; cepen-
dant, toutes les fois qu'un imitateur puise inditTéremment
dans le fonds de Macpherson et dans celui de Smith, on
peut admettre qu'il pratique l'Oasia?} de 1810. Dans 630 ca-
talogues postérieurs à cette date, je l'ai rencontrée quatorze
fois, un peu moins souvent que celle de 1777.
Mais venons aux interprétations vraiment nouvelles.
Baour-Lormian n'est pas, même à l'époque du Consulat, le
seul traducteur qui ait cherché à faire mieux connaître
Ossian. Ce n'est même pas le plus autorisé. Il versifiait par-
tiellement la prose de Le Tourneur ; d'autres se servaient
d'autres traductions, ou même, puisant à des sources assez
éloignées de la Calédonie de Macpherson. donnaient d'Os-
sian une autre idée et le peignaient sous d'autres couleurs.
Commençons par ce dernier genre, d'autant plus intéressant
que le cas est isolé dans l'histoire de l'ossianisme français.
Griffet-Labaume était, on s'en souvient, l'un des deux
tarducteurs qui signaient Hill. Pendant que son collabora-
teur, David de Saint-Georges, en restait à John Smith et à
son Ossian de fantaisie, pendant qu'il demeurait inébranla-
ble dans sa foi complaisante à la Calédonie mj'^thique de
Macpherson et des Ossianides, au point qu'il devait bien
plus tard citer les Gaiic Antiquities de Smith comme un
texte vénérable ; Labaume, plus curieux et plus hardi, faisait
une petite découverte et en tirait aussitôt parti. 11 décou-
vrait le recueil de Miss Brooke et y trouvait la traduction
du poème irlandais La Chasse. Il le mettait en français,
probablement en 1793, entre la première et la deuxième
Les Poèmes irlandais de Labaume 81
édition de VOssian qu'il publiait avec David de Saint-Geor-
ges. Plus tôt, il l'aurait inséré dans l'édition de 1795. En
tout cas, le Magasin Enajclopédique donnait ce poème au
commencement de 1796*, et le donnait comme devant être
incorporé au recueil : « La Chasse de Fitigal^ poème erse,
tiré de la nouvelle édition actuellement sous presse des
Poèmes d'Ossian et de quelques autres bardes^ pour faire
suite à rOssian de Le Tourneur. » Le morceau compte
14 pages de texte, accompagnées de 4 pages de notes. Il
est signé Z. Cette initiale désigne probablement Labaume
seul, nous le verrons tout à l'heure. Il ne se trouve pas
dans la deuxième édition de Hill, en dépit de la promesse
que nous venons de voir. Pourquoi ? Sans doute parce que,
au lieu d'une véritable réédition, le libraire s'est borné à une
réimpression pure et simple :1a place était prise, et la Chasse
de Fingal est restée à la porte.
En tout cas, le poème est fort curieux, et touche infini-
ment plus à la légende ossianique authentique que rien de
ce qui avait été publié en France sous le nom d'Ossian. Il
appartient à ce groupe de poèmes ou ballades qui repré-
sentent Ossian ou Caoilte discutant avec Patrick, l'apôtre de
rirlande, en face de qui ils incarnent le paganisme expirant
et refusant de rendre les armes au christianisme vainqueur.
Ces poésies irlandaises sont fort anciennes ; celle-ci est
importante à tous égards, porte un caractère poétique très
marqué, et Miss Brooke avait été bien inspirée en la fai-
sant figurer dans son recueil.
Comme ce poème n'a jamais été compris dans le corpus
ossianique que j'ai résumé dans V Introduction de cet ou-
vrage, et que même les seules traductions françaises qu'on
en puisse lire sont celle de la Revue de Millin et celle qu'en
devait donner plus tard 0' Sullivan dans son h'Iande, je
crois utile d'en présenter une brève analyse. Ossian demande
à Patrice s'il connaît l'histoire merveilleuse de la Chasse de
Fingal. Patrice répond que non, et lui demande de la lui
faire connaître. Ossian va la raconter ; mais, avant de com-
mencer son récit, il évoque le souvenir des anciens temps
de Fingal, et de ces héros disparus, tous si loyaux etsi vail-
1. Magasin Encyclopédique, 1796, 11,338-355.
TOME II 6
82 Ossian en France
lants. Patrice l'interrompt pour lui prêcher la résignation ;
mais Ossian veut avoir le droit de regretter ce passé bril-
lant. Patrice lui vante la puissance de son Dieu. Ossian a
plus d'admiration pour celle de Fingal. Que faisait le Dieu
de Patrice pendant telle ou telle bataille? Mais, lui dit Pa-
trice, tous ces héros païens sont maintenant en enfer. Et
pourquoi ? i^éplique Ossian ; Fingal fut juste et bon. Patrice
alors le ramène à l'histoire qu'il se proposait de conter. Fin-
gal était allé à la chasse d'une biche ; il perd sa trace et
rencontre une jeune fille éplorée. Elle lui confie que son
anneau précieux est tombé dans le lac. Fingal, pour le lui
rendre, plonge cinq fois, et ressort de l'eau magiquement
vieilli. Cependant les siens se préoccupent de son absence :
Caoilte s'inquiète ; Connan, fils de Morni, se réjouit de la
disparition de Fingal, à qui il espère succéder. On va à sa
recherche ; on ne trouve qu'un vieillard cassé, et qui dit à
Caoilte qu'il est Fingal. Connan maudit ce retour intem-
pestif ; mais, malgré ses menaces, il est réduit au respect
par Caoilte et Oscar. Caoilte interroge Fingal, qui raconte
son aventure ; on retrouve la jeune lille mystérieuse, qui
parmi breuvage lui rend la jeunesse. Et telle est l'histoire
de la chasse merveilleuse de Fingal.
Il y a là trois éléments à distinguer. Au début, un type
accompli de ces Entretiens des Vieillards où. se plaît la poé-
sie irlandaise du moyen âge. Puis, introduite par cet entre-
tien, une histoire merveilleuse où la magie joue le princi-
pal rôle, et où l'anneau perdu rappelle un peu celui de
Mélisande. Enfin, dans la forme que le traducteur français
donne à ce conte, se marque l'esprit du xviii® siècle, en hos-
tilité contre le christianisme. Ces païens aussi vertueux
que les clercs de Patrice, ce « Dieu jaloux », ces « livres
obscurs », cette « lourde croix», ces « cloches importunes»,
reflètent l'opinion de l'adaptateur et celle de Millin qui
accueille son travail dans sa Revue. Nous sommes à l'anti-
pode du Génie du Christianisme. C'est peut-être la der-
nière fois qu'Ossian est employé contre la religion.
Les notes qui accompagnent le poème sont d'une anm-
sante précision. On est bien aise de savoir par elles que
l'on montre encore en Ecosse ou en Irlande le tombeau de
Comhal, père de Fingal, et la caverne de la magicienne, où
Les Poèmes irlandais de Labaume 83
l'on a trouvé des ossements. Mais surtout on est ravi d'ap-
prendre que ce grand Fingal « avait l'habitude de ronger
son pouce afin de recueillir en lui-même des notions pro-
phétiques ».
Labaume ne devait pas s'en tenir à ce coup d'essai : il
continua de donner des traductions de poèmes irlandais,
en concurrence ouverte avec YOssian de Macpherson, ossia-
niques au sens véritable et authentique du mot, mais non
de cet ossianisme que la France connaissait et goûtait de-
puis une quarantaine d'années, et qui à cette heure même
triomphait dans la poésie, au théâtre et dans la peinture.
Labaume était depuis quelques années un des fournisseurs
réguliers de la Décade. En 1803, il donne à cette Revue la
Chasse de Fingal, mais sous le titre ; La Prière d'Ossian,
ancien poème irlandais '. Cette traduction, qui suit par sa
disposition matérielle les strophes anglaises, reproduit pure-
ment et simplement la première partie de la Citasse, celle
où le Barde et le Saint opposent rudement leurs deux con-
ceptions de la vie et de la gloire. Ainsi reparaissaient à
quelques années d'intervalle, dans ces deux périodiques
importants, les fières protestations du vieil Ossian contre
l'intolérance chrétienne et la damnation des Gentils. Mais
si Labaume ne fait qu'un avec Z, comme c'est extrêmement
probable, il ne le cite pourtant pas; une note explique briè-
vement la légende de Patrick et d'Ossian, mais ne fait aucune
allusion à la Chasse de Fingal, qui pourtant est l'ensemble
auquel appartient ce que le traducteur appelle assez bizar-
rement la Prière d'Ossian.
Quelques décades auparavant, le même recueil avait pu-
blié, également sous la signature de Labaume, Usnolh,
ancien poème irlandais '. On sait que cet Usnoth était le
père des trois héros qui vont délivrer Dar-thula dans le
poème de ce nom. Mais le sujet du poème de Labaume n'est
pas celui du légendaire Meurtre des fils d'Usnoth, si souvent
répété dans le cycle ossianique irlandais ; c'est à peu près
celui de Carthon. Cuchullin combat, sans le savoir, son fds
Usnoth et le tue. Ossian n'est pas nommé, et le sommaire
1. Décade, XXXVII, 362 (30 floréal an XI).
2. Ib., XXXVII, 41 (10 germinal an XI).
8+ Osiian en France
du poème ne fait aucune allusion au Barde ni à ses chants.
Au reste, en attribuant au x' siècle le poème qu'il traduit,
Labaume l'écarté nettement de l'Ossian macphersonien.
L'Ecosse s'y appelle Albanie, nom que reprennent quelques
celtisants modernes. Cependant plusieurs détails font pen-
ser à VOssia?! de Macpherson, et permettaient aux abonnés
de la Décade de se retrouver en pays de connaissance.
D'abord le sujet, puis les noms d'Usnoth et de Cuchullin,
enfin et surtout cette lamentation de Cuchullin qui conclut
le poème, et qui est si semblable aux lamentations mélan-
coliques qui terminent fréquemment les poèmes de Mac-
pherson.
Le troisième morceau de ce genre, donné la même année
par Labaume, rappelait beaucoup plus que les deux précé-
dents VOssian macphersonien. Il s'intitulait Sitric et Bi-
biofia,pot'?}2e erse '. Ici, erse veut dire nettement irlandais.
L'action est située au ix° siècle. Une malédiction lancée sur
le roi rappelle singulièrement le Barde de Gray. Mais on y
retrouvait, avec l'Esprit de Loda, d'autres noms bien connus
des lecteurs d'Ossian, Lochlin, Innisfail. On y retrouvait
un des thèmes les plus familiers à Ossian, un enlèvement
suivi de la mort de l'héroïne. On y retrouvait surtout une
couleur très ossianique, et un début pareil à ceux du Barde :
Histoires des temps anciens, vous inondez mes pensées. Le
souvenir du passé est agréable, mais il amène avec lui la tris-
tesse.
Actions des héros, vous passez en revue devant moi et je vous
reproduis dans mes chants.
Quelle voix frappe mon oreille assourdie par Tàge? C'est la
voix de Morlina qui gémit.
N'était l'allusion à une surdité naissante qui viendrait
fâcheusement s'ajouter à la cécité du Barde, on croirait lire
de rOssian. Labaume fournissait là, sans le faire exprès
certainement, et sans même s'en douter, le plus fort argu-
ment en faveur de l'authenticité essentielle de \ Ossian
macphersonien : il puisait à des sources toutes différentes,
il essayait de présenter une sorte de concurrence, et il offrait
1. Décade, XXXVIII, 170 (30 messidor an XI).
D'Arbaud-Jouques 85
les mêmes thèmes et le même style, avec infiniment plus
de faiblesse et de banalité d'ailleurs ; car sa prose est plate
et sans art, et il serait peu intéressant d'en citer davan-
tage.
II
Les traducteurs se multiplient autour de Baour-Lormian ;
quelques-uns même l'ont précédé. Il n'est que celui de tous
qui a eu le plus de persévérance et le plus de succès. Entre
1801 et 1805, c'est un véritable concours poétique : la mode
ossianique est au plus haut point de faveur, et chacun tend
sa voile au vent favorable qui, s'il ne fait pas eau et s'il ne
heurte pas un récif, pourra le conduire au succès et peut-
être à la gloire. D'Arbaud-Jouques extrait d'Ossian plu-
sieurs morceaux un peu au hasard ; Miger traduit Carthon
et Les Chants de Selma ; Taillasson, Les Chants de Selma;
P. -A. Lebrun, Les Chants de Selma et 0?//io/ia;Despinoy,le
Catheluina de Smith. Nombreux et médiocres, ces versifica-
teurs nous montreront comment on comprend Ossian de leur
temps, et ce que la poésie française peut attendre de lui.
Entendue comme ils l'entendent, leur tâche ne présente
pas grande difficulté, et n'est pas si « hasardeuse » que cer-
tains le disent *. Le vers français recouvre d'une pâte fluide
et molle le texte de Le Tourneur, qui adoucissait déjà sin-
gulièrement les aspérités de l'original. Il est si facile de faire
rimer Fingal à égal^ Armin à main ! Malvina et Sulmala
ont tant de rimes toutes prêtes ! Alexandrins ou vers libres,
la poésie française, celle qu'ils pratiquent, est si indulgente
à toutes les faiblesses ! Qui disait que la langue française
n'est pas poétique ? Voici qu'elle se découvre des ressources
infinies pour versifier Ossian. Gesarotti, vieux et célèbre,
écrivait sous l'Empire à un littérateur français dont ceux
qui reproduisent sa lettre n'ont pu déterminer le nom, pour
le remercier de lui avoir envoyé des poésies ossianiques. Il
admire surtout le mérite du Français qui transporte Ossian
dans sa langue. Il dit, assez bizarrement, que « Boileau lui-
1. Publiciste, 22 thermidor an IX.
86 Ossian en France
même, en travaillant sur Ossian » l'aurait « trouvé rebelle» ;
si du moins je comprends sa phrase que son inexpérience
du français rend fort peu claire. Boileau traduisant Ossian I
l'idée seule nous fait sourire. « Un auteur italien dans un
tel travail avait bien plus de facilité '.» C'est trop de modes-
tie au père vénéré de l'ossianisme italien : le Barde n'est
pas malaisé à mettre en français, et en voici la preuve.
Le marquis Joseph-Charles-André d'Arbaud-Jouques est,
après Baour-Lormian, le moins incomplet des interprètes
en vers d'Ossian. La carrière poétique de ce Méridional,
plus tard préfet des Bouches-du-Rhùne, paraît avoir été
fort courte, car on ne connaît pas de lui d'autres ouvrages
en vers que son petit Ossian ; et ses contributions aux re-
cueils contemporains sont fort rares. Il est l'auteur de Fables
toutes classiques et d'un Lever du Soleil qui se ressent
peut-être du commerce de l'auteur avec Ossian. Ce qui dis-
tingue ces traductions partielles, c'est qu'elles ont été faites,
nous dit-on % d'après la traduction déjà en vers de Cesarotti ;
et nous nous en apercevons d'ailleurs dès le titre : ancien
poHe celte, y lisons-nous ; c'est en ces termes que Cesa-
rotti présentait le Barde aux lecteurs italiens. C'est donc
une version française de la version italienne de la version
anglaise d'un texte gaélique imaginaire. Après ce tour d'Eu-
rope, il faudra nous montrer indulgents.
Son travail ' comprend dix morceaux et un peu plus de
LOOO vers ; mais il faut déduire les imitations, et qui se
donnent pour telles, que nous retrouverons avec leurs sœurs
dans une autre section de ce chapitre. Reste une Invocation
d'Ossian à sa harpe, tirée du début du Manos de Smith ;
Ossian et Oscar, dialogue pris au chant IV de Fingal ;
Carthon ;Fainasille, épisode tiré du chant III de Fingal; une
Invocation d'Ossian à la lune qui est le début de Dar-
thula ; au total, 088 vers. Ce sont en général des alexan-
drins à rimes variées, sauf quelques morceaux lyriques en
vers plus courts.
On doit se demander dans quel rapport d'Arbaud-Jouques
1. Mercure Etranger, i^\Z, II, ÏS5: Lettre inédite de Cesarotli à M...
2. Spectateur du Nord,XyiU, 368.
3.Ch.d Arbaud-Jouques, Traductions et imitations de quelques poésies
d'Ossian, ancien poète celle, 1801, in-8.
D'Arbaud-Jouques 87
se trouve à l'égard de Baour-Lormian. Lorsqu'il vise dans
sa Préface certaines « imitations des poèmes »,dont l'au-
teur s'est cru obligé « d'élaguer, presque partout, une foule
de détails précieux, qui seuls peuvent faire connaître Os-
siau », qui l'ont « embelli avec beaucoup de goût », mais
qui l'ont « plus souvent encore réduit à une simple ana-
lyse » ; il ne peut, par -ces expressions, faire allusion qu'au
recueil de Baour-Lormian, ou tout au moins aux morceaux
détachés qui avaient paru ici et là pour préparer l'opinion.
Il vise en elfet un auteur unique ; il ne peut donc pas être
question des imitations dispersées sous le Directoire, et il
ne s'agit pas non plus des travaux de Miger, de P. -A. Le-
brun, qui sont postérieurs. D'Arbaud-Jouques a donc connu
Baour-Lormian, et ne l'a pas goûté, ce qui n'a rien d'éton-
nant: àoiBb; ào'.Bw. Il n'en a pas moins travaillé à sa grande
traduction presque complète, et qu'il avait l'intention de
publier un jour. Mais d'Arbaud ne donna pas suite à cette
idée, et fît bien, car il n'était pas de force ; de la grande
traduction commencée il ne reste que ces quelques pages.
Il est curieux de voir d'Arbaud commencer par remarquer
le succès d'Ossian à l'étranger, et par taxer les Français de
froideur à son égard. C'est une note qui d'abord surprend,
mais que l'on entend souvent parmi les ossianistes étran-
gers. La France, malgré Le Tourneur, ne connaît pas Os-
sian ; c'est qu'elle n'a pas eu un Cesarotti, un Denis, pouj
populariser le Barde en le traduisant en vers. C'est la tâche
que s'impose d'Arbaud ;
Les poésies d'Ossian ont excité un enthousiasme universel en
Allemag-ne et en Italie... Pourquoi donc Ossian est-il si peu
estimé en France? C'est qu'il n'y est pas encore assez connu. A
force de chercher la route, quelqu'un la trouvera. J'ai été du
nombre de ceux qui l'ont cherchée.
Il sera plus sincère, plus exact que son rival « qu'onpeut
lire avec la plus grande attention, sans connaître beaucoup
le caractère de son modèle ».
Généralement les traducteurs en vers sont trop occupés d'eux-
mêmes. Je le répète, pour faire aimer Ossian il ne faut que le
faire connaître : c'est là surtout ce que je cherche.
88 Ossian en France
Ce n'est donc pas la foi, ni l'enthousiasme qui manquent
à d'Arbaud, plus intéressant à cet égard que le prudent
Baour. Il est sincère quand il salue « le génie extraordi-
naire » dont la poésie est « originale dans les descriptions,
touchante dans les sentiments, et pure dans la morale ».
Ce n'est pas la sincérité qui lui manque, c'est la fidélité
vraie, et c'est le talent.
On est frappé en le lisant de la figure étrange que prennent
les noms propres ossianiques. Le Tourneur en avait modifié
quelques-uns, et Baour se permettait d'adoucir encore cer-
tains noms qu'il trouvait dans Le Tourneur, et même de les
changer. Mais d'où viennent les Roiha)nire, les Cathille, les
Barclute de d'Arbaud ? La réponse est aisée : ils viennent
de Cesarotti. Le poète italien s'était cru autorisé par le dé-
licat génie de sa langue à abréger ou à assouplir quantité
de noms calédoniens ; d'Arbaud le suit sans hésitation, et
emploie exactement les mêmes formes. Il a des infidélités
plus choquantes : il met dans Morven des zéphirs, des or-
meaux et des i'oses ; il nomme les Romains par leur nom,
et parle de leurs aigles, comme des portiques de Selma. Il
remplace la fin de l'Hymne au Soleil de Carthoti par le dé-
veloppement d'un vague lieu commun philosophique : Quel
est l'homme qui pourrait se plaindre de mourir, si le soleil
lui même doit disparaître ?
Surtout il abrège un peu trop son modèle, qui est, répé-
tons-le, non pas Macpherson ni même Le Tourneur,mais Ce-
sarotti. L'italien rendait l'anglais avec une précision poétique
et souvent heureuse, remplacée ici par des à peu près et par
une platitude vague et banale. La description que voici,
claire et pittoresque en italien, devient obscure et incohérente
en français ;
Malvina,vedi tu quelPalta rupe
Che al cielo innalza la pietrosa fronte ?
Tre pini antichi cogli annosl rami
Vi pendon sopra, ed al suo piè verdeg-gia
Pianura angusta ; ivi germoglia il fiore
Délia montagna, e vascotendo al vento
Candida chioma ; ivi soletto stassi
L'ispido carde ;due muscose piètre
Mczzo ascoste sollcrra, ai ri-iuardanti
D'Arbaud-Jouques 89
Segnan quel luof^o; dall'alpestre balzo
Bieco il sog^uarda ilcavriolo,e fug-ge
Tutto tremante, che nell'aere ei scorge
La pallid'ombra ch'ivi a guardia sede '.
Regarde, JMalvina, cette roche fameuse
Qui porte dans les cieux sa tête nébuleuse.
Battus des vents, trois pins, sur le penchant du mont,
Entrelaçant leurs bras, ne présentent qu'un front.
Sur un étroit plateau, qu'abrite leur ombrage,
Est un tertre couvert par une herbe sauvage.
Le cerf au pied léger y passe quelquefois,
Le regarde, et tremblant s'enfuit au fond des bois.
C'était un joli tableau, et ce n'est plus qu'un résumé in-
forme.
Enfin c'est le talent qui manque. Cette traduction de C«r-
thon est la plus mauvaise que j'aie lue, et ce n'est pas peu
dire. Les vers sont mal rimes et pleins de chevilles. La cou-
leur ossianique se noie dans un vague jargon pseudo-clas-
sique :
Dis-lui que devenu l'habitant d'un nuage.
Les vents me porteront sur le même rivage
Qui tant de fois, hélas ! témoin de mon bonheur,
Contre mon cœur ému m'a vu presser son cœur.
Fingal tient à Oscar le langage d'un homme qui a appris
par cœur Athalie au collège :
Descendant de Tremmor, imite tes aïeux :
Comme eux, sois invincible, et généreux comme eux...
Que toujours ta valeur écoute la justice ;
Que le faible chez toi trouve son protecteur,
L'opprimé son soutien, l'orphelin son tuteur.
Nous pouvons supposer que la diffusion de VOssian de
d'Arbaud-Jouques a été faible, car on ne trouve l'ouvrage
qu'une fois dans G30 bibliothèques ; et les articles de la
1. Poésie di Ossian... trasportate in verso italiano daH'abate Melchior
Gesarotti, Bassano, 1795, 3 vol. in-12. T. II, p. 58 : Cartone (début). Je
cite cette édition parce que c'est probablement celle dont se servait
d'Arbaud-Jouques.
9° Ossian en France
presse sont rares. Un critique très bienveillant enregistre
et approuve la profession de foi du traducteur, loue sa
modestie, le félicite de sa traduction « très fidèle », qui
« garde ce caractère de solennité et quelquefois même
d'âpreté qui distingue les chants du fils de Fingal ' ».Suit
une théorie de V imitât ion qui \a.ut d'être citée : on en pèsera
les termes, qui sont empruntés à la pure doctrine classique
du goût unique et absolu ;
Le traducteur suit son guide, tant que son guide marche dans
la bonne voie ; s'égare-t-il? l'imitateur poursuit la route que le
traducteur est forcé d'abandonner avec son guide. On sent
qu'alors c'est un devoir pour le traducteur de cesser de l'être,
et de remplacer, par des beautés empruntées du génie de son
auteur, les erreurs passagères qui lui sont échappées. Ainsi en
ont usé Pope, l'abbé Cesarotti, et l'abbé Delille.
Jamais la doctrine de la traduction infidèle ne s'est affir-
mée plus audacieusement. Et ce critique délicat, qui reproche
à d'Arbaud ses inversions « plus italiennes que françaises »
et ses chevilles, lui décerne au total beaucoup trop d'éloges.
D'autres encore recommandent ces vers qui plairont « par
leur couleur sombre, et ce charme secret qu'inspire la rê-
verie * ». Par contre, le Pitbliciste ', en rendant hom-
mage à ces vers « souvent nobles et expressifs, presque
toujours harmonieux et faciles », estime que le traducteur
« s'écarte trop de son modèle», et qu'en somme « il n'a pas
toujours réussi ». Mais la plus importante appréciation de
ce nouvel Ossian français se trouve dans l'article d'Esmé-
nard que donne le Mercure \ Bien informé et conscien-
cieux, le critique institue un parallèle en règle entre Cesa-
rotti, dans lequel il voit avec raison le véritable original de
d'Arbaud-Jouques, Baour-Lormian, qu'il soupçonne à tort
1. Spectateur dn Nord, XVIII, 364 (juin 1801) ; article donné comme
« extrait des journaux français » ; je n'ai pu découvrir dans quel journal
il avait paru.
2. Barbier et Désessartz, :Vo(/t'ei/e Bibliothèque d'un homme de goût,
1808, p. 271.
3. Puhliciste, 22 thermidor an IX.
i. Mercure, 1802, IV, 407 (prairial an IX) ; reproduit dans le Mercure
du 21 octobre 1809.
Mi
gei
d'avoir puisé également dans la version italienne, et le nou-
veau traducteur. Puis il conclut : d'Arbaud « en visant à la
force et à la précision, a détruit Tharmonie et Teffet ». Illui
conseille de ne pas continuer dans le g-enre ossianique, et
d'apprendre à mieux écrire en vers. Nous verrons qu'Esmé-
nard est un critique sévère du genre ossianique et de l'imi-
tation du Nord.
III
Baour-Lormian avait traduit Les Chants de Se/ma, si
d'Arbaud-Jouques les avait laissés de côté. Son succès ne
découragea pas les littérateurs qui aimaient à exercer sur
Ossian leurs talents. Les Chants de Selina deviennent un
peu après 1800 le thème d'un véritable concours poétique.
Certaines de ces traductions étaient commencées ou déjà en
portefeuille avant l'apparition de Y Ossian de Baour-Lormian ;
d'autres écrivains se sont mis à l'œuvre après lui pour essayer,
sinon de faire mieux, du moins de faire autrement.
C'est probablement dès 1796 que Miger avait traduit en
vers Les Chants de Selina, car le Journal des Muses, en insé-
rant ce poème, avertit que « cette imitation a été lue à la
Société des Sciences, Lettres et Arts, avant que celle de
M. J. Chénier parût ' ». Or la première édition de Chénier
est de 1797. Si Miger l'a devancé, il a devancé à plus forte
raison Baour-Lormian. Le poème ^ dut paraître en librairie
dans la première moitié de 1797, d'après les annonces du
même périodique. Ce « littérateur jeune et modeste » atten-
dit plusieurs années avant de donner une suite à ce premier
essai ossianique. Il faisait paraître en juin 1804 Carthon et
Clessamor ^ ; et les deux poèmes se retrouvaient beaucoup
plus tard dans ses Souvenirs d'un Barde *.
Miger, homme instruit et laborieux, faiseur d'index et
éditeur, représente d'ailleurs la moyenne des poétereaux de
son temps : dans les poésies diverses qui voisinent avec
1. Journal des Muses, llï, 113 (1797).
2. P -A. -M. Miger, Les Chants de Selma, 1798.
3. P. -A. -M. Miger, Carlhon et Clessamor, poème imité d'Ossian, 1804.
-i. [Miger] Les Souvenirs d'un Barde, 1821.
9a
Ossian en France
Ossian dans ses Souvenirs d'un Barde, il est galant, mytho-
logique, anacréontique. Rien de rêveur, de passionné, de
coloré dans cette poésie où rien n'annonce l'avenir. Quand
de tels hommes de lettres traduisent Ossian, on peut être sûr
qu'ils l'ont choisi uniquement comme exercice de versifica-
tion, comme nouveau, moins banal que Gessner ou Young,
plus facile que le Tasse ou Milton; admirable matière à
mettre en vers classiques, rien de plus.
Lorsqu'il s'agit de le goûter d'une manière purement pas-
sive et de le juger en prose, c'est tout différent. Miger appré-
cie cette poésie, dont les caractères sont la tendresse et la
sublimité ;
Elle ne respire rien de gai ni de léger; il y règne partout un
air grave et sérieux qui ne se dément jamais... Sa poésie est
véritablement la poésie du cœur... Ossian est le génie delà nature
sauvage ; ses poèmes ressemblent aux bois sacrés des anciens
Celtes ses compatriotes: ils respirent l'horreur, mais on y sent
à chaque pas la Divinité qui les habite '.
Cette sauvagerie que l'auteur paraît si bien sentir, et qu'il
oppose à l'art raffiné de Virgile, du Tasse, de Voltaire, aurait
dû infuser un sang nouveau à toute cette poésie anémiée de
l'Empire ; elle ne l'a pas fait.
Bien que Miger donne à ses Chants de Sehna le titre
modeste à'imitation, c'est en somme une traduction, et pas
plus infidèle que d'autres. Son Carthon et Clessamor avertit
dès le titre qu'il en use ici plus librement. Le centre du poème
reproduit le récit de Clessamor dans le poème de Carthon,
puis la suite de l'action jusqu'au moment où le père et le
fils se regardent longuement avant d'engager le suprême
combat. De la sorte, le poème, qui compte 408 vers, reste
inachevé, et le plus dramatique manque, justement ce qui
manque dans le Hildehrandslied que certes Miger n'a pas
connu. Mais par contre, avant de commencer son récit, l'imi-
tateur français place un couplet philosophique qui est em-
prunté au début du chant III de Cath-Loda :
i. Les Souvenirs d'un Barde, Avant-Propos, p. VI-VII.
Miger çS
Où s'arrête et d'où part la source des années?
Dans quel abîme obscur, l'une à l'autre enchaînées,
Sans espoir de retour, vont-elles s'engloutir?
Le brave qui n'est plus n'a-t-il point d'avenir ?
Aussitôt après, c'est rinvocation à la harpe, prise au début
du Manos de Smith; puis vient révocation de Fingal, qui, je
crois, est, sous cette forme, de l'invention de Mig-er. On se
permettait alors des remaniements que nous jugerions inad-
missibles; nos traducteurs préfèrent supprimer, ce qui n'est
pas moins grave, et ce qui est plus facile.
Un critique trouvait dans Carthon et Clessamor « quelques
expressions hasardées... mais du mouvement, de la chaleur,
des vers bien tournés ' ». Il n'y avait sans doute pas assez
à son gré de ces clichés usés qui font en un sujet ossianique
un si singulier elTet, nos vallons, amoureuses flammes, idole
de mon cœur. S'il faut peindre une jeune beauté: « L'albâtre
éclatait sur sa gorge naissante »; au lieu que l'anglais dit:
Her breasts were like foam on the wave, lit que penser
de V égide transportée dans Morven? et de pauvretés ou
d'énigmes comme :
Il osa de mes feux me disputer le prix...
La Mort seule y tenait le sceptre de la paix...
Non, le critique devait applaudir à des expressions si justes
et si neuves, et blâmer au contraire les fils de la valeur, les
fils de r harmonie, les enfants de Vépée, le champ du cou-
rage, et des vers comme
Ta lance est un haut pin qui brave les tempêtes.
De même dans Les Chants de Selma, où les zéphirs et
les autans voisinent étrangement avec les météores. Ces
taches se rencontrent partout à cette époque : l'unité de cou-
leur est constamment violée, et c'est à ce signe entre tant
d'autres qu'on reconnaît que jamais siècle ne fut moins artiste.
Miger l'emporte néanmoins sur beaucoup de ses émules
1. Almanach des Muses, 1805, p. 269.
94 Ossian en France
par une forme élégante et sûre, qui a parfois de l'ampleur.
Son couplet à l'étoile du soir n'est que médiocre :
Compagne de la nuit, étoile radieuse
Qui dans ta course lumineuse
Dore Tazur du firmament,
Que rej,^ardes-tu dans la plaine ?
Le jour a disparu : les vents soufflent à peine ;
Les eaux de Duvranna coulent plus lentement...
Ces vers-ci, de l'apostrophe au soleil, valent mieux, et
sont bien dans la tonalité du morceau :
La nuit à ton aspect a replié ses voiles;
Devant toi disparaît le peuple des étoiles;
Et la lune, sans toi reine du firmament,
Plonge son disque pâle aux mers de l'occident.
On pourrait citer encore, malgré quelques chevilles, le
morceau des imprécations d'Armin dans Les Chants de
Sel ma.
Mais ce qui est plus intéressant dans Miger, c'est de le
voir donner une place de prédilection au lieu commun phi-
losophique, si souvent indiqué chez Ossian et si souvent
cultivé par les grands Romantiques. Misère de l'homme
éphémère, effrayante rapidité du temps, petitesse de l'homme
devant la grandeur sereine de la nature, tous ces lieux
communs ossianiques se retrouveront chez Lamartine ou
Hugo, amplifiés et rendus pathétiques par la puissance de
leur génie. Miger n'a point de génie, ni même de talent ;
mais il offre parfois une première épreuve indécise de ce
genre de développements lyriques et philosophiques :
La race qui s'éteint d'une race est suivie;
Aux pères succèdent les iils;
Et le siècle englouti dans le torrent de l'.âge
Au siècle qui s'écoule abandonne en partage
Et des tombeaux et des débris !
Talent à part, c'est intermédiaire entre le lieu commun
d'un Thomas et la méditation d'un Lamartine, plutôt en-
Taillasson 95
core d'un Hugo ; brodant sur la trame ossianique, le poète
s'est plus rapproché des seconds que du premier.
Il en est de même du style. On voit admirablement par
cet exemple quelconque et médiocre, mieux que par celui
des génies novateurs, quel service a rendu Ossian au style
poétique français. Sans doute, nous le disions à l'instant,
des fausses notes et des vieilleries classiques traînent encore
dans ces vers. Mais quand on traduit ou qu'on imite Ossian,
on ne peut se permettre d'étaler le matériel mythologique
et les images traditionnelles. Les plus timides, et celui-ci
est du nombre, devront au moins débarrasser leur style de
cette pacotille de clinquant. Ils n'oseront pas être très ca-
lédoniens, mais ils ne seront plus gréco-romains. De même
que ces sortes de rêveries à propos de personnages disparus
et d'événements anciens ne sont ni l'ode pompeuse, ni
l'épopée régulière, ni l'élégie plaintive, mais gardent la li-
berté d'un genre nouveau et mal défini ; de même ces
sujets et ces cadres ont obligé les poètes à s'exprimer plus
simplement, plus directement ; l'on pourrait dire qu'Ossian
a contribué à nettoyer la langue poétique, et a par là pré-
paré le terrain au romantisme.
IV
Taillasson, lui, était peintre, et peintre du Roi ; il avait
exposé, par exemple en 1785, plusieurs tableaux que cer-
tains avaient appréciés S antiques comme son Philoctète,
chrétiens comme sa Sainte r/ierèse. Mais c'était un peintre
poète, et qui se servait des vers pour exprimer ses idées sur
son art. Son poème sur Le danger des règles dans les Arts,
qui remonte à 1 780, est intéressant par les velléités d'aiîran-
chissement qui s'y expriment. Un de ses émules, le peintre
François, le félicite d'avoir su
En réclamant sa liberté,
Plaider en faveur du sénïe '\
1. Almanach des Muses, 1786, p. 269.
2. Almanach Littéraire, 17S6, p. 160.
ç)6 Ossian en France
Il est de Bordeaux, et à Bordeaux on le couronne sans
hésiter du double laurier : « Etant né peintre, il a dû éga-
lement naître poète», s'écrie un critique qui est sans doute
un de ses amis. « Son pinceau vigoureux et son coloris
brillant animent ses vers comme ses tableaux '.»Et, poète,
il a encore un double talent : « il peut également emboucher
la trompette et les pipeaux ». Sans oublier la harpe du
Barde, car, ajoute l'aristarquc bordelais, « son imagination,
nourrie de bonne heure de la lecture de nos grands maîtres,
l'a mis à même de faire passer dans notre langue les beautés
sublimes d'Ossian ». Il y était prédisposé du moins par sa
tendance à la mélancolie et à la rêverie nocturne *.
Le poème parut au printemps de 1802, car le dépôt en
est ordonné dans la Bibliothèque du Tribunal le 7 germinal
an X ', et c'est, entre parenthèses, le seul Ossian de cette
période pourtant si riche que nous trouvions inscrit sur cette
liste : l'auteur l'avait offert lui-même. Taillasson nous pré-
vient qu'il est le quatrième à traduire en vers Les Chants de
Selma',Taa\s ni Chénier,ni Miger, ni Baour ne le gêneront :
il ne les a pas lus. Ce qui le distingue dès l'abord, c'est
l'emploi exclusif de l'alexandrin, Taillasson, en limitant ses
ressources, joue la difficulté ; le malheur est qu'à ce jeu, il
perd. Dès le début, ce sont des vers entiers de remplissage :
Toi qui dans l'Occident parcours l'azur des cieux,
Compagne de la Nuit, dont le front radieux
S'élance triomphant du milieu des nuages,
Et du monde tranquille appelle les hommages,
Etoile, dont l'éclat à nos yeux est si doux,
Que cherchent tes regards abaissés jusqu'à nous ?
Traduction libre, dit l'auteur Ou bien, ce sont des in-
versions baroques. Il y a là d'ailleurs un certain mouvement,
et pas trop de héros idole de mon cœur. Au total, essai
d'amateur qui aime Ossian, qui ne se permet aucun change-
ment grave, et qui montre ce que nous devinions déjà, que
1. Bulletin polymathiqae du Muséum de Bordeaux, I, p. 22 (1802).
2. J.-J. Taillasson, Tr:iduclion libre, en vers, des Chants de Selma d'Os-
sian, an X. P. S\:La Nuit, élégie.
3. Table des procès-verbaux des séances du Corps législatif et du Tri-
bunal, an X.
Lebrun des Charmettes. Despinoy 97
l'alexandrin français est particulièrement impropre à rendre
la prose de Macpherson.
Philippe-Alexandre Lebrun des Charmettes, né en 1785,
et qui publia en 1803 la première édition de ses Chants de
Selma S ne doit pas être confondu avec Pierre Lebrun,
l'auteur de Marie Sluart,né en 1785 également, et qui dé-
buta dans les lettres en 1805. 11 traduisit ensuite O'ilhona,
et les deux poèmes parurent avec le Village abandonné de
Goldsmitli enl805\L'ensemblecompte un total de 960 vers.
Le choix des deux poèmes était excellent. La traduction est
assez exacte. Les vers libres comme ceux-ci sont moins
exposés à trahir le texte pour cheviller ou pour rimer. Mais
j'ai beau relire ce millier de vers, je n'y trouve rien qui se
détache et qui puisse être cité. Le jeune poète n'est pas
ridicule, mais il n'est pas intéressant : c'est froidement cor-
rect, c'est banalement passable, sans plus. Les passages qui
présentent quelque agrément le tiennent tout entier du fond
de l'histoire : la plainte de Golma, la douleur d'Armin, la
honte d'Oïthona gardent un peu de leur charme poétique,
même à travers la sage et plate traduction de Lebrun.
Le général Despinoy est un de ces poètes amateurs que
la grâce d'Ossian a touchés. Il donnait en 1801 une Ode à
la Paix ' et une traduction du Cathelidna de Smith '*. Ce
vétéran, qui après avoir payé à son pays « la dette du sol-
dat » veut « lui offrir encore le tribut de l'homme de let-
tres^ »,ce soldat pacifique a des idées sur la poésie lyrique.
Il veut qu'elle soit réellement chantée, comme celle des
anciens. Il a découvert Catheluina dans le Jardin Anglais
de Le Tourneur ; il y a trouvé « le sublime et le pathétique
du sujet, la nouveauté des situations, le caractère singulier
des personnages, l'élévation des idées, la beauté des images,
le but moral du poète ° ». En lisant « l'Homère écossais »
1. D'après Quérard.
2. P. -A. L[ebrun], Le Village abandonné, poème d'Olivier Goldsmith,
Les Chants de Selma et Oïthona, poèmes d'Ossian, traduits en vers fran-
ais, 1805, in-8.
3. Général Dsspinoy, Ode à la Paix, 1801.
4. Id., Catheluina ou Les Amis rivaux, poème imité d'Ossian et mis en
vers français, d'après la traduction en prose de Le Tourneur, 1801, in-8.
5. Ode à la Paix, p. 10.
6. Catheluina, Préface, p. VIII-IX.
98 Ossian en France
il a senti « son imagination s'exalter par degrés». Il remar-
que que ce poème « participe tour à tour de l'épopée et du
drame, de l'élégie et de l'ode »; et il entreprend de le tra-
duire en vers libres. Mais le brave général, qui appelle dis-
HijUahe le vers de dix syllabes, n'est pas beaucoup plus fort
en pratique qu'en théorie. Les 470 vers de son Catheliiina
sont incolores, quand ils ne sont pas détestables. Il a de
bizarres innovations onomastiques : il crée un « écujer »
du nom de Ferarma; nom prédestiné, sinon en gaélique, du
moins en latin. Il a surtout des rimes naïvement banales.
N'insistons pas sur cette contribution de l'armée française
à la gloire d'Ossian.
Certaines « imitations » sont de véritables traductions,
un peu libres, des morceaux les plus connus de ces poèmes.
L'une des plus intéressantes est celle de Clavareau : il donne
une Colma sur le Rocher ' d'autant meilleure qu'il est sou-
tenu de très près par l'un des morceaux les plus pathé-
tiques d'Ossian. C'est une paraphrase, qui par endroits est
une traduction :
Il esl nuit, je suis seule ! Où fuir? Où me cacher
Sur cette colline sauvag'e?
Les vents sifflent... J'entends mugir près du rocher
Le torrent enflé par l'orage.
L'auteur, qui a des lettres, se souvient de Simonide :
Tempête, apaisez-vous, cessez votre murmure ;
Dormez, vents de l'automne, et vous, vagues, dormez;
Dormez, ô douleur sans mesure.
Et, comme il est honnête, il met en note ; « Cette idée
appartient à un poète grec. » Cette pièce a au moins de
l'agrément et de la simplicité.
Nous avons vu Coupigny traduire la plainte d'Armin. Le
même Armin refait par la voix de Masse le même lugubre
récit *. Un peu plats, ces 146 alexandrins peuvent pourtant
se lire. C'est l'essai d'un jeune poète qui, je crois, n'a plus
1. Mercure, 3 avril 1813: Colma sur le rocher, par A. C. de G,..; et
Aiig. C[lavareau], Poésies fugitives, s. d., p. 21.
2. E. M. Masse, L'Education, poème, suivi de Poésies diverses, 1813;
p. -16 : Armin à Carril, imitation d'Ossian.
Traductions diverses 99
rien produit. Il donnait dans le même volume la traduction
du fameux combat d'Oscar et de Dermid, en 136 décasyl-
labes ' ; ce morceau ne vaut pas le précédent ; la différence
est dans le sujet, et peut-être dans le mètre adopté. Un autre
déroule sur le même thème 218 alexandrins ^; mais l'Os-
car de Monperlier est le fils d'Ossian ; c'est Malvina qui sé-
pare les deux amis et qui meurt avec eux; c'est Ossian qui
raconte l'aventure. On voit que les rimeurs ne se gênent
pas pour modifier sur un point essentiel la légende ossia-
nique. Cela vient, je crois, de ce que le public connaît et
goûte surtout certains noms toujours les mêmes, Malvina au
premier rang. Pensée et style d'écolier, au demeurant. Même
sujet encore dans l'Oscar et Morni du chevalier de B...^ ;
c'est un hymne à l'amitié en sept strophes. L'élément des-
criptif et sidéral intéresse beaucoup Pfluguer, qui rime une
brève Invocation au Soleil *. Voici encore une imitation
d'Ossian due à un collégien de treize ans ^; c'est Fingal qui
déplore la chute de Balclutha en alexandrins sages et mé-
diocres. C'est à Hill que le citoyen d'Estourmel emprunte
son Dargo et Crimoina ^ On se rappelle l'histoire : des per-
fides ont fait croire à l'épouse que l'époux a péri à la chasse ;
elle meurt de douleur, et Dargo meurt par contre-coup.
L'imitateur français leur dit assez bizarrement adieu :
Allez, modèles des époux,
Dormez sur le même nuage !
Si l'on songe que Baour-Lormian n'avait rien traduit de
Hill, on peut s'étonner que d'autres n'aient pas exploité
plus librement le filon qu'il laissait intact.
1. E. M. Masse, L'Éducation..., p. 52 : Mort d'Oscar, fils de Caruih.
2. Monperlier, Le Cimetière, suivi de La Mort d'Oscar, Lyon, 1811.
3. Almanach des Muses, 1811, p. 173 : Oscar et Morni, romance par
M. le Chev. de B.
4. Pfluguer, Les Amusements du Parnasse, 1811, p. 92 : Invocation au
SoleiL
5. Nouvel Almanach des Muses, 1802, p. 131 : Les Ruines, imitation d'Os-
sian, par Fr. Juris, âgé de 13 ans. élève au collège de Provins.
6. Almanach des Muses, 1802, p. 231 : Drago et Crimoina, imitation
d'Ossian, par le C. d'Estourmel.
Ossian en France
Voici maintenant la masse imposante de la poésie d'ins-
piration ossianique, qui suit librement les traces du Barde,
et tantôt l'imite de près, tantôt s'écarte en des chemins plus
nouveaux, mais sans quitter la Calédonie. Quelques-uns
réclament hautement cette liberté, et prétendent constituer
un nouveau genre poétique, le genre ossianique^ qui infu-
sera un sang nouveau à la poésie française anémique et
épuisée. Si le Barde a ouvert aux lettres un monde nouveau
et des horizons inconnus, il convient d'en profiter. Le tra-
duire est bien ; errer librement dans les vastes domaines qu'il
ouvre à l'imagination est plus intéressant et plus fécond.
Ainsi le monde homérique s'ouvre à André Chénier, le
monde des Chansons de geste à l'auteur à'Aymerillot. La
théorie du genre est donnée par Victorin Fabre. Il prétend
bien n^emprunter à Ossian que des couleurs : il s'est donné
libre carrière dans l'invention des sujets. Il institue une
différence essentielle entre les ouvrages mêmes attribués à
Ossian et le genre ossianique :
L'auteur ne prétend point justifier le genre qu'il a choisi dans
ces vers. Il sait quels défauts nombreux et réels le goût français
a reprochés aux compositions erses ou galliques. Aussi n'est-ce
point cela qu'il a voulu imiter : c'est une étude qu'il a esquissée
d'après une nouvelle manière poétique '.
Il compte sur la « mythologie de Macpherson » pour
« prêter à des conceptions fortes et touchantes, à de nou-
veaux développements du cœur humain ». Et Sabbatier, son
éditeur, revient à la charge dans un avant-propos spécial, en
rappelant que « cette simple étude a pour but de prouver
que la mythologie d'Ossian peut agrandir le domaine de la
poésie, sans qu'il soit inévitable de tomber dans les défauts
reprochés par le goût aux compositions erses ou galliques».
Nous voilà dûment avertis. Comme il y a des censeurs qui
trouvent le Barde ridicule, ou ennuyeux, ou audacieux, ou
monotone, on cherche à les désarmer en leur faisant remar-
1. Œuvres de Viclorin Fuhre, I, 362.
L'imitation librt et le genre ossianique loi
quer qu'on lui laisse ses défauts, et qu'on ne lui emprunte
que quelques-unes de ses couleurs, sa mythologie par exem-
ple ; ce qui est extérieur à la poésie ossianique, ce qui n'en
constitue pas l'essence. Prudemment dosées, ces couleurs
donneront peut-être ce qu'on cherche, un style nouveau,
une forme d'art intermédiaire entre le genre classique désuet
et le romantisme qui est encore à naître comme style lit-
téraire. Le genre ossianique sera-t-il cette nouvelle manière
dont plus ou moins consciemment on ressent le besoin? Don-
nera-t-il à la poésie française épuisée le renouveau désiré ?
Pour le savoir, il faut évidemment, comme le tente Fabre,
écrire en style ossianique autre chose que des traductions
en vers ou même des imitations plus ou moins libres des
poèmes deMacpherson ou de Smith ; il faut tisser une ample
draperie et la teindre de ces nouvelles couleurs, puis voir si
elles résisteront au clair soleil de France. Tant que les
rimeurs persisteront à croire qu'il leur faut parler autrement
qu'on ne pense et qu'on ne sent, tant qu'ils s'évertueront à
couler d'abord leurs impressions dans un moule convenu,
ou à raconter des histoires sans réalité et empruntées à cer-
tains pays, à certaines époques, dont ils imiteront gauche-
ment le langage ; tant que la poésie ne sera pas directe et
naturelle, on cherchera des genres^ des 7nanii'res, des styles,
on passera d'une vague antiquité à Ossian, d'Ossian au trou-
dadour, ou au moyen âge fantastique, ou à l'Orient de pa-
cotille.
Et l'auteur d'un nouvel .4/7 Poétique y iollet-heànc, chante
l'antienne sur un mode ironique et discrètement railleur :
Ossian est pour nous une mine d'autant plus féconde qu'elle
n'a pas été exploitée. Et, quoi que disent certains critiques de
la triste monotonie de ce genre, toujours est-il certain qu'en le
traitant, c'est un grand avantage que de n'avoir pas à lutter
avec ce qu'on appelle les grands poètes du siècle de Louis XIV'.
Edmond Géraud est plus sérieux. C'est un des principaux
tenants du genre ossianique^ et ses idées sur ce sujet sont
antérieures aux publications de Fabre et même de Baour-
]. Viollet-Leduc, Nouvel Art Poétique, 1S09, p. 50 (note).
102 Ossian en France
Lormian ou de d'Arbaud-Jouques. Dans son Journal^ il se
montre à plusieurs reprises préoccupé d'Ossian. Aucun
poète, si ce n'est Young, n'a autant d'action sur lui. En ce
qui concerne l'authenticité, il est du parti des fidèles. Nous
l'avons vu blâmer Voltaire et sa critique du style ossiani-
que. Sur l'essor que ce genre nouveau doit donner à la poé-
sie française, Géraud a son opinion personnelle. Traduire
est bien, dit-il, mais traduire est insuffisant :
Je ne pense pas qu'on doive se borner à traduit e les chanis
d'Ossian. Il me paraîtrait plus ag-rèable et plus glorieux à la fois
d'inventer dans sa manière de nouveaux épisodes, auxquels on
pourrait conserver cette couleur mélancolique et sauvage que
nous aimons. C'est une mine toute neuve à exploiter ; tant pis
pour qui la dédaigne '.
De pareilles imitations libres sont difficiles à traiter. Gé-
raud est sévère pour ses prédécesseurs, pour leurs « mal-
heureux essais », pour leurs « sottises », qui feraient bien
mal juger le genre ossianique à qui ignorerait l'original.
Quelques années plus tard, la pensée de Géraud se précise.
La monotonie d'Ossian est incontestable : « C'est toujours
un style solennel, largement poétique, mais qui ne com-
porte point de nuances et de variété. » Pour éviter « la
répétition continuelle d'idées, d'images et d'expressions »
qui est « l'inconvénient de ces imitations du genre ossia-
nique », il faut se contenter « d'y chercher des inspirations,
en les appliquant ensuite à des sujets moins répétés, et qui
puissent fournir des détails plus neufs " ».
Nous allons rencontrer en effet quelques-unes de ces
imitations libres qui ne se rattachent à Ossian que par un
fil assez lâche. Déjà d'Arbaud Jouques avait fait suivre ses
traductions partielles d'imitalions, que, très loyalement,
il distingue parle titredes traductions qu'elles accompagnent.
Ce sont : Le Sommeil d'Ossian; Consolation d'Ossian à
Sulmala, amante de Cathmor ;Le Nuage ; Plaintes de Mal-
vina sur la mort d'Oscar ; environ deux cents vers. Ces
1. Edmond Géraud, Fraqmcnls d'un Journal intime, p. 9 (tliermidur
an VII).
2. Ib., p. 14-15 (messidor an XIII).
Victorin Fabre io3
imitations s'inspirent des poèmes ossianiques, en marge
desquels elles développent librement leurs grâces un peu
molles. Elles complètent ou enjolivent les touchantes his-
toires que conte le Barde, mais n'offrent d'ailleurs qu'un
intérêt et qu'une beauté médiocres. 11 faut y joindre, d'après
l'indication de l'auteur, la Description d'une nuit d'orage
par quatre bardes, bien que ce poème soit dans Le Tour-
neur. Ce qui est ossianique dans ce dernier et plus impor-
tant poème, c'est le cadre. Il se divise en quatre parties :
la nuit sombre et menaçante ; l'orage éclate ; il cesse ; « ta-
bleau philosophique » sur ce thème : tout passe ; jouissons
de l'heure présente. Il j a là, dans la distribution et dans
l'opposition des thèmes, une curieuse analogie avec iRSi/m-
phonie pastorale ; mais il y a surtout des rappels des
poèmes descriptifs du xviir siècle, un souvenir du début du
Moretum, peut-être une trace d'Horace et de son lyrisme
épicurien. H y a aussi une note troubadour, et comme une
annonce de certaines Ballades de Hugo. Cette fête gaillarde
ne rappelle plus guère la mélancolique évocation du repas
des coquilles dans le palais de Selma; raison déplus pour y
voir, en 1801, une transition intéressante :
Allumez cent flambeaux,
Que le vin coule à flots,
Que les luths retentissent.
Jeunes filles, chasseurs,
Ceig-nez-Yous de ces fleurs,
Ces fleurs qui se flétrissent...
Ce qui n'empêchait pas le Spectateur du Nord de trouver
que « cette poésie porte bien l'empreinte de ce génie sin-
gulier ' ».
Victorin Fabre, en intitulant sa Malvina : Chant non
imité d'Ossian \ veut dire qu'il ne reproduit aucun épisode
que l'on puisse retrouver dans les poèmes du Barde ; il s'ins-
pire du tableau de M"° Harvey exposé au Salon de 1806.
Son poème n'en est pas moins très ossianique. Il met en
scène tour à tour Malvina, Sulmala, puis Comala, et leur prête
1. Spectateur du Nord, XVIII, 368 (juin 1801).
2. Décade, LI, 48 (l" octobre 1806j; Œuvres de Victorin Fabre, 1,504,
I 04 Ossian en France
un langage très classique, d'inspiration racinienne, où do-
mine la périphrase élégante, et où l'on est tout étonné de
rencontrer, au coin d'un vers, Fingal, Malmor, Toscar,
Inistore ou Moïna. Voici une prophétesse bardique, héri-
tière des Pythies et des Sibylles, qui ressemble déjà à Vel-
léda, et qui montre que le type popularisé par Chateaubriand
était dans l'air :
Ses longs cheveux au vent flottent abandonnés ;
De l'inspiration ses yeux lancent la flamme ;
Les accords embrasés des ardeurs de son âme
Dans le trouble des airs et des flots déchaînés
Exhalent son brûlant délire ;
La harpe d'or frémit sous le doigt qui l'inspire.
Et déjà par endroits perce le moyen âge gothique :
Regarde, Malvina ! vois ces combles antiques,
Vois ces créneaux que la mousse a couverts...
L'auteur possède une facilité métrique un peu négligée :
0 grotte de Fingal ! noble séjour des ombres,
Des ombres des héros,
Toi qui dans le lointain m'offres tes voûtes sombres,
Asile du repos...
Victorin Fabre est aussi l'auteur de Lémor, chant gal-
lique ', poème de 254 vers, qui a voyagé dans plusieurs
recueils avant de trouver un tombeau dans les œuvres de
l'auteur. Ce Lémor, choisi pour dire, de deux jeunes beau-
tés, quelle est la plus belle, fait penser à Paris ; ce Salgar
amené par les instances d'une femme à combattre son ami,
et tué par lui, ce n'est plus de l'antiquité — l'amour n'y
triomphait pas ainsi de l'amitié — c'est de l'Ossian, c'est
l'histoire ressassée d'Oscar et de Dermid. Mais ce guerrier
qui entre les bras de son ami se laisse mourir du chagrin
de ce qu'il a fait, cela n'est ni homérique, ni ossianique, c'est
sentimentalement moderne. On voit avec étonnement voi-
1. Mercure, novembre 1807; Almanach des Muses, 1809, p. 266; Œuvres
de Victorin Fabre, I, 362.
Imitations diverses i o5
siner ici les lions, la terre embrasée par Vhaleine du midi^
avec les brumes, les harpes, les bardes. Fabre est encore
un peu écolier en genre ossianiqiie.
Même mélange d'éléments ossianiques et d'éléments in-
ventés dans la lamentation d'un Barde que donne un in-
connu'. Ici, Morven est pris pour une cité, voisine de Selma ;
et nous trouvons encore un écho de cette plainte de Fingal
sur les ruines de Balclutha, qui a tant frappé cette généra-
tion grandie dans les ruines et les deuils. Le reste de la
pièce est inventé.
Dorion, l'auteur d'une ennuyeuse Bataille d'Hastings, a
écrit des odes, des cantates, souvent de circonstance et
purement classiques. Il donne en 1801 un Chant de Sid-
malla \ C'est un poème de près de cinq cents vers dont
« les poèmes de Temora et de Fingnl ont fourni le sujet et
les tableaux » ; mais c'est une imitation très libre, à en ju-
ger déjà par les noms propres, souvent inventés ou trans-
formés. Le sujet du poème est la mort de Cathmor et de
Sulmalla dans une guerre où cette dernière a voulu suivre
son époux. L'histoire est assez mal narrée, et il y règne une
monotonie fatigante. A défaut de talent, il semble que les
auteurs de semblables compositions pourraient au moins
éviter les anachronismes et les fausses notes. Point : on
trouve ici des hérauts, des nymphes, un palais d' hijménée .
L'auteur a beau semer ses vers de quelques dogues, nuages
ou fantômes, le virus mythologique est trop ancien, il ne
peut s'éliminer assez rapidement.
Nous arrivons aux inventions presque entièrement per-
sonnelles. Voici un architecte de Bordeaux qui déclame de-
vant l'Académie de cette ville un Chant du Guidée '. La
pièce a, pour le sujet, le mérite de la nouveauté : c'est un
Guidée, ou solitaire chrétien, nommé Oreb, qui pleure la
mort d'Ossian ; car le vieux Barde, s'est dit avec raison
M. Mazois fils, architecte, a bien fini par mourir tout de
1. Mercure, 29 septembre 1804 : Le Dernier des Bardes sur les ruines
de Morwen sic), imitation d'Ossian, par A. B..
2. Dorion, Chant de Sulmalla, an IX; reparaît dans ses Poésies ly-
riques et bucoliques, 1825, p. 51.
3. Bulletin polymathique du Muséum de Bordeaux, IV, 174 (1806) :
Le Chant du Guidée, lu à la société des Sciences, Belles-Lettres et Arts
de Bordeaux, par M. Mazois fils, architecte.
>o6 Ossian en France
même ; et après qu'il a pleuré la mort de tant de gens, il
est juste que quelqu'un pleure la sienne. Le Guidée, après
avoir, comme il convient, placé une apostrophe à la lune,
annonce qu'il va pleurer la mort d'Ossian ; Darthula — qui
ressuscite pour remplacer en cette circonstance Malvina,
morte depuis long-temps — Darthula, après avoir commencé
le chant funèbre, lui passe sa harpe, et le Guidée rappelle
la gloire et chante la mort du Barde qui fut son ami :
Que j'aimais de ses chants la lugubre harmonie...
Il j avait là une idée éminemment poétique, si l'on fai-
sait du solitaire chrétien le symbole d'un monde nouveau
chantant l'hymne funèbre sur la tombe du dernier témoin
des temps révolus : c'était l'antithèse des Martyrs, ou, si
Ton veut, de la Gôtterdàmmerung ou encore de Fervaal.
L'homme aime qu'on lui montre, fût-ce à travers les brumes
des siècles, fût-ce sous le faux jour de la légende, ces mo-
ments décisifs où se flétrit et tombe la forêt des croyances
que Fon crut éternelles, où une autre végétation jeune et
drue vient abriter les hommes en attendant de se dessécher
à son tour. La vieille légende irlandaise authentique pouvait
fournir au moins un point de départ à cette idée, avec son
Patrick et son Entretien des Vieillards ; aucun moderne
n'a su en tirer parti, à l'exception de Leconte de Lisle, qui
ne l'a utilisée qu'à demi. Au reste, il fallait encore supposer
à l'apôtre une rare largeur d'esprit, et comme un éclec-
tisme bienveillant, pour lui faire prononcer l'éloge du vieux
Barde, irréconciliable adversaire de sa foi. La conception de
l'architecte de Bordeaux faisait honneur à son imagination
et à son sens poétique ; mais elle restait iniîniment délicate
et difficile à réaliser.
Edmond Géraud ne pouvait manquer d'appliquer ses
théories sur le genre ossianique, 11 l'a tenté dans trois de
ses poèmes. Ge médiocre poète cherche en général son ins-
piration en Italie, en Provence, dans le moyen âge féodal ;
et le genre troubadour l'attire. Ses Elégies abondent en
traits qui viennent certainement du Barde : humides va-
peurs, ombres plaintives, étoile du soir... Ses Rotnances sont
de beaux échantillons du genre troubadour. Une fois, en
imitant Beattie, il côtoie l'ossianisme, sa poésie de la nuit
Edmond Géraud 107
et de la solitude \ Mais c'est dans Le Captifs dans Edgar
et Vaïna, et dans Egilda, qu'il se livre tout à fait à l'imi-
tation libre ou à la transposition ossianique que nous l'avons
vu préconiser dans son Journal. Il se peut d'ailleurs que
Géraud ait eu sous les yeux une des nombreuses adaptations
d'Ossian en vers anglais. L'épigraphe à'Egilda, tirée de
Fingal, se compose de deux vers iambiques qui ne sont
pas de Macpherson, et qui pourtant rappellent de très près
Macpherson.
Le Captif^ se compose de 110 vers libres, généralement
groupés en strophes. C'est Thistoire de Mathos, jeune guer-
rier calédonien, qui, fait prisonnier par les Romains et em-
mené à Naples, se lamente sur son sort et regrette « ses
déserts, ses torrents, ses nuages ». Ge cadre ingénieux per-
met à Fauteur une couleur ossianique 'assez vive : Arven,
Morven, Sélamor, Glessamor, le père du guerrier, son amante
Evélina, « noble fille d'Anir », et la harpe « humide de ses
pleurs »,
Et de l'esprit des bois la plainte passagère.
Le malheureux se traîne
Comme un fantôme errant au milieu des brouillards.
Mais cette couleur n'est que plaquée, et les vers sont
faibles ou mauvais. Même médiocrité dans les 76 vers
à' Edgar et Vaïna \ et dans les 62 vers d' Egilda *. Ici,
c'est un amant tué à la guerre, funeste sort qu'un sage avait
fait pressentir à son amante ; là, c'est une épouse qui pleure
son époux, tué en chassant le sanglier. Des noms authen-
tiques, d'autres inventés, des expressions ossianiques, chefs
1. Edm. Géraud, Poésies diverses, p. 75 : Les Prestiges nocturnes.
2. Décade, XLI,560 (30 prairial an XII) : Le Captif, poème dans le goût
d'Ossian. Le même dans le Nouvel Alma.na.ch des Muses, 1810, p. 29; et
dans ses Poésies, p. 18.
3. Décade, XLIl, 370 (30 thermidor an XII) : Edgar et Vaïna, poème
dans le goût d'Ossian. Le même dans le Nouvel Almanach des Muses,
1812, p. 75 ; et dans ses Poésies, p. 66.
4. Décade, XLV, 554 (19 juin 1805) : La Complainte d'Egilda, fragment
dans le goût d'Ossian. Le même dans le Nouvel Almanach des Muses,
1813, p. 9 ; et dans ses Poésies, p. 82.
io8 Ossian en France
des concerts, ?'ois des chants, des fantômes, des chevreuils,
des harpes, et point de poésie, et le style le plus usé, des
épées homicides qui moissoniient les héros intrépides,
quelques zéphirs, et des vers aussi poétiques que celui-ci :
Arrête : je prévois un malheur, disait-elle ...
On a dit qu'Edmond Géraud a quelquefois « le sentiment
de la nature sinistre, monotone et tragique, traversée de
grands frissons d'automne ' ». Je ne m'en suis pas aperçu
beaucoup pour ma part : s'il avait ce sentiment, il aurait
bien dû l'exprimer dans ses poèmes ossianiques. En somme,
jamais le genre n'est tombé aussi bas. Une seule remarque
doit être faite ici. La plupart de ces poésies chantent la
mort d'un guerrier pleuré par une épouse, une fiancée, un
père. Est-ce l'écho des batailles napoléoniennes qui fau-
chaient si impitoyablement la jeunesse ?
On le croirait, à entendre VioUet-Leduc emprunter la
harpe du Barde pour pleurer la mort de deux généraux
français ^ L'ample machine qu'il dresse à cet effet a la
structure d'une ode. Il y met des allusions patriotiques à
la campagne de 1813 :
... Les Francs et le Scythe inhumam
Ensanglantaient toujours les fleuves du Germain.
Il y met de la mythologie Scandinave, le palais cVOdin
qui ouvre dans les plaines de l'air ses salles lumineuses.
Il y met même des traits ossianiques qui se fondent tant
bien que mal dans ses vers classiques :
Heureux celui qui meurt au milieu des batailles !
Un aussi beau trépas n'est jamais trop brigué ;
Le lâche peut le fuir, mais pour une âme altière
C'est un lit de fougère
Qui le soir se présente au chasseur fatigué.
1. II. Potez, L'Elégie en France avant le Romantisme, p. 379.
2. Mercure, 17 juillet 1813 : Chant ossianique sur la mort des ducs d'Is-
Irie et de Frioul, par V. Le Duc. Le même dans VAlnianach des Muses,
1814, p. 97.
La romance ossianique 109
De même la « mousse épaisse » et « la vapeur malfaisante
qui sort du lac marécageux ». L'auteur du Nouvel Art
poétique a sans doute voulu donner une ode modèle, comme
Boileau fît sa Prise de Namicr.
VI
Nous avons vu à la fin du Directoire la romance ossia-
nique charmer les soirées du Luxembourg ; mais l'âge d'or
du chant gallique, du chant bardique, de la romance écos-
saise et analogues, c'est le Consulat et les premières années
de l'Empire. On sait la vogue de la harpe, qui succède au-
trement que par métaphore à la lyre classique, en atten-
dant le luth romantique. Pendant une vingtaine d'années au
moins, la harpe a régné : Pleyel en lançait des modèles per-
fectionnés, et l'on sait comme elle faisait valoir les beaux
bras que le costume à l'antique laissait découverts. Le genre
ossianique partage avec le genre troubadour la faveur des
salons. On est tenté ici de distinguer les romances à chan-
ter dont nous avons la musiquej ou dont le timbre est indi-
qué, celles qui se présentaient sans musique, mais qui
appellent le chant et ont dû tenter les compositeurs de sa-
lon ou les amateurs comme la reine Hortense, et les poèmes
un peu plus longs et un peu plus graves qui ne sont pas
à chanter. A l'épreuve, la distinction est impossible à faire ;
elle aurait d'ailleurs peu d'intérêt. Longs ou courts, ten-
dres soupirs ou compositions plus savantes, toutes ces poé-
sies ont un caractère commun : elles débitent Ossian en
petites tranches selon le goût du jour, elles en versifient
quelque épisode amoureux. C'est une mine inépuisable de
situations qui se prêtent aux tendres aveux, aux longs sou-
pirs, aux mélancoliques regrets de l'absence, et surtout au
désespoir d'une perte cruelle. D'autres pièces n'empruntent
au Barde que les noms et quelques couleurs ; mais ces noms
mêmes sont déplacés, et le fond de l'aventure est inventé.
Chaussard, qui prétend continuer Boileau en le complétant,
donne une place à la Romance dans sa Poétique secondaire,
et n'oublie pas ces airs
lîo Ossian en France
Que savent moduler les filles de Fing^al
Quand sous leurs doigts émus la harpe obéissante
Confie aux rocs déserts sa plainte attendrissante ^
Coupigny s'écrie :
Les Bardes, les Scaldcs étaient-ils autre chose que des poètes
de Romances ? Les chants du Barde, retracés par des maîtres
habiles, vivent chez un peuple sensible et poli : après tant de
siècles écoulés, les malheurs d'Oscar, les plaintes et la lyre de
Malvina nous demandent encore des larmss ^
Chaussard et Coupigny donnent la théorie, mais la mai-
son Pleyel s'occupe de la pratique. Elle fait glisser à la
suite d'une romance, Ossian ou la Harpe éolique, une petite
réclame à la fois poétique et avisée :
Depuis quelques années, on a inventé de tendre entre les
arbres de longs fils de fer... La Harpe éolique est le fruit du per-
fectionnement de cette invention. Sa forme élégante et simple
en rend le transport facile. Rien ne peut exprimer le charme
mélancolique de cette musique aérienne (On trouve ces harpes
chez M. Pleyel, boulevard Saint-Denis) \
Si les ossianistes aux beaux bras enchantent les salons
aux accents de la harpe, les rêveurs solitaires, les couples
amoureux, seront délicieusement surpris en écoutant, au
fond du parc, la harpe d'Ossian gémir toute seule au souffle
du vent, comme jadis elle gémissait aux murs désolés de
Selma. La romance ossianique est avant tout langoureuse
et mélancoliqiie.
D'abord, Baour-Lormian lui-même fournit ample matière
aux faiseurs de romances. « On dirait, juge un critique dès
l'apparition de son ouvrage, qu'il a travaillé pour les mu-
siciens autant que pour les poètes *. » Aussi détache-t-on
des Poésies Galliques force morceaux pour les mettre en
musique. Non Y Hymne au soleil^ trop grave, mais des pages
qui appellent la musique et le chant, comme le Songe de
t. Chaussard, Poétiqne Secondaire, 1817, chant IV, p. 71.
2. Coupigny, Romances el poésies diverses, 1813, p. 2.
3. Mercure, 23 septembre 1S09.
4. Speclaleiir du Xord, XVIII,
;33 'juin li^Ol).
La romance ossianique 1 1 i
Malvina, qu'une dame enrichit de mélodie ' — il devait y
avoir toute une série de ces mélodies, d'après le titre ; mais
il n'a sans doute paru que celle-là — comme Colma, romance
dont la musique est de Pleyel ' ; comme Les Adieux d Os-
car à Malvina, ou Ossian à Siilmala^ mis en musique, le
premier morceau par Pleyel =, tous deux par Beauvarlet-
Gharpentier * ; comme les trois romances mises en musique
par Boufîet, dont s'enrichit la troisième édition de YOssian
de Baour-Lormian \ Ce dernier se chargeait même d'écrire
des paroles nouvelles pour des romances ossianiques à
chanter % et il les écrivait dans le style troubadour.
Arnault, entre son Oscar et son Chant d' Ossian, donne
l'une des premières romances ossianiques. On doit appeler
ainsi son Oscar et Dermide, dont Méhul fait la musique
pour piano ou harpe, et qui se compose de treize strophes
de huit octosyllabes ' :
Malvina, l'éclat qui ramène
L'aurore qui rougit les cieux,
Le cède à l'éclat de tes yeux ;
Un doux zéphir est ton haleine.
Ton sein, de pudeur agité,
Ressemble à la neige légère
Que le vent, avec volupté,
Balance sur l'humble bruyère.
N'étaient la neige et l'humble bruyère, ces vers pourraient,
au lieu de Malvina, s'adresser à quelque Zélis ou à quelque
1. Chants héroïques extraits des poésies galliques... traduits par Baour-
Lormian, mis en musique par M"" L. P.
2. CoZma, chant ossianique, paroles de Baour-Lormian, musique de Pleyel,
1815 ; aussi dans r^c/io des Ménestrels, 1815;et dansle Souvenir des Ménes-
trels,iSlb.
3. Les Adieux d'Oscar et Malvina, paroles de Baour-Lormian, musique
de Pleyel, 1815.
4. Chansonnier des Grâces, 1805, p. 98 ; 1806, p. 73.
5. Magasin Encyclopédique, 1809, V, 221.
6. Souvenir des Ménestrels, 1814, p. 160: Romance tirée du poème d'Os-
sian,par P. Gaveaux (paroles de Baour-Lormian).
7. Oscar et Dermide, chant gallique imité d'Ossian, par Arnault, avec
musique de Méhul. Se trouve dans : Veillées des Muses, 1798, n" 3, p. 35 ;
Décade, XXXVI, 54 (10 nivôse an XI) ; Almanach des Muses,'an XII-1804i
p. 61 ; Oscar, fils d'Ossian, tragédie (préface) ; Annales poétiques du
XIX' siècle, 1807, I, 13; Œuvres d' Arnault, I.
I i 2 Ossian en France
Thémire. Rien ne montre mieux l'usage que l'on fait d'Os-
sian : il est bon à fournir des noms harmonieux et à rafraî-
chir quelques images. Celle qui clôt la strophe est emprun-
tée à V Ossian de Hill, où nous avons vu deux (j lobes d'amour
comparés aux montagnes calédoniennes ; mais le ridicule
est d'y avoir mis de la bruyère. La légende n'est d'ailleurs
guère respectée ici, puisqu'Oscar et Dermide sont rivaux
auprès de Malvina. Nouvel exemple de la simplification
progressive des thèmes et des noms ossianiques.
D'autres ne sont connus que par leurs romances. Un de
leurs thèmes préférés, c'est la lamentation de l'amante de-
vant le corps de son amant. La Malvina de Legrand* pleure
un amant qui s'appelle Ullin. Ce Legrand sait écrire pour
le chant : ses stances ont de la douceur et quelque mélo-
die. De même la Romance gallique d'un nommé Lambert-,
peut-être Auguste Lambert, l'auteur de la werthérienne
Praxède ; mais ici il y a trop de glaives du trépas, d'Echos
et de Zéphyrs pour pleurer le « fils du vaillant Armin ».
De même une Romance écossaise anonyme qui se chante
sur l'air Je l'ai planté, je l'ai vu naître ; le premier cou-
plet donnera l'idée du reste :
Consumé de mélancolie
Un Ecossais répète encor
Ce qu'en sa triste rêverie
Chantait la fille de Trémor ^
Un autre légitime ses Romances — qui offrent un mé-
lange de Gessner et de troubadour — par «le respect dont la
Galédonie entoure le Barde des combats* ». Un autre en-
tonne un Chant d'Ossian assez long ; le Barde retrace sa
carrière et annonce à Malvina sa mort prochaine ^ Un
autre encore — c'est Saintine — fait chanter Le Darde au
tombeau de sa bien-aimée °.
\. Alma,nach des Grâces, 1804, p. l2:Roinance gallique, musique d'Alex.
Piccini, par Legrand.
2. Alinanach des Muses, 180S, p. 260: Romance cjaUique, par M.A.Lam-
bert.
3. Chansonnier des Grâces, 1814, p. 269 : Romance écossaise.
4. Louis Bonnet, Veillées poétiques, 1823, p. 87.
5. Alinanach des Muses, 1815, p. 224: F. Delcroix, Chant d'Ossian,
6. Souvenir des Ménestrels, l-il6, p. 120 '.musique de Higcl).
La romance ossianique ii3
Au même genre se rattache un Songe d'amour i ano-
nyme, romance barde, qui paraît dans l'Echo des Bardes,
recueil dont le titre est significatif. Plus ample et plus
étoffée, une autre romance barde ^ déroule en vers libres
ses trois Récitatifs et ses trois Chants. Ce poème est nul ;
mais il est d'autant plus intéressant comme signe des temps.
Barde y est encore adjectif ; bardique n'a jamais bien pris
en français. La couleur ossianique de cette romance se ré-
duit à quelques météores et robes aériennes. Elle offre
d'ailleurs un mélange de style ossianique et de style trou-
badour. Un autre est séduit par la méditation pessimiste :
il fait chanter à son Barde ' trois longs couplets moroses
dont le refrain est :
Espoir, plaisir, bonheur,
Tout fuit, tout passe ; et sur la terre
Rien n'est stable que la douleur.
Plus tendre est Eusèbe Salverte, dont la romance sert de
support à la réclame de Pleyel. Malvina a quitté la terre
avant le vieil Ossian, pour rejoindre plus tôt, dans les nuages.
Oscar son époux. S'il en est ainsi, qui accompagnera sur la
harpe les chants plaintifs du Barde ? 11 ne pourra plus
compter que sur le vent, heureusement fréquent en Ecosse;
mais ce vent, c'est encore l'âme de Malvina :
De Malvina, près de moi descendue.
L'ombre chérie a, d'un souffle léger.
Fait résonner ma harpe, suspendue
Au chêne antique, ornement du rocher *.
Ces romances ne commencent guère avant 1804 ; elles
abondent vers la fin de l'Empire, et continuent sous la Res-
1. Echo des Bardes, ISlb: Songe d'Amour, romance barde, mise en mu-
sique par M. Gatayes.
2. Nouvel Almanach des Muses, 1811, p. 203 : La Romance barde, par
M. Auguste Tremault.
3. Chansonnier des Grâces, 180ô, p. 225 : Romance du Barde, par Fou-
caux-Gesbrou aîné.
4. Mercure, 23 septembre J809 : Ossian ou la harpe éolique, par Eusèbe
Salverte.
1 14 Ossian en France
tauration. A l'époque où l'article est le plus demandé, on
réimprime volontiers des pièces de vers bien antérieures, en
les baptisant romances : ainsi Alcjard et Anisaa, de Ducis,
qui reparaît en 1812 ' avec ce titre.
1. Alma.na,ch. des Muses, 1812, p. 45.
CHAPITRE IV
Ossian au théâtre
(1796-1817)
I. Conquête du Théâtre-Français par le genre ossianique : Oscar, filsd'Os-
sian, tragédie d'Arnault (1796). La couleur locale, matérielle et morale.
L'action et les sentiments. Succès d'Oscar.
IL Les critiques. Les jugements des journaux. Les parodies d'Oscar.
m. Simon de Troyes : deux tragédies ossianiques inédites : Colgar ei
Sulallin ; Fingal libérateur.
IV. Ossian à l'Opéra : Ossian ou les Bardes, par Le Sueur (1804). Histoire
et succès de la pièce. Satisfaction de l'Empereur. Valeur musicale des
Bardes. Couleur ossianique mêlée de couleur antique. L'action.
V. Les jugements de la critique. Les parodies des Bardes.
VI. Uthal, opéra, par Méhul (1806). La couleur et l'action. L'instrumen-
tation. Les jugements de la critique. Une parodie d'Uthal. — Le
Colmal de Winter. Le Wallace de Catel. Ossian en pantomime . La
Caverne d'Ossian. —Conclusion.
Ossian avait déjà inspiré de la prose et des vers, des
poèmes et des idylles, des élégies et des romances ; il n'avait
pas encore paru au théâtre. C'est Arnault qui osa le pre-
mier demander cette sanction de sa gloire en faisant jouer
sur le Théâtre de la République, le 3 juin 1796, Oscar, fils
d Ossian, tragédie en cinq actes et en vers. Si Ton songe
que le théâtre a toujours été, en France du moins, la suprême
consécration des genres qui cherchent à s'imposer, et la
forteresse que les écoles nouvelles doivent emporter d'as-
saut ; si l'on se rappelle que la Pléiade a voulu avoir son
théâtre, et si l'on évoque le retentissement qu'ont eu les
succès du Cid, d'Andromaque ou d^Hernani, on comprendra
ii6 Ossian en France
aisément que la première scène de Paris était pour l'ossia-
nisme une capitale conquête.
Arnault est déjà l'auteur applaudi de Marins à Minturnes
et de Lucrèce ; il va faire jouer Cincinnatus ; Ossian fera
un peu diversion à ses trag'édies romaines. Il connaît et
goûte le Barde : il lui empruntera son Chant gallique. Mais
ce n'est pas un admirateur outré d'Ossian : « J'aime, disait-
il, ses beautés ; j'aime peut-être aussi ses défauts.» En bon
classique qu'il est, il imagine Horace ressuscitant pour juger
Ossian, et lui déniant l'art et le propre talent de l'épopée :
Les premières pages du rapsode écossais lui plairaient sans
doute, mais il s'apercevrait sans doute aussi, aux pages suivantes,
que ce rapsode n'a qu'un ton, qu'une couleur ; que s'il est
doué jusqu'à un certain point du génie qui exprime, il manque
absolument du génie qui combine ; que ces poèmes dénués
d'action ne sont rien moins que des épopées : que malgré l'éclat
du style, ces chants monotones ressemblent à des palettes oîi
sont jetées au hasard des couleurs brillantes, éléments d'un
tableau qui ne forment pas un tableau, faute d'être appliqués
à des dessins, faute d'être employés par un artiste *.
Ces « couleurs brillantes » étaient précieuses à qui cher-
chait à rafraîchir la vieille tragédie classique. « Je dois moins
à Ossian mon sujet que mes couleurs ^ », disait Arnault en
imprimant sa pièce. « Dénuées d'art, mais surabondantes
de génie, ces productions monotonément sublimes » lui ont
paru présenter au poète dramatique une « inépuisable source
de richesses intactes ». Ossian, « le chantre de la valeur et
de la mélancolie », doit plaire par ce double aspect à tout
homme « pour peu qu'il soit doué d'imagination et de sen-
sibilité ». Et n'oublions pas qu'il présente de plus « une
mythologie toute sentimentale ».
Il y a en effet une couleur matérielle et, si l'on peut dire,
une couleur morale. La seconde est singulièrement plus
attachante ; mais la difficulté ici était extrême. L'inconsis-
tance et la fausseté de l'œuvre de Macpherson se démasquent
pour l'observateur attentif, par ce trait frappant qu'il n'y
1. Arnault, Souvenirs d'un sexagénaire, 1833, IV, 86 et 85.
2. Arnault, Oscar, fi'.s d'Ossian ; tragédie en 5 actes, an IV : Préface.
Œuvres, t. I.
« Oscar » tragédie d'Arnault » 117
a pas d'étai de civilisation ni d'état d'esprit ossianique, ou,
si l'on veut, calédonien. Que sait Arnault, après avoir médité
les deux volumes de Le Tourneur, de l'âme de ses person-
nages et de leur attitude devant la vie? Hors l'amour et
la guerre, comment vivent-ils? Les héros et les vierges de
Morven sont déjà des figurants de théâtre; ce ne sont point
des héros de chair et de sang, dont le poète dramatique
puisse pénétrer et sentir la vie, dont il puisse retrouver les
sentiments élémentaires et les secrètes pensées, pour essayer
de les faire revivre sur la scène. A vrai dire, ce bonheur
suprême a été donné à peu de poètes : les plus grands ont
dû souvent se contenter de transposer leurs propres senti-
ments et de les revêtir des couleurs de la légende ou de
l'histoire. Profitant de l'indétermination morale et du néant
psychologique qui est le propre des personnages ossianiques,
Arnault les fait penser et parler en fiers républicains, et en
ennemis cependant de la dictature révolutionnaire. Dermide
fait à son fils, le jeune Fillan (« prononcer la double // sans
la mouiller ! »), une leçon de morale laïque. La seule sanc-
tion du crime est, pour le méchant,
De grossir du Légo les ombres meurtrières.
La couleur locale matérielle est plus aisée à se procurer
et à appliquer comme il faut. Voici le décor : le palais de
Selma, « d'architecture barbare » ; le rivage de la mer ; un
bois funèbre semé de tombeaux (il n'y a rien de tel dans
Ossian), où l'on distingue celui de Fingal « indiqué par
quatre pierres ».La lune éclaire la scène et le bois funèbre.
Je ne sais trop ce que le plus sévère des critiques d'Oscar
voudrait trouver de plus dans ce bois, auquel il reproche
de ne présenter « aucun caractère distinctif qui puisse nous
transporter dans les temps et les lieux chantés par Ossian'».
"Voici les détails qu'on ne voit pas, mais que le dialogue
évoque à l'imagination : les rocs, les bruyères, V Arven
caché dans les nuages, les forêts qui des monts de FArven
hérissent les sommets, les flancs obscurs des rochers d'Inis •
tore, les bords fangeux de l'impur Légo, les sapins du
1. Clément (de Dijon), Journal Littéraire, 25 messidor an IV.
ii8 * Ossian en France
Cromlajes dogues gémissa?its aux hurleynents funèbres, le
chevreuil téméraire (!), les ombres des héros penchés sur
les nuages
Je mêlerai ma voix à la voix de Forage,
Au bruit de la tempête, aux fracas des torrents,
Aux hurlements plaintifs des fantômes errants ' !
Cette couleur locale qu'Ossian fournit, et qui est très
neuve en effet pour le spectateur français, ne fait pas corps
avec l'œuvre; elle est plaquée sur un style qui reste, malgré
tout, très classique et d'une timidité routinière. Melpomène
s'est travestie en vierg-e de Alorven, mais on reconnaît la
muse de Racine et de Voltaire à sa voix, à son accent, à son
langage même, toutes les fois qu'elle donne libre cours à
ses sentiments. On compterait aisément les expressions
ossianiques ; tout le reste pourrait être à.\\lzire ou de Mérope :
et, ce qui est un aveu naïf du genre de travail auquel s'est
livré Arnault, les traits ossianiques sont plus nombreux
dans les premiers actes que dans les derniers. Sa palette
était épuisée. Le reste du temps, c'est le trop sensible Oscar,
un amour qui sans doute eut serré les nœuds qu'il va briser,
et des vers comme ceux-ci :
Qu'il me faut de vertu pour vous pouvoir quitter 1
... Tascendant vainqueur
Des droits de la beauté joints aux droits du malheur...
A force de sentir je semblais insensible...
C'est l'amant de Bérénice, ou bien c'est l'homme au son-
net, qui prêtent leurs élégances au fils barbare du barbare
Ossian.
La lutte entre l'amour et l'amitié, tel est le fond de
la tragédie. Dermide, proscrit, quitte son pays avec ses
partisans, et confie sa femme Malvina ti Oscar, fils d'Os-
sian, et son plus intime ami. Mais Oscar est épris de Mal-
vina ; comme il lui fait part de ses sentiments, on annonce
la mort de Dermide ; cette mort leur permet de se pro-
mettre l'un à l'autre. Dermide revient inopinément ; ce
1. Acte II, scène 2.
« Oscar » tragédie d'Arnault i 19
coup de théâtre cause le désespoir d'Oscar, qui vient tout
avouer à son ami ; celui-ci le calme et lui pardonne. Mais
comme peu après Dermide est tué, Oscar se sentant accusé
de cette mort se tue lui-même.
Cette pièce, pour le fond et la conduite, atteint, mais ne
dépasse pas, le niveau moyen de ces tragédies selon la for-
mule classique que l'on fabriquait alors en si grand nombre.
11 y règne, à défaut de qualités plus brillantes, une esti-
mable simplicité de moyens, et les machines y sont peu
nombreuses. L'auteur a voulu se servir surtout de l'amitié,
ressort moins usé que l'amour. Or l'amitié joue un assez
grand rôle àansV Ossia)i de Macpherson : les couples Oscar
et Dermid, Gaul et Dermid, étaient peu à peu devenus cé-
lèbres presque à l'égal de Nisus et Euryale ou d'Achille et
Patrocle. Arnault a dû se contenter de ces indications gé-
nérales : sa pièce ne repose sur aucun poème particulier. Le
combat qui amène la mort d'Oscar et de Dermid dans les
poèmes qui portent leurs noms n'a aucun rapport avec Fac-
tion de la tragédie, même en remplaçant «la fille de Dargo»
par Malvina. 11 n'y a d'ailleurs, on le pressent, aucune
profondeur ni aucune finesse dans l'analyse des sentiments.
Mais l'auteur de Lucrèce et de Marins à Mi/iiurnes a tout
au moins de la vigueur et de l'énergie dans la construction
de sa pièce. Aux époques de décadence, le métier, dont on
connaît à fond toutes les ressources, tient lieu de l'âme, et
de cette première fraîcheur de sentiment qui anime l'art à
ses débuts et lui donne la vie.
Arnault nous raconte lui-même ' à quels remaniements il
a été contraint pour mettre sa tragédie au point en vue de
la représentation, remaniements dont la trace est restée
dans les Variantes qui accompagnent la pièce dans les
Œuvres ; comment il a dû récrire deux actes, et combien il
s'est loué des acteurs, et particulièrement de Talma, qui
dans le rôle d'Oscar surpassa son attente, « talent vraiment
sublime », qui < dans aucun rôle ne s'est montré plus pa-
thétique et plus terrible », quoiqu'il jouât « avec une admi-
rable simplicité ». La pièce réussit, dit -il, mais non pas
autant que le talent de Talma le faisait espérer ; l'auteur en
1. Souvenirs d'un sexagénaire, II, 296-299.
120 Ossian en France
retira treize à quatorze cent mille francs... en assignats, qui
convertis en or devenaient sept cent et quelques francs.
Disons tout de suite qu' Osca/' fut repris six ans après, sous
le Consulat, au moment de la plus grande vogue d'Ossian,
et avec un certain succès; la tragédie ne reparut plus sur
la scène depuis cette époque.
Il
Il paraît que malgré le succès des premières représenta-
tions, de fortes réserves avaient été faites par certains spec-
tateurs, car l'auteur fait suivre sa préface d'un morceau
intitulé : .4 quelques personnes, qui est une apologie. Il
représente sa pièce comme un essai de réaction contre
l'amour fade et la galanterie superficielle du siècle ; il doit à
Ossian d'avoir peint la passion avec des couleurs moins
douces, mais plus hardies et plus vraies :
Ceux qui ne cherchent l'amour que dans la galanterie, ceux
qui ne voient que la férocité dans la passion, sont revenus éga-
lement mécontents d'Oscar... J'écris pour les cœurs simples et
purs, pour les âmes fortes et sensibles, pour les hommes ca-
pables d "aimer, pour les femmes dignes d'être aimées, pour
ceux que tant de fureur n'étonne pas, pour celles que tant de
délire n'a point épouvantées... Quelques femmes ont dit : Je
ne voudra.is pas être aimée comme cela...
Le jeune et impétueux Arnault estime au contraire que
c'est comme cela qu'il faut désirer d'être aimée. Quoique
Ossian ne soit pas nommé dans ces lignes, remarquons que
le genre ossianique a été choisi, entre autres raisons, pour
le « délire » des passions et la simplicité tragique des des-
tinées.
C'est surtout le quatrième acte qui était vivement dis-
cuté. Legouvé, ami de l'auteur, fait insérer une Lettre sur
la tragédie d'Oscar ' où il défend avec feu ce quatrième
acte et le déclare « sublime ». Mais dans le même numéro
de la Décade «une abonnée » répond à Legouvé. Elle blûme
1. Décade, X, 95 (8 juillet 1796).
Jugements de la critique 121
la conduite d'Oscar dans la pièce, et rappelle l'auteur au
respect du texte ossianique qu'elle cite : une douzaine de
lignes dans le Combat (V Oscar et de Z)ermif/ depuis :« Fils
de Caruth, dit Dermid, j'aime cette belle...» jusqu'à* Puissé-je
mourir de la main de mon ami ! » Et l'abonnée termine
par ces mots : « Ah I Ossian I Ossian ! Ton génie imita ce
qu'il vit sous ses yeux : il fut simple et grand ! »
La nouvelle du succès arriva en Italie à Cesarotti, qui
ofîrit à son frère en ossianisme un exemplaire de sa traduc-
tion dans la dernière édition parue, celle de 1789. Mais à
Paris les jugements différaient. L'Almanach des Muses ^
analyse la pièce et y trouve une « passion vraiment tragi-
que », une < terreur portée au plus haut degré » et qui est
accrue « par tous les accessoires, par la rigueur du cli-
mat ». Le Magasin Encyclopédique % par la plume de Mil-
lin, consacre un long article à la pièce et félicite d'abord
l'auteur d'avoir puisé le premier à la source ossianique,
sans suivre exactement tel ou tel poème :
On n'avait point encore songé à décomposer les poésies erses
à réunir quelques-uns de leurs traits frappants pour en corn-
poser un ouvrage dramatique... Cette idée était heureuse et
neuve.
L'analyse justifie cette prévention favorable :
On voit que le citoyen Arnault n'a point suivi des routes
battues... La plupart des descriptions puisées dans l'état phy-
sique du ciel et de la terre, et dans les scènes variées qu'ils
offrent aux habitants des montagnes, sont imitées des poésies
attribuées à Ossian avec beaucoup de talent et d'habileté.
A entendre le critique, on croirait qu'il y a autant de
paysage calédonien dans Oscar que, par exemple, de pay-
sage helvétique dans le Tell de Schiller : on a vu qu'il
s'en faut de beaucoup. Une tragédie, au reste, n'est pas
faite pour décrire « l'état physique du ciel et de la terre » ;
qu'elle emprunte au monde matériel les expressions de ses
personnages, soit, et c'est ce qu'Arnault a tenté de faire
1. Almanach des Muses, 1797, p. 267.
2. Magasin Encyclopédique, 1796, I, 547.
122 Ossian en France
toutes les fois qu'il y a pensé. Le critique blâme avec rai-
son les allusions politiques qui émaillent l'entretien entre
Derniide et son fils : « Qu'est-ce qu'un héros ?... Qu'est-ce
qu'un tyran ? » Cet élément de succès facile ne venait pas
d'Ossian. Le jugement resta favorable quand Oscar fut
imprimé, et le même journal remarque que la pièce « perd
moins à la lecture que la plupart des drames nouveaux ».
Décidément « ce n'est point un ouvrage médiocre ^ ». D'au-
tres diront encore, assez longtemps après : « Le fond de
cette tragédie est large, neuf, hardi et profondément dra-
matique '. »
Millui trouvait ingénieuse l'introduction au théâtre du
genre ossianique ; la Décade la trouve détestable. Après
avoir dit que les trois premiers actes sont intéressants, et
que les deux autres sont mauvais, elle continue :
Rien n'obligeait l'auteur à prendre les sites d'Ossian pour
cadre de ses tableaux.. Les amis de la littérature ne trouveront
pas qu'il les ait assez bien copiés pour oser rappeler ce Barde
célèbre, qui fut le peintre des tempêtes et des nuits brumeuses
de son pays, plus que celui du coeur humain. La poésie de ses
descriptions et l'élévation de ses pensées ont bien pu le faire
appeler à juste titre l'Homère du Nord ; mais il n'en a jamais
été le Sophocle '.
Et elle reproche encore à Arnault d'avoir inséré dans son
drame trop de morceaux épiques. Ce passage est curieux
d'ailleurs pour la position qu'y prend le critique à l'égard
d'Ossian. Le Barde n'est pas seulement un peintre ; il pense;
et cependant il ne connaît pas le cœur humain. C'est dire
qu'il est à la fois épique et lyrique, mais que le poète dra-
matique n'a rien à en tirer, parce qu'il n'offre pas de carac-
tères, parce que d'un bout à l'autre il n'y a qu'une seule
âme dans Ossian, c'est celle d'Ossian lui-même.
Clément, qui reprend sous le Directoire la férule du cri-
tique, est beaucoup plus sévère encore *. D'abord il nous
donne cet essai pour un échec : « Il y a une justice à rendre
1. Maçjusin Encyclopédi(Hie, 1796, III, 142.
2. Annales Drainalifines, 180S, VII, 177.
3. Déciide, IX, 556 (18 juin 1796).
4. C16meat (de Diiou), Journal Littéraire, 25 messidor an IV.
Jugements de la critique iî3
au public, c'est qu'il n'a pas goûté cette tragédie, où il n'a
rien vu qui lui fît connaître les anciennes mœurs celtiques. »
Voilà la couleur locale vraie, l'ithos, qui manque, et qui de-
vait manquer à quiconque s'inspirerait d Ossian. Clément
s'imagine qu'il serait facile ou du moins possible de faire
revivre sur la scène « ces anciens Ecossais, passionnés pour
la guerre et pour la chasse, sauvages dans leurs mœurs,
mais capables de générosité, de grandeur d'àme et d'hé-
roïsme». Il ne dit pas, comme la Décade, qu'Arnault a mal
fait de s'attaquer à Ossian : mais il estime qu'il s'est mal tiré
de l'entreprise, et son article de onze pages est plein de graves
réserves, ou plutôt de vifs reproches, car Clément l' inclément
n'a rien perdu de la verve batailleuse qu'a jadis éprouvée
Voltaire. Il est d'ailleurs hostile par principe à la tragédie,
genre épuisé selon lui, genre qui doit céder la place à l'idylle,
au lyrisme, et surtout à l'épopée ' ; c'est un aperçu ingé-
nieux, quoique contestable. Venant au pathos, il blâme les
grands sentiments qui, comme ceux d'Oscar, ne sont pas
relevés par le contraste, par « le mélange de la barbarie et
de l'héroïsme ». Malvina est « une femme moderne, bien
différente des femmes qui figurent dans Ossian, telles que
Lorma,époused'Erragon, et la fille de Dargo. Elle prodigue
les sentences et les réflexions » tandis que les peuples sau-
vages « sentent beaucoup, mais n'ont point l'art de définir
leurs sentiments ». Les personnages sont trop éloquents,
et ils sont trop vertueux : « Malvina est bonne, et Oscar
aussi... Gaul est bon ami, Carril est bon père, Dermide est
bon époux... Il n'y a que la pièce qui soit mauvaise... Le
sujet n'était que sauvage ; mais les vers sont barbares. »
D'ailleurs le pittoresque est peu accentué : « Pour nous
transporter au milieu d'un peuple chasseur, il ne suffit pas
de hasarder les mots de dogues et de bruyères, ni de faire
hurler les tempêtes. »
En résumé, CJément reproche à Oscar d'être une tragédie
animée du pur esprit classique, insuffisamment ossianique
tant pour le pittoresque que pour les sentiments et les carac-
tères, insuffisamment barbare. Il est clair qu'une partie de
ces reproches tombe sur le genre lui-même, une partie sur
1. Journal Littéraire (Introduction), an IV.
I 24 Ossian en France
le contraste entre la matière ossianique et la tragédie clas-
sique, qui suppose des personnages civilisés, cultivés, d'une
remarquable pénétration psychologique, capables de lire dans
leurs âmes et dans celles des autres.
Après la tragédie, la parodie. La parodie, à cette époque
et encore longtemps après, accompagnait nécessairement de
son écho railleur toute pièce qui avait fait quelque bruit sur
la scène sérieuse. Une de celles d'Oscat' fut jouée au Vau-
deville, et sappelait Arlequiîi Hagard. Je n'ai pu la rencon-
trer, et j'en ignore l'auteur ou les auteurs; mais Clément
lui consacre trois pages à la fin de sa critique d'0.«>car. Les
principaux personnages avaient nom Hagard, fUs de son
père, Mal-ira et Dermide. Le parodiste n'avait pas manqué
de railler la scène où Dermide entretient doctement son fils
des vrais héros et des crimes des tyrans ; « Mais, mon fils,
vous avez besoin de dormir. — Cela vient peut-être de tout
ce que tu me racontes. » Clément prétend que cette paro-
die « a beaucoup plus réussi que la pièce ». Mais c'est le
témoignage d'un censeur partial. Une autre parodie s'appe-
lait Médard,fils de Grosjean, avait pour auteurs A.Gouffé
et R. Deschamps, et fut jouée au Théâtre de la Cité, le
5 messidor an IV. On trouve encore une chanson d'Armand-
Gouffé, Oscar fiis d' Ossian, tragédie en cinq couplets \ pas
bien méchante au demeurant, et où quelques invraisem-
blances de la tragédie sont assez bien soulignées :
Au bord de l'eau, la belle Malvina
S'en va, cherchant par-ci par-là
Si Dermide viendra.
Ivre d'amour et de rage,
Oscar vient sur le rivage,
Et puis... s'en va...
ainsi que le moyen par lequel se prépare le dénoue-
ment :
Mais en dormant le marmot a tout vu !
Des noms étranges et peu familiers aux abonnés du Théâ-
tre-Français, des décors surprenants, une forêt semée de
1. Armand-Gouffé, Dation d'essai, 1802, p. 45.
Simon de Ttoyes laS
tombeaux, tout ce qui accomprigtiait l'entrée d'Ossian sur
la scène française devait en eUlt étonner, et provoquer de
faciles et inolFensives plaisanteries.
m
Encouragé sans doute par les lauriers d'Arnault, l'inta-
rissable et insipide Simon de Troyes ' (1740-1818) intitule
Fingal libérateur et Colgar et Sulallin deux tragédies
ossianiques, dont l'une, à vrai dire, n'est qu'une première
rédaction, incomplètement rimée, de l'autre. Ces deux piè-
ces restées manuscrites ^ ne portent pas de date. Comme
l'auteur s'est montré dans ses autres ouvrages fort habile à
saisir l'actualité, on peut les rapporter à l'époque du Direc-
toire ou du Consulat : Simon a été bibliothécaire du Con-
seil des Anciens, du Conseil des Cinq-Cents, puis du Tri-
bunat. C'est à cette époque d'ailleurs que se rapportent
plusieurs de ses tragédies datées : Sophocle et Mutins ou
Rome libre. Son Colgar et Sulallin a pour personnages
Fingal, Hidallan roi d'Inistore (dont l'auteur fait le frère
du roi de Morven), Sulallin, fille d'Hidallan, Colgar, son
amant, le lâche ravisseur Latmor ; tous ces noms nous sont
déjà familiers ; voici encore Caïrbar, Armin, Caithon, Colma,
et d'autres noms inventés, Turloch, Strumond, etc.. ; voici
des guerriers de Morven, des pirates norvégiens, et même
des « esprits aériens, représentés par des femmes ». Odin
et son culte avec ses « esprits souterrains » viennent enri-
chir la mythologie ossianique décidément trop pauvre. De
même, le magicien Caïrbar orne l'action d'un élément nou-
veau ; il conjure les esprits, les furies. Cette tragédie non
jouée ressemblée un médiocre livret d'opéra, d'autant qu'elle
est en partie écrite en vers libres, ce qui n'est pas rare à
1. Sur cet écrivain, voir Auguste Marguillier : Un poêle Iroyen an
XVIII" siècle, Edouard-Thomas Simon, dit Simon de Troyes ; Troyes,
1890.
2. Bibliothèque de Troyes, Mss., 2789, 1. 1". Je dois les détails qui suivent
à l'obligeance de M. Remy Géant, qui a bien voulu étudier pour moi les
manuscrits de Simon de Troyes et m'en communiquer une analyse détaillée.
J26 Ossian en France
cette époque, et même contient des « romances ». Par la
variété de ses personnages et de sa mise en scène, par son
merveilleux, elle achemine Ossian vers l'opéra.
Fingal libérateur est probablement une première rédac-
tion de la tragédie. Le texte est en prose avec quelques
scènes en vers. Les noms des personnages sont différents
et beaucoup moins ossianiques, ce qui ne laisse pas de sur-
prendre. L'auteur veut opposer le merveilleux Scandinave
à l'eschatologie ossianique, mais il n'y réussit guère, car
l'un comme l'autre tiennent bien peu de place dans son
œuvre. Par un bizarre mélange, c'est le très celtique Caïr-
bar qui prononce une incantation à la Vénus Scandinave :
Et toi, Freya, qui portes dans les âmes
Le doux poison des voluptés,
Fais brûler de tes vives flammes
La plus ingrate des beautés...
Simon de Troyes, dont le hasard nous a conservé les ma
nuscrits, peut être considéré comme le type de ces ama-
teurs studieux qui cherchaient dès cette époque, chacun de
son côté, à rajeunir la poésie classique en la parant des
couleurs ossianiques ou Scandinaves. Plus hardi que d'au-
tres, il aurait voulu donner au théâtre l'exemple de cette
rénovation ; à cet égard, ses essais ignorés sont curieux à
signaler.
IV
Il n'y a qu'une analogie de nom entre la poésie ossia-
nique et Malvijia ou la Grotte des Cyprès, mélodrame qui
se joua à la Porte Saint-Martin le 8 prairial an XI. Je ne
crois pas non plus qu'Ossian ait rien à voir au drame de
Favière et Pertuis, Fanny Morna ou l Ecossaise, joujé en
1800, et que je n'ai pu rencontrer. Il semble que le succès
estimable d'Arnault ait détourné les auteurs dramatiques
de recommencer son essai de tragédie ossianique : on ne
« Les Bardes » opéra de Le Sueur i 27
voit pas trop en effet comment dans ce cercle étroit de per-
sonnages et d'événements, enchaîné de plus par les lois
sévères du genre tragique, on eût pu éviter la monotonie.
Par contre, Ossian offrait à l'opéra un domaine très fécond:
ce décor nouveau, ces héros vagues et sans dessous psycho-
logiques, mais grandioses, ces apparitions de fantômes, ces
bardes et ces vierges qui déjà dans les poèmes ossianiques
chantent souvent en chœur, tout s'y prêtait à merveille. A
l'apogée de l'ossianisme napoléonien correspond l'apogée
de l'art ossianique, et Les Bardes de Le Sueur * viennent
admirablement à point.
Le Sueur était un artiste sérieux et plein de foi, un homme
dont ses élèves et ceux qui l'ont connu parlent avec res-
pect et sympathie. La musique religieuse était sa vocation
par excellence. Mais on trouvait dans La Cat;er/îe (1793) une
« inspiration forte et guerrière » ; dans Paul et Virginie
(1794) un Hymne au Soleil qui a peut-être dû quelque chose
au thème ossianique. D'ailleurs Berlioz nous apprend que
Le Sueur, qui fut son maître comme celui d Ambroise Tho-
mas et de Gounod, et pour qui il a toujours marqué beau-
coup d'estime et de reconnaissance, avait en l'authenticité
d'Ossian une foi inébranlable. Ossianetla Bible, ajoute Ber-
lioz, étaient les sources poétiques qui l'inspiraient le mieux ^.
C'est de lui que vint certainement l'idée d'emprunter le pre-
mier à Ossian un grand ouvrage lyrique, destiné à paraître
sur la première scène de France. Il dut commencer à s'en
occuper dès 1800 au plus tard. Le livret des Bardes est signé
de Deschamps et Dercy ; mais, sur le registre de l'Opéra, le
nom de Dercy est seul indiqué. A la vérité, Dercy s'en était
d'abord chargé, mais son livret fut trouvé faible, et Des-
champs fut appelé à le remanier ou à le refaire dans une
proportion que nous ignorons. D'importants fragments en
avaient déjà été exécutés aux concerts spirituels de l'Opéra,
en 1801 et 1802 '. Cette dernière fois, le 24 germinal an X,
l'œuvre de Le Sueur, en bon état d'avancement, fournit toute
1. Ossian, ou Les Bardes, opéra en 5 actes, 1S04, par Le Sueur, paroles
de Deschamps et Dercy.
2. H. Berlioz, Mémoires, 1870, p. 24.
3. Ossian ou Les Bardes, réduit pour piano et chant, 1883; Introduction,
par Louis Laffon. — Publiciste, 16 avril 1802.
1 2 8 Ossian en France
la première partie du concert. On y entendit le Chant à
grand chœur des Bardes ; l'air de Rosmala promise à.
Ossian, qu'elle chante dans la forêt de Selma ; le Sommeil
d'Ossian, suivi de TAir d'un vieux Barde; l'Hymne du matin,
chanté par les cent Bardes de Selma. On voit que Le Sueur
savait l'art de préparer le public et les dilettantes à goûter
son opéra quand enfin il paraîtrait sur la scène. Tandis
que Dercy, trop modeste, destinait l'œuvre au théâtre Fey-
deau,Le Sueur rêvait d'un cadre plus imposant, et arriva non
sans peine à la faire jouer à l'Opéra. Il eut à lutter contre
des retards imprévus, contre des difficultés sans cesse re-
naissantes, que la volonté nettement exprimée du souverain
fit évanouir comme par enchantement. Napoléon aimait
Ossian : il voulait l'applaudir au théâtre. La première re-
présentation eut lieu le 10 juillet 1804 (21 messidor an XII)
non pas, comme on l'a dit, au Théâtre de la République et
des Arts, mais à l'Académie impériale de musique, car tel
était depuis six jours (le 15 messidor) la nouvelle appellation
de l'Opéra, qn'Ossia?} ou les Bardes inaugurait « d'une façon
splendide ». Ce fut un grand, un glorieux succès. Par une
chaleur de trente degrés, une foule énorme se pressait aux
portes, et beaucoup ne purent entrer. Napoléon, accompa-
gné de Joséphine, était arrivé presque au début ; il avait
donné le signal des applaudissements. Il fit appeler l'auteur
après le troisième acte. Comme jadis Jean-Jacques, Le Sueur
se trouvait pris fort au dépourvu : il jugeait que sa per-
sonne négligée et sa tenue de travail lui interdisaient de se
présenter devant son souverain ; non que sa mise fût volon-
tairement sans-façon par vanité plébéienne, mais il venait
de passer plusieurs nuits et plusieurs jours au travail, avec
ses décorateurs, ses machinistes, ses musiciens et ses inter-
prètes. Comme on représentait à l'Empereur que Le Sueur
ainsi fait n'osait se montrer : « Je sais ce que c'est qu'un
jour de bataille, répliqua-t-il, et je ne prends pas garde ce
jour-là à la tenue de mes généraux. » Et l'auteur dut com-
paraître : « Monsieur Le Sueur, lui dit Napoléon, je vous
salue. Venez assister à votre triomphe. Vos deux premiers
actes sont beaux, mais le troisième est incomparable '. »
1. Raoul Rochelle, A'/oje de Le S/jeur, 1844. Nolabililés contemporaines,
notice sur Le Sueur. Berlioz, Les Soirées de l'Orchestre, 4« éd., 1884, p. 255.
« Les Bardes » opéra de Le Sueur 129
— « Vivement ému d'un pareil suffrage, et des cris et des
applaudissements qui éclataient de toutes parts, Le Sueur
voulait se retirer; Napoléon le prenant par la main le lil,
avancer sur le devant de sa loge, et, le plaçant à côté de lui :
— Non, non, restez ; jouissez de votre triomphe ; on n'en
obtient pas souvent de pareils'. » Le lendemain, Le Sueur
vit arriver Duroc, qui venait lui apporter, d'abord la croix
de la Légion d'honneur, puis une tabatière en or, où étaient
gravés ces mots : L Empereur des Français à l auteur des
Bardes % et qui contenait six billets de mille francs. Six
mois plus tard, une somme égale lui était accordée, en rai-
son du succès persistant de sa pièce ; et quand l'Empereui ,
quelques années après, lui donnait 2400 francs « pour le
papier » qu'il avait employé à écrire ses vingt-deux messes
et oratorios, c'est encore l'auteur des Bardes qu'il récom-
pensait de façon délicate. 11 faisait à Erfurt, devant les sou-
verains et les princes de l'Europe, l'éloge de l'œuvre dans
les termes les plus chaleureux. Un jour, il interpelle Le
Sueur par les mots d' « illustre Barde ! » et avec sa brus-
querie coutumière lui demande pourquoi il n'écrit plus.
L'auteur d'Ossian lui répondant qu'il ne trouve pas decoU.i-
borateur pour certaines paroles, il lui indique Baour-Lormitm.
Le Sueur reçut aussi un brillant, pour son opéra, de la rein<
Louise de Prusse. Napoléon et Joséphine signèrent son con-
trat de mariage, faveur qu'il obtint seul des écrivains «mi
artistes de son temps.
Le succès des Bardes se prolongea. La pièce fut jou/.-
souvent de 1806 à 1811, remise à la scène le 31 mai 181 i,
jouée encore en 1815, reprise le 29 septembre 1817 ; en tout
soixante-sept représentations, « un des plus grands succès
que l'Opéra ait jamais eu à enregistrer' ». C'est le succès des
rapporte ainsi ces paroles : « Monsieur Le Sueur, voilà de la musique en
tièrement nouvelle pour moi, et fort belle ; votre second acte surtout esi
inaccessible. » Le Sueur, qui avait été longtemps son maître, lui avait raconti:-
dix fois cette soirée mémorable. Le mot inaccessible est aussi dans le texte
des NoLa,hllilés contemporaines. Si étrange que fût le français de Napo-
léon, ce mol étonne ; mais c'est probablement le mot exact: Raoul Rochctti;
dans son éloge académique l'aura traduit pour ses auditeurs.
1. Berlioz, ib.
2. Berlioz, ib., et Mémoires, p. 25.
3. 0. Fouque, Les Révolutionnaires de la Musique, 1882, p. 4.
i3o Ossian en France
Bardes qui valut à Le Sueur le poste, envié entre tous, de
maître de chapelle des Tuileries, poste qu'il occupa jusqu'à
la lin de sa carrière sous trois régimes dilTérents.
Nous ne pouvons étudier dans le détail la valeur de l'opéra
au point de vue musical. Mais il faut noter que pour accen-
tuer la couleur ossianique de l'instrumentation, Le Sueur
avait mis douze harpes à l'orchestre. D'ailleurs, nombre de
juges compétents restent, de nos jours, favorables aux
Bardes. L'auteur, d'après eux, « un précurseur de Berlioz
et de Gounod ^ », et même « un Berlioz manqué ^ », té-
moigne par endroits « d'une personnalité presque géniale »
et rappelle « les ébauches de Rembrandt ^ ». Les techni-
ciens y trouvent à louer « une harmonie sévère et plagale,
la majesté de la phrase, la bonne disposition des masses
chorales ». On voit que Le Sueur reste « au théâtre un mu-
sicien d'église » ; et ce dernier point est à noter, car le succès
de son Ossian est venu de l'harmonie entre le genre nou-
veau et le style habituel de l'auteur. Je dois enregistrer
l'opinion contraire, qui paraît être de nos jours celle des
juges les plus autorisés : d'après eux, l'opéra des Bardes
doit aujourd'hui être considéré comme à peu près sans va-
leur. C'est assez l'avis des amateurs avertis et délicats qui
en entendent ou en jouent d'importants fragments au piano.
Mais ce n'était pas celui des contemporains, qui louaient
«la puissance de l'instrumentation, l'énergie de ces graves
harmonies * », qui saluaient dans Les Bardes « le chef-
d'œuvre musical de toute une époque », qui y trouvaient
« une vérité de couleur locale, un parfum de simplicité pri-
mitive, une poésie sublime et grandiose ^ ». Paesiello écri-
vait à Le Sueur quatre jours après la première représenta-
tion : « Tout y est sublime, original, tout y est dans la na-
ture". » Le peintre David, si classique, si peu ossianique,
ne se montrait pas moins conquis '.
1. L. Laffon, Notice à'Ossian ou les Bardes, réduit pour piano et chant,
1883, p. 2.
2. 0. Fouque, p. 5.
3. Julien Tiersot, Les adaptations scéniques de Werther {Le Livre et
l'Image, I, 86).
4. G. Slenger, La Société française pendant le Consulat, 5° série,p. 235.
5. Notabilités contemporaines, I: Notice sur Le Sueur, 1844.
6. Lettre du 14 juillet 1804, reproduite dans la Notice de L, Laffon.
7. Archives générales : Notice sur Le Sueur, s. d., p. 24.
« Les Bardes » opéra de Le Sueur i3i
La pièce comptait 46 rôles et 39 parties d'orchestre. Le
héros est Ossian « chef d'une tribu de la Calédonie, barde
et guerrier célèbre ». Cet Ossian-ci est le jeune et valeu-
reux Ossian, le fils préféré du grand Fingal, le vainqueur
d'Uthal et de Rothmar, le libérateur de Berrathon et de
Croma, et non pas le vieillard débile, aveugle et tremblant
qui recommence un perpétuel lamento. En face de lui,Dun-
talmo, prince Scandinave ; puis l'héroïne Rosmala, Hydala,
chef des Bardes, etc.. Le premier acte se passe au pied de
la statue d'Odin, devant la grotte de Fingal. On se trouve
ensuite transporté dans « une solitude d'un aspect âpre et
sauvage », devant une « vaste caverne taillée dans le roc »,
où l'on prépare un sacrifice humain ; on aperçoit « le rocher
où le sang des trois victimes doit être offert au dieu des
Scandinaves ». L'on voit les « héros assis sur leurs trônes
de vapeurs ». Et ce ne sont que « boucliers à sept voix,
harpes prophétiques, et autres signes mystérieux consacrés
chez les Calédoniens ». Cela va bien : mais pourquoi les
bardes sont-ils couronnés de lauriers, vêtus de chlamydes ?
pourquoi ces gerbes de fleurs ? L'antique, si fort à la mode
en 1804, a déteint sur la Calédonie. De même Rosmala
porte « le costume des Amazones » ; de même Ossian offre
la guerre à Duntalmo en ouvrant, comme Fabius è. Carthage,
le pli de sa robe , et de même l'auteur du Carmen saecu-
lare reconnaîtrait sans peine le mouvement lyrique qui ter-
mine la pièce : « Soleil, s'écrie le chœur, puisses-tu n'éclairer
rien de plus grand ! »
Faut-il raconter le « poème » ? Duntalmo veut marier
son fils Mornal à Rosmala, fille du barde Rosmor, et aimée
d'Ossian. Celui-ci lui déclare la guerre. Le prince traître
accuse faussement ses ennemis d'avoir enlevé Rosmala
malgré leurs promesses ; il coupe le pont derrière Ossian
et le retient prisonnier pour l'immoler, ainsi que Rosmor
et Rosmala, sur l'autel du Dieu Scandinave. Mais, comme
on le pense bien, c'est le tyran qui périt et les victimes qui
triomphent. Le morceau le plus remarquable, et d'ailleurs
le plus ossianique d'inspiration, était peut-être le Sommeil
d'Ossian, au quatrième acte.
32 Ossian en France
Quelques témoignages de l'accueil fait aux Bardes dans
la presse nous montreront ce dont nous avions lieu de nous
douter : on admire la musique et encore plus la mise en
scène, on fait des réserves sur le poème. « Cet ouvrage a
obtenu un succès mérité... ce n'est pas à l'auteur des pa-
roles qu'il le doit. Le plan de ce poème est mal conçu...
mais les décorations, surtout les perspectives des palais
aériens, etc.. * » C'est, à les en croire, « le spectacle le plus
merveilleux qu'eût encore présenté l'Opéra si fécond en
merveilles». C'est aussi l'avis que VAlmanach des Muses -
rapporte en son style, nous dirions, télégraphique : « Poème
([ni a essuyé beaucoup de critiques ; musique dont on a fait
les plus grands éloges... ; des décorations magiques ; très
beau spectacle ; représentations très suivies. » En 1810
encore, la reprise faisait « grande sensation ' », probable-
ment dans le même sens.
Ce sont là des témoignages complaisants ; les deux
.uticles qui comptent le plus sont, au contraire, très sévères.
Celui du Mercure est une charge à fond *. Le critique trouve
tout mauvais, l'exposition « pénible et embrouillée », le
style «faible, lâche et sans valeur ». Il reconnaît que les
connaisseurs apprécient dans la musique une « facture
savante » et « un style grand et large ». Un autre, plus
sévère encore, trouve qu' « il y a des longueurs insuppor-
tables » et que « les chœurs sont dignes des habitants de
la Galédonie ' ». Plus important encore est le jugement de
GeotlVoy. Son article "est un morceau important pour l'his-
toire de l'ossianisme français, un manifeste du parti de la
résistance, et qui se rattache aux polémiques suscitées par
la théorie de M"' de Staël dans sa Liltéralure, car Geolfroy
combat sur le dos de Le Sueur et des librettistes tout le
1. Annales Dramatiques, 180S, I, 47».
•2. Aimanach das Muses, 1805, p. 276.
;*. Magasin Encijclopédi([ue, 1810, \'l, 131.
i. Mercure, 14 juillet 1804.
.). Les Quatre Saisons du Parnasse, hiver 1806, p. 304.
6. Journal des Débats, 23 messidor an XII ; Geoffroy, Cours de Littéra-
ture Dramatique, V,57.
Critiques et parodies i33
parti ossianiste OÙ il flaire un romantisme latent et suspect.
Nous y reviendrons à cet égard. Pour nous borner à ce qui
concerne l'introduction d'Ossian à l'Opéra, le hargneux cri-
tique se garde de parler de la musique ; il constate seule-
ment que «le musicien a voulu peindre ime nature extraor-
dinaire, des mœurs sauvages, et donner à son ouvrage ce
caractère mâle, ce ton religieux, et ce fanatisme guerrier qui
respire dans les poésies d'Ossian » . D'ailleurs, même à l'Opéra,
surtout à l'Opéra, le genre lui paraît peu agréable ; et le
surnaturel lui en paraît surtout lugubre. « Il me semble que
les riantes fictions d'Homère conviennent mieux à l'Opéra
que les vapeurs noires d'Ossian : j'aime mieux l'Olympe
grec, peuplé de jeunes dieux et de jolies déesses, que ce
paradis de brouillards, ces ombres dans les nuages. » 11 a
peut-être raison: tout dépend de la façon dont on comprend
le rôle de l'Opéra. D'ailleurs, on ne voyait pas que l'Olympe
à l'Opéra: la liste des œuvres qui y avaient été jouées pen-
dant les deux années précédentes nous montre, à côté d'un
Anacréon et, si Ton veut, d'une Proserpine, im Saul, une
Sémiramis, un Tajnerlan, un Maliomet II, un Pavillon du
Calife, et même un Connétable de Clisson. L'Opéra s'ouvre
à Ossian comme il s'était ouvert à tant de légendes ou de
tableaux infiniment divers,
A la suite du triomphateur, voici l'escorte desparodistes.
Les Bardes n'en suscitent pas moins de trois, chose assez
rare. Dès le 30 messidor, on joue Bombarde ' au théâtre
de Molière. C'est fort inofîensif et fort ennuyeux ; et la
parodie n'atteint pas Ossian ;elle n'a de drôle, si l'on veut,
que quelques méchants calembours : « le fils de Fringale
t'avalera »,et cette casserole que l'on frappe sept fois pour
faire retentir les sept voix de la mort. Quand on a feuilleté
im certain nombre de ces parodies depuis le Directoire jusque
vers 1840, on s'aperçoit d'ailleurs qu'elles évitent, peut-être
systématiquement, de travestir ce qui en elTet prêterait à
la raillerie ; elles se contentent de quelques facéties pué-
riles, et surtout ne manquent pas de terminer par des pro-
testations d'admiration pour l'œuvre et des excuses de la
1. Daudet, Servière et Léger, Bombarde ou la, Marchande de chansons,
1804.
i34 Ossian en France
liberté grande qu'elles ont prise. La morale du genre est
dans le dernier couplet de Bombarde :
Des traits bouffons d'une Muse en folie
Ces grands talents ne peuvent s'irriter,
Car franchement, quand on les parodie,
On voudrait bien pouvoir les imiter.
Le vaudeville de Francis et Désaugiers, Oh ! que c'est
sciant ! joué cinq fois en fructidor \ est meilleur à tous
égards. On y voit Oxessian, directeur du théâtre d'Angou-
lème, Barharo, Rosmoila,Aitela,ei autres plaisants person-
nages. Au fond de la scène, une boutique de rôtisseur ayant
pour enseigne une dinde bardée et sur laquelle on lit A la
renommée des Bardes. Les parodistes ont tiré bon parti de
cette planche que dans l'opéra on retire après le passage
d'Ossian. Barbaro s'en passe : « Eh bien ! dit-il, faites la
planche ! » et il se jette à la nage. N'oublions pas un troi-
sième vaudeville, Ossian cadet, ou les Guimbardes -, que
l'on j-oue dès thermidor. Il est, dit le titi^e, « bardé de cou-
plets ^ », et les principales situations de l'opéra y sont
reprises sur l'air J'ai du bon tabac et autres du même
genre. La scène se passe au pays basque, parce que la guim-
barde au sens propre était une manière de guitare basque.
Rosmala, qui était tout à l'heure devenue Rosmoila, s'ap-
pelle maintenant Rose-malade ; et Quivala, armé d'une lan-
terne, fait défiler devant Ossian, ancien maître d'école, qui
est enfermé dans une cave, des ombres chinoises qui sont la
caricature du défilé des fantômes dans l'opéra. On sourit en
transcrivant ces puérilités : heureux le temps où c'était
l'honnête divertissement des grandes personnes 1
VI
Le Théâtre-Français et l'Opéra avaient eu tour à tour
leur Ossian : restait l'Opéra-Comique à pourvoir. Méhul,
qui avait déjà mis et qui devait encore mettre en musique
1. Francis et Désaugiers, Oh! que c'est sciant, ou Oxessian, 1804.
2. Diipaty, Ghazel et Moreau, Ossian cadet, ou les Guimbardes, 1804
3. Les couplets sont repris dans le Chansonnier des Grâces, 1807.
a Uthal » opéra de MéhuI i35
les chants ossianiques d'Arnault, s'en chargea en donnant
Uthal \ qui est d'ailleurs un opéra fort sérieux, mais en un
acte seulement. Il paraît que Méhul détestait Le Sueur, et
que c'est pour lui faire pièce qu'il voulut avoir, lui aussi,
un succès qui lui vînt d'Ossian ; mais son espoir fut déçu '.
Uthal fut joué en mai 1806, deux ans après Les Bardes.
Les paroles étaient de Bins de Saint-Victor \ Ce dernier
paraît avoir été lié avec Girodet, d'après les termes de la
dédicace par laquelle il offre au peintre d'Ossian l'hommage
de son poème. Dans une Préface de quelques pages, il dé-
fend les droits du genre ossianique contre les critiques de
certains journalistes ; il prend la légende ossianique comme
une tradition reçue, et cette thèse, en 1806, est significa-
tive :
Il ne s'agit pas d'examiner ici si ces héros sont réels ou fabu-
leux, si la tradition de leurs mœurs est réelle ou supposée ; il
suffît, je pense, que cette tradition soit reçue, pour que j'aie dû
m'y conformer.
Mais, disent les critiques, votre sujet « est sans intérêt ».
Pas du tout, répond l'auteur, c'est « l'un des plus touchants
qu'il soit possible de trouver » ; et il n'a qu'un regret, c'est
de n'en avoir pas tiré trois actes au lieu d'un seul. Après
avoir résumé les mœurs calédoniennes — ce qui prouve, et
nous nous en doutions, que malgré les cantates et les ro-
mances elles n'étaient pas si familières au public qu'on le
croirait — il ajoute :
J'ai dû... conformer les formes du style à celui d'Ossian, et je
l'ai fait autant que les convenances théâtrales et le respect dû à
la langue m'ont permis de le faire.
Les convenances, le respect dû à la langue, voilà ce qui
depuis quarante ans entrave ou dévie l'influence ossianique.
1. Quatremère de Quincy affirmait doctement, en pleine Académie :
« Uthal est un sujet ossianique, monde inconnu, où l'art musical n'avait
pas encore porté ses pas. » Il n'oubliait que Les Bardes, et Le Sueur était
peut-être assis en face de lui! (Notice sur Méhul, dans Recueil de Notices
historiques, lues dans les séances publiques de l'Académie des Beaux-Arts,
p. 137.)
2. Berlioz, Soirées de l'Orchestre, p. 396-397.
3. De Saint-Victor et Méhul, Uthal, opéra en un acte et en vers, imité
d'Ossian, 1806.
1 ^6 Ossian en France
« La scène se passe dans une forêt. » Comme décoration,
« des rochers ombragés de pins et autres arbres des forêts
<lu Nord ». La géographie botanique et l'opéra font deux,
nous le savions. « La nuit est au milieu de sa course... L'ou-
verture indique un orage... » 11 y a des mètéorei^, des chênes
'■/rtbrasés, des ùnnjères, des harpes, et des fan tomes assis sur
'les nuages. C'est dans ce décor grandiose et sinistre que
paraissent Larmor, chef de Du7ithalmon (pour Du)ilathmon\
forme empruntée à Baour), Malvina, sa fille, Uthal, son
.i;endre, Ullin, son barde en chef, autour desquels se grou-
pent d'autres bardes et des chœurs de guerriers et de bardes.
< le Larmor ressemble au roi Lear, et Malvina à Cordelia, ou
I >l utôt à une Cordelia qui aurait pour mari l'époux de Regane
<ui celui de Goneril. Elle est fidèle à son père, qu' Uthal
a chassé ignominieusement « au milieu des tempêtes ».
Mais Fingal, prévenu par le fidèle Ullin, va venir punir le
rebelle ; Uthal est vaincu. Malvina intercède pour son mari ;
le vieux Larmor est implacable. Alors Malvina déclare
qu'elle vivra ou mourra avec lui : « J'appartiens au plus
malheureux. » Larmor pardonne. L'histoire est tirée de Ber-
rathon, qui offre l'essentiel de la situation. Mais Nina devient
Malvina, par suite du phénomène de simplification déjà
constaté, et les détails sont changés. Le poème de Saint-
\'ictor vaut infiniment mieux à tous égards que celui de
Deschamps et Dercy ; les vers surtout sont plus heureux.
Une innovation hardie attirait surtout l'attention des
musiciens : l'emploi exclusif des altos au lieu de violons
dans l'orchestre. Cette nouveauté fait l'objet d'une longue
l.pttre de Gossec au Journal de l'Empire. Le vieux maître
félicite chaudement son jeune rival : cet emploi des quintes,
dit-il, est très heureux ici, à cause du caractère grave et
higubre de l'action, et « pour sacrifier l'éclat à la vérité ' ».
(rrétry n'était pas de cet avis : < Interrogé à ce sujet, il
répondit franchement : Je donnerais un louis pour entendre
nne chanterelle. » Et Berlioz, qui nous rapporte ce mot,
• •stime qu'en effet « il résultait une monotonie plus fati-
gante ({ue poétique de la continuité de ce timbre clair- obs-
nir' ». D'autres ont considéré aussi cette extension inusitée
\. Journal de l'Empire, 18 juin 1806.
•j. Berlioz, Les Soirées de l'Orchestre, p. 398.
Jugements de la critique i3j
du rôle de Talto « comme une sorte de voile ou de teinte
fî^risâtre étendue sur toute la composition. Peut-être — con-
tinue Ouatremère de Quincy — l'effet eût-il été plus fort et
plus senti, s'il eût été plus réservé \ » Il est intéressant,
en tout cas, de noter cet essai de transposer et de rendre
dans le domaine des sojis cette impression de gravité mélan-
colique et sombre qui se dégage d'Ossian.
Sur le mérite de l'œuvre en général, le Mercure, qui ne
veut pas recommencer sa diatribe contre Les Bardes, estime
que « la mythologie d'Ossian une fois admise » le poème
est bon *. La Décade est plus sévère : le rédacteur L. G.
remarque que ce « poème ossianique mêlé de chants » n'est
« ni comédie ni tragédie ni drame ni opéra ». Grand défaut
aux yeux d'un partisan déterminé de la séparation des
genres ! Vthal appartient sûrement au « genre ennuyeux ».
Le sujet, « trop sévère, comportait peu de variété ». Gette
œuvre qui « vous transporte au pays des bardes, des mé-
téores et des orages » est « plus faite pour plaire aux oreilles
exercées en musique et en poésie qu'au plus grand nombre
des spectateurs '^ ». Aveu d'incompétence assez naïf en
somme. Le Magasin Encyciopédique est également du parti
de la résistance à Ossian. Il ergote sur le terme d'opéra-
comiqne, et demande si « les larmes de Malvina, la haine
de Larmor, et les fureurs d'Uthal », si « les grottes de Fin-
gai, les cyprès, les nuages, le chant des Bardes, ont quelque
chose d'amusant ». En somme, poème d'une « monotonie
fatigante * ». Geoffroy, lui \ rend hommage à la musique : il
y trouve « du style... de l'intérêt... des airs de belle fac-
ture, des morceaux d'un grand effet ». L'ouverture surtout
« d'une teinte sombre > produit « un bel effet de mélanco-
lie » et la romance d'Uthal est « très agréable ». En un mot
« l'ouvrage a du mérite ; mais ce n'est pas là sa place ».
Toujours les compartiments étanches, en musique comme
en poésie ! Mais ce n'est pas tout : le sévère Geoffroy a fait
une découverte : « Le sujet est pris dans le bon Plutarque.
1. Quatremère de Quincy, Notice..., p. 137.
2. Mercure, 24 mai 1806.
3. Décade, XLIX, 434 (1" juin 1806).
4. Magasin Encyclopédique, 1806, III, 433.
5. Journal de l'Empire, 21 mai 1806.
1 38 Ossian en France
C'est l'histoire de Cléonis dans Agis et Cléomène »,s'écrie-
t-il. Vérification faite, il y a dans la Vie d' Agis ^ une Ghi-
lonis (et non pas Cléonis), fille de Léonidas et femme de
Cléombrote, dont l'histoire a quelque rapport avec celle
de la Malvina de Saint-Victor, c'est-à-dire de la Nina de
Macpherson. Mais Geoffroy, quoiqu'il le donne à entendre,
ne sait pas Plutarque par cœur : il s'est tout bonnement
souvenu d'un tableau qui avait figuré au Salon de l'année
précédente, et où Chilonis s'appelait déjà Cléonis.
La pièce fut jouée neuf fois. C'était un accueil bien froid,
et sans doute elle eût eu plus de chances de plaire au public
de rOpéra qu'à celui de la rue Feydeau.
Quelques jours plus tard, le Vaudeville affichait Brutal,
une parodie à'Ulhal-. A côté de l'inévitable Fringal, nous
y trouvons, avec le jeune Brutal, l'amoureuse Malvienla,
V « expère noble » Sanremor, et Nul lin, « utilité de la
troupe ». Voici deux traits qui donneront au moins l'idée
du reste. Dans l'exposition ; « Pourquoi donc t'ai-je fait
ces questions? Ne savons-nous pas qui nous sommes? »
La raillerie pourrait s'appliquer à bien des pièces, classiques
ou modernes. Et plus loin: « Gomment! est-ce qu'on s'as-
sied sur un nuage? — Oui, dans les poésies d'Ossian. »
La pièce est jugée peu comique par le sévère Magasin
Encyclopédique ^.
Ce n'est pas ici le lieu de parler du Colmal de Winter,
autre opéra ossianique, puisque c'est une œuvre allemande
jouée en Allemagne; mais il faut noter qu'il est signalé en
France au moins par un journal, lequel lui donne de grands
éloges. Comme Le Sueur, Winter s'était attaché à « con-
server à la musique le caractère du poème, par la simpli-
cité et la beauté imposante de la mélodie * ». Quelques
années plus tard on classait dans le genre ossianique l'opéra-
comique de Catel, Wallace ou le Ménestrel écossais, que
je n'ai pu rencontrer. Il n'y avait probablement pas grand
chose d'Ossian dans le poème ; mais dans la musique, nous
1. Plutarque, Vie d'Agis, VIII.
2. Pain et Vieillard, Brutal ou II vaut mieux tard que jamais, vaude-
ville, 1806.
3. Magasin Encyclopédique, 1806, III, 434.
4. Ih., 1807, VI,' 394.
« La Caverne d'Ossian » pantomime 1 39
dit-on, « la monotonie se fait quelquefois sentir. Il semble
que ce soit un écueil inévitable du genre ossianique. » Et
le critique rappelle queMéhul«a déjà échoué dans un sujet
semblable ' ».
On sait combien la'pantomime fut à la mode sous le pre-
mier Empire. Cette forme populaire du théâtre manquait à
la gloire d'Ossian. Il la revêtit après tant d'autres, à la fin
de cette période, en 1815. Le Chef Ecossais, on la Caverne
d'Ossian % offrait aux yeux de beaux et poétiques tableaux.
Le spectateur se trouve d'abord devant la caverne. Un Barde
parle en pantomime à son jeune élève « de la gloire de Fin-
gai et d'Ossian dont il croit voir les images dans leurs palais
aériens », et il lui montre les nuages amoncelés. Le théâ-
tre représente ensuite l'intérieur de la caverne. « Dans le
fond, le tombeau d'Ossian au milieu des rochers. » II y a
aussi une harpe, un bouclier d'airain sur lequel on lit ;
Bouclier de Trenmor ; quand on le frappe, il rend un son
« éclatant et lugubre » ; une grande pierre qui porte le nom
de Fingal. — « Tout est monument » dirait Ballanche. ~-
Cette caverne est machinée : en appuyant sur un ressort, on
bloque l'entrée tout à coup. Inutile de raconter maintenant par
quelles aventures « le fils de l'orgueilleuse êulmalla, prin-
cesse d'Ecosse » recouvrera le trône de ses pères. Les noms
et les détails ossianiques sont respectés dans cette panto-
mime, qui offre une contamination de l'ossianisme avec une
influence écossaise de date plus récente, non pas celle de
Walter Scott sans doute, puisque nous ne sommes qu'en 1815,
mais celle de quelqu'un de ces romans d'aventures comme
on en fabriquait volontiers à cette époque.
Nous ne trouvons rien après cette année-là qui nous montre
Ossian ou quelqu'un des siens remontant sur les planches.
Les Bardes de Le Sueur n'ont plus été joués après 1817. Ainsi
se clôt la période du théâtre ossianique, qui avait commencé
avec l'Oscar d'Arnault en 1796 : pendant ces vingt années,
qui sont exactement celles de la plus grande vogue du Barde,
nous avons trouvé trois grandes pièces proprement ossia-
niques, avec leurs reprises, avec leur cortège de parodies,
1. Mercure, 5 avril 1817.
2. Cuvelier, Le Chef Ecossais, ou la Caverne d'Ossian, pantomime en
2 actes, 1815.
140 Ossian en France
un drame qui se rattache au genre, et une pantomime. Rien
de tout cela n'a survécu, et la tragédie, Topera, malgré le
succès temporaire de ce dernier, ont été rejoindre dans
l'ombre et la poussière les facéties sans prétention. On di-
rait que, sous quelque forme qu'il se produisît, le genre
ossianique était condamné à ne briller qu'un moment et à
s'éteindre presque aussitôt : feu d'artifice qui enchante un
instant les yeux, mais dont l'éclat ne laisse aucun souvenir
durable.
CHAPITRE V
La peinture ossianiquc
(1801-1817)
I. Le Premier Consul et la commande pour la Malmaison. L'Ossian de
Gérard. Son histoire ; son sujet ; son caractère.
II. L'Ossian deGirodet.Son histoire. Les têtes d'étude d'Aubry-Lecomte.
Description du tableau par le peintre lui-même. Eloges et réserves :
la critique ; David ; les poètes. Conclusion sur ce tableau.
III. Girodet poète : Le Peintre. Un tableau ossianique restitué à Girodet.
Ses dessins ossianiques.
IV. La Malvina, de Gros. L'Ossian de Ingres ; tableau et dessin.
V. Autres peintres : VOssian de Forbin. Une scène d'Ossian par M"« Har-
vey. Tableaux de Belloc, de Le Mire ; dessin de Leguay. Ossian et
Malvina de Dreux-Dorcy.
VI. Séries de compositions sur des sujets tirés des poèmes ossianiques.
Chenavard. Vignettes et illustrations des éditions d'Ossian. — Conclu-
sion.
Un journaliste disait à l'apparition des Poésies Galliques
de Baour-Lormian : «Les peintres trouveront aussi dans son
recueil les sujets les plus précieux '. » C'est à ce moment en
effet que commence la peinture ossianique : elle a dû quelque
chose sans doute au succès du recueil de Baour, mais elle a
surtout été encouragée par la préférence déclarée que le Pre-
mier Consul marquait au Barde, et par l'engouement pas-
sager dont ses poèmes étaient l'objet. Trois grandes toiles
signées de peintres fameux, quelques dessins de maîtres,
plusieurs autres tableaux qui figurèrent avec honneur aux
1. Spectateur du Nord, XVIII, p. 363 (juin 1801).
1^2 Ossian en France
expositions, plusieurs séries de dessins de figures ou de cos-
tumes, quantité de vignettes illustrant des traductions, tel
est le bilan de l'art ossianique, dont l'apogée se place entre
les années 1801 et 1817.
L'initiative vint dumaître. Aunioment où le Premier Con-
sul affirmait avec le plus de netteté son goût décidé pour
Ossian, il se faisait construire à la Malmaison une habitation
princière, convenable à ses goûts, et dont il comptait faire
son séjour d'été préféré. Il avait chargé l'architecte Fontaine
de restaurer et de décorer le château. Fontaine demanda de
sa part à Gérard et à Girodet de faire chacun pour le grand
salon de réception ' un tableau tiré de la « mythologie Scan-
dinave ^ ». La toile de Gérard était achevée en 1801, et non
en 1809 comme le dit l'éditeur de l'œuvre gravé du peintre %
et comme on l'a répété après lui * : les journaux de 1801
l'étudient et en dissertent copieusement. 11 paraît que ce
tableau aurait été transporté en Angleterre pour y être gravé*;
cela semble bizarre. Il fut acheté, probablement à la débâcle
de l'Empire, par Charles-Jean, roi de Suède ; on comprend
que ce monarque, suédois de fraîche date, ait voulu offrir à
sa nouvelle patrie une œuvre où revivait une mythologie et
des personnages point du tout Scandinaves, mais qu'on s'obs-
tinait encore à rapprocher d'Odin, de Freya et du Walhalla.
Le tableau périt en mer. Trois répliques en furent faites par
le peintre lui-même " : l'une, destinée à remplacer l'origi-
nal, se trouve à Stockholm ; la seconde fît partie de la ga-
lerie du prince Eugène ; la troisième était à Potsdam, où
Humboldt la trouvait « très avantageusement placée dans
les grands appartements ' ». Le tableau mesurait cinq pieds
sur quatre. Il a été gravé par John Godefroy \ Le dessin en
1. DélècluzQ, Souvenirs de soixante années, p. 48.
2. De Lesciire, Le Château de la Malmaison, p. 57.
3. L'Œuvre de François Gérard, t. II. Presque tous les détails de cette
notice sont inexacts.
4. G. Sleiv^ec, La Société française pendant le Consulat, ô' série, p. 129.
5. Journal des Bâtiments civils, 1801.
6. Notice sur Gérard, pa.v Adolphe Viollet-le-Duc, dans Correspondance
de Gérard, p. 16.
7. Correspondance de Gérard, p. 281 ; ou Lettres adressées au baron
Gérard, II, 97 : Lettre d'Alexandre de Humboldt àGérard, Potsdam, 15no-
vcmbre 1832.
8. L'OEuvre de Gérard, 1 vol. grand in-f»
L'Ossian de Gérard 143
est également reproduit dans une petite eau-forte de Ro-
sotte \ qui est faible, et souvent d'une exactitude appro-
chée. Des détails ont inspiré le burin de plusieurs artistes :
la tête de Fingal a été gravée par Parizeau, par Girard, et
par Forssell d'après le crayon de Reverdin ; Malvina par
Parizeau et par Legrand. Les gravures de Forssell et de Gi-
rard ont été éditées en 1813.
La désignation la plus accréditée du tableau de Gérard
paraît avoir été : Le barde Ossiaii évoquant les fantômes
sur le bord du Lora. Au premier plan et au centre, Ossian,
vu de trois quarts, est assis sur un rocher : à ses pieds, le
torrent s^élance en tourbillonnant et en faisant des cascades.
Le Barde, la tête inclinée sur sa poitrine, paraît absorbé
dans une méditation passionnée. Ses cheveux blancs se hé-
rissent au vent; sa longue barbe aux reflets argentés tombe
en nappes soyeuses sur sa poitrine; il est vêtu d'une robe
à franges, retenue par une ceinture aux teintes vives. De
ses deux mains, qu'il élève au-dessus de sa tête, il fait vibrer
la harpe à six cordes, d'une forme très analogue à celle d'une
lyre. — Des deux côtés planent autour de lui, portés par
d'épais nuages, les personnages qu'évoque son rêve doulou-
reux. A gauche du spectateur, Malvina, à demi étendue, un
carquois à la ceinture, enlace et soutient le corps d'Oscar
expirant, dont les yeux se ferment, et qui laisse tomber son
glaive. Derrière ces deux figures, deux vierges jouent d'une
petite harpe, une troisième porte une corbeille de fleurs ; plus
loin encore se tient un personnage difficile à déterminer. —
A droite, Fingal, jeune et beau, est assis et contemple Os-
sian. Son casque est ceint d'une couronne radiale. Il tient
enlacée une figure qui est peut-être Agandecca. Derrière
lui, plusieurs guerriers armés de toutes pièces, debout. A
sa droite, un vieillard casqué qui est sans doute Trenmor,
et non le barde Ullin, comme on l'a cru. — Au fond du
tableau, dans la nuit, une haute tour et les murailles créne-
lées de Selma. La lune paraît entre les nuages, et inonde
d'une vive lumière le centre de la scène. Cet etfet de lumière
est pathétique et saisissant.
On peut trouver — d'après la gravure — que la pose et
1. L'OEuvre de François Gérard, 3 vol. petit in-f°, t. II.
'44
Ossian en France
l'air d'Ossian ont quelque chose de trop frénétique ; que les
onnbres ont des contours trop précis ; que Fingal est bien
jeune pour être le père de ce vieillard dont on le croirait
plutôt le petit-iils. Il faut, de plus, une certaine érudition
ossianique pour retrouver les personnages qui trônent sur
leurs nuages et se rappeler les sentiments qui dictent leur
attitude. Mais on garde une profonde impression de ce clair
de lune pâle et mélancolique, de cette lumière argentée qui
inonde le vieillard, et de ce qu'a d'obstiné et de farouche
sa rêverie concentrée. La partie humaine ou réelle du ta-
bleau vaut mieux que la partie fantastique.
Il se présente comme une synthèse de la poésie ossiani-
que. < Ce n'est pas une action, un moment, un caractère
d'Ossian que le peintre a saisi, c'est le système essentiel de
la mythologie, de la poésie du barde calédonien ^» Si l'ar-
tiste avait choisi quelque belle scène, quelque situation hé-
roïque ou pathétique des poèmes d'Ossian, ou bien le Barde
eût été exclu de son tableau, ou bien il y eût figuré dans la
force de la jeunesse et sous les traits d'un valeureux guer-
rier; et la toile eût pu aussi bien représenter quelque scène
légendaire ou historique de l'antiquité ou des temps barba-
res. Gérard avait senti qvie ce qui fait le plus grand intérêt
des poèmes du Barde, c'est la situation et le caractère de
celui qui les chante; qu'il ne fallait pas voir l'action en elle-
même et directement, mais à travers l'âme d'Ossian ; que
ces héros et ces vierges devaient emprunter je ne sais quelle
irréelle beauté aux rayons magiques du souvenir, de la dou-
leur et du regret, qui les coloraient d'une teinte diaphane
et mystérieuse. Ossian devait donc être le centre de la com-
position ; du paysage calédonien, qui occupe tant de place
dans son œuvre, devait se dégager la même impression que
l'on éprouve à lire ses poèmes ; et la croyance à la survie
des âmes dans les nuages evait donn er au peintre le moyen
de rappeler d'une manière vague et cependant suggestive
les plus mâles ou les plus touchantes figures du monde os-
sianique.
La composition de Gérard ne pouvait pas exciter de bien
vives discussions. Très admirée par des ossianistes fervents
1. Journal des Arts, 1801.
L'Ossian de Girodet 1^5
et discrets comme Ducis, elle n'a guère recueilli que des
approbations, sans exciter l'enthousiasme. C'est « une com-
position sage et heureuse, dont l'effet est charmant ' ». Ce
jugement résume à peu près l'opinion de la critique.
On peut trouver quelque ressouvenir du commerce de
Gérard avec Ossian dans les costumes qu'il dessina pour Les
Scandinaves de Victor \ C'est bien peu de chose ; tout au
plus Suénon,roi de Scanie, avec son tartan, a-t-il l'air assez
écossais; mais nous sommes en 1824, et cette Ecosse n'est-
elle pas plutôt celle de Walter Scott ?
II
L'honneur de donner un pendant au tableau de Gérard
échut à Girodet. Le premier se contentait d'évoquer la poé-
sie mélancolique de la légende ossianique. « Girodet a jugé,
peut-être avec plus de linesse, qu'un tableau destiné pour
le Premier Consul devait être un monument national '. »
Il prit donc sa tâche très au sérieux, conçut un projet nou-
veau, hardi, difficilement réalisable ; ferma son atelier pen-
dant un an, et consacra à ce grand ouvrage « quinze mois
d'immenses travaux médités et accomplis dans la retraite* ».
Il ne l'acheva que vers le milieu de 1802. Le 25 juin, il
écrit au Premier Consul ^ pour lui offrir « l'apothéose des
héros que la France regrette » et l'inviter à venir voir le
tableau dans son atelier. Il croit devoir s'excuser des di-
mensions et du caractère de son ouvrage : « L'importance
de mon sujet m'a fait oublier que je n'étais chargé de pein-
dre pour la Malmaison qu'un tableau d'agrément. » Les
architectes ont jugé que « l'effet en serait détruit dans le
lieu qui lui était assigné ». Nous allons voir qu'en effet ce
1. Nagler, Kùnstler-Lexicon.
2. L'Œuvre de François Gérard, t. II: Costumes des principaux person-
nages des Scandinaves, tragédie de Victor (Théâtre-Français, 4 février
1824), d'après les dessins de M. Gérard.
3. Journal des Débats, 1802.
4. Ib.
5. Œuvres de Girolet, 11,287 : Lettre du 6 messidor an X. 11 n'est pas
certain que cette lettre ait été envoyée.
TOME II 10
1^6 Ossian en France
n'est pas précisément de la peinture d'appartement. Il de-
mande cependant que sa toile soit placée provisoirement à
la Malmaison, et exprime l'intention de faire dans le même
genre un autre tableau plus petit. Le Premier Consul vint
en effet ; puis les maîtres, les amis, les rivaux du peintre ;
puis le public, qui défila pendant plusieurs joiu-s dans
l'atelier du Louvre. A partir de ce moment, l'histoire
du tableau est pleine de mystères. Fut-il réellement placé
à la Malmaison à l'endroit prévu ou à un autre ? On en
doute. On sait seulement qu'il fît partie longtemps de la
galerie du prince Eugène. Après la chute de l'Empire, il
passa certainement à l'étranger, mais on ignore ce qu'il est
devenu. Une enquête récente, conduite par un historien
très autorisé auprès des spécialistes qualifiés pour le ren-
seigner, n'a donné aucun résultat'. On ne sait pas non plus
ce qu'est devenue une réplique vendue en 182^^ Du moins
nous pouvons connaître l'Ossian de Girodet par la belle
lithographie de Garnier (1831). Il faut y joindre les seize
planches d'Aubry-Lecomte, élève de Girodet, destinées à
populariser les détails du tableau, et qui ont servi souvent
de modèles de dessin. La meilleure identification des per-
sonnages est donnée par une liste manuscrite dressée par
Aubry-Lecomte lui-même '. Ces gravures ne représentent
pas tous les personnages : ils ne sont plus que quarante-
cinq sur une soixantaine. Nous pouvons lire, de plus, de
longues et minutieuses descriptions de la toile, l'une de
l'auteur lui-même *, d'autres dans le Journal des Débats,
le Journal des Arts, le Pub/iciste, etc.. Laissons les jour-
nalistes, qui parfois interprètent ou déforment, et écoutons
Girodet lui-même nous expliquer son tableau :
Les ombres des héros français morts pour la patrie, con-
duites par la Victoire, viennent visiter dans leurs nuages les
ombres d'Ossian et de ses guerriers, qui leur donnent la fête
de Vamilié.
Le vieux barde de Morven, privé de la vue, marche à la tête
1. Henry Lemonnier, Girodet et les héros d'Ossian, 1913, p. 11.
2. Je tiens ces renseignements de M. Henry Lemonnier, qui m'a averti
des résultats négatifs de son enquête.
3. Elle se trouve fixée à l'exemplaire de la liibliothèque Nationale.
4. Œuvres de Girodet, II, 289.
L'Ossian de Girodet 147
de ses guerriers ; ses dogues fidèles l'accompag-nent ; il s'ap-
puie sur sa lance renversée, et se penche pour embrasser De-
saix. Kléber tend une main à Fingal en signe d'alliance ; de
l'autre il porte avec Desaix un trophée d'armes enlevées aux
Mameluks Après eux vient Gaffarelli-Dufalga, tenant un dra-
peau brisé, conquis sur les Turcs. Marceau regarde Ossian
avec admiration. On remarque ensuite les généraux Dampierre,
Dugommier, Hoche, Championnet et Joubert ; près de ces
guerriers un drapeau déchiré, pris aux Impériaux, flotte dans
les airs. La Victoire non ailée plane entre ces trophées et pré-
cède les bataillons français. D'une main, elle tient un faisceau
de palmes mêlées de laurier et d'olivier, emblème des con-
quêtes glorieuses et utiles ; de l'autre elle présente en sou-
riant, aux ombres des héros calédoniens, le caducée, symbole
de la paix ; une étoile scintillante brille sur sa tête, et marque
par un long sillon sa trace lumineuse.
La Tour d'Auvergne, premier grenadier de France, marche
au second rang, à la tête d'une colonne de grenadiers et de
sapeurs ; leur bonnet est ombragé d'olivier ; ils arrivent tam-
bour battant ; devant eux sont quelques troupes légères de
dragons et de chasseurs. Les derniers, sur la troisième ligne,
sont les généraux Kilmaine, Marrot et Duphot. Dans une ré-
gion de nuages plus élevés, on aperçoit à travers les vapeurs
une troupe de hussards, dont quelques-uns se livrent au plaisir
de la chasse.
De l'autre côté du tableau, le fils d'Ossian, Oscar, est près
de son grand-père; derrière eux paraît GuchuUin, roi de Duns-
caich, et ami de Fingal. Jja pointe de sa lance est brisée.
D'autres guerriers montrent aux Français des trophées de leur
valeur... Au-dessus du roi de Morven, dont le casque sur-
monté d'une aile d'aigle brille des feux d'un météore, on voit
la foule de ses ancêtres ; ils descendent des régions les plus
élevées de l'atmosphère. Gomhal, son père, tient sa lance; ses
chôveux blancs sont épars autour de son visage. Près de lui un
guerrier sonne du cor ; un autre siffle un air belliqueux ;
d'autres se penchent sur leurs nuages. Trenmor, aïeul de Gom-
hal, s'appuie sur son sceptre ; un météore rougeâtre brille sur
sa tête ceinte d'une couronne radiale. Tous ces héros admirent
les héros français Des jeunes filles jouent de divers instruments,
ou apportent des couronnes. Dans l'éloignement. et à travers
les rayons d'un météore, on aperçoit un vieux Barde et sa
fille ; ils touchent la harpe en l'honneur de nos guerriers ;
plusieurs d'entre eux, en battant des mains, applaudissent à
ces chants.
148 Ossian en France
Sur le devant du tableau, un essaim de jeunes filles, à demi
vêtues de leurs voiles de brouillards, viennent au-devant des
étrangers : celle-ci leur offre des couronnes, celle-là des fleurs
qu'elle sème sur leurs pas ; plusieurs leur présentent à boire
dans des coquilles. Un canonnier et un drat^'^on, qui ont déjà bu,
trinquent de nouveau : le premier, dont le visage porte d'hono-
rables cicatrices, porte un toast à son général, à Ossian et à la
paix ; il agite en l'air son chapeau orné de branches de laurier
et d'olivier... le second boit à la santé de la belle qui lui a pré-
senté la coupe.
Evirallina, femme d'Ossian, et Malvina, épouse d'Oscar, sont
auprès des rois ; leurs mains voltigent sur la harpe ; l'une exprime
une vive admiration, l'autre rougit de pudeur ; deux météores
brillent sur leurs têtes... Près d'elles, on aperçoit les guerriers
de Loclin : ils s'agitent vainement pour troubler la fête de la
paix. L'un fait entendre des sifflements séditieux ; un autre
frappe, du pommeau de son épée, le bouclier d'un guerrier de
INIorven, dont le son est le signal de la guerre ; un autre, les
yeux enflammés de colère et de jalousie, agite son épée et re-
garde les héros français d'un air menaçant ; mais aucun ne
daigne faire attention à lui. Plus bas on voit le roi de Loclin,
le féroce Starno, ennemi de Fingal ; un poignard est fixé à sa
ceinture d'où pend un crâne desséché qui lui sert de coupe. 11
a saisi par les cheveux Agandecca, sa fille, amante de Fingal ;
il était près de la percer de son épée ; mais un jeune dragon
vole pour la défendre : le panache et le cimier de son casque
sont abattus ; sans s'effrayer, il saisit et arrête d'une main le
glaive de Starno ; de l'autre il perce son ennemi, d'outre en
outre, avec un sabre d'honneur que lui a décerné le Premier
Consul. Le Barbare tombe en mordant de rage l'arme qui a mal
servi sa fureur.
Un aigle traverse le nuage où se meuvent toutes ces ombres.
A l'aspect de l'oiseau vigilant, symbole du génie de la France,
qu'une gloire brillante environne, il fuit épouvanté. Le coq-dieu,
perché sur un faisceau de palmes, de laurier et d'olivier que
porte la Victoire, et armé de la foudre, étend son aile, comme
un bouclier protecteur, sur l'innocente proie que l'aigle avait
ravie et qui vole, en tremblant, se réfugier sous son ombre,
La scène est éclairée par des météores ; tous les personnages
en sont fantastiques, à l'exception de la \'ictoire et des oiseaux
symboliques.
Ce long morceau n'est que la sèche explication du tableau,
la notation précise des détails, qui ne donne presque aucune
Accueil de la critique et du public 149
place à la couleur, à l'expression, à toute la partie vivante
de Tart, et qui ne fait guère plus connaître la toile qu'une
diag-nose linnéenne n'évoque aux yeux le port, le coloris, le
parfum d'une belle plante. Les autres descriptions sont par-
fois colorées et même poétiques, mais elles sont ou peu
claires ou peu exactes. La gravure renseigne sur la compo-
sition et le dessin, et nous aimerions surtout à savoir com-
ment un tel tableau était peint. En écoutant les apprécia-
tions des contemporains, les seuls qui aient pu voir la toile
de Girodet, nous glanerons à cet égard quelques rensei-
gnements intéressants.
L'œuvre fut portée aux nues par tout le monde, ou peu
s'en faut, sauf par les gens du métier. Le maître, d'abord.
Bonaparte avait dit à peu près à l'artiste : « Vous avez eu
une grande pensée. Les figures de votre tableau sont de
véritables ombres. Je crois voir celles des guerriers que j'ai
connus '. » Je ne puis voir là, avec un récent critique, un
blâme dissimulé ou même une réserve signilîcative. L'éloge
serait chiche dans la bouche d'un connaisseur, mais Napo-
léon n'était rien moins que connaisseur en peinture. Je
reconnais d'ailleurs qu'il a dû être médiocrement satisfait
de cette apothéose des généraux républicains, lui qui pro-
nonçait déjà au plus profond de lui-même un secret Tu seras
roi.
Je ne trouve pas dans la critique un seul témoignage dé-
favorable, et, s'il y a des réserves, elles sont respectueuses.
C'est la conception que l'on admire surtout. On loue le
peintre d'avoir osé « embellir l'histoire par cette nouvelle
mythologie >», et l'on ajoute : « Cette idée est grande, j'ose-
rais dire sublime ^ » On loue « la nouveauté de la concep-
tion ' » ; très nouvelle en effet. Girodet lui-même est fier de
ce tableau, qui, dit-il, « malgré les défauts qu'on a pu lui re-
procher, et dont plusieurs sont réels, m'a cependant donné
le plus de confiance en mes propres forces, parce qu'il est
tout à fait de ma création dans toutes ses parties... J'ai été
1. G. Stenger {La Société française pendant le Consulat, 5° série, p. 113)
rapporte ce propos sans indication de source. M. H. Lemonnier, Girodet
et les Héros d'Ossian, p. 10, le cite à peu près dans les mêmes termes.
2. Journal des Débats, 1802.
3. Noël, Dictionnaire de la Fable, I, 547.
i5o Ossian en France
obligé d'inventer jusqu'aux costumes '. » Moins réservés que
l'artiste, les critiques ne tarissent pas d'éloges sur Texécu-
tion. « La figure d'Ossian est belle, et son action véritable-
ment pathétique '. » On admire surtout le faire ingénieux
et hardi avec lequel ont été traitées les ombres des guer-
riers, « la légèreté et la transparence des corps plongés dans
un air subtil ^ », cette substance « poreuse, pénétrable * »
dont ils sont faits, si convenable à « des êtres intermé-
diaires * », à « des corps dont la vie est comme etfacée ^ ».
Lui seul a su peindre « des âmes sans corps, tandis que
tant d'autres... ne voient et ne font que des corps sans
âme ' ». On admire l'habileté avec laquelle Tartiste a su
faire « contraster ces espèces d'ombres-corps en leur oppo-
sant dans ce même tableau des corps réellement animés ^ ».
Il y avait aussi une grande difficulté à mêler « à ces belles
têtes de bardes, à ces jeunes lilles pleines de grâce et de
pudeur" » les uniformes des généraux français. Le peintre
a su éviter cet écueil. 11 a massé les guerriers modernes en
deux groupes, et a voilé Téclat du premier par « cette lumière
vaporeuse qui éteint l'éclat des chairs et des vêtements sans
leur rien faire perdre de leur harmonie '" ». Il a su en effet
répandre comme il fallait « cette lumière de météores, la
seule qu'on connaisse au séjour des nuages », dit toujours
le même critique, qui a 1 air très renseigné sur ce dernier
point. En somme, « exécution enchanteresse ^'». De tout cela,
ni la description ni la gravure ne nous donnent la moindre
idée.
Ce n'était pas tout à fait l'avis du prince des peintres
contemporains, de David. Quand il alla au Louvre voir
y Ossian que Girodet venait de terminer, celui-ci n'entendit
tomber de la bouche de son maître que des éloges à double
1. Œuvres de Girodet, 11, 277.
2. Pnhliciste, 1802.
3. Ib.
4. Œuvres de Girodet, II, 279.
5. Journal des Débats, 1802.
6. Œuvres de Girodet, II, 279.
7. Journal des Bâtiments civils, 1802.
8. Journal des Débats, ib.
9. Annuaire nécrologique, 1824 : Notice sur Girodet, p. 120.
10. Journal des Débals, ib.
11. Noël, Dictionnaire de la Fable, I, 547.
Accueil de la critique et du public i5i
sens, et qui marquaient plus de stupéfaction que de véri-
table admiration. David aurait dit « que cette production
ne ressemblait à celle d'aucun maître ni d'aucune école ;
qu'il n^avait jamais vu de tableau auquel on pût la compa-
rer;et — ajouteGirodet — qu'on lui rendrait justice après ma
mort '■ ». Girodet savait du reste que David, à la cour con-
sulaire, disait du mal de sa peinture. Ce que David pensait
réellement,il le dit, aussitôt sorti de l'atelier, au jeune Delé-
cluze qui l'avait accompagné: « Il est fou lou je n'entends
plus rien à l'art de la peinture. Ce sont des personnages
de cristal qu'il nous a faits là M » Delécluze est personnel-
lement resté abasourdi de la tentative de Girodet, de cet
« inconcevable ouvrage » qui est « la plus étrange compo-
sition qui soit jamais sortie du cerveau d'un homme... »
En reconnaissant « l'incroyable dextérité » de l'artiste, il
fait remarquer que le tableau « n'a jamais eu de succès que
parmi les gens de cour et de société » ; qu'il est « peu
agréable et ne se fait regarder que par curiosité ». Cette
curiosité en tout cas dut être fort vive et générale : « Tous
les artistes et les amis des arts ont été l'examiner en foule ' »,
dit l'un ; et l'autre : « Chacun dit ; allez le voir *. » Ceux
même qui plus tard blâmaient Girodet de n'avoir plus rien
produit de bon depuis Endymion, Hlpj)ocrate,ei « VOssian
perdu dans son brouillard ^ », reconnaissaient par là que
cette toile était l'un de ses principaux titres à la gloire.
Les poètes marquent autant d'enthousiasme qvie les cri-
tiques. L'un dédie son poème ^ à Girodet « d'Ossian pein-
tre poétique » ; l'autre envoie à l'artiste des stances où il
exalte son génie et son œuvre :
Le Barde, environné de ses ombres g-uerrières,
Te reçut au milieu des palais enchantés,
Et là, noble rival de ses muses aitières,
Tu peignis les héros tels qu'il les a chantés '.
1. Œuvres de Girodet, II, 277.
2. Revue Rétrospective, 1888, p. 207.
3. Noël, Dictionnaire de la Fable, I, 547.
4. Journal des Ràtinients civils, 1802.
5. La Critique des critiques du salon de 1806, poème, 1807, p. 18.
6. H. de Valoi-i, La Peinture, 1809.
7. Nouvel Almanach des Muses, 1803, p. 103: A M. Gii'odet, après avoir
vu son tableau ; et Œuvres de Saint-Victor, p. 325.
i52 Ossian en France
Il y a encore deux quatrains de cette force. Le même
Saint- Victor dédie à Girodet Topera à' V thaï dont il a écrit
les paroles.
Je vous dédie, mon cher Girodet, une faible esquisse de ces
héros dont vous avez tracé des images immortelles. Le grand
Fingal, ses fils, Gaul, Dermid, s'ils ont jamais existé, ressem-
blaient sans doute aux nobles caractères que vous avez créés.
Ils devaient réunir aux nobles proportions des héros d'Homère
je ne sais quoi de sauvage et de barbare qu'on sent plus qu'on
ne peut l'exprimer. Ce mélange de rudesse et de beauté, votre
pinceau a su le rendre avec une perfection qui vous a valu la
critique haineuse des envieux et l'admiration de tous ceux qui
peuvent apprécier les grandes productions des beaux-arts'.
Il faut croire que l'admiration pour le tableau avait été
surtout de mode et de circonstance, car je trouve, vingt
ans après, un poème ^ et une ode ' adressés à Girodet, où
son Ossian n'est même pas mentionné, tandis que son Atala
y figure avec éloge.
Faut-il conclure sur V Ossian de Girodet sans le connaî-
tre qu'indirectement et traduit par le graveur ou commenté
par les critiques ? Nous n'aurions qu'à reprendre les fines
observations de M. Henry Lemonnier. Disons seulement que
ce tour de force plus ingénieux que séduisant n'était pas ce
qu'il fallait pour populariser vraiment et rendre sympathi-
ques au grand public les fictions d'Ossian. Cette masca-
rade épique et nébuleuse, qui visait ouvertement au sublime,
ne choisissait qu'un seul aspect du monde ossianique, le
plus mythologique et le moins fait pour plaire et pour tou-
cher. Elle le mélangeait d'éléments contemporains et réa-
listes, qui faisaient voisiner la toile tantôt avec l'anecdote
qui amuse, tantôt avec la caricature qui fait rire. Si Ossian
vaut quelque chose, c'est comme élégiaque : pas trace
d'élégie dans Girodet. Les vrais amis du Barde, comme
cette époque en comptait beaucoup, ont dû être déçus et
choqués. UOssian de Gérard, malgré ses défauts, était au-
trement expressif et sympathique.
1. UlhHl, opéra.... 1806.
2. Ulric Giittinguer, Mélanges poétiques, 1826 : A Girodet.
3. François Boher, Poésies, 1825: Ode à Girodet.
L'ossianismc de Girodet i 53
III
On sait que Girodet fut un peintre homme de lettres. Il
a écrit, et même en vers. Il est l'auteur d'un poème didac-
tique, Le Peintre, qu'il est intéressant de parcourir. Le
genre était à la mode ; le sujet, celui de Lemierre dans son
poème de La Peinture. Mais un homme du métier devait
le traiter avec une autorité particulière. Girodet suppose
que son héros se transporte successivement dans les con-
trées les plus diversement propres à inspirer ses pinceaux,
Après lui avoir fait parcourir l'Amérique, dans la descrip-
tion de laquelle il s'inspire de Chateaubriand, il le conduit
en Ecosse '. 0 bords du Meschacebé ! le peintre
De vos déserts, chéris à l'époux d'Atala,
Rapide, se transporte aux sommets du Cromia.
Au pays des frimas il trouvera des charmes ;
L'illusion l'y suit ; déjà j'entends des armes,
Et la voix de Loda retentir sur Arven...
C'est là qu'Ossian pleure la mort d'Oscar ;
Ravis par ses accents, les spectres belliqueux,
Sur un pâle rayon s'élevant dans les cieux,
Accourent, et penchés au bord de leur nuage,
Reçoivent le héros qu'a trahi son courage.
Ils reçoivent d'autres héros aussi, et dont la mort remonte
moins haut que celle du jeune Oscar. Peintre, s'écrie l'au-
teur, n'as-tu pas vu s'admirer l'un l'autre
Ossian et Desaix, et Kléber et Fingal ?
Voilà l'idée essentielle du tableau. On ne nous donne pas
la date de la composition du Peintre, mais il est probable
que ces vers sont postérieurs à la grande composition de
Girodet.
Le musée de Varzy (Nièvre) possède un tableau de Giro-
1. Œuvres de Girodet, I, 152 : Le Peintre, poème, chant IV.
i54 Ossian en France
det qui a figuré à l'exposition des œuvres de David et de
ses élèves, au Petit Palais, en avril et mai 1918. Le cata-
logue l'appelle jEJ^/zr/e pour les ftincrailles d' A ta/a. Une jeune
femme est étendue, morte ; un vieillard, placé derrière elle,
soutient sa tête. On comprend qu'un coup d'oeil superficiel,
et surtout le nom de Girodet, aient fait de cette toile un pre-
mier état du tableau populaire de ce maître. Mais cette inter-
prétation ne résiste pas à l'examen, et Tossianisant le moins
familier avec Fingal sait au bout de peu de temps à quoi
s'en tenir '. D'abord, la jeune femme ne porte aucun sym-
bole chrétien : pas de croix sur sa robe ; rien de spéciale-
ment américain dans son vêtement. En second lieu le vieil-
lard paraît aveugle ; il n'a point de capuchon, et pas de croix
non plus ; son front est ceint d'un bandeau de plusieurs
couleurs ; ses cheveux et sa barbe abondante se conforment
au type reçu pour Ossian ; il n'a aucune tonsure : il n'évoque
nullement l'idée du Père Aubrj'. Enfin et surtout, il y a un
troisième personnage : une figure d'homme jeune, comme
estompée de brume, touche du doigt le corps de la jeune
femme, et tient une épée qui a l'air faite de nuage ou de
brouillard. Cette épée ne laisse aucun doute : c'est le glaive
de brouillards d'Ossian. Toute sa personne d'ailleurs est ir-
réelle et diaphane : c'est bien la « peinture de cristal » dont
parlait David. Je n'hésite pas à dire que ce tableau repré-
sente Ossian recueillant le dernier soupir de Malvina,
g u' Oscar son époux rappelle au séjour des héros. 'Rien d'éton-
nant à voir Girodet toucher à Ossian une seconde fois ; ou
peut-être a-t-il pensé à ce sujet avant de se décider pour sa
grande œuvre.
Combien d'ailleurs l'ossianisme a préoccupé Girodet avant
et après l'exécution de sa grande toile, on peut s'en con-
vaincre par l'examen de ses dessins '. On y trouve, avec
la date de 1802, une esquisse assez poussée de son tableau.
On nous signale les différences suivantes : la "Victoire manque ;
par contre, dans la partie supérieure du tableau, des figures
oiïrent des couronnes aux guerriers français ; Ossian a vm
1. Je dois les plus vifs remerciements à M. Léon Rosenlhal, qui a attiré
mon attention sur ce tableau, qu'il avait au premier coup d'oeil retiré à
Chateaubriand pour le restituer à Ossian.
2. Œuvres de Girodet, I, p. LXX-LXXVIII.
La Malvina de Gros i55
corselet ; l'aigle tient un lapin qu'il laisse échapper à la
vue du coq gaulois. Ce morceau appartenait en 1829 à
M. Coûtant, Je ne sais si c'est le même qui est désigné ail-
leurs comme « une esquisse offrant beaucoup de change-
ments, assez étudiée dans les détails et dans l'ensemble pour
retracer à l'esprit l'effet magique du tableau ' ». Un autre
est en réalité une série de seize compositions, dessins ter-
minés, probablement la même subdivision du tableau qu'Au-
bry-Lecomte devait suivre sur les indications de son maître.
Cette série appartenait à M. Chatillon. Ce dernier, ami de
l'auteur, avait fait un dessin de grandes dimensions (d'après
le tableau) que Girodet avait « retouché dans toutes ses par-
ties », en faisant quelques additions à la première compo-
sition. On ne nous dit pas lesquelles. Ce grand dessin appar-
tenait à M. Pannetier. Il faut y joindre un grand nombre
de croquis et des feuilles d'étude se rapportant à son Ossian :
une quinzaine d'après le Catalogue de Pérignon. Enfin,
Girodet lui-même avait dessiné « un guerrier calédonien
près d'une jeune fille qui le charme par les accords de sa
lyre » ; ces deux figures placées sur des nuages, et éclairées
par la lune. On ne nous dit pas ce que cet intéressant des-
sin est devenu après la mort de l'auteur.
IV
Presque au même moment se place la Malvina de Gros,
à laquelle on donne la date de 1801 ou même de 1802, mais
qui en réalité a été peinte en Italie, où l'artiste a séjourné
de 1792 à 1801, à une date incertaine, assez voisine proba-
blement de la dernière. Cette Malvina est restée à l'état
d'esquisse très incomplète. On en trouve la reproduction
et la description dans l'ouvrage de M. Delestre *. « Mal-
vina pleure, sur la harpe d' Ossian, la mort d'Oscar, étendu
sans vie à ses pieds. » A gauche, Fingal, casqué, est assis;
à côté de lui, et en partie caché par lui, Ossian, le front
1. Pérignon, Catalogue des dessins, esquisses, tab eaux et croquis de
M. Girodet-Trioson, 1825.
2. Delestre, Gros, sa vie et ses ouvrages, 2° éd., p. 54-60.
i56 Os?ian en France
dans sa main, de sorte que « le spectateur devine et ne
voit point » son émotion. Au premier plan, un jeune guer-
rier, nu, écoute les plaintes de Malvina; un chien lèche le
front d'Oscar, étendu mort aux pieds de son épouse. Celle-
ci, la tête inclinée, d'épais cheveux noirs couvrant son
visage, joue de la harpe : « sa tête abattue semble écouter
la voix de son cœur. » Elle chante pour ouvrir à Oscar les
portes du palais des nuages.
Gérard, Girodet, Gros, étaient contemporains; Ingres est
un peu plus jeune, mais ses yeux se sont ouverts à l'art
et sa main a appris à manier le pinceau juste au moment
de la plus grande vogue ossianique. Aussi, comme les trois
autres élèves de David, il a payé sa dette au goût du jour
et cherché à annexer Morven, ses nuages et ses rêves, à
l'empire de la peinture. Plus heureux que pour ses prédé-
cesseurs, nous pouvons étudier les deux morceaux ossia-
niques de son œuvre : une toile à Montauban, un dessin à
Paris. Le Songe d'Ossian fait partie des tableaux du maître
dont le musée de Montauban a hérité en 1867. U date de
l'Empire, c'est-à-dire de la jeunesse d'Ingres, et a été peint
à Rome.
Le poêle endormi voit en songe tous les héros quHl a évoqués
descendre sur des nuages autour de lui. Le tableau, primitive-
ment de forme ovale, a été fait pour le plafond de la chambre
à coucher de Napoléon P"" dans son palais de Monte Cavallo à
Rome. Il fut vendu en 1815 et racheté par Ingres qui voulut le
modifier dans les dernières années de sa vie. Son élève R.Balze
a ébauché en grisaille les parties changées ; la peinture achevée
par le maître devait être léguée à la ville de Montauban La toile
est restée inachevée ^
L'impression d'inachèvement, en effet, et de confusion,
rend le tableau peu agréable à l'œil. On ne distingue bien
qu'Ossian, dont la tête est cachée dans ses mains. Oscar que
son bouclier cache en grande partie, et Malvina.
Le dessin du Louvre ' est une esquisse dont quelques
parties sont peintes. Il a exactement le même sujet que le
1. Catalogue du Musée de Montauban (Peinture), p. 7, n"
2. N» 2120 (collection Goûtant).
Le Songe d'Ossian, d'Ingres i 57
tableau. Ossian est assis de face au premier plan. Appuyant
sa tête sur ses deux bras qui sont allongés sur un rocher
placé à sa droite, il dort. A ses côtés, sa harpe primitive à
sept cordes. Le corps du Barde est d^un dessin fini, sa robe
bordée de franges est rehaussée de quelques couleurs. Sa
tête au contraire se distingue à peine. Dans le haut, les ta-
bleaux qui se présentent à l'esprit d'Ossian pendant son
sommeil ; ils sont légèrement esquissés. A gauche, Malvina,
presque nue, reposant sur un nuage, les contemple, tandis
que dans le tableau elle semble se recueillir pour jouer de
la harpe et abaisser les 3'eux sur Ossian ; à droite Oscar,
tenant un bouclier rond à quatre bosses ; dans le tableau,
il est armé de pied en cap. Au fond, guerriers et paysage
rocheux ; dans le tableau, on distingue mieux deux lignes
de guerriers qui se font face, un ciel sombre, et la lune
pleine qui brille entre d^épais nuages.
On est frappé de l'analogie de la conception d'Ingres avec
celle de Gérard. 'J'ous deux ont senti que la poésie d'Os-
sian résidait pour une grande part dans sa puissance de
rêve. A d'autres la précision vivante, chaude et colorée de
la vie ; au Barde aveugle le vague du souvenir, la mélan-
colie du regret, et les pressentiments d'au-delà. Plus les
figures et les scènes qui hantent Ossian sont incertaines et
fuyantes, plus nous sommes disposés à rêver avec lui, et à
voir dans le vieillard deMorven l'interprète d'une des gran-
des tendances de l'àme humaine. Néanmoins ces figures,
ces scènes, fixées par le crayon, le pinceau, ont toujours
trop de réalité : les contours vaporeux dont on les enve-
loppe, les nuages qui les séparent du reste du tableau, ne
suffisent pas à transporter l'imagination dans le monde du
rêve.
La même observation peut être faite à propos de V Ossian
de Forbin, l'un des deux tableaux ossianiques du Salon de
1808. Cette toile excitait une attention sympathique. Comme
nous ne pouvons ni savoir ce qu'elle est devenue, ni en voir
i58 Ossian en France
une reproduction quelconque, force nous est de nous con-
tenter de la description suivante, la plus complète que j'aie
rencontrée :
Ossian a survécu à tous les siens : errant dans les déserts de
la Calédonie, il a gravi, au moment de la fonte des neiges, l'une
des sommités du Cromla; il revoit les ruines du palais de Selma,
le Lora se précipitant dans le lac Lennan, et les bruyères déser-
tes qui furent le théâtre des exploits de ses pères. A son émotion
a succédé une rêverie profonde, pendant laquelle il croit voir
passer, au milieu des orages qui grondent sur sa tête, l'ombre de
Fingal son père, appuyée sur son frère et sur Moïna. Une jeune
fdle porte en triomphe derrière eux les fruits de leur chasse
aérienne, et leurs chiens les suivent en aboyant '.
Ce tableau, pourtant de dimensions respectables (4 pieds
6 pouces sur 6 pieds 2 pouces), paraissait mesquin à l'auteur
lui-même ; il le considérait, paraît-il, « comme une simple
esquisse » et se proposait « de Texécuter en grandeur natu-
relle ' ». Ce genre de peinture, qui mêle sur la même toile
le fantastique et le réel, est plein de difficultés qui, dit le
même critique, « n'ont pas elfrayé M. Forbin ». Il faut bien
remarquer du moins que la scène qui se déroule dans les
nuages « n'est que pour le spectateur, car Ossian est aveugle
et ne la regarde pas ». Sans doute, et nous le comprenions
bien ainsi. 11 est évident en effet que placer comme Gérard,
Ingres et Forbin, l'aveugle Ossian au-dessous de nuages où
apparaissent des iîgm'es, c'est imposer au spectateur un effort
d'abstraction peu agréable, surtout en peinture. Si le Rêve
de Détaille déroule sa marche victorieuse au-dessus du bi-
vouac endormi, nul n'a jamais supposé que nos soldats
croyaient voir dans les nuages des drapeaux et des sabres.
Les nuages ne sont là que le symbole du rêve ; symbole clas-
sique, et peut-être discutable. Les Calédoniens au contraire,
nous dit-on, croyaient réellement voir dans les nuages les
formes de ceux dont ils honoraient la mémoire. Encore taut-
il, pour éprouver cette sorte d'hallucination, jouir de la vue;
Ossian, qui en est privé, ne peut l'avoir que par le souvenir :
c'est de l'hallucination au second degré. Le spectateur est
1. Ëxplica,iion des ouvrages de peinture... 1806; n^ 203.
2. Journal de l'Empire, 1806.
Divers tableaux ossianiques i 5^
invité à contempler un vieillard aveug-le qui se rappelle qu'il
croyait voir des ombres dans des nuages... Tout cela est
d'une complication, d'un raffinement dans l'abstraction, qui
dépasse ce qu'on peut raisonnablement demander à l'ama-
teur de peinture.
D'ailleurs l'Ossian de Forbin « vêtu d'une longue robe
blanche, ornée de franges d'or, est d'un bel effet de couleur...
Tout le reste est sombre, et toute la lumière jaillit en quelque
sorte de la longue barbe, des cheveux et des vêtements blancs
de cette figure. » Par contre « les fantômes sont un peu
roides ' ». On reconnaît à cette toile un certain « mérite de
couleur locale » ; c'est-à-dire que « la couleur de convention
pour cette sorte de sujets » y est « très bien saisie ». C'est
« le même style mélancolique et sombre » auquel on est
maintenant habitué ^ Un autre critique, plus sévère, trouve
le tableau « plus extraordinaire que beau ». Pour lui « ce
sujet appartient en peinture à MM. Girodet et Gérard, comme
en poésie à MM. Chénier, Baour et Ducis. Toutes les imita-
tions d'Ossian que l'on comparera aux leurs paraîtront fai-
bles. » Et d'ailleurs « ces sujets sont-ils bien du ressort de
la peinture » qui est un art d'imitation? Dans le tableau de
Forbin, tout ce qui est vrai, naturel, est bien rendu : le
reste... comment en juger* ?
L'autre tableau, celui de M"° Elisabeth Harvey, appartient
à un genre tout à fait différent. Nous voilà enfin sortis des
nuages, et nous n'avons plus affaire au Barde lui-même, mais
à un épisode de ses poèmes. « Malvina pleure la mort d'Oscar :
ses compagnes cherchent à la consoler*. » M'^' Harvey n'est
pas la seule femme peintre du Salon de 1806 : exactement cin-
quante dames ou demoiselles cherchent cette année-là à atti-
rer les yeux du public. Aucune ne retient aussi fréquemment
l'attention de la critique, et ne se voit décerner un tel tribut
de louanges. Son tableau est petit (24 pouces sur 30) et repré-
sente trois jeunes héroïnes d'Ossian dans un paysage qui évo-
que la Galédonie qu'il a chantée. Pendant que la fille de
Toscar se lamente, la belle Sulmalla l'invite à goûter avec elle
1. Journal de l'Empire, 1806.
2. Décade, LI, 314 (11 novembre 1806).
3. Pausanias français, 1806, p. 267.
4. Explication des ouvrages de peinture... 1806; n" 247.
j6o Ossian en France
les plaisirs de la chasse, et la belle Comala chante «les yeux
au ciel, et dans une attitude inspirée » en s'accompagnant
de la « harpe gallique ». On aperçoit des rochers, un vieux
mur, des ruines de « monuments galliques ' » ; dans le loin-
tain, la mer et la grotte de Fingal; le ciel est semé débrouil-
lards humides. — Un passage de Croma avait fourni ce sujet:
les critiques ont soin de le citer ^ pour montrer combien cette
scène émouvante est plus heureusement traitée par le pin-
ceau de la jeune Anglaise que par la plume de Macpherson.
Le choix du sujet est heureux, la composition harmonieuse,
les figures surtout ont un charme qui mérite tous les éloges.
Malvina est blonde, « d'une beauté que les larmes ont flé-
trie sans l'efTacer '» . Son expression « est aussi douce
qu'attendrissante ». On découvre sur son front « un calme
précurseur de l'éternelle paix ». — M"° Harvey inspire un
alexandrin déjà lamartinien. — Comala, celle qui chante, a
« des yeux qui roulent une flamme humide ^ » ; quant à Sulmalla
la chasseresse, c'est « une brune piquante ». Des rocs, des
ruines, la mer au loin: « le site est beau, calme et triste ».
Mais mi léger défaut ici : pas assez de brouillards ! Les brouil-
lards ou les nuages sont « une condition essentielle de tout
paysage ossianique ^ ». Nous assistons ici cala formation, et à
l'homologation par la critique, d'un genre qui n'a pas vécu,
mais qui prétendait se placer à côté du paysage historique
dont il était pour mieux dire un sous-genre. En ce temps-
là, l'œuvre d'art, pour être reconnue comme telle, devait se
classer immédiatement dans un compartiment déterminé. —
D'autres reprochent à l'auteur quelques faiblesses de dessin
ou de forme, ou exigeraient « plus de chaleur dans la cou-
leur, si la scène n'était dans un site glacial ^ ». En somme
M"« Harvey mérite les plus grands éloges; « sa sensibilité
a présidé à cette composition ' ». C'est « une jeune personne
dont le pinceau est conduit par le goût, l'esprit et le senti-
1. Décade, LI, 101 (11 octobre 1806).
2. Ib. et Pausanias français, 1806, p. 135.
3. Pausanias français, ib.
4. Décade, ib.
5. Pausanias français, ib.
6. Lettres impartiales sur les Exi>ositions de ISnc,^ p. 61.
7. Ib.
Divers tableaux ossianiqucs 161
ment *. » Elle est, en tout cas, la première qui ait traité ce
qu'on pourrait appeler l'anecdote ossianique.
Les autres tableaux que virent éclore les années suivantes
appartiennent au même genre. En 1810, Belloc, élève de
Regnault, expose une M07H de Gaul,ami d'Ossimi %dont on
nous donne le commentaire suivant :
Gaul, fils de Morni et chef de Strumon, étant allé seul sur
une côte ennemie, succomba sous le nombre. Evircoma, son
épouse, s'était embarquée avec Ogal, leur enfant, pour aller au
devant de lui. Elle le trouva mourant, et, après avoir pansé ses
blessures, elle s'efforça de le ramener à Strumon dans son
esquif.
Gomme on le voit, c'est le sujet du Gaul de Smith tra-
duit par Hill. Si le peintre avait suivi exactement son texte,
il aurait représenté Evircoma offrant à son époux son propre
lait pour ranimer ses forces défaillantes, et le petit Ogal
approuvant d'un sourire un dévouement qui le frustre de
son bien. Il y avait déjà au Salon cette année-là une fille qui
allaitait sa mère prisonnière. Deux nourrices de cette sorte,
c'eût été trop sans doute. Je ne sais ni quel était exacte-
ment le moment saisi par le peintre, ni comment son tableau
a pu être apprécié.
C'était également une anecdote ossianique que contait en
1814 Le Mire jeune avec sa Scène de naufrage tirée d'Os-
sian *. Cette scène était probablement empruntée au recueil
de Smith. Leguay exposait la même année Ossian et Mal-
vina '", dessin sur lequel je n'ai pu trouver aucun détail ;
mais on se doute que le vieux Barde y était représenté chan-
tant pendant que la fille de Toscar l'accompagnait sur sa
harpe.
Le dernier Salon où l'on ait vu un tableau ouvertement
emprunté à Ossian est celui de 1817. Dreux-Dorcy y expo-
sait un Derniide. Dans la mesure où l'on peut reconstituer
je sujet de ce tableau, l'artiste ne tenait pas compte du poème
1. Décade, LI, 101 (11 octobre 1806).
2. Salon de 1810, n» 33.
3. Explication des peintures... 1810, p. 5.
4. Salon de 1814, n" 624.
5. Ib., noôig.
i6i Ossian en France
dans lequel Oscar et Dermid périssent tous deux, parce qu'ils
aiment la même femme. Il admettait qu'Oscar ayant été tué
à la guerre, Dermid lui survit pour venir pleurer sur sa
tombe. C'est d'ailleurs ce qu'indique — assez mal — le com-
mentaire admiratif d'un contemporain :
Sur ce mont nébuleux quel guerrier solitaire
Dérobe sa douleur à la nature entière ?
Du malheureux Oscar c'est le fidèle ami :
Au milieu des tombeaux, près d'un fils endormi,
Il rêve la vengeance, espoir de sa vieillesse,
Et nous peint d'Ossian la sublime tristesse * !
Un autre, meilleur connaisseur, ne trouve dans cette toile
que « de bonnes intentions, mais de la lourdeur dans le
dessin, dans l'effet et dans le coloris ^ ». La peinture ossia-
nique ne finissait pas dans une apothéose.
VI
Pendant que les peintres, toujours à la recherche d'une
couleur et d'une note nouvelles, s'inspiraient soit de l'en-
semble de la poésie calédonienne, soit d'une scène particu-
lière des poèmes du Barde, il se produisait diverses tenta-
tives pour représenter par le dessin des suites d'épisodes
constituant autant d'illustrations de la légende ossianique.
Plus qu'Homère ou le Tasse, Ossian invitait à ce genre de
travail. La variété et le romanesque des fictions compen-
saient heureusement pour l'artiste la monotonie du paysage,
et le rôle important que les femmes jouent dans ces poèmes
était fait pour tenter son crayon. Il y avait bien une grosse
difficulté : le costume. Les indications du texte de Macpher-
son étant vagues ou nulles, l'histoire et la tradition étant
muettes, l'artiste ne savait trop quel modèle suivre, ou
comment inventer avec vraisemblance un costume conve-
nable à des Calédoniens du m* siècle. Il s'en tirait parfois
en les habillant à l'antique. C'est le parti qu'avait pris
1. Mercure, 17 mai 1817 : Le salon de ISIT, poème, par A.Bignan fils.
2. Landon, Annaies du Musée, 1817.
Séries de compositions et illustrations j63
M. Ruhl, de Cassel, « artiste qui jouit en Allemagne d'une
grande réputation ». La suite de ses compositions, qui était
annoncée au lecteur français en 1803, devait représenter
« les scènes les plus intéressantes des poésies d'Ossian ». Il
avait « habillé ses héros de l'ancien costume romain, tel
qu'on pourrait supposer avec vraisemblance que les Ecos-
sais l'ont porté au temps d'Ossian ' ». C'est à peu près le
même système qu'adopte l'auteur inconnu, probablement
espagnol, nous dit-on, des « 31 compositions sur des sujets
tirés des poésies d'Ossian » dont la Bibliothèque Sainte-
Geneviève possède les originaux à la plume. Cette collection
est intéressante à feuilleter. On y voit combien Ossian est
classique, comment pour l'artiste, encore plus que pour le
poète, il se range naturellement à côté des Grecs et des
Romains : il fournit de Vantique, il suggère de nouveaux
sujets qu'on traite exactement suivant la même formule
que les autres. Pas un souffle nouveau dans l'ossianisme du
dessinateur. On ignore la date de ce travail. Il est proba-
blement postérieur à celui de Ruhl et antérieur à celui de
Chenavard. Celui-ci a publié en 1868 un bel ouvrage ^ qui
contient, après un précis historique extrait du Discours
préliminaire de Le Tourneur, 21 planches gravées sur acier
d'après les compositions du maître lyonnais ; à chacune
d'elles est joint un texte explicatif du sujet qu'elle repré-
sente. Cette série de compositions peut être appelée le chant
du cygne de l'art ossianique ; mais, si tard qu'elle ait été
exécutée, elle n'innove absolument pas dans la manière de
traiter les sujets empruntés au Barde. C'est un art stricte-
ment classique. C'est Vantique enrichi d'un domaine nou-
veau, mais nullement modifié ni assoupli par une inspiration
étrangère.
Ce serait une tâche peu utile, et à coup sûr très fasti-
dieuse, que de passer en revue toutes les vignettes, frontis-
pices,illustrations qui accompagnent en France les diverses
traductions ou imitations des poèmes d'Ossian. Cuivres,
eaux-fortes, aqua-tintes, depuis la composition soignée jus-
qu'à l'illustration la plus grossière, on trouve de tout dans
1. Magasin Encyclopédique, 1805,11,152.
2. Chenavard, Sujets tirés des Poèmes d'Ossian, Lyon, 1868, in-f°.
164 Ossian en France
ces vignettes, dont plusieurs mêmes sont en couleurs ;
ce sont les plus médiocres. Le principal intérêt de ces images
est de nous montrer, d'abord quel aspect d'Ossian parais-
sait devoir intéresser surtout le lecteur, ensuite à quelle
mode artistique et littéraire obéissait le crayon du dessina-
teur. Sur le premier point, on remarque immédiatement
que les grands aspects mélancoliques de cette poésie ne sont
pour ainsi dire jamais signalés. Il en eût été bien autrement
quelques années plus tard, si les illustrations avaient coïn-
cidé avec le Romantisme. Ce qui tente l'illustrateur, c'est
l'anecdote sentimentale ou pathétique, c'est surtout l'idylle
gracieuse, et quelquefois aussi le dénouement dramatique.
Nous avons déjà parlé des gravures de la traduction de
Hill. Elles accentuent la couleur galante et romanesque du
recueil de Smith. Devéria choisit, sans grande raison, pour
l'unique illustration des Poésies Galliques de Baour-Lor-
mian,le moment où Bosmina offre une coupe à Erragon. Le
recueil de Boucher de Perthes s'orne d'un Ossian et d'une
Malvina dans l'attitude traditionnelle. Quant à la mode, il
faut reconnaître que les éditions françaises n'offrent pas les
déguisements baroques dont s'alïublent certains Ossians
étrangers. On n'y trouve pas le chapeau tyrolien et les bottes
à la houzarde du recueil de Bilderdijk. Il faut noter pour-
tant, comme exemple de la confusion qui se produit entre
TEcosse d'Ossian et celle de Scott, les sept vignettes des
Chants dun Barde de Miger, avec les tartans et les écharpes
des héros.
Il n'est nullement évident que le caractère artificiel des
poèmes ossianiques ait voué d'avance à la stérilité les efforts
des artistes pour en interpréter le sentiment général ou
quelques scènes particulières. L'inauthenticité des poèmes,
leur vide psychologique, ne gênaient en rien le peintre ;
l'absence de costume et de couleur locale vraie, si sensible
au critique, le touchait peu, puisqu'il pouvait créer libre-
ment ; le paysage qu'indiquait le texte, très vague et très
évocateur, le servait à souhait ; il eût du moins heureuse-
ment inspiré des artistes plus récents. Si les œuvres ont
été ou médiocres ou oubliées, et parfois les deux ensemble,
c'est que l'opinion du temps a pesé d'un grand poids sur
l'imagination des peintres. On s'attachait surtout, dans Os-
Conclusion sur la peinture ossianique i65
sian,à la partie la plus artificielle et la plus vaine de l'œuvre,
à celle qui était sortie tout entière du cerveau de Macpher-
son, à la fantasmagorie des ombres dans les nuages. En
l'absence d'une religion positive, on aimait cette mythologie.
« La mythologie d'Ossian intéresse : elle est douce et con-
solante ; elle serait pour un grand poète, un grand peintre,
une source de conceptions pleines de vigueur et de charme ' . »
Obéissant à cette idée et à leur propre sympathie, les ar-
tistes se sont évertués, soit à placer l'action entière dans les
nuages, comme l'a fait Girodet, soit à consacrer au moins
la moitié de leur composition à ce qui se passe dans les
nuages, comme Gérard, Ingres, Forbin. Leur peinture de-
vient vague et inconsistante, et surtout arbitraire et fausse ;
chargée de sens et d'allusions, érudite et compliquée,
elle perd ses qualités d'art. A une autre époque, une
autre école que celle de David eût pu avec succès puiser
dans Ossian quelques paysages, quelques profils, quelques
émotions. Alors on aurait pu trouver avec justice « le pin-
ceau mieux inspiré que la harpe " ». Mais en persistant,
sauf dans quelques anecdotes ossianiques, à faire de tous
les personnages des « créations aériformes », des « images
qui ne sont que des vapeurs », la peinture ossianique
ne s'est pas « dégagée de ses brouillards»; elle n'est pas
« parvenue à créer des existences par l'imagination ^ ». La
mode ossianique a rencontré une tendance à chercher
une mythologie neuve qui fût en même temps une escha-
tologie consolante ; toutes les deux se sont exprimées dans
une forme imprégnée de traditions classiques, chargée
d'allusions et de symboles, qui ne savait pas donner la
sensation de l'infini douloureux, du passé, du rêve, et dont la
mélancolie même était trop définie. Ainsi compris, le genre
ossianique en peinture était voué à la monotonie, à la médio-
crité ou au paradoxe stérile, et bientôt à l'oubli.
1. Décade, LI, 102 ^1 octobre 1806).
2. Ib.
3. Quatremère de Quincy, Notice sur Girodet, p. 317.
CHAPITRE VI
Solitaires et rêveurs
I. L'ossianisme intime, Larevellière-Lépeaux et son ffroupe : Trouvé ;
Gérard. Ducis et son EpiLre à Gérard. L'ossianisme de ce groupe.
II. Deux rêveurs. Ballanche : le sentiment; la mélancolie et le souvenir.
Sénancour : place importante que tient Ossian dans Oherniann.
III. Charles Nodier : Le Peintre de Salzbourg ; les Essais d'un jeune
Barde et l'ossianisme de Nodier devant la critique. Romans et
contes divers : l'authenticité et l'admiration.
IV. Xavier de Maistre: une parodie d'Ossian. Stendhal;ce que veut dire
pour lui ossianique. Quand il découvre Fingal. Incompatibilité de
Stendhal et d'Ossian.
Ossian n'est pas seulement à cette époque le poète favori
du maître, le chantre officiel de ses louanges, celui qui
prête sa voix à l'enthousiasme et à l'adulation; il ne se
borne pas à inspirer les faiseurs d'odes, de poèmes et de
romances, à donner le ton aux musiciens, à paraître sur la
scène et à figurer dans la peinture. Le Barde a des beautés
moins pompeuses et des charmes plus secrets. 11 sait aussi
parler à voix basse, et ses chants ont une vertu discrète qui
leur ouvre les âmes ; surtout les âmes timides, fières ou dé-
çues de ceux qui redoutent et fuient le monde, et que le
fracas de l'apothéose impériale laisse indifférents ou dédai-
gneux. Rêveurs, solitaires, voyageurs, ils vivent en dehors
du grand courant de vogue et de popularité qui à cette
heure même porte Ossian aux suprêmes honneurs; ils le
lisent à l'écart et dans le recueillement; ils l'aiment, non
parce qu'il est à la mode, mais parce qu'il a su toucher leurs
cœurs.
Larevcllière- Lépeaux et son groupe 167
Nulle part autant que dans un coin de la Sologne le Barde
n'est honoré comme un dieu domestique. Larevellière-Lé-
peaux, membre du Directoire, Ta connu, Fa aimé comme
tant d'autres en son temps ; mais il n'entre à son propos
dans aucun détail, ni dans ses Mémoires, ni dans ses papiers
manuscrits. Il nous dit seulement qu'il était « dès ses plus
jeunes ans enclin à vine mélancolie profonde... qui allait sou-
vent jusqu'à lui faire répandre des larmes » ; qu'il était doué
d'une imagination « que les ruines, les sites romantiques,
les lieux jadis célèbres ont toujours fait travailler ' ». Rien
d'étonnant si, avec cette nature rêveuse et romantique, il a
goûté le Barde et appelé son fils Ossian ; ce fils naquit en
1795 ou 1796. Sa fille s'appelait Clémentine: autre souve-
venir de chères lectures. Dès le temps où Larevellière fai-
sait partie du gouvernement, il était le centre d'un petit
groupe de théophilanthropes ossianistes. Cette religion nou-
velle, dont il était le grand-prêtre, inspirait des effusions
auxquelles l'amour d'Ossian donnait une teinte particulière.
Le citoyen Trouvé, commissaire du gouvernement français
dans la République Cisalpine, allant au printemps de 1797
prendre possession de ses fonctions, tient au courant Lare-
vellière, par des lettres fréquentes, des étapes de son
voyage. Il l'appelle son père, et lui demande à chaque fois
des nouvelles « de notre bonne mère et du bel Ossian » ; il
lui dit son plaisir d avoir rencontré le citoyen Arnault
« auteur à' Oscar » ; ils se sont « embrassés en frères ». Il
lui dépeint le paysage qu'il a observé en descendant sur
Tarare : bruyères, pins, torrents, brouillards et nuages épais.
« Les montagnes que nous avons descendues hier m'ont
retracé plusieurs des images dont les poésies d'Ossian
m'avaient donné l'idée ^ »
Après avoir quitté le pouvoir et renoncé aux affaires pu-
bliques, Larevellière se confine dans un petit domaine de
Sologne, la Rousselière, où il mène la vie la plus retirée,
la plus paisible et la plus heureuse, entre sa femme, ses
deux enfants, et quelques vieux amis qui font chez lui
1. Mémoires de Larevellière-Lépeaux, I, 10 et 12.
2. Bibliothèque Nationale, Manuscrits (Nouvelles acquisitions françaises,
n" 21.566 ) : Papiers de Larevellière-Lépeaux. Lettre de Trouvé à Lare-
vellière, de Tarare, le 20 floréal an V.
i68 Ossian en France
d'assez longs séjours, un Gérard, un Ducis. Le premier
fait présent à son hôte « de la belle gravure» de son tableau
d'Ossian. Ducis, plus intime encore, trouve dans la Rous-
selière le séjour aimé de sa vieillesse. Il embrasse avec
tendresse Clémentine et le bel Ossian *. 11 écrit de Ver-
sailles à son ami qu'il lui tarde de revoir « ces bruyères
amies d'Ossian et de Fingal ». C'est chez lui qu'il compose
son Epître à Gérard, ou plutôt qu'il « en trace le dessin
dans la chambre de madame Lépeaux, sous la belle gra-
vure d'Ossian " ». La partie de cette Epître qui commente
le tableau ossianique de Gérard lui coûte bien du travail :
il s'y est mis dès juin ou juillet 1805, et en janvier 1806
il paraît avoir terminé. Il lui faut pour y travailler « se
mettre aux pieds d'Ossian pour entendre les accents de sa
lyre antique et jouir du concert qu'il donne aux ombres
des héros et héroïnes, dans le paradis des nuages et des
souvenirs ». Comme il se sent, lui le vieux classique, bien
hésitant « dans l'expression de cette esquisse singulière,
romantique et aérienne ^ », il prie Gérard, qu'il appelle
son Corrège, de le diriger ; et s'il faut entre eux un arbitre,
il lui propose Népomucène Lemercier. D'ailleurs il demande
directement conseil à ce dernier ; il lui soumet son idée,
qui est de « terminer VEpttre par le paradis des nuages
dans Ossian, après avoir dit un mot de l'enfer des vapeurs
infectées du Légo * ». Enfin l'œuvre est achevée : il la lit
à tout le monde à Versailles où il habite ; il l'envoie à
Gérard et lui en donne lecture chez lui, « devant les tableaux
qui l'ont inspirée ^ ». C'est « comme une espèce de poème,
car elle a 420 vers, et même comme une espèce de Salon »,
car on y trouve exposées « dans L'Amour et Psyché, dans
Bélisaire, dans Ossian, les charmantes conceptions de
Gérard », écrit-il à un ossianiste digne de le comprendre, à
Arnault °.
1. Lettre du 22 ventôse an XIII, citée dans Mémoires de Larevellière-
Lépeaux, I, xxvii.
2. Lettres de Ducis, p. 225 : Lettre à Larevellière-Lépeaux, 29 janvier
1806.
3. Ih., p. 203 : Lettre à Gérard, la Rousselière, 12 messidor an XIII.
4. //;., p. 198 : Lettre à M. Lemercier, la Rousselière, 12 juin 1S05.
5. Ih., p. 258 : Lettre à Gérard, Versailles, 27 novembre 1806.
6. Ib., p. 220: Lettre à Arnault, Versailles, 6 décembre 1805.
Ducis «69
CeiieEpître à Gérard i, en \eTs libres, datée de juin 1805,
est en effet fort longue. Ducis y retrace successivement
quatre tableaux de son ami : Psyché et l' Amour, Bélisaire,
Les Quatre Ages, Ossian. Le dernier morceau est le plus
étendu : il compte 112 vers. Il esquisse d'abord la grande
figure du Barde lui-même, telle qu'elle apparaît dans le
tableau de Gérard ;
Où suis-je? Quels concerts! Ossian, je te vois!
Chantre des temps passés, j'ai reconnu ta voix...
Dépassant cette tour antique
L'astre timide de la nuit
De son rayon mélancolique
Argenté les longs flots de ta barbe qui fuit
Sur ton sein large et poétique...
Le Nord a dans ton sein concentré le génie.
Il évoque ensuite Fingal, Oscar et Malvina, « TAntigone
du Nord », leurs dogues fidèles, et le Cromla, et Selma, et
l'ombre de Trenmor, et tous les « Ajax du Nord », et
Les berceaux endormis par un chaut romantique...
et la lune.
Astre pâle, et chéri des cœurs mélancoliques.
Ossian offre en effet l'occasion de dire les douceurs de la
mélancolie :
Long tourment, mais si cher, si plein de volupté ;
Duvet où l'on enfonce, on s'endort enchanté;
Incurable bonheur d'une âme recueillie,
Dans ce qu'elle aime ensevelie,
Qui vit, s'enivre et meurt d'un miel qu'elle a goûté.
Après avoir rappelé Homère, Virgile et leurs «x champs
Elysiens », le poète s'écrie :
Mais quoi ! l'Ecosse aussi n'a-t-elle pas les siens ?
1. Œuvres de Ducis, III, 186.
'7° Ossian en France
Ce paradis de nuages, qu'il chante avec plus de conviction
que ne l'avaient fait Parny ou Campenon, il souhaite que
Gérard et lui-même y soient admis après leur mort. Fils
du xviii» siècle, le vertueux Ducis n'a pas d'espérance plus
certaine. Il y a d'ailleurs dans tout cela des fausses notes,des
Iminers du Nord, des zépfnjrs, des palmes, des dieux. La
pièce est en général faiblement rimée, et les termes en sont
impropres. Le bon Ducis, qui n'a jamais fort bien écrit, a
soixante-treize ans.
Vers le même temps, il se montre encore occupé à
« retoucher avec soin » deux anciennes romances qu'An-
drieux pourra insérer dans la Décade « avec ou sans musique
de Grétry '».La première des deux lui plaît davantage, car
«le sujet en est d'Ossian ». Il s'agit sans doute à.'Algard
et Afiissa, cette romance ossianique que nous avons briè-
vement signalée parmi ses sœurs.
Comme Ducis ne s'était que fort peu inspiré d'Ossian au
temps de sa plus grande activité poétique, sous Louis XVI
par exemple, il est certain que c'est l'amitié des solitaires
de la Rousselière, la fréquentation de Gérard, d'Arnault,
qui l'ont amené au Barde. Lui, le doyen de ce petit groupe,
il sa met au diapason des plus jeunes. Tous philosophes et
libres penseurs, ils restent fidèles à Ossian, qui leur offre
un idéal sans superstition et une vertu désintéressée.
II
Un rêveur nébuleux et mystique comme Ballanche,un so-
litaire mélancolique et désenchanté comme Sénancour,
devaient encore plus sûrement réagir au contact d'Ossian.
Ballanche a bien connu ce se7itiment qui était alors sur toutes
les lèvres, sinon dans tous les cœurs; ce mot « qu'on n'avait
jamais entendu si souvent répéter ' »,cet état d'àme auquel
il a consacré son premier ouvrage, et qui, s'il se développe
librement, pourra devenir le mal du siècle dont le même
Ballanche essaiera plus tard de guérir la jeunesse '. Sa na-
1. Lettres de Ducis, p. 221 : Lettreà Andrieux, Versailles, 7 janvier 1806.
2. Ballanche, Du Sentiment..., ISOI, p. 8.
3. Œuvres de Ballanche, III: Le Vieillard et le Jeune homme (1819).
Ballanche 171
ture sentimentale se plaît dans un paysage sauvage et gran-
diose, « sur des rochers escarpés, au bord des précipices. . . ' ».
Il aime à voir tomber la foudre et à sentir errer les fan-
tômes ; il recherche la mélancolie, à laquelle les habitants
du Nord, plus heureux que ceux du Midi, ont de tout temps
été disposés par « un ciel nébuleux, des sites âpres et sau-
vages, la sévère monotonie de quelques scènes grandes et
majestueuses, une nature toujours austère ^ ».I1 va, comme
on l'a déjà remarqué \ jusqu'à reprendre l'exclamation de
Berrathon que Werther avait popularisée : « Souffle du prin-
temps, pourquoi viens-tu murmurer à mon oreille le bonjour
matinal ? » C'est probablement à Ossian que se rattachent
certaines vues vagues ou ridicules de mythologie et de lin-
guistique. Ainsi Ballanche parle de la Voluspa « des nations
celtiques * », et attache une grande signification philoso-
phique à ce fait qu'il tient de Fabre d'Olivet : « Les langues
du Nord de l'Europe n'avaient à l'origine que deux temps
simples : le prése7it et le passé ; elles manquaient de futur \ »
Vous sentez combien une langue qui n'a pas de futur con-
vient à une poésie qui toujours évoque et pleure le passé.
Mais dans tout cela Ossian n'est pas nommé : on le sent
tout près, qui va paraître derrière ce rocher, et quand ce
nuage sera dissipé. Dans le livre Du Sentiment, si déclama-
toire d'ailleurs, et à tous égards si novice, Ballanche nomme
ses maîtres : Platon, Haller, Young, Gessner et Bernardin
de Saint-Pierre ; cet assemblage exprime curieusement ses
tendances. Voici Ossian maintenant. L'auteur constate que
la mélancolie a merveilleusement inspiré certains grands
poètes aveugles. Ossian et Milton sont rapprochés d'Homère,
de Thamyris, de Tirésias, de Phinée : « ils eurent avec ces
grands hommes la double ressemblance du génie et de la
cécité ». On voit tout de suite d'où Ballanche a tiré sa liste
d'illustres aveugles : elle est telle quelle dans son cher
Milton:
1. Ballanche, Du Sentiment..., p. 100-102.
2. Id., Fragments.
3. F. Baldensperger, Gœthe en France, p. 31.
4. OEiivres de Ballanche, IV, 142 : Essai de Palinyénésie sociale,
' pai'tie.
5. Ib., il, 274 : Essai sur les Institutions sociales, ch. IX, 1" partie.
«7* Ossian en France
Blind Thamyris and blind Maeonides,
And Tiresias and Phineus prophets old*.
Et il continue son parallèle ;
Cet état même de privation et de chagrin, peint d'une manière
si sublime par Ossian et Milton,... est encore favorable au génie
par l'intensité et la profondeur qu'une mélancolie habituelle lui
fait acquérir ^
Il vient enfin à Ossian directement, et lui consacre deux
pages '. Après avoir tenté, comme tant d'autres, de carac-
tériser le génie « du plus fameux des Bardes », après avoir
évoqué le paysage ossianique, il admire surtout « ce ton de
mélancolie, qui plaît tant aux âmes sensibles, et qui s'allie
si bien à tous les grands effets d'une nature majestueusement
sévère ». Il renvoie même en note à la traduction de Baour-
Lormian pour l'apostrophe au soleil. Mais ce qui est plus
neuf, c'est la remarque que « tout s'anime dans la nature »
que peint Ossian : « tout devient monument » , A l'appui
de cette assertion, l'auteur énumère les sapins mémorables,
les tombeaux, si nombreux dans ces poèmes. Il veut dire
en somme que nulle patrie ne fut, moins que la Calédonie,
incuriosa siiorum ; que le souvenir des hommes, ailleurs
effacé aussi vite que les traces de leurs pas sur le sable, se
prolonge et revit aux accents du Barde, sur cette terre nue
et déserte, vide d'action et de travail, peuplée de monuments
et d'ombres ; vrai cimetière où tout, cyprès et marbres,
parle aux vivants de ceux qui ne sont plus. Le livre Du
Sentiment est contemporain de René et à'Obennann',so\xs
le Consulat, une grande vague de mélancolie passe sur les
âmes ; Ossian est l'interprète aimé de ces deuils et de ces
rêveries.
Sainte-Beuve nous apprend que « Ossian, Byron,le Songe
de Jean-Paul, se partageaient le jeune Sénancour, comme
tout le groupe formé par ses amis, Auguste Sautelet, Jules
Bastide, Jean- Jacques Ampère, Albert Stapfer * ». Cette indi-
1. Milton, Paradtse Losl, III, 35.
2. Ballanche, Du Sentiment..., p. 127.
3. Ib., p. 202.
4. Sainte-Beuve, Portraits Contemporains, 1, 180.
Scnancour 173
cation est précieuse, bien qu'étonnante en un sens .-comment
J.-J. Ampère, né en 1800, pouvait-il « former un groupe »
avec « le jeune » Sénancour, né en 1770 ? Je n'ai rien pu
trouver de précis sur l'ossianisme de ces divers amis de Sé-
nancour, sauf Ampère, que nous retrouverons à son heure.
L'influence d'Ossian est partout sensible dans Obermann.
Ces fantômes de la jeunesse, schwankende Gestalten, que
Gœthe évoquait avec des mots d'une sereine mélancolie,
ils apparaissent aussi au pèlerin rêveur, au plus profond
de sa solitude alpestre, h Imenstrôm. Mais qu'on prenne
garde à la forme qu'ils revêtent :
Les fantômes sont restés: ils paraissent devant moi ; ils pas-
sent, repassent, s'éloignent comme une nuée mobile sous cent
formes pâles et gigantesques ^..
Et plus loin il les aperçoit « au milieu des ombres er-
rantes, dans l'espace impalpable et muet ». Et ne viennent-
ils pas d'Ossian également, ces « esprits des héros », ces
« âmes des ancêtres », qui peuplent les nuages, qui «errent
sur les tombeaux silencieux », et qu'on « entend gémir
dans les airs pendant la nuit ténébreuse » ? Et l'auteur
s'écrie : « Quelle patrie pour le cœur de l'homme » que le
pays qui a ces croyances !
Dans un passage curieux, Obermann oppose la vie pas-
sive et monotone du désert oriental avec celle des barbares
du Nord. Le tableau qu'il se plaît à tracer est presque en-
tièrement emprunté à Ossian, au moins pour la couleur et
le style :
Mais les rochers moussus s'avancent sur l'abîme des vagues
soulevées... Sur l'Océan tranquille, les filles des guerriers
chantent les combats et l'espérance de la patrie.. .On entend des
voix humaines au-dessus des rochers, et des gouttes froides
tombent du toit. Le Calédonien s'arme, il part dans la nuit, il
franchit les monts et les torrents, il court à Fingal ; il lui dit :
Slisama est morte.
Slisama figure bien dans Dar-thula, mais on ne trouve
dans le poème rien de ce que Sénancour nous raconte.
Le Nord est donc plus poétique que les pays chauds : à
1. Sénancour, Obermann, 1804, p. 339.
1^4 Ossian en France
lui appartiennent « l'héroïsme d^^ l'enthousiasme, et les songes
gigantesques d'une mélancolie sublime ». Plus particuliè-
rement, le barde Ossian est l'égal des grands aèdes légen-
daires de la Grèce héroïque : « La Grèce eut Orphée, Ho-
mère,Epiménide ; laCalédonie, plus difficile, plus changeante,
plus polaire et moins heureuse, produisit Ossian ', »II est du
petit nombre des grands hommes parmi lesquels la suprême
ambition de tout écrivain serait de prendre rang : « Ima-
giner que Ton pourra être à côté de Pythagore,de Plutarque
ou d'Ossian, dans le cabinet d'un L**' futur % c'est une illu-
sion qui a de la grandeur, c'est un des plus nobles hochets
de l'homme '. »
Vingt ans plus tard, Sénancour considérera Ossian d'un
tout autre point de vue. On est aux débuts de la bataille
romantique ; il s'agit de tracer sur la carte de l'Europe les
domaines distincts de la littérature classique et de la litté-
rature romantique. Sénancour, en juge impartial et en es-
prit ouvert, s'y essaie; il croit remarquer, contrairement
au système trop absolu de M"" de Staël, que la poésie che-
valeresque n'est pas exactement celle du Nord : elle est in-
termédiaire :
Les institutions et les maximes chevaleresques... tout en ap-
partenant à l'inspiration romantique, ont formé une sorte de
lien entre le merveilleux des Sarmates ou des Scandinaves, et
celui de l'Hellénie et de l'Ausonie, entre Ossian et Virgile,,
entre Sophocle et La Huerta*.
L'auteur tenait sans doute à cette phrase, car il l'a repro-
duite dans une note de ses Rêveries \ Il ne l'a pas rendue
plus claire, au moins en ce qui concerne La Huerta. Est-ce
l'auteur de Raquel ou l'éditeur du Teatro Espanol qui mé-
rite d'être opposé à Sophocle ? et comment, de toute façon,
l'estimable et malchanceux académicien de Madrid peut-il
être rangé parmi les « Sarmates » ou les « Scandinaves » ?
1. Obermann, p. 396 et 327.
2. Peut-être Larclier l'helléniste ?
3. Obermann, p. 347.
4. Le Mercure du XIX' siècle, 1823, II, 222 : Considérations sur la. lit-
térature romantique, par Sénancour.
5. Sénancour, Rêveries..., p. 393.
Charles Nodier 175
D'ailleurs Sénancour a le don d'associer les noms de façon
imprévue : nous avons rencontré tout à l'heure un Epimé
nide inattendu entre Homère et Orphée.
III
On a dit ; « Le souci d'Ossian fait de Nodier un précur-
seur du Romantisme ^ » Précurseur du Romantisme, certes
il l'est, et de bien des façons ; mais son ossianisme n'entre
guère dans l'influence qu'il a exercée. Au contraire, c'est là
un chemin où il aimait à rêver en compagnie des poètes,
des romanciers de son âge ou même de ses aînés, mais où
il n'était guère suivi de ses jeunes amis. Charles Nodier a
été extrêmement ossianiste au temps de ses premières
œuvres, entre 1800 et 1815; et nous verrons qu'il l'était
resté au moins d'affection et de cœur, à l'époque de son
voyage en Ecosse. Il ne nous a pas fait de confidences
directes, et nous ignorons où et comment il a connu Ossian:
sans doute dès sa jeunesse, son enfance même. Sa nature
rêveuse, mélancolique, son goût d'exotisme, son penchant pour
le mystérieux et l'inexpliqué, tout le disposait à s'éprendre du
Barde. Il n'est pas étonnant que Baour-Lormian lui ait « con-
fié » ses « beaux vers » galliques avant leur publication ".
Cependant Ossian ne fait pas partie de sa bibliothèque de
voyage à seize ans, ou n'y est représenté que par Wer'ther \
Dans Les Proscrits, on ne trouve pas Ossian parmi ses sources
d'inspiration : ses auteurs favoris sont Werther en première
ligne, puis Gessner, Klopstock, Montaigne, Rousseau, Sha-
kespeare, Richardson, Sterne et la Bible *. Voilà une liste
type, pour un jeune rêveur sous le Consulat ; pas un auteur
grec ni latin, pas un Italien, les deux Français les plus
subjectifs et personnels qui aient écrit, et parmi les Anglais
et les Allemands, quel choix ! Et celui qui ne nomme pas
Ossian écrit : « Une nuit poétique... le sapin agité par le
1. G. Merlet, Tableau..., II, 91.
2. Contes de Ch. Nodier, p. 531: L'Ambre, conte en vers.
3. Ch. Nodier, Correspondance inédite, p. 3 (1796).
4. Id., Les Proscrits, 1802.
176 Ossian en France
vent, l'onde qui murmure... » A la même époque, pour
donner la plus haute idée de son ami Maurice Quaï(ouQuay),
il lui prête « le génie d'Ossian ' ». En 1808 il écrit Le
Peintre de Salzhourg. Charles Munster, cet émule de Wer-
ther, a Ossian comme livre de poche. « Voulais-je partir?
J'avais tout oublié, mon papier, mes crayons, et mon Ossian ^ >
A ses sentiments, à ses images, à son style, on voit que
c'est un familier du Barde. Octobre, qui est un mois ossia-
nique entre tous, va l'inspirer, comme il inspirait Werther :
C'est alors qu'on préfère à la pompe radieuse du soleil les
douces clartés de la lune et les mystères de la nuit... la triste
nudité de l'hiver, les bises froides et les noirs frimas...
Ainsi... mon âme... s'égara dans les demeures de la mort, et,
sous les gémissements de l'aquilon, elle aima les ruines, l'obs-
curité, les abîmes...
A travers les voiles grisâtres et les nuées formidables dont
il est enveloppé, on prendrait le soleil pour un météore qui
s'éteint '.
Le tnètéore contresigne ce passage. A la même époque,
Nodier écrivait ou révisait les poésies qui parurent en 1804
sous le titre d'Essais d'un jeune Barde *. Ce petit volume
marque l'apogée de son ossianisme, bien que la Bible et Gœthe
l'influencent ici encore plus souvent qu'Ossian. Et celui-ci
se trouve mélangé à des éléments tout autres. Dans la pre-
mière pièce du recueil. Halte de Nuit % qui a pour épigraphe
quatre lignes d'Ossian, on observe im curieux mélange de
toute une phraséologie usée, Muse, Flore, Aonide, Zéphyr,
lyre d^or,&.\ec l'esprit des déserts, la lune au sommet d'un
nuage livide, et des vers comme ceux-ci ;
Sous sa main nébuleuse une harpe ébranlée
Marie à ses accords de long-s frémissements.
1. Ch. Nodier, Correspondance inédite, p. 26.
2. lionians de Charles Nodier,p. 206 : Le Peintre de Salsbourg : « le 17 sep-
tembre ».
3. Ib., p. 212 : « Le 10 octobre ». La lettre de Werther à Wilhelm con-
sacrée à Ossian est datée du 15 octobre.
4. Gh. Nodier, Essais d'un jeune Barde, 180-4; réimprimés dans les Poé-
sies, 1829.
5. Ib., p. 11.
Charles Nodier 177
On peut encore citer le Chant funèbre au tombeau d'un
chef Scandinave '. Mais la profession de foi ossianique du
poète se trouve plutôt dans le morceau en prose qui termine
le mince volume. Ossian s'y rencontre bizarrement placé
entre la pureté de l'art grec et l'humour de Sterne, dans
un passage où l'auteur demande à son lecteur si « la plain-
tive Malvina » l'a jamais « intéressé à ses malheurs ' ».Plus
loin, en vantant les perfections de sa Lucile, il émet l'hy-
pothèse qu'elle « eût été à son gré le Michel-Ange de la
poésie ou l'Ossian de la peinture ' ». Tout cela est mal pensé
et mal écrit. On comprend que la presse ait été peu clé-
mente à ce médiocre petit volume au titre prétentieux. Le
classique Auger était sévère :
Celui qui fait des vers français s'appelle un poète; quant à
M. Nodier, il se donne pour un barde. En effet, ses poésies sont
écrites dans une langue à nous inconnue. Nous ne doutons point
qu'elles n'eussent beaucoup de succès dans les montagnes de
l'Ecosse : mais pour que nous puissions les goûter aussi, il fau-
drait qu'un nouveau Macpherson prît la peine de les traduire *.
Il ne trouve dans le recueil qu'un « jargon bizarre et
incorrect », des « idées fausses et incohérentes », des
« images dépourvues de grâce et de justesse » ; bref, « un
style barbare ». J'ai idée que le titre avait beaucoup fait
pour attirer au jeune Nodier ces rigueurs : nous verrons
qu' Auger n'est pas tendre pour le genre ossianique. Le
Mercure, malgré de graves réserves, est en somme plus
bienveillant. Le critique anonyme signale dans le volume
« quelques imitations d'Ossian qui ne manquent pas de
verve ^ ». De verve ! C'est la moindre qualité d'Ossian et
de ses imitateurs.
Il est encore question des poèmes du Barde dans Adèle,
mais, dit l'auteur, « j'ai rabattu quelque peu de mon enthou-
siasme pour Ossian \ » Dans La Fée aux Miettes, il y a un
1. Gh. Nodier, Essais d'un jeune Barde, p. 17.
2. //)., p. 92.
3. Ih., p. 94.
4. Décade, XLII, 294 (20 thermidor an XII).
5. Mercure, 4 août 1804.
6. Romans de Ch. Nodier, p. 252: Adèle, « le 18 avril ».
1^8 Ossian en France
bateau qui s'appelle Fingal et un rocher de Bnlclutha '.
Trilhy et La Fée aux Miettes se passent en Ecosse : c'est l'un
des pays où erre le plus volontiers le rêve fantastique de
Nodier. Les Tristes, dit Sainte-Beuve, « sentent le lecteur fami-
lier d'Ossian et de Young, le mélancolique glaneur de tous
les champs de la tombe ^ >.Jean Shof/ar, qui a été « ébau-
ché en 1812^ » et publié en 1818, a deux épigraphes emprun-
tées à Ossian *, dont l'une compte dix lignes. Beaucoup plus
tard, Nodier parle encore avec complaisance des « vapo-
reuses fictions de l'Ecosse ' », de « l'Homère de Selma »,
dont il compare les chants à ceux des montagnards suisses.
Mais, en même temps qu'il continuait à citer Ossian, il
semble que Nodier commençait à douter de son authenti-
cité. Il blâme Napoléon « dont le goût littéraire n'était pas
bien sûr » de sa prédilection pour « les supercheries épiques
de Macpherson '^ » . Il devait plus tard revenir à loisir sur cette
question '. Que faut-il penser de « l'Homère de Selma »?
C'est un « grand objet de contestation », et il semble que dans
cette discussion on n'a pas fait montre « d'esprit de cri-
tique ». Nodier conclut, un peu à la légère et plutôt par
impression personnelle, que « Macpherson n'a certainement
pas inventé ces poèmes et certainement il ne les a pas tra-
duits. Il s'est borné à exploiter les poésies traditionnelles;
c'était une rencontre très heureuse et un travail très peu
diflicile. » Ce n'est pas tout à fait cela, on l'a vu. En tout
cas, Nodier ressemble ici à beaucoup de ses contemporains :
il discute, il met en doute l'authenticité des poèmes, et il
reste fortement touché de la grâce ossianique. Il est un de
ceux qui ont été le plus profondément et le plus longtemps
sous l'influence du Barde: il doit prendre rang à cet égard
à côté de Chateaubriand et de Lamartine.
1. Contes de Ch. Nodier, p. 325: La Fée aux Miellés.
2. Sainle-Beuve, Portraits littéraires, 1, 461.
3. Romans de Ch. Nodier, Préliminaires.
4. Th., p. 31 et 159 : Jean Shogar.
5. Œuvres de Ch. Nodier, V,92: Du Fantastique en littérature.
6. Romans de Ch. Nodier, Préliminaires.
7. Ch. Nodier, Mélanges de littérature et de critique, 1820, II, 353.
Xavier de Maistre 179
IV
Vers le même temps, des échos d'Ossian nous arrivent
de l'Italie. Dans sa chambre de Turin, Xavier de Maistre
déclame les chants du Barde; dans son pèlerinage d'art et
de curiosité à travers l'Italie du Nord, le « Milanais » Sten-
dhal va les découvrir. Mais ceux-là, différents au reste à
tous égards, ne sont pas des ossianistes bien fervents : l'un
l'a peut-être été, et sous sa raillerie se cache quelque affec-
tion ; l'autre ne sera guère touché d'Ossian, qui lui arri-
vera trop tard.
On ne peut dire que l'excellent Xavier de Maistre ait
subi profondément l'influence ossianique. Nature candide
et sentimentale avec une pointe de finesse humoristique,
il se montre tributaire de Gessneret de Werther, de Sterne,
de Richardson aussi et de Prévost '. Voilà pour les au-
teurs qui sont des amis ; mais au-dessus d'eux se dressent
les maîtres vénérés : Dante, qu'il paraît connaître, chose
rare ; et ceux qu'il nomme dans une phrase curieuse : « Je
promène mon existence [dans l'univers] à la suite d'Ho-
mère, de Milton, de Virgile, d'Ossian -, » Evidemment le
Barde se range à ses yeux parmi les grands poètes épiques
de tous les temps. Mais il sait aussi railler la mode ossianique
qui commençait à se répandre à Turin au temps de la Ré-
volution, sous l'influence de la France et surtout peut-être
grâce au succès de Cesarotti. C'est « quelque temps après la
prise de Turin par les Austro-Russes »,donc vers 1799, que
se place V Expédition nocturne autour de ma chambre, ré-
plique du premier Voyage dont on sait le franc succès.
L'auteur se met en tête de composer une Epitre en vers ;
et, comme il est plus d'une heure à trouver sa première rime,
il se rappelle fort à propos que Pope s'excitait en pareil cas
par la déclamation à haute voix. « J'essayai à l'instant de
l'imiter. Je pris les Poésies d'Ossian et je les récitai tout
haut, en me promenant à grands pas pour me monter à
1. Voyage autour de ma chambre, passim.
2. Ib., éd. de 1812, p. 144.
i8o Ossian en France
l'enthousiasme. » Comme un voisin que ce bruit dérange
vient timidement se plaindre^ Xavier lui répond « dans le
langage des Bardes » :
Pourquoi tes yeux brillent-ils sous tes épais sourcils comme
deux météores dans la forêt noire du Cromla?... Ton aspect
est sombre comme la voûte la plus reculée de la caverne de
Carmora, lorsque les nuages amoncelés de la tempête obscur-
cissent la face de la nuit, et pèsent sur les campagnes silen-
cieuses de Morven...
Le voisin, « qui n'avait apparemment jamais lu les poésies
d'Ossian », s'enfuit en s'écriant : E matto, per Bacco ! è
matto... ' — Depuis Voltaire, nous n'avionsguère rencontré
de parodies du Barde. Certes le genre s'y prête, et si les
auteurs des volumes A la manière de... avaient composé il
y a cent ans leurs amusants pastiches, ils n'auraient pas
manqué d'y faire une place à Ossian, avec un seul regret,
celui de sentir cette fois leur tâche trop facile.
Stendhal, soit hasard, soit défiance ou répugnance ins-
tinctive, n'a pas connu Ossian de fort bonne heure. Ce n'est
pas que son nom ne revienne quelquefois sous sa plume :
mais ce nom évoque pour lui l'idée de quelque chose de
hardi, de fougueux, de passionné, de terrible. Ce « style
ossianique » dont il prétend que le succès de Delphine à
infatué toutes les jolies femmes % c'est un style tendu,
déclamatoire, à effet. « Un temps digne d'Ossian », c'est
tout simplement un très mauvais temps : « des tempêtes
de pluie et de vent engouffré dans nos hautes montagnes,
qui émeuvent ' ». A vingt ans Stendhal n'a pas lu Ossian,
mais il associe l'idée du Barde à certains caractères de la
nature ou de l'art. C'est dans le même sens qu'on nous a
parlé du style ossianique de Napoléon et du paysage ossia-
nique des montagnes.
Pendant qu'il commence sa vie errante, sa sœur Pauline,
restée à Grenoble, lit Ossian et Shakespeare aux bords de
la cascade d'Allières, près de Claix ; depuis qu'elle a fait
1. Œuvres de Xavier de Maislre, 1828, III, 46.
2. Correspondance de Stendhal, I, 57 : A Edouard Mouiiier, Paris,
26 mars 1803.
3. Ib., I, 74 : Au même, Grenoble, 13 octobre 1803.
Stendhal 181
cette « découverte charmante », elle y passe sa vie et y lit
ses poètes favoris *. Stendhal met quelques années à l'imi-
ter. Enfin il se décide. Au cours de son voyage en Italie de
1811, il découvre le Barde, dont on parle tant et depuis si
longtemps dans les deux pays ;
Je suis arrivé à Varese à huit heures et demie. Je n'avais
jamais lu Ossian ; j'ai lu Fingal pour la première fois dans le
voiturin. J'ai eu aujourd'hui des aventures et un temps ossia-
niques \
Deux jours après: «Ce soir j'ai continué Fingal au bruit
de la pluie et même du tonnerre ^ » Et le lendemain : « Je
vais lire un volume d'Ossian qui fait tout mon bagage*. »
C'est-à-dire sans doute le continuer et peut-être le termi-
ner. Quel est ce volume ? Nous l'ignorons. Ce n'est pas
Baour-Lormian, où Fingal ne figure pas comme tel. Peut-
être le premier volume de Le Tourneur, et plutôt celui de
l'édition Dentu de 1810. Pas la moindre appréciation, ni là
ni ailleurs. Ossian n'a point marqué Stendhal comme son
aîné Chateaubriand ou Lamartine son cadet. C'est d'abord
qu'il l'a lu tard, à vingt-huit ans: et presque tous les ossia-
nistes ont aimé dans les chants de Morven les rêves de leur
adolescence pensive. C'est surtout qu'il n'était point fait
pour l'aimer. Jamais nature ne dut être plus réfractaire à
ce qui fait le charme propre des chants du Barde, et plus
sensible à ses lacunes et à ses défauts. Analyste et point
rêveur, amateur de détails vrais, peu curieux de sublimité
vague, ni sentimental ni élégiaque,il n'a pas dû goûter beau-
coup ni longtemps Fingal, m le reste du volume. Plus tard,
dans son intervention en faveur des doctrines romantiques,
Stendhal, à la différence de Sénancour,n'a pas fait intervenir
le genre ossianique, désormais périmé.
Nous apprenons par Stendhal que son ami Edouard
Meunier connaît Ossian^Mais nous ne savons rien de plus
de l'ossianisme de Mounier.
1. Correspoîidaace, I, 429: Pauline Beyleà Stendhal, juin ou juillet 1805.
2. Stendhal, Journal d'Italie, p. 274 (Milan, 23 octobre 1811).
3. Ib., p. 280 (25 octobre).
4. Ib. (26 octobre).
5. Correspondance, I, 57 (26 mars 1803).
CHAPITRE VII
Chateaubriand
I. Importance d'Ossian dans l'œuvre de Chateaubriand. Son enfance. Ses
Tableaux de la Nature. Son voyage en Amérique.
II. Chateaubriand en Angleterre. Il découvre VOssian de Smith. Ses tra-
ductions. Sa profession de foi de traducteur. Exactitude et valeur
de ses traductions. Un poème « écossais ».
III. Citations et réminiscences d'Ossian dans les grands ouvrages de Cha-
teaubriand. Ses idées sur les anciens peuples, leur politique et leur
religion, appuyées sur des exemples tirés d'Ossian. Le Barde et la
poésie des ruines. Expressions et sentiments qui viennent d'Ossian.
Velléda. Les Natchez.
IV. Chateaubriand critique littéraire et ses citations d'Ossian. Homère;
Young ; Bealtie.
V. Chateaubriand, détrompé quant à l'authenticité d'Ossian, n'en persiste
pas moins à tirer argument des poèmes attribués au Barde. Exemples
de ce raisonnement. Sa manière de raconter la confection de VOssian
de Macpherson. Ses arguments contre l'authenticité. Leur valeur.
Persistance de son admiration pour Ossian.
VI. Conclusion. Chateaubriand le premier des ossianistes français par
son aptitude à sentir la poésie ossianique ; parce qu'il a pu la goû-
ter dans le texte anglais ; parce qu'il a su l'exprimer. Il est l'inter-
médiaire entre Ossian et les romantiques.
M. Jules Lemaître, pariant de Chateaubriand, se contente
de dire : « Il a subi, je crois, l'influence de la poésie an-
glaise dans une mesure qu'il m'est difficile de déterminer *. »
M. Jules Lemaître ne mentionne pas la traduction complète
du Paradis Perdu, ne cite ni Ossian ni Cray, et n'examine
nulle part le rôle si intéressant de Chateaubriand comme
intermédiaire entre les deux littératures. Si dans la « poésie
anglaise » il faut comprendre Ossian à côté de Gray, et
1. Jules Lemailre, Chateaubriand, p. 338.
La jeunesse de Chateaubriand i83
quoique Macpherson et Smith aient écrit en prose, on peut
se montrer plus affîrmatif. Il est évident, pour quiconque
étudie Chateaubriand d'un peu près, qu'il a subi l'influence
d'Ossian dans une si forte mesure que nul en France, j'en-
tends nul des grands, n'en a été touché aussi profondément,
à l'exception peut-être du seul Lamartine.
Avant t()ute initiation ossianique, Chateaubriand portait
en lui des tendances profondes qui le préparaient à sentir
pleinement la poésie du Barde dès qu'elle lui serait révélée.
Son enfance indisciplinée, sauvage et solitaire, ses courses
fougueuses à travers les landes, les bruyères, au bord de la
mer écumeuse et sur les rochers déserts, son aspiration au
lointain, au vague, à l'inconnu, tout concourait à le mar-
quer pour cette influence. En ce sens, Lamartine a raison
de dire de lui : « 11 était TOssian français : il en avait dans
l'imagination le vague, les couleurs, l'immensité, les cris,
les plaintes, l'infini *. » Nous ignorons d'ailleurs quand il
connut Ossian pour la première fois. Il le nomme avec
Werthe7\ les Rêveries d'un promeneur solitaire, les Etudes
de la Nature, parmi ceux qui, dit-il, « ont pu s'apparenter
à mes idées * ». Il le lut probablement dans Le Tourneur
et peu de temps après l'apparition de cette traduction, s'il
faut croire à son propre récit. A Combourg, pendant « le
délire de deux années entières », lorsqu'il se forge une
« sylphide » idéale, faite de tous les types de beauté fémi-
nine qu'il imagine et rassemble, « les ombres des filles de
Morven » s'évoquent à son rêve ardent aussi bien que <( les
sultanes de Bagdad ou de Grenade, les châtelaines des
vieux manoirs ^ ».
Ossian n'a pas explicitement inspiré ses poésies de jeu-
nesse, ses Tableaux de la Nature, souvent classiques et
versifiés agréablement à la mode de Louis XVI, ailleurs
tout frémissants déjà d'une inquiétude romantique. Sa rê-
verie est parfois de celles que n'ont connues ni Jean-Jacques
ni Bernardin. Assis devant les flots immenses, il suit dans
les cieux la pâle étoile du crépuscule, il écoute la voix des
vents :
1. Lamartine, Nouvelles Confidences, IV, v, p. 284.
2. Œuvres de Chateaubriand, XI, 1S2; Mémoires d'Outre-tomhe, II, 2QS.
3. Mémoires d' Outre-tombe, I, 151.
1 84 Ossian en France
En scintillant dans le zénith d'azur,
On voit percer l'étoile solitaire...
Du vent du soir se meurt la voix plaintive '...
Tout le paysage qu'il aime et qu'il peint est déjà le pay-
sage d'Ossian :
Je m'avançais vers la pierre grisâtre...
Du haut d'un mont une onde rugissante
S'élançait...
Le noir torrent, redoublant de vigueur.
Entrait fougueux dans la forêt obscure
De ses sapins.. ,
Se regardant dans un silence affreux.
Des rochers nus s'élevaient, ténébreux ;
Leur front aride et leurs cimes sauvages
Voyaient glisser et fumer les nuages...
Mais tout s'efface, et, surpris de la nuit.
Couché parmi des bruyères laineuses,
Sur le courant des ondes orageuses
Je vais pencher mon front chai'gé d'ennuis ^.
Torrents, sapinâ, nuages, bruyères, rien n'y manque. Ce
« paysage intérieur » que chaque poète porte en soi est,
dans Chateaubriand, décidément ossianique. En retraçant
cette époque de sa vie, il sème dans son récit des touches
ossianiques qui viennent naturellement sous sa plume lors-
qu'il évoque ces souvenirs de solitude et de rêverie \ Il est
probable que Lucile avait les mêmes goiits. Mais dans ce
qu'on a publié de ses poésies, je ne vois guère que la
pièce A la Lune qui se ressente peut-être du commerce
d'Ossian*.
11 se peut que l'Amérique ait développé dans le jeune
voyageur le goût de la rêverie romantique ; mais ce pays
neuf, où rien ne parlait du passé, ces forêts luxuriantes,
peuplées d'oiseaux aux mille couleurs, ces plaines immenses,
ces grands fleuves féconds, ces pionniers énergiques et ces
1. Œuvres, III, 534 : Le Soir, au bord de la mer.
2. Ib., III, 535 : Le Soir, dans une vallée.
3. Mémoires d' Outre-tombe, I, 152-157.
4. Œuvres de Lucile de Chateaubriand, éd. L. Thomas.
Le voyage en Amérique i85
sauvages même si naïvement primitifs, rien ne ressemblait
au morne paysage lunaire de Morven et aux ombres vaines
qui le peuplent. Sans doute Chateaubriand, qui a toujours be-
soin d'un certain recul pour admirer et aimer un paysage,
qui veut l'embrasser d'un coup d'œil et le dominer, a
quelque peu élargi la forêt américaine : il y a pratiqué
de vastes coupes, il l'a rendue plus austèrement déserte
sous le regard profond de la lune. Peut-être Ossian est-il
pour quelque chose dans cette modification. Mais il aurait
pu y ossianiser bien davantage. Herder, vers la même époque,
trouvait, d'après les dires des voyageurs, une extraordi-
naire ressemblance entre les mœurs des héros d'Ossian et
celles des sauvages de l'Amérique. Chateaubriand n'a rien
constaté de tel ; et ce voyage, en faisant de lui l'explorateur
littéraire d\in monde inconnu, et sinon le découvreur ', au
moins le vulgarisateur du paysage américain, l'a affranchi,
l'a rendu original, a contribué à le détacher d'Ossian.
C'est cependant en traversant l'Atlantique qu'il eut par
un compagnon de voyage la révélation de l'enthousiasme
non pas seulement littéraire, du véritable culte qu'Ossian
recevait dans certaines âmes. Il nous raconte les quinze
jours que son ami Tulloch et lui passèrent dans l'île de
Saint-Pierre (Saint-Pierre et Miquelon) :
T... et moi nous allions courir dans les montagnes de cette
îleafFreuse; nous nous perdions au milieu des brouillards dont
elle est sans cesse couverte. L'imagination sensible de mon ami
se plaisait à ces scènes sombres et romantiques ; quelquefois...
T... s'imaginait être le Barde de Cona ; et, en sa qualité de
demi-Ecossais, il se mettait à déclamer des passages d'Ossian
pour lesquels il improvisait des airs sauvages, qui m'ont plus
d'une fois rappelé le'twas like the memory of joys Ihatare past,
pleasing and mournfal to the sou/. Je suis bien fâché de n'avoir
pas noté quelques-uns de ces chants extraordinaires, qui au-
raient étonné les amateurs et les artistes. Je me souviens que
nous passâmes tout un après-midi à élever quatre grosses pierres
en mémoire d'un malheureux célébré dans un petit épisode à
la manière d'Ossian.
1. Voir sur ce point G. Chinard, l'Amérique et le rêve exotique dans
la littérature française, XVII' et XVIII' siècles (surtout p. 407-425).
j 86 Ossian en France
Ce « petit épisode » était, nous apprend Chateaubriand,
tiré de ses Tableaux delà Nature, mais il s'est trouvé perdu
avec une grande partie de cet ouvrage de jeunesse. Si tout
cela est véridique, et avec Chateaubriaud il faut toujours
mettre un point d'interrogation en marge, si réellement il
a composé un petit poème « à la manière dOssian », nous
aurions eu grand plaisir à le comparer à ces imitations qui
jaillissaient si nombreuses à la même époque.
II
Comme à tant d'autres, la terre d'exil lui fut féconde.
Arrivé à Londres en 1793, il y découvre Y Ossian de Smith,
lequel, nous l'avons vu, était à peu près inconnu en France,
où presque rien encore n'en avait été traduit :
Je lus avec avidité une foule de poèmes inconnus en France,
lesquels, mis en lumière par divers auteurs, étaient indubita-
blement à mes yeux du père d'Oscar, tout aussi bien que les
manuscrits runiques de Macpherson. Dans l'ardeur de mon
admiration et de mon zèle, tout malade et tout occupé que
j'étais, je traduisis quelques productions ossianiques de John
Smith.. J'avais traduit Smith presque en entier '...
Smith, soit ; quant aux « divers auteurs », ils se sont
multipliés dans l'imagination féconde de Chateaubriand, à
laquelle appartiennent également les manuscrits runiques
qu'il invente pour faire sourire, et pour sourire de lui-même:
car, à l'heure où il écrit ces lignes, il ne croit plus à l'au-
thenticité, et le ton s'en ressent. Mais cette époque de son
exil était le temps de l'admiration fervente. Dans son Essai
sur les Révolutions, il en appelle, pour convaincre les incré-
dules, à « la collection du ministre Smith, qui cite le
celte continuellement au bas des pages * ». Il déclare être
« avec le D' Blair, M. Gœthe, et plusieurs autres, un de
ces esprits crédules auxquels les plaisanteries de Johnson
n'ont pu persuader qu'il n'y eût pas quelque chose de vrai
1. Œuvres, III, 136.
2.1b.,l, 574.
Chateaubriand traducteur d'Ossian 187
dans les ouvrages du barde écossais». Il sert en même temps
les deux dieux qui régnèrent tour à tour sur l'âme de Wer-
ther : « Je ne sors plus sans mon Homère de Westein dans
une poche, et mon Ossian de Glascow dans l'autre *. » —
« J'étais grand partisan du barde écossais : j'aurais, la lance
au poing, soutenu son existence envers et contre tous,
comme celle du vieil Homère % »
Ce qui nous est resté des traductions ossianiques de
Chateaubriand occupe trente des grandes pages de l'édi-
tion complète de ses Œuvres \ Il leur a donné le titre de
Poèmes traduits du gallique en anglais par John Smith.
Ces poèmes sont au nombre de trois, Dargo, Duthona et
GauL II a d'ailleurs replacé une page de Dargo dans sa
Littérature anglaise sous le prétexte assez fondé que ces
poèmes de Smith sont « moins connus » que ceux de Mac-
pherson *. D'après lui, « Smith n'a pas la noblesse et la
verve épique de Macpherson, mais peut-être son talent
a-t-il quelque chose de plus élégant et de plus tendre ' » ; ce
qui est assez juste, nous l'avons constaté. Il admirait par-
ticulièrement le poème de Gaul « où il y a des choses extrê-
mement touchantes, particulièrement Gaul expirant de
besoin sur un rivage désert, etnourri du lait de son épouse^ ».
Détail inexact : Gaul n'accepte pas l'allaitement conjugal,
et, s'il l'acceptait, il ne mourrait pas de faim, ni son épouse
de désespoir. Voilà comment Chateaubriand résume ce
qu'il admire le plus.
Il tient beaucoup à donner son travail, indépendamment
du mérite de l'auteur, pour un exercice de traduction, et
de traduction littérale : « Les Anglais conviennent que la
prose d'Ossian est aussi poétique que les vers, et qu'elle
en a toutes les inversions. Or, on voit que la traduction
littérale est ici très supportable. Ce qui est beau, simple
et naturel. Test dans toutes les langues '. » Et il est très
1. ÇEnvres, III, 655.
2. Ih., VII, 135.
3. Ih., III, 136-164.
4. Ih.. XI, 506 : Essai sur la Littérature anglaise : V partie : Tacite.
Poésies Erses.
5. Ib., III, 135.
6. Ih., I, 575.
7. Ih., VI, 377 : Littérature anglaise : Young (mars 1801).
1 88 Ossian en France
utile de traduire Ossian : « C'est pour l'art une bonne étude
que celle de ces auteurs ou de ces langues qui commencent
la phrase par tous les bouts, par tous les mots. » Le lec-
teur a, dans les pages qui précèdent, rencontré assez d'Os-
sian pour s'apercevoir qu'ici Chateaubriand exagère fort
son propre mérite : non, Ossian n'est pas si difficile à tra-
duire qu'il veut nous le faire croire, malgré ces inversions
dont il fait tant d'affaire. Mais d'autre part, en dépit de
cette littéralité dont il se targue, il reconnaît avoir trans-
formé profondément et le fond et la forme : il a clarifié son
texte, il Ta francisé :
J'ai fait disparaître les redites et les obscurités du texte an-
glais, ces chants qui sortent les uns des autres, ces histoires
qui se placenlcomme des parenthèses dans des histoires... Nous
voulons en France des choses qui se conçoivent bien et qui
s^énoncent clairement. Notre langue a horreur de ce qui est
confus, notre esprit repousse ce qu'il ne comprend pas tout
d'abord... Je suis persuadé qu'on peut toujours dégager une
pensée des mots qui la voilent, à moins que cette pensée ne
soit un lieu commun guindé dans des nuages *.,.
Ce sont donc des traductions littérales, mais revues et
abrégées d'après les principes de Boileau. Pour accorder
ces deux déclarations contradictoires, il faut examiner ces
traductions en les comparant, d'abord à l'original, ensuite
à celles de Hill, qui avait fait le même travail et qui allait
le publier. Pour ne pas multiplier sans nécessité des cita-
tions déjà trop nombreuses, je me contenterai d'un rappro-
chement avec l'anglais, et d'un autre avec l'anglais et le
français de Hill. La comparaison est d'autant plus intéres-
sante que ces deux traductions sont sensiblement contem-
poraines et absolument indépendantes 1 une de l'autre.
But why thèse silent tears ? Pourquoi ces larmes silen-
whatmean thèse pitying looks? cieuses ? Pourquoi ces regards
They are not for my taie of attendris? Ah! ils ne sont pas
woe ; they are for Grimora's pour le récit de mes peines,
death. I know she is not : for ils sont pour la mort d'Evella !
I saw her ghost, sailing on the Oui, je lésais, Kvelhi n'est plus;
low-skirled mist, that hungs j'ai vu son ombre glisser dans
4. Œuvres, III, 136.
Valeur de ses traductions 189
on the beams of the moon ; la vapeur abaissée, lorsque
when they glittered, through l'astre des nuits brillait à tra-
the thin bower, on the smooth vers le voile d'une légère on-
face of the deep. I saw my dée sur la surface unie de la
love, but her face was pale. mer. J'ai vu mon amour, mais
The briny drops Avere trick- son visage était pâle ; des
ling down her yellow locks, gouttes humides tombaient de
as if from Ocean's bosom she ses beaux cheveux, comme si
had rose. The dark course of elle eût sorti du sein de l'O-
the tears was on her cheek, céan ; le cours de ses larmes
like the marks of streams of était tracé sur sesjoues... Leurs
old, when their floods over- voixressemblaientauxderniers
flowed the vale... It was like soupirs du vent dans un soir
the dying fall of the breeze in d'automne, lorsque la nuit des-
the evening of autumn; when cend par degrés dans la vallée
shadows slowly grow in Cona's de Cona, et que de faibles mur-
vale, and soft sounds travel, mures se font entendre parmi
through secret streams, in the les roseaux qui bordent les
gale of reeds'. ondes.
Crimora est remplacée gratuitement par Evella, nom créé
et jugé peut-être plus harmonieux. On remarque des inter-
jections destinées à répandre plus d émotion dans le dis-
cours : Ah ! — Oui... ; une périphrase : l'astre des ?unts;
des mots précis remplacés par des mots vagues : beaux
cheveux {yellow locks). Le texte est donc arrangé et perd
en précision et en sobriété. De plus, il est abrégé. Une com-
paraison entière est supprimée après le moi joues {like the
marks... vale). La dernière phrase est plutôt résumée que
traduite. En somme, ce sondage nous révèle une traduction
agréable, mais peu exacte, souvent décolorée et comme
banalisée, et fort abrégée.
Prenons pour second exemple la plainte de Connar en-
fermé dans une caverne. Ce chant d'un prisonnier offre
dans l'original, dit Smith, an afr of melancholy extremely
suitable to the occasion of it. Nous allons voir ce que les
deux traducteurs ont su conserver de cette mélancolie
attendrissante.
Forlorn and dark is my dwelling in the storm of night. No
friendly voice is heard, save the cry of the owl from the cleft
1. Dargo, chant I (Smith, Galic Antiquities, p. 137 ; Chateaubriand,
Œuvres, III, 138).
I90
Ossian en France
of her rock. No bard is nigh in my lonely cave, to deceive the
tedious nii;ht. — But night and day are the same to me ; no
beam of the sun Iravels hère in my darkly dwelling. I see not
his yellow hair m the east ; nor, in the west, the red beam of
his partmg. I see not the moon, sailing through pale clouds, in
her brightness ; nor trembling, through trees, on the blue face
of the stream... 0 that I had fallen in the strife of Dorla ; Ihat
the tomb had received my Minla ! Then had the famé of Du-
thona passed away, Hke autumn's silent beam, when it moves
under the brown tields between the shadows of mist ' .
HiU.
Ma demeure est sombre et
abandonnée, dans l'orage de
la nuit ; au heu de la voix de
Tamitié, je n'entends que le cri
du hibou dans la fente de son
rocher; aucun barde n'est près
de moi dans ma caverne soli-
taire, pour tromper par ses
chants la durée des ténèbres ;
mais la nuit et le jour sont la
mêmechosepourmoi.Le rayon
du soleil ne pénètre jamais
cette retraite obscure : je ne
vois point à l'orient sa cheve-
lure dorée, ni du côté de l'oc-
cident les traits de pourpre
qu'il répand quand il va dis-
paraître. Je ne vois point la
lune sortir avec éclat des nuages
pâles, ou vaciller à travers les
arbres sur la surface azurée
du ruisseau... Ah ! que ne suis-
je tombé dans la bataille de
Dorla ! pourquoi la dernière
demeure n'a-t-elle pas reçu ma
fille ? La gloire de Duthona a
passé comme le rayon silen-
cieux du soleil d'automne, lors-
qu'il tombe sur les boucliers à
travers l'ombre desbrouillards.
1. Dulhona. (Smith, p. 177 ; HiU
147).
Chateaubriand.
Triste et abandonnée est ma
demeure, disait la chanson ;
aucune voix ne s'y fait enten-
dre, si ce n'est celle de la
chouette. Nul barde ne charme
la longueur de mes nuits : les
ténèbres et la lumière sont
égales pour moi. Le soleil ne
luit point dans ma caverne :
je ne vois point flotter la che-
velure dorée du matin, ni cou-
ler les flots de pourpre que
verse l'astre du jour à son cou-
chant. Mes yeux ne suivent
point la lune à travers les pâles
nuages ; je ne vois point ses
rayons trembler à travers les
arbres dans les ondes du ruis-
seau... Ah ! que ne suis-je
tombé dans la tempête de Dorla!
Ma renommée ne se serait pas
évanouie comme le silencieux
rayon de l'automne qui court
sur les champs jaunis, entre
les ombres et les brouillards.
II, 44 ; Chateaui^riand, OËuvres. III,
Valeur de ses traductions 191
Ici une première constatation est aisée à faire : Hill
emploie 176 mots et Chateaubriand 140 seulement ; celui-
ci est donc d'un cinquième plus court, ce qui est une dif-
férence considérable et rarement constatée dans ces sortes
de comparaisons. Il ajoute cependant disait la chanson, ipour
rendre le récit plus intelligible ; il ajoute ie matin et las-
tre du jour, quand le soleil était déjà dans la phrase ; 7nes
yeux ne suivent point développe g-ratuitement Isee not
(Hill :je ne vois point); et il répète Je ne vois point quand
Hill met ou [nor). Mais plus souvent il abrège. Il supprime
in the storm of night — from the cleft of her rock — is
nigh in my lonely cave — but — sailing in her brightness ;
et il ampute les expressions suivantes des mots que je sou-
ligne : « beams of the sun — my darkUj d-vvelling — the
bluei^ce ». La phrase entière où figure Minla est supprimée,
je ne sais pourquoi ; peut-être parce que le lecteur, ne sa-
chant encore qui est cette personne, y aurait trouvé quelque
obscurité. Cette phrase et tous les mots que j'ai indiqués
plus haut sont respectés par Hill. Celui-ci présente une
grosse erreur de négligence : il a pris fîelds pour shields
et traduit en conséquence, sans se laisser arrêter par l'étran-
geté du sens obtenu. Sauf cette tache, sa traduction est
infiniment plus exacte et meilleure. Celle de Chateaubriand
est d'un plus grand écrivain ; mais elle donne une idée
incomplète ou peu exacte du texte, qu'elle ampute et affai-
blit. Chateaubriand suit en somme la voie tracée par Le
Tourneur, mais en renchérissant sur ce traducteur. Hill,
dans ce passage, paraissait se rapprocher de la tradition
d'exactitude de Turgot, de Suard et de Saint-Simon.
C'est également à cette époque d'enthousiasme et de tra-
ductions que se rapporte le poème intitulé Clarisse, imita-
tion d'un poète écossais ', inspiré, paraît-il, par cette Char-
lotte qui plaisait tant à « M. de Combourg ». M. Le Braz
admet que ce poème est une imitation d'Ossian ^ ; il ne
précise pas, et pour cause : je n'y trouve, pour ma part,
absolument rien d'ossianique, même à la fin. Je n'ai pu
trouver quel a été l'original « écossais » que Chateaubriand
a « imité ».
1. Œuvres, III, 553. Le poème est daté Londres 1797.
2. A. Le Braz, Au pays d'exil de Chateaubriand, p. 165.
19* Ossian en France
III
Tant que Chateaubriand a cru à l'authenticité d'Ossian,
et même, chose curieuse, assez longtemps après avoir cessé
d'y croire, il s'est approvisionné dans les poèmes de Mac-
pherson, aussi bien que dans ceux de Smith, de rapproche-
ments, d'exemples et d'images. A cet égard, il n'y a guère
de variation à constater pendant toute la période de sa
vie littéraire qui va de 1797 à 1805. Si dans l'Essai sur
les Révolutions il se montre plus naïvement enthousiaste,
néanmoins il parle d'Ossian, il le cite, il le prend à témoin
avec une ferveur tout aussi recueillie dans Atala, Le Génie
du Christianisme et René. Son ami et conseiller Joubert
n'a jamais réussi à le « débarbouiller d'Ossian » comme
« de Rousseau » ou « des vapeurs de la Tamise » ; le
grand poète récalcitrant s'obstinait à mêler Ossian avec
«les croix, les missions, les couchers de soleil en plein Océan,
et les savanes de l'Amérique ' ». Nous reviendrons plus
loin sur la question délicate de savoir à quel moment Cha-
teaubriand a changé d'opinion ; en tous cas, nous trouvons
des textes qui nous montrent à quel point, même après ses
déclarations formelles à cet égard, il est resté ossianiste. Il
emprunte à Ossian des données sur les mœurs des peuples
primitifs ; il trouve dans ses chants la plus expressive poésie
de la nature du Nord, des tombeaux et des ruines ; il le
cite enfin, ou s'en inspire fréquemment, dans ses jugements
et ses études littéraires.
Celui qui s'appelait lui-même « descendant des vieux
Celtes * » ne se contente pas dépenser que «le tableau des
nations barbares offre je ne sais quoi de romantique qui
nous attire ' » ; il est particulièrement attiré vers l'Ecosse
gaélique, comme il le serait vers sa Bretagne natale si son
passé revivait dans les chants de quelque barde. Sans doute,
persuadé d'avance, comme Rousseau, de la félicité idyllique
1. Joubert, cité par StaafT, La Lilléralure française, II, 230.
2. Œuvres, VI, 508 : Les Lettres et les Gens de lettres {mai 1806).
3. Ib., I, 381 : Essai sur les Révolutions, ch. XXXVllI : Les Celtes.
Citations et réminiscences d'Ossian 193
des peuples primitifs, il commencera par dire : « Les peuples
naturels, à quelques diiTérences près, se ressemblent : qui
en a vu un a vu tous les autres *. » C'est-à-dire, et nous
le comprenons bien : moi, Chateaubriand, qui ai fréquenté
les Iroquois et les Muscogulges, je puis donc disserter des
premiers âges de toutes les nations du globe. Mais les Scan-
dinaves ou les Celtes sont néanmoins plus intéressants.
Pour pénétrer les mystères de leur histoire, il suffît de lire
César, Tacite, Puffendorf, Pelloutier — à qui il attribue gra-
tuitement des Lettres sur les Ce/ tes, quoique le gros ouvrage
de Pelloutier nait rien du genre épistolaire — « Saemundus
Snorro, traduction latine » — un autre aurait dit bonnement :
VEdda ; mais le jeune auteur de l'Essai veut éblouir le lecteur
de son érudition encore fraîche, — et les poèmes d'Os
sian^ Ce dernier ouvrage constitue un document parallèle à
VEdda. Chateaubriand, qui suit surtout Mallet, ne distingue
pas plus que lui entre Celtes et Scandinaves. Quand il évoque
la silhouette du Druide <(. sur le Cromleach ' », c'est Pel-
loutier influencé par Ossian. En rappelant dans le Génie les
idées eschatologiques des Scandinaves, il se sert de ses
souvenirs ossianiques bien plus que de son Mallet qu'il
avait laissé à Londres :
Il y avait de la grandeur dans les plaisirs attribués aux ombres
guerrières : elles assemblaient les orages et dirigeaient les tour-
billons... Errant sur des grèves sauvages, et prêtant l'oreille à
cette voix qui sort de l'Océan, il tombait peu à peu dans la
rêverie ; égaré de pensée en pensée, comme les flots de mur-
mure en murmure, dans le vague de ses désirs, il se mêlait
aux éléments, montait sur les nues fugitives, balançait les forêts
dépouillées, et volait sur les mers avec les tempêtes *.
Ce passage est très curieux, parce que Chateaubriand,
sans s'en apercevoir peut-être, prête au barbare des temps
païens le mal du siècle de René. Ce barbare que sa « rêve-
rie », le « vague de ses désirs », invitent à se mêler aux
éléments et à voler sur les mers avec les tempêtes, c'est un
1. Œuvres, I, 395: Essai sur les Révolutions, ch. XXXVIII : Les Celtes.
2. Ib., I, 381.
3.1b., I, 382.
4. Génie du Christianisme, I" partie, livre VI, ch. vi.
TOME II 13
194 Ossian en France
Ossian romantisé par Chateaubriand et à qui il donne son
âme errante et inquiète ; c'est René, comme c'était Wer-
ther, comme c'est le vieux Faust, comme ce sera Childe
Harold ou Manfred. C'est, exprimée en passant par un
de ceux qui ont su lui donner une forme éternelle, l'aspi-
ration romantique, toute proche encore de sa source ossia-
nique, lui empruntant sa sève et sa vigueur, lui devant cette
forme qu'elle a revêtue dans des esprits si grands et si
divers, toujours dilîérente et toujours une en son fond. Ossian
n'a pas créé le mal du siècle, pas plus que Rousseau n'a
créé l'amour des champs et de la solitude ; mais il a donné
une forme à des sentiments qui n'attendaient que l'occasion
et le moyen de s'exprimer '.
Ces croyances si poétiques, les Barbares les ont pourtant
abandonnées. De leur conversion au christianisme, le peu
chrétien auteur de l'Essai invente une raison saugrenue,
mais extrêmement caractéristique de l'influence qu'exerçait
Ossian sur sa pensée. Après avoir consacré quinze lignes à
résumer de manière assez heureuse le paj^sage ossianique,
il continue en disant :
A mesure qu'ils émigraient vers le sud... un ciel rasséréné
ne leur montrait plus dans les nuages les âmes des héros dé-
cédés... Le vent du désert avait cessé de soupirer dans l'herbe
flétrie, et autour des quatre pierres moussues de la tombe ;
enfin, la religion de ces peuples s'était dissipée avec les orages,
les nues et les vapeurs du Nord ^.
Et voilà comment les Barbares sont devenus chrétiens ;
ce n'est pas plus difficile que cela, mais il fallait le trouver ;
et sans Ossian, comment aurait-on fait ? Le Nord et l'Orient,
ces deux déserts opposés l'un à l'autre et s'opposant en-
semble à rOccident chrétien, c'est encore une des idées
dominantes du Génie, et que l'auteur tient à présenter dès
son Introduction :
Les ruines de Memphiset d Athènes contrastent avec les mo-
numents chrétiens, les tombeaux d'Ossian avec nos cimetières
de campagne \
1. Cf. P. Van Tieghem, Le Senlimenl de la Niilure{l{evue du Mois, VJ06,
II, p. 426).
2. Œuvres, I, 574.
3. Génie du Christianisme, 1" partie, livre I, chapitre i.
Citations et réminiscences d'Ossian 1^5
De faux dieux ou pas de dieux du tout, d'un côté ; et de
l'autre le vrai Dieu et l'espérance d'une autre vie, voilà
l'antithèse.
On sait comme Chateaubriand, plein d'Ossian et plein du
souvenir de ses profondes impressions d'enfance, excelle à
évoquer la tristesse des ruines au sein de la nature hostile
ou indifférente. Il est le Volney du Nord brumeux ; mais un
Volney rêveur, poète, et grand écrivain. Parfois, ces ruines
sont celles de la Calédonie héroïque d'Ossian ; aucune reli-
gion n'y a pénétré, aucune foi ne les anime, aucun espoir
ne s'en dégage. Dans cet ouvrage chrétien, Ossian arrive à
propos de la poésie des tombeaux ; ce n'est plus l'apologiste
trop ingénieux ou trop brillant, c'est le rêveur qui laisse
parler ses souvenirs et son imagination :
Quatre pierres couvertes de mousse marquent sous les
bruyères de la Calédonie la tombe des guerriers de Fingal. Os-
car et Malvina ont passé, mais rien n'est changé dans leur soli-
taire patrie. Le montagnard écossais se plaît encore à redire le
chant de ses ancêtres ; il est encore brave, sensible, généreux;
ses mœurs modernes sont comme le souvenir de ses mœurs
antiques ; ce n'est plus, qu'on nous pardonne l'image, ce n'est
plus la main du Barde même qu'on entend sur la harpe ; c'est
ce frémissement des cordes, produit par le toucher d'une
ombre, lorsque la nuit, dans une salle déserte, elle annonçait
la mort d'un héros *.
Il continue en citant dix lignes de La Mort de Cuthullin ;
Carril accompanied his voice... où se trouve le passage
fameux : The music was like the memory of joys thaï are
past^pleasant and mournful to the soûl... Et il les traduit
assez soigneusement :
Carril accompagnait sa voix. Leur musique, pleine de dou-
ceur et de tristesse, ressemblait au souvenir des joies qui ne
sont plus. Les ombres des bardes décédés l'entendirent sur les
flancs de Slimora. De faibles sons se prolongèrent le long des
bois, et les vallées silencieuses de la nuit se réjouirent. Ainsi,
pendant le silence de midi, lorsque Ossian est assis dans la
vallée de ses brises, le murmure de l'abeille de la montagne
1. Génie du Christianisme, 4' partie, livre II, chapitre u-.V
jc)6 Ossian en France
parvient à son oreille ; souvent le zéphyr, dans sa course, em-
porte le son lég-er, mais bientôt il revient encore.
Parfois, au contraire, ces ruines sont chrétiennes, mais
elles n'en sont pas moins mélancoliques :
Sous un ciel nébuleux, au milieu des vents et des tempêtes,
au bord de cette mer dont Ossian a chanté les orages, leur ar-
chitecture gothique a quelque chose de grand et de sombre,
comme le dieu de Sinaï, dont elle perpétue le souvenir. Assis
sur un autel brisé, dans les Orcades, le voyageur s'étonne de
la tristesse de ces lieux ; un océan sauvage, des syrtes embru-
mées, des vallées où s'élève la pierre d'un tombeau, des tor-
rents qui coulent à travers la bruyère '...
Mais tous les autels ne sont pas brisés dans les Orcades
ou dans les Hautes-Terres : il en est sur lesquels le chris-
tianisme a dressé la croix, et c'est dans René qu'on trouve
le tableau de cette métamorphose de la terre d'Ossian :
Maintenant la religion chrétienne, fille aussi des hautes
montagnes, a placé des croix sur les monuments des héros de
Morven, et touché la harpe de David au bord du même tor-
rent où Ossian fit gémir la sienne. Aussi pacifique que les divi-
nités de Selma étaient guerrières, elle garde les troupeaux où
Fingal livrait des combats, et elle a répandu des anges de paix
dans les nuages qu'habitaient des fantômes homicides \
Il n'y a pas de divinités de Selma, et l'auteur, qui pos-
sède pourtant assez bien son Ossian, cède au plaisir de
faire une antithèse qui est plus qu'une fausse fenêtre, et de
placer dans Morven les dieux Scandinaves.
Ce cher asile de ses rêves, ce pays mystérieux que Cha-
teaubriand n'a pu voir, René le visitera pour lui, et s'y
enivrera de silence et de mélancolie. On ne se lasse pas de
citer l'enchanteur :
Sur les monts de la Calédonie, le dernier Barde qu'on ait
ouï dans ces déserts me chanta les poèmes dont un héros con-
solait jadis sa vieillesse. Nous étions assis sur quatre pierres
rongées de mousse ; un torrent coulait à nos pieds; le chevreuil
1. Génie du Christianisme, 3' partie, livre \', chapitre v.
2. René.
Citations et réminiscences d'Ossian 197
paissait à quelque distance parmi les débris d'une tour, et le
vent des mers sifflait sur la bruyère de Gona '.
Même quand il ne cite pas nommément Ossian, ou qu'il
ne fait pas de ses chants Je thème de sa rêverie, Chateau-
briand laisse paraître à certaines touches de son style com-
bien il est imprégné de cette puissante influence. Il a d'a-
bord des expressions caractéristiques, comme, dans Atala
ou ailleurs : la fille de l'exil, l'homme du rocher, r homme
des anciens jours, pour dire : une exilée, un religieux soli-
taire, un vieillard. Je me souviens que tant que je n^eus pas
lu Ossian, cette dernière expression resta pour moi pleine
d'obscurité ; et si je voyais bien qui elle désignait, je n'en
percevais pas l'exacte valeur. Ailleurs ce sont des rencon-
tres plus particulières, comme dans le chant àWtala, dont
le refrain semble une réminiscence de certains refrains os-
sianiques : « Heureux ceux qui n'ont point vu la fumée des
fêtes de l'étranger, et qui ne se sont assis qu'aux festins de
leurs pères* I » Il y a dans cette phrase, répétée quatre fois
comme un thème directeur, une inspiration combinée de la
Bible, d'Homère et peut-être de Dante. Sans Ossian, Chac-
tas dirait-il : « Un vieillard avec ses souvenirs ressemble
au chêne décrépit de nos bois ' » ? Et René : « Les sons
que rendent les passions dans le vide d'un cœur solitaire
ressemblent au murmure que les vents et les eaux font en-
tendre dans le silence d'un désert. » Et surtout : « Tantôt
j'aurais voulu être un de ces guerriers errant au milieu des
vents, des nuages et des fantômes*...» C'est René jeune, et
c'est Chateaubriand adolescent dans les landes de Combourg.
On voit combien a été profonde et permanente l'influence
d'Ossian sur le paysage de Chateaubriand, et comme mi
historien récent a tort de réduire cette influence presque à
rien \ Et quand Chateaubriand moralise en son propre nom,
c'est à Ossian encore quil emprunte une image: «L'homme
ici-bas ressemble à l'aveugle Ossian assis sur les tombeaux
1. René.
2. Atala.
3. René.
4. Ih.
5. G. Charlier, Le Sentiment de la Nature chez les Romantiques fran-
çais, p. 200-201.
198 Ossian en France
des rois de Morven ; quelque part qu'il étende sa main
dans l'ombre, il touche les cendres de ses pères. » La fdle
de la princesse de Radzivill est « charmante comme une de
ces nues à figure de vierge qui entourent In lune d'Ossian ' ».
J'estime d'ailleurs que l'auteur d'Ossion, rilomère du
Nord, en France exagère quelque peu l'influence des souve-
nirs ossianiques dans la composition de 1 épisode de Velléda *.
M. Gohin, par contre, aurait pu au moins nommer Ossian
dans une étude littéraire sur ce même épisode \ On re-
marque des détails isolés comme les armes qui gémissent
« pour annoncer quelque malheur ;, . Par contre, il n'y a
rien à conclure d'une phrase comme celle-ci : *<. Les Bardes
suivaient ... en chantant sur une espèce de guitare les louanges
deTeutatès *. » Ces Bardes-là sont ceux dont nous parlent les
Grecs et les Romains, et la guitare et Tentâtes suffisent à
nous montrer que nous ne sommes plus en Calédonie. Un
admirateur de Chateaubriand, qui sous la Restauration versifie
l'épisode de Velléda, lui réinfuse un peu de sang ossianique :
Et le Barde unissait de funèbres accords
Aux sourds gémissements des ombres de ces morts ^
Un autre admirateur révèle par son titre seul la même
anastomose : Les Adieux de Velléda, chant g al ligue, ins-
piré par la lecture des Martyrs \ La vignette qui accompagne
cette romance représente un paysage nettement ossianique.
Dans Les Martyrs, les bardes, les druides, les dol-
mens celtiques, ou que l'auteur croyait tels, voisinent bizar-
rement avec le germanique Irminsul. Tout ce qui n'est pas
grec ou romain se mêle et se heurte dans ce magasin d'ac-
cessoires barbares. Je reconnais au reste que la conception
même de Velléda peut devoir quelque chose aux vierges de
1. Mémoires d' Outre-tombe, 2"° partie, livre VIII.
2. A. Tedeschi, 67-69.
3. F. Gohin, Elude... sur l'épisode de Velléda. On est encore plus étonné
de ne trouver aucune mention de l'influence d'Ossian sur les paysages de
Chateaubriand dans l'étude de Fritz Mûller, Die Landschaftsschilderun-
gen in den erziihlenden DichtungenChalenuhriands.
4. Les Martyrs, livre IX.
5. Alph. Viollet, Velléda, épisode... tiré des Martyrs de M. de Chateau-
briand, 1820, p. '1.
6. Souvenir des Ménestrels, ISli, p. 38: parolcsetmusiquedeP. Hédouin.
Chateaubriand critique littéraire 199
Morven, bien qu'aucune n'ait, tant s'en faut, cette fière al-
lure et ces dons prophétiques.
Par contre, l'influence d'Ossian est certaine dans quelques
pages des Natchez. L'ouvrage, dans son état primitif, est
contemporain de la plus grande ferveur ossianique de Cha-
teaubriand. Il olTre des passages qui dérivent directement
de la lecture d'Ossian, comme ceux qu'a déjà cités mon de-
vancier. C'est le vieux Chactas déplorant sa vieillesse et la
décadence de ses forces, ou disant : « Un jour j'étais assis
sous un pin ; les flots étaient devant moi ; je m'entretenais
avec les vents de la mer et les tombeaux de mes ancêtres. »
C'est l'hymne à la lune, qui présente, comme le dit M"°Te-
deschi, « quelques accents des nocturnes ossianiques ».
« Quelques accents » est même trop peu dire : « La mélan-
colie est devenue ta compagne... soit que tu te plaises à
errer à travers les nuages, soit qu immobile dans le ciel,
tu tiennes tes yeux fixés sur les bois... 0 lune ! que tu es
belle dans ta tristesse !... » C'est tout à fait de l'Ossian senti
de nouveau par le jeune Chateaubriand. Certaines expres-
sions sont ossianiques : « Je n'étais pas courbé vers la terre
comme aujourd'hui, et mon nom retentissait dans les forêts. ..
Mes os... reposeraient mollement danslacabane de la mort.»
11 n'y a pas à cet égard de sensible différence entrelV^Jo/^eV, pre-
mière partie des Natchez^eiXs. simple 7iarration qui la continue .
IV
Tous ceux qui exercent la critique littéraire ont certains
souvenirs d'études ou de lectures qui les fournissent d'exem-
ples et qui étayent leurs jugements, et ce fonds varie selon
les époques et selon les hommes. Chateaubriand, dont la
lecture n'est pas très étendue, revient surtout à Homère , à
Virgile, auprès desquels Ossian figure en bonne place.
Dans son Génie du Christianisme, dans sa Littérature an-
glaise, dans quelques articles critiques qu'il donne sous le
Consulat et au commencement de l'Empire, Ossian, qu'il
croie ou non à l'authenticité de ses poèmes, lui fournit fré-
quemment des rapprochements d'autant plus indiqués que
20O Ossian en France
les écrivains qu'il s'agit d'apprécier rappellent par quelques
traits les poèmes du Barde. S'il rend compte du poème de
Michaud, Le Printemps d'un Proscrit, après avoir cité du
grec d'Homère, du latin de Virgile, parce que ces auteurs
ont « aimé à peindre les malheurs de l'exil », il va chercher
dans Carthon un exemple plus neuf, dont il cite le texte et
donne la traduction :
Ossian a peint avec des couleurs différentes, mais qui ont
aussi beaucoup de charmes, une jeune femme morte loin de
son pays, dans une terre étrangère: 7 hère lovely Moina is oflen
seen... « Quand un rayon de soleil frappe le rocher, et que tout
est obscur alentour, c'est là qu'on voit souvent l'ombre de la
charmante Moïna ; on l'y voit souvent, ô Malvina, mais non
telle que les fdles de la colline. Ses vêtements sont du pays de
l'étranger, et elle est encore seule '■. »
Chateaubriand ajoute un mot « l'ombre de Mo'ina » ; sans
quoi le lecteur peu familier avec Ossian ne comprendrait
pas ce passage ainsi présenté. Mo'ina, la mère de Carthon,
est morte depuis longtemps.
Dans le Génie, abordant avec cette intrépidité qui n'ap-
partient qu'aux grands poètes une des questions les plus
ardues du folklore et de la littérature générale, il prétend
montrer que les peuples situés hors du monde gréco-romain
ont connu la poésie descriptive, parce que leur mythologie
n'usait pas de l'allégorie. Il rappelle à l'appui de cette idée
les poèmes sanscrits, les contes arabes, l'Zi^/f/r/, les chansons
des nègres et des sauvages. En note, à côté de Sakiintala,
on trouve, avec le titre général de Poésie Erse (dénomina-
tion rare dans Chateaubriand) un morceau du Chœur des
Bardes, ou, pour restituer le vrai titre, de la Description
d'une nuit d'octobre dans le nord de l'Ecosse que Le Tour-
neur avait traduite d'après les premières éditions de Mac-
pherson. Il cite seulement l'anglais: le morceau, qui a deux
pages, est en effet bien choisi pour donner l'idée d'un mer-
veilleux fait de spectres et de souffles mystérieux. Mais il
n'ajoute pas que Macpherson donne ouvertement ce poème
comme composé plus de mille ans après Ossian ; et s'il en
est ainsi, si ce fantastique date du xni° ou du xiv° siècle,
1. Œuvres, VI, 456 (janvier 1803).
Homère et Ossian 201
quelle valeur documentaire offre-t-il pour pénétrer les
croyances des anciens peuples du Nord ? Le texte est trop
long pour que Chateaubriand l'ait pu reproduire de mé-
moire : il l'a transcrit d'après son Ossian, édition de 1765
très probablement ; la note de Macpherson qui est au bas
de la première page, et sous le passage même qu'il
copiait, n'a pu lui échapper. Mais l'auteur du Génie avait
envie, non seulement de citer un beau passage, ce qui est
légitime, mais de le donner pour preuve de son système ;
pour le faire, il n'a pas hésité à omettre ce qui retirait toute
valeur à son argument.
Chateaubriand n'a pas une culture classique fort étendue :
comme Lamartine, comme Hugo, comme la plupart des
grands artistes, il s'en tient à quelques noms et à quelques
textes très peu nombreux qui l'ont une fois frappé profon-
dément. Il aime à citer Homère pour quelques passages
toujours les mêmes; il le rapproche d'Ossian, en rappelant
qu'ils chantent tous deux « les plaisirs de la douleur, y.pjs-
poîo ':ETJLp'KÛ[).za^x -^{zzic, the jor of griefs ». 11 n'existe à vrai
dire aucune espèce d'analogie, autre que verbale, entre les
deux expressions. Au pays brumeux des Cimmériens, au
bord de la fosse où les morts viennent s'abreuver tour à
tour d'un sang chaud et vivifiant, Ulysse aperçoit sa mère
parmi les ombres vaines. Elle s'entretient avec lui, elle lui
dit, en des termes sobrement pathétiques, que ce n'est ni
la vieillesse ni la maladie, que c'est le regret de son fils qui
l'a jetée chez Hadès. Avant de la quitter encore, et cette
fois à jamais, Ulysse voudrait l'embrasser longuement ; trois
fois il s'y efforce, et ne saisit qu'une ombre inconsistante.
Alors il déplore de ne pouvoir « se rassasier de larmes et
de gémissements ». Ce qu'il entend par là, c'est cette déri-
vation presque physique qu'apportent à la douleur les effu-
sions et les larmes. Il voudrait se rassasie?', ■zép-Kîadciii ; ce mot
n'évoque nullement l'idée de « plaisir » comme le croit
Chateaubriand. L'émotion qui saisit Ulysse aux dernières
paroles de sa mère est trop cruelle, s'il ne peut pleurer
librement dans les bras et contre le sein de celle qui l'a
enfanté. La nuance de sentiment qu'exprime Macpherson
1. Génie du Christianisme, 2« partie, livre V, chapitre xv.
202 Ossian en France
est d espèce et d'origine toute dilîérente : il s'agit ici de ce
que peut avoir de doux le ressouvenir des tristesses pas-
sées, lorsque le calme et la paix sont revenus habiter l'âme,
mais seulement alors ; cela est dit expressément dans le
passage même de Croma où Chateaubriand a pris ces quel-
ques mots, et qu'il est utile de citer :
Thy song- is lovely ! It is lovely, O Malvina, but il melts the
soûl. There is a joy in grief, when peace dwells in the breast
of the sad. But sorrow wastes the mournful, 0 daughter of
Toscar, and their days are few !
L'idée est fort claire, et avec ses plaisirs de la douleur
et son vers de la Nsxj-.a, Chateaubriand ne fait que l'obs-
curcir et la fausser. Et je laisse à juger ce que cette idée
vient faire dans le Purgatoire, à propos duquel l'auteur dé-
ploie ce luxe de citations !
Même rapprochement entre la poésie grecque et Ossian
dans la Préface de 1820 aux Poésies galliques de sa jeu-
nesse ; mais cette fois, comme de juste, le Barde a le des-
sous, et n'est bon qu'à fournir une de ces images hardies où
se plaisait l'artiste vieillissant :
Œdipe et Antigone sont les types d'Ossian et de Malvina,
déjà reproduits dans le Roi Lear. Les débris des tours de Mor-
ven, frappés des rayons de l'astre de la nuit, ont leur charme ;
mais combien est plus touchante dans ses ruines la Grèce éclai-
rée, pour ainsi dire, de sa gloire passée'.
Une autre fois, c'est Virgile qui devient en quelque ma-
nière rOssian de l'antiquité :
On croit généralement que ces images mélancoliques, emprun-
tées aux vents, à la lune, aux nuages, ont été inconnues des an-
ciens; il y en a pourtant quelques exemples dans Homère, et
surtout un charmant dans Virgile.
Et il cite la comparaison lunaire qui se trouve dans le
VP livre de V Enéide, à propos de Didon.
On retrouve ici Ossian dans Virgile ; mais c'est Ossian sous
1. Œuvres, 111, 136 (1826).
Young et Beattie 2o3
le ciel de Naples, sous un ciel où la lumière est plus pure et
les vapeurs plus transparentes ^
On voit à quel point Chateaubriand, qui se détache déjà
du Nord, qui deviendra bientôt l'auteur des Martyrs et de
Yltinéraire, conserve Ossian à l'arrière-plan de sa pensée.
En 1801, il a deux importantes occasions de parler d'Os-
sian. Quand il étudie Young, il sent se réveiller en lui la
vieille raison classique : « Sans le goût, le génie n'est qu'une
sublime folie ^ » Ce Young si vanté lui paraît surfait : il
lui préfère Hervey, son frère en poésie sépulcrale, Ossian,
Milton, Beattie, et même Chaulieu, qu'on s'étonne de voir
en si grave compagnie. Young a échoué dans la poésie des
tombeaux en comparaison de Thomson et de Gray, dans
l'expression du malheur en comparaison de Virgile, de Gil-
bert et de Parny. A son style vague et ampoulé il faut
préférer la simplicité touchante du Barde : « Ossian se lève
aussi au milieu de la nuit pour pleurer ; mais Ossian
pleure... » ; et il cite huit lignes de Berrathon où le vieil-
lard aveugle prie le « fils d'Alpin » de le conduire <^ à ses
bois ». Et il conclut en disant : « Voilà des images tristes ;
voilà de la rêverie. »
L'article sur Beattie et son MinstreP est intéressant. D'une
lecture attentive de cet article et surtout de la traduction
très étendue ' que Chateaubriand donne du poème anglais,
on garde l'impression que ce René si fougueusement rêveur,
et, à travers René, ses innombrables descendants littérai-
res, que le Chateaubriand jeune des premiers livres des
Mémoires, doivent beaucoup au Mmstrel. Beattie « a touché
une lyre qui rappelle un peu la harpe du barde » ; et, le poète
ayant perdu son fils, Chateaubriand le rapproche d'Ossian :
11 vit sur les rochers de Morven ; mais ces rochers n'inspi-
rent plus ses chants : comme Ossian qui a perdu son Oscar, il
a suspendu sa harpe aux branches d'un chêne ^.
1. Œuvres, VI, 376-384 (mars 180r.
2. Ib.
3. Ib., VI, 399 (juin 1801).
4. Voir aussi Le Spectateur du Nord, XXIII, 248 (août 1802).
5. Ghaleaubriand a utilisé trois fois cette phrase : Œuvres, VI, 405
(article sur Beattie, juin 1801), et XI, 777 (Essai sur la Littérature anglaise,
5' partie); Mémoires d' Outre-tombe, II, 202.
204 Ossian en France
Par ce minstrel (que le traducteur appelle troubadoin-)
se fait le passage d'Ossian à un type moyenâgeux et déjà
romantique que Chateaubriand contribuera aussi à déve-
lopper.
J'ai jugé inutile de donner les références des différents
passag-es anglais que Chateaubriand a cités ou traduits de-
puis son retour en France, références qu'il ne donne ja-
mais et qu'il a fallu rechercher pour chacun d'eux. Toutes
ces citations sont empruntées à VOssian de Macpherson. Il
est certain qu'il avait laissé en Angleterre le lourd volume
de Smith. On peut même, en collationnant son texte et celui
des éditions successives de Macpherson, s'assurer qu'il cite
d'après l'ancien texte, antérieur à la révision faite icith
attention and accuracy pour l'édition de 1773. Plutôt que
les in-quarto de Fingal et de Temora, il a dû avoir sous
les yeux l'édition en deux volumes de 1765, et c'est de celle-
là que les futurs historiens de Chateaubriand devront se
servir '.
V
D'après sa propre déclaration, l'opinion de Chateaubriand
sur l'authenticité d'Ossian aurait changé lors de son exil
en Angleterre, et n'aurait pas changé sans peine ; « Il m'a
fallu passer plusieurs années à Londres, parmi les gens de
lettres, pour être entièrement désabusé. Mais enfin je n'ai
pu résister à la conviction, et les palais de Fingal se sont
évanouis pour moi, comme bien d'autres songes '. » S'il en
est ainsi, comment expliquer que si longtemps après, pen-
dant la période de composition, sinon de publication, du
Génie et de René, il fasse état d'Ossian, non seulement comme
d'un grand poète authentique, mais encore comme d'un té-
moin irréfragable des âges disparus ? J'avoue ne pouvoir
résoudrecette antinomie. Si « plusieurs morceaux d'Ossian
sont visiblement imités de la Bible, et d'autres traduits
d'Homère, tels que la belle expression the joy of griefs
1. La Bibliothèque Nationale n'en possède que le second volume (Yn 104).
2. Œuvres, III, 651 (1801).
Chateaubriand contre l'authenticité 2o5
v.p'jepolo -rexapTCcoij.eaOa yicio » (car Chateaubriand est peu varié
dans ses exemples) ; à quoi bon citer ailleurs, comme une
chose remarquable, cette rencontre des deux poètes dans la
même expression?Si « M. Macpherson est l'auteur des poé-
sies d'Ossian », qu'est-ce que l'auteur de René venait nous
raconter des tombeaux de Fingal et de ses héros ? Si enfin
une preuve évidente de la fraude est la « morale parfaite »
qu'Ossian « donne partout à ses héros », comment l'auteur
du Génie peut-il nous dire que « le montagnard écossais...
est encore brave, sensible, généreux » parce que « ses
mœurs modernes sont comme le souvenir de ses mœurs an-
tiques » ? Et qu'on ne dise pas que Chateaubriand nie l'au-
thenticité totale et complète, mais qu'il admire dans Ossian
ce que Macpherson a pu conserver des idées, des croyances,
des sentiments, des actions, du style qui appartenaient aux
chants anciens, attribués au Barde. Ce serait une thèse
moyenne ; mais Chateaubriand se place à l'extrême gauche
dans la controverse : ses expressions auraient aujourd'hui
l'approbation entière des celtisants les plus radicaux dans
leurs conclusions : « Macpherson, transportant en Ecosse le
barde irlandais Ossian, défigurant la véritable histoire de
Fingal, cousant trois ou quatre lambeaux de vieilles ballades
k un mensonge '... » Voilà comment il s'exprime, et l'on a
pu voir dans V Introduction de cet ouvrage qu'on peut mettre
des faits sous chacun des termes qu'il emploie. Cette phrase
fait plus d'honneur à l'excellence de son information qu'àla
logique de ses raisonnements. Et, sauf cette dernière phrase,
tous les textes critiques que je viens d'opposer aux textes
ossianiques cités précédemment sont de 1801. Faut-il ad-
mettre qu'il y a deux hommes en Chateaubriand, l'un qui
sait, et l'autre qui veut oublier ? le critique averti, et le rê-
veur ou le romancier, le poète en un mot ? et faut-il lui
appliquer ce qu'il dit lui-même à propos des « traductions
calédoniennes » de Tacite et de John Smith ; « Les histo-
riens mentent un peu plus que les poètes ' » ? Soit, pour
René ; mais est-ce dans son grand ouvrage d'apologie et de
discussion qu'il devait faire taire le critique et laisser par-
1. Œuvres, XI, 506 (Littérature anglaise, 1" partie : Tacite. Poésies
Erses).
2. Ib., XI, 507.
2o6 Ossian en France
1er le poète ? Je le répète, je ne puis résoudre à son hon-
neur cette antinomie.
Quand Chateaubriand ne se contente plus de résumer en
une phrase son opinion sur Torigine de l'O^vm^deMacpher-
son, mais prétend entrer dans plus de détails, il montre
plus d'assurance que d'exactitude. Il dit plus tard, en fai-
sant allusion au travail de la Highland Society et à l'édi-
tion de 1807, que « l'anglais de Macpherson a été traduit
en celte parles bons Ecossais amoureux de leur pavs ' ».
Mais il s'aventure trop quand il affirme en 1801 que <:: toute
l'Angleterre est convaincue que les poèmes qui portent ce
nom sont l'ouvrage de M. Macpherson lui-même -». Il ra-
conte d'une manière très inexacte la fameuse querelle de
Macpherson et du D' Johnson ; il parle d'anciens manuscrits
sur Fingal, composés par quelque moine du xiip siècle, où
Fingal est un géant et où « les héros vont en Terre Sainte
expier les meurtres qu'ils ont commis », Tout cela est
amusant, ou veut l'être; mais tout cela est un peu arrangé.
Les arguments que Chateaubriand met en avant pour ré-
futer l'authenticité sont à peu près les suivants ' :
1° Cette poésie est trop raffinée : « Je n'en veux pour
exemple que l'apostrophe du barde au soleil » ; et il la
cite: « Il y a là-dedans tant d'idées complexes, sous les rap-
ports moraux, physiques et métaphysiques, qu'on ne peut
presque sans absurdité les attribuer à un sauvage, » Voilà
l'un des morceaux les plus admirés, et depuis le plus long
temps, qui sert à démontrer la fraude. Chateaubriand force
la note à son profit, et en exagérant la complexité des idées,
et en parlant de sauvage ; ce dernier mot est très habile-
ment choisi. Smith, de même que son aîné, « trahit à tout
moment, dans ses images et dans ses pensées, les mœurs
et la civilisation des temps modernes * ». Sur ce point il
n'y a qu'à acquiescer.
2° « Les notions les plus abstraites du temps, de la du-
rée, de l'étendue, se trouvent à chaque page d'Ossian. J'ai
1. Œurres, 1,575 (1826: noie au cliap. XXX Vil àe l'Essai sur les Révolu-
tions).
2. Ih., III, 651.
3. II)., III, 652-655.
-i. /7j., III, 135.
Ses arguments 207
vécu parmi les sauvages de l'Amérique, et j'ai vu qu'ils
parlent souvent du temps écoulé, mais jamais du temps à
venir. » Possible ; et quelqu'un nous a déjà dit queles idiomes
des barbares n'ont pas de futur ; mais Ossian ne s'occupe
guère «du temps à venir » : il ne parle, et d'une manière
monotone, que du passé.
3° « La perfection, ou le beau idéal de la morale dans
ces poèmes... Le beau idéal est né de la société. Les hommes
très près de la nature ne le connaissent pas. . . » Puisque aucune
religion n'éclairait Ossian, « comment, sur un rocher de la
Galédonie, tandis que tout était cruel, barbare, sanguinaire
autour de lui, serait-il arrivé en quelques jours à des con-
naissances morales que Socrate eut à peine dans les siècles
les plus éclairés de la Grèce, et que l'Evangile seul a révé-
lées au monde? » Voilà le point délicat. Ossian ne doit pas
avoir représenté un idéal de verlu, parce qu'il n'était pas
chrétien. Nous sommes en 1801, nous ne sommes plus en
1797 ; et cela fait pour le sort du Barde une grande diffé-
rence. Notons en passant que l'auteur, avocat éloquent plus
que consciencieux critique, exagère infiniment la vertu des
Fingaliens, vertu dont il fait une manière de sainteté. On
avait bien des fois, sous Louis XV et sous Louis XVI, admiré
cette vertu sans la forcer ainsi ; mais c^est qu'on ne plaidait
pas pour le christianisme. Il n'y a rien dans Ossian qui
appelle le nom de Socrate, et qui pressente l'Evangile. Fin-
gai recommande à Oscar d'être doux aux faibles, aux vain-
cus ; c'est un sentiment chevaleresque dont Chateaubriand,
s'il raisonnait plus correctement, se contenterait de dire
qu'on ne le trouve guère en Occident avant le christianisme,
ce qui serait plus modéré et servirait autant sa thèse.
4° « Gray, dans son ode du Barde, ne rappelle pas une
seule fois le nom d'Ossian. » Il faut avoir bien mal lu cette
ode et en mal connaître le sujet pour s'aviser de cet argu-
ment. Gray est Anglais, et son Barde est le dernier des
bardes gallois, non écossais, et personne n'a prétendu qu'Os-
sian fût connu dans le pays de Galles. La légèreté de Cha-
teaubriand est ici d'autant plus piquante que Gray est un
des poètes qui sont compris dans son horizon littéraire.
5° « Enfin M. Macpherson a fait des fautes en histoire
naturelle qui suffiraient seules pour découvrir le mensonge.
ao8 Ossian en France
Il a planté des chênes où jamais il n'est venu que des
bruyères, et fait crier des aigles où l'on n'entend que la voix
de la barnache et le sifflement du courlieu. » On dirait que
Chateaubriand a visité les Hautes-Terres ; il les connaît
presque aussi bien que les bords du Meschacébé. Cepen-
dant, si l'on consulte une monographie scientifique ', on
trouve qu'il a parfaitement poussé des chênes dans les ré-
gions mêmes où se déroulent les exploits des héros ossia-
niques. Quant à la barnache et au courlieu, je ne sais jusqu'à
quel point ils excluent les aigles.
Toutes ces preuves réunies et la certitude qu'elles auto-
risent n'empêchent pas Chateaubriand d'aimer toujours les
chants attribués à Ossian :
J'écoute cependant encore la harpe du barde comme on écou-
terait une voix, monotone il est vrai, mais douce et plaintive '...
Cela, sans doute, ne détruit rien du mérite des poèmes de
Temora et de Fiiic/al; ils n'en sont pas moins le vrai modèle
d'une sorte de poésie du désert pleine de charmes ^
Macpherson a ajouté aux chants de la Muse une note jusque-
là inconnue : c'est assez pour le faire vivre '.
On dirait que chaque fois, avant de prendre congé d'Os-
sian, il veut laisser le lecteur sous une impression de sym-
pathie et presque de piété.
Nous savons au reste qu'il ne s'est jamais détaché du
Barde: l'Ecosse est restée pour lui « le pays d'Ossian ' ».
« Cet ami de sa jeunesse, dit Marcellus, le fut aussi de sa
maturité. Il le feuilletait souvent. C'est le seul livre que je
lui aie connu*. » Ces mots sont à retenir. Chateaubriand le
lisait à Londres dans un exemplaire magnifiquement relié,
offert par Hugh Campbell, de l'édition en deux volumes in-8
«qui venait de paraître tout récemment ». En quittant l'An-
gleterre, il fit don de l'ouvrage à Marcellus, qui l'avait con-
1. Marcel Hardy, Géor/raphie et Véfiàlalion des Hiç/hlands d'Ecosse.
2. Œuvres, 11^ 136.
3. Ib., III, 655.
4. Ib., III, 136.
5. Correspondance, III, 186: Lettre à la duchesse de Duras, 26 juillet
1822.
6. Marcellus, Chateaubriand et son temps, p. 118.
Conclusion sur Chateaubriand 109
serve. Nous serions heureux de retrouver ces beaux volumes
qu'a feuilletés Tambassadeur, mais encore plus heureux si
nous pouvions tenir dans nos mains le volume de Smith
sur lequel, dans l'ardeur de la découverte, s'est tant de fois
penché avec enthousiasme le jeune et pauvre exilé.
VI
Chateaubriand est le premier grand nom de la littéra-
ture française que nous trouvions profondément influencé,
profondément modifié par Ossian ; ce n'est pas encore assez
dire ; qui ait dû à Ossian la forme de ses rêves et la par-
faite expression des émotions les plus profondes de son
cœur. Croyant ou incrédule, dans l'ardeur de sa jeunesse
ou dans la désillusion de son âge mûr, il a gardé fidèlement le
même culte au Barde de Morven, ou à celui, quel qu'il soit,
qui lui a prêté son âme et sa voix, et qui a inspiré la mélodie
ineffable de ses chants. Cette mélodie berce l'âme ; elle l'en-
chante, elle l'apaise, pendant que les yeux aperçoivent dans la
brume des fantômes qui s'évanouissent, et des formes trop
séduisantes pour être réelles. Nul mieux que le pèlerin pas-
sionné qui passait de l'ardent désir au désenchantement, pour
qui la vie était un rêve et une chute perpétuelle, nul mieux
que Chateaubriand n'était fait pour sentir le charme véritable
et profond de la poésie ossianique. Il en a goûté et le paysage
qui parlait à son cœur avec tant d'éloquence, et le sentiment,
et la sentimentalité même, et ce vague à l'âme et ce désir
de vivre ailleurs et cette envie de mourir, et toute cette
mélancolie qu'il a fondue dans la sienne, qu'il a absorbée
en lui, et qui à travers son œuvre a revécu dans ses des-
cendants. Nul ne l'a mieux senti, et cela pour une raison
d'évidence : il est, de tous ceux qu'a touchés Ossian de sa
baguette magique, celui qui possédait le mieux la langue
que le Barde empruntait pour se révéler. Sa familiarité
avec l'anglais lui a permis de lire et de se réciter et de citer
Ossian dans le texte même, et non pas dans la prose édul-
corée de Le Tourneur, et non pas dans les vers pompeux de
Baour-Lormian. Quand il parle des chants d'Ossian, il a
aïo Ossian en France
encore dans Toreille le murmure monotone et doux, le
rythme scandé de rêve et de passion, que Macpherson a su
donner aux meilleures parties de son œuvre ; cette mélodie
brève et qui laisse tant à deviner, à compléter pour une
âme riche et passionnée, et jusqu'au rythme inimitable de
ces chaînes de monosyllabes. Nul ne Va. mieux rendu, parce
qu'aucun autre n'a été poète comme ce prosateur, n'a su
avec les mots, des mots tout simples ici et qui n'avaient
rien d'étrange, faire vibrer les âmes à l'unisson de la sienne.
En adoptant Ossian, en le constituant son parrain litté-
raire, il a été le meilleur héraut de sa gloire. Il lui a prêté
son langage enchanteur; reprises et répétées par sa voix,
les quelques notes de la harpe du Barde ont acquis une
ampleur, une puissance pathétique qui les a fait pénétrer
profondément dans les cœurs. 11 a fait passer dans la litté-
rature française ce qu'elle pouvait recevoir et absorber
d'Ossian ; ses ouvrages, passionnément admirés par la géné-
ration romantique, ont transmis à celle-ci un legs de rêve
et de poésie qui, sans qu'elle s'en doutât souvent, lui venait,
à travers le vieux Sachem, des rivages brumeux de Morven.
CHAPITRE VIII
M"^" de Staël, Ossian
et les « littératures du Nord »
I. Le livre De La. Littérature : le système qui fait d'Ossian l'Homère des
«littératures du Nord ». Caractères distinctifs de ces littératures, ana-
logues à ceux d'Ossian. Sympathie personnelle de l'auteur.
II. Critiques de cette théorie : Geolîroy. Fauriel. Fontanes.
m. Seconde édition de la Littérature et réponse à Fontanes. Ossian et
les poésies Scandinaves. Intervention de Chateaubriand. Origine de la
mélancolie des littératures modernes. « Ossian chrétien ». Contraste
avec les Scandinaves païens. Conclusions sur ce débat.
IV. Ossian dans les autres ouvrages de M°" de Staël. Conclusion.
Nous avons vu Ossian inspirer des odes officielles, des
cantates et des romances; nous l'avons vu dans le même
temps donner une voix aux émotions discrètes des âmes
rêveuses et passionnées. Il était réservé à M"" de Staël d'en
faire la clef de voûte d'un système d'histoire littéraire. Re-
prenant avec plus de précision des tentatives à peine ébau-
chées avant la Révolution, elle va dresser Ossian en face
d'Homère, non plus comme son rival en intérêt et en beauté,
mais comme l'ancêtre de ces « littératures du Nord » dont
elle se fait l'apôtre et la théoricienne.
M"' de Staël, dès sa jeunesse, « n'aimait que ce qui la fai-
sait pleurer' » ; et ses lectures favorites étaient, avec Rous-
seau, Young, Richardson et Ossian. Il faut remarquer néan-
moins que ses premiers essais littéraires n'offrent aucune
1. Œuvres de M"'" de Staël, I, xxix : Notice, par M^« Necker de Saus-
sure.
212 Ossian en France
trace de la poésie ossianique. Quelles influences lui ont sug-
géré de mettre le Barde au haut rang où elle va le placer?
On considère généralement Charles de Villers comme son
premier guide en matière de théories littéraires '. Villers
opposait Homère et Ossian au Tasse et à Racine, et faisait des
deux premiers les modèles préférés de la « Muse allemande ' » .
Il y avait là en germe la distinction de la « poésie de nature *
et de la «poésie d'art », si familière aux critiques allemands.
L'auteur de la Littérature eût pu la lui emprunter. Elle a
préféré opposer l'un à l'autre les deux poètes originaux. Il est
donc peu certain qu'elle ait emprunté son système à Vil-
lers. En tous cas, dès 171)8, dans ses entretiens de Coppet,
elle ébauchait devant Chênedollé le système qu'elle allait
bientôt exposer. On connaît ce système. En étudiant un cer-
tain nombre d'écrivains, et surtout de poètes, de pays et de
siècles très différents, M°" de Staël a été frappée, comme
bien d'autres, des caractères communs qui groupent entre
elles, d'une part, les littératures classiques anciennes et
celles de la France et de l'Italie modernes ; d'autre part, les
littératures germaniques. Elle a remarqué que si celles du
premier groupe offraient entre elles une si grande analogie,
c'est qu'elles s'étaient développées dans le même sens et
d'après une même tradition, les modernes ayant imité les
anciens, et parmi ceux-ci les Latins ayant imité les Grecs.
Or la poésie grecque étant, de l'aveu de tous, la fille d'Ho-
mère, on pouvait considérer Homère comme l'ancêtre de
tous les poètes jusqu'à Voltaire et Métastase inclusivement.
Restait maintenant le groupe incohérent des écrivains « du
Nord », comme dit toujours notre auteur. Comment rendre
raison des caractères communs qu'offrent Shakespeare et
Schiller, Milton et Klopstock? Si l'on pouvait trouver un
« Homère du Nord »! Mais, au fait, il est un poète auquel
on a déjà attribué ce nom glorieux, dont on a déjà fait à
maintes reprises le pendant d'Homère: c'est le barde Ossian.
Son antiquité est respectable ; ses ouvrages sont en posses-
sion de l'admiration générale; sa légende même offre avec
celle d'Homère des points de ressemblance souvent remar-
1. Voir sur ce point L. Witlmer, Charles de Villers, p. 150 et siiiv.
2. Spectateur du Nord, octobre 1799 : Considérations sur l'étal actuel
de la littérature allemande, par un Français.
« De la Littérature » 2 1 3
qués. Il est Celte, il est vrai, et non Germain; mais ce dé-
tail ne gêne pas l'auteur de la Littérature, à qui ces deux
termes paraissent également inconnus, et qui ne connaît que
les auteurs « du Nord» et ceux « du Midi». Rien ne prouve
non plus qu'Ossian ait été connu des poètes « du Nord »
qui sont venus après lui, et qu'il ait exercé sur eux une in-
fluence quelconque : M"" de Staël ne paraît pas même s'être
posé la question. Va donc pour Ossian« Homère du Nord ».
Bel exemple de fausse fenêtre pour la symétrie. Et l'auteur
de la Littérature écrit :
Il existe ce me semble, deux littératures tout à fait distinctes,
celle qui vient du ^lidi et celle qui descend du Nord, celle dont
Homère est la première source, celle dont Ossian est l'origine...
Les ouvrages anglais, les ouvrages allemands, et quelques écrits
des Danois et des Suédois, doivent être classés dans la littérature
du Nord, dans celle qui a commencé par les bardes écossais, les
fables islandaises, et les poésies Scandinaves... Leurs beautés
originales portent l'empreinte de la mythologie du Nord, ont
une sorte de ressemblance, une certaine grandeur poétique dont
Ossian est le premier type...
Si Ossian est moins profond, moins philosophe que ses
successeurs, c'est qu'il est primitif, et voisin encore des
commencements de l'humanité. « Mais l'ébranlement que
les chants ossianiques causent à l'imagination dispose la
pensée aux méditations les plus profondes. » L'auteur ne
dit pas, comme Rigault le lui fait dire avec son inexactitude
ordinaire ', que la poésie ossianique est celle d'un monde
« vieilli, fatigué de sa destinée » ; ce qui serait étrange si
c'est celle d'un monde naissant. Elle dit que le fond de
cette poésie, et la base de toutes ces littératures, c'est la
tristesse, tandis que celles du Midi reposent sur la joie. Or
« la tristesse fait pénétrer bien plus avant dans le caractère
et la destinée de l'homme que toute autre disposition de
l'âme ». Les poètes anglais « qui ont succédé aux bardes
écossais », avec plus de philosophie « ont conservé l'ima-
gination du Nord, celle qui se plaît sur le bord de la mer,
1. De la, Littérature, 1800, l'» partie, chapitre XI.
2. Œuvres de Rigault, I, 197.
2 14 Ossian en France
au bruit des vents, dans les bruyères sauvages. » Ces derniers
mots s'appliquent à Ossian, mais ne s'appliquent guère qu'à
lui. Pour M"° de Staël, tout pays du Nord est nébuleux
parce que la Calédonie d'Ossian est 7\ébuleuse '. Les poètes
de ces pays sont restés tristes et mélancoliques, et leur
imagination rêve constamment d'au-delà.
Après avoir ainsi expliqué comment les littératures « du
Nord » sont les héritières légitimes d'Ossian, l'auteur étu-
die, à la lumière de ces principes, leurs caractères distinc-
tifs. Le climat et le paysage, qui engendrent la mélancolie ;
un goût invincible pour la liberté ; un esprit guerrier ; le
culte de la volonté ; une religion surtout morale, fort peu
entachée de superstition et d'idolâtrie ; une poésie qui n'est
ni spirituelle ni allégorique, qui ne connaît pour ressorts
qu'un «enthousiasme réfléchi », qu'une « exaltation pure»,
qui en élevant l'âme excite à la vertu : tels sont les prin-
cipaux traits de cette littérature telle que l'auteur la voit,
et ils sont tous empruntés à Ossian. Cette « littérature du
Nord » que l'auteur fait un peu genevoise et protestante,
le vieux Barde celte et païen en est déclaré l'ancêtre et le
modèle ; et ce n'est pas le moins étonnant des avatars que
nous lui voyons subir au cours de cette étude. Il est
nommé à chaque instant, et quand il n'est pas nommé,
les allusions à sa poésie, à ses croyances, aux sentiments
qu'il exprime, sont des plus transparentes. A tel point
qu'il y a dans ces neuf ou dix pages deux éléments dif-
férents, mal soudés et d'un intérêt fort inégal : des ré-
flexions sur Ossian et l'effet favorable que sa lecture pro-
duit sur l'âme ; une tentative à peine exprimée et mal con-
duite pour démontrer ce qui a été affirmé au début, que
d'Ossian découle toute la poésie des Anglais et des Alle-
mands. Si engouée qu'elle fût de son nouveau système fondé
sur le parallélisme Homère-Ossian, M"" de Staël a dû sentir
qu'elle ne pouvait établir explicitement un aussi énorme
paradoxe historique ; elle s'est laissée aller à remplacer la
démonstration qu'on attendait par la constatation d'analo-
gies qu'elle donne implicitement pour des arguments.
Chemin faisant, elle avoue sa prédilection pour la « lit-
1. Gunnar Castrén, A'orden i den franska. Litteraluren, p. 181.
Ossian et les « littératures du Nord » 2 i 5
térature du Nord »,et pour le Barde en particulier. «Toutes
mes impressions, toutes mes idées me portent de préférence
vers la littérature du Nord. » Elle répète cette déclaration
dans la Préface de la seconde édition. Elle paraît même
favorable à l'emploi dans la poésie moderne des « émotions
causées par les poésies ossianiques », parce que « leurs
moyens d'émouvoir sont tous pris dans la nature », ce qui
les distingue des poésies « du Midi ». Elle ne compare pas
Ossian à Homère : du premier, nous n'avons « qu'un re-
cueil des chansons populaires qui se répétaient dans les
montagnes d'Ecosse » et rien que l'on puisse mettre en
regard de V Iliade. On voit que l'auteur fait bon marché des
prétentions épiques de Macpherson et de Blair, et qu'elle
paraît ignorer Fingal et Temora ; au point que l'on peut
se demander si elle lit Ossian dans Le Tourneur, ou si elle
ne s'est pas contentée des morceaux ou poèmes qu'elle au-
rait trouvés dans le Journal Etranger ou plutôt dans les
Variétés Littéraires publiées un an et rééditées trois ans
après sa naissance. Elle fait en passant l'éloge de la religion
d'Ossian, ou plutôt de ce qui en tient lieu : cette croyance
épurée suffit aux âmes nobles et sengibles,et convient à «la
raison exaltée » ; curieuse expression par laquelle l'auteur
semble se définir elle-même.
On sait combien le livre De la Littérature fut discuté
àprement dès son apparition, avant et après la deuxième
édition et la Préface o^o, l'auteur y avait jointe. Aucun des
chapitres de l'ouvrage ne prêtait à la critique autant que
celui où Ossian figurait en si belle place. A peine le livre
avait-il paru qu'un lecteur se récriait : en voyant, dit-il,
cette distinction, le Midi pour Homère et le Nord pour Os-
sian, « on serait d'abord tenté de dire ; Tant pis pour le
Nord ' ! » Le sévère Geotîroy, gardien de l'arche classique,
1. Spectateur du TVord, juillet 1800, p. 103 : Extrait sur la Littérature de
M"* de Staël (anonyme; .
îi6 Ossian en France
considère l'auteur de la Littérature comme « égarée par la
manie philosophique » et préfère « l'engouement pour Ho-
mère et Sophocle » au « fanatisme pour Ossian et Shakes-
peare ' ». Quelques années plus tard, à propos des Bardes
de Le Sueur, il revient à la charge. Après avoir dit qu'Ossian
est devenu récemment à la mode, il continue sur le ton aigre
qui lui est habituel : il raille « l'illustre baronne » qui «s'est
éprise d'Ossian ^ ». Mais GeolTroy ne réfute dans aucun des
trois articles où il aborde cette question la théorie nouvelle
et hasardeuse qui fait du Barde l'ancêtre de toutes les lit-
tératures du Nord. Il passe à côté de ce point, sur lequel il
aurait eu facilement l'avantage, et préfère en toucher un
autre. M'"° de Staël avait dans ce même chapitre, comme
déjà un peu plus haut \ fait d'une « sensibilité rêveuse et
profonde », de la « mélancolie» en un mot, le trait distinc-
tif et l'essentielle supériorité des littératures modernes,
prises en bloc et opposées aux littératures anciennes. Geof-
froy lui reproche d'aimer dans « le fils de Fingal » plus que
toute autre chose « sa mélancolie profonde, la sombre et
lugubre tristesse de ses rêveries ».
L'hérilière de M. Necker s'est trompée quand elle en a fait
un des caractères particuliers de la littérature moderne. Ce que
la mélancolie a d'aimable, de touchant et de vraiment poétique,
se trouve dans Virgile et dans TibuUe ; ce qui est au delà, n'est
que folie, chimère, et fatras romanesque '.
GeolTroy revenait à cette idée à propos àX'thal. L'arti-
cle qu'il consacre à l'opéra de Méhul se termine par une
charge à fond contre la mélancolie « dont on a voulu
faire un genre particulier à la littérature moderne », et qui
n'est « qu'une vaine enflure, une ridicule parade de méta-
phores outrées' ». Pour ceux qui n'auraient pas compris qui
était le on de tout à l'heure, Geoffroy termine en désignant
l'auteur de cette théorie : « une femme suisse », dit -il
1. Le S ,ecla,leur français du XIX' siècle, VIII, 113.
2. Journal des Débats, 23 messidor an XII; Geoffroy, Cours de Littéra-
ture dramatique, V, 58.
3. De la Littérature, l" partie, ch. IX.
4. Joui nal des Débats, ih.\ Geoffroy, Cours..., ib .
5. Journal de l'Empire, '21 mai 1806.
Critiques de la théorie de M""" de Staël 217
dédaigneusement. L'Empereur a dû être content, somme
toute, de cet article-là ; car si son cher Ossian y était mal-
mené, on y rudoyait encore davantage l'ennemie qu'il persé-
cutait.
Un autre critique, plus digne et plus sensé, réfutait en
bons termes la théorie de M"" de Staël. Il y avait déjà, dit
Fauriel, une littérature du Nord avant que les poèmes
d'Ossian fussent connus. Ossian n'est donc pas le type de
la poésie du Nord. « Cet honneur appartient bien davantage
à Shakespeare... Les poésies dOssian... ont été regardées
comme des productions d'un genre absolument original *. »
De son côté, le Publiciste fait remarquer, dans son compte-
rendu de l'ouvrage, que « la mélancolie ne fait pas un
genre M »
Ladoucette, dans un bon article ', présente à la théorie
de M"" de Staël une série d'objections judicieuses, et fait
mention d'Ossian sans discuter spécialement le rôle qui
est assigné au Barde.
Mais les objections les plus précises et les plus fortes
vinrent du groupe Fontanes-Chateaubriand. Ceux-là n'é-
taient pas, comme Geoffroy, survivant aigri d'un autre
temps, à l'extrémité opposée de l'horizon littéraire. Tous
deux avaient avec l'auteur de la Littérature plusieurs
goûts communs : celui par exemple d'une mélancolie rê-
veuse, ou encore la connaissance et le sentiment de la belle
poésie anglaise. Mais ils avaient, ou venaient d'acquérir,
une profonde aversion pour l'esprit philosophique qui régnait
dans l'ouvrage de M'"*' de Staël, pour le dogme de la per-
/ec/f6«7?7e par lequel elle continuait l'enseignement des phi-
losophes du xviii" siècle. Surtout ils étaient chrétiens, ou
voulaient l'être. M""" de Staël rendait pleine justice aux
grands progrès accomplis dans l'humanité par le christia-
nisme ; elle exposait en quoi la littérature lui est redeva-
ble, avec une justesse et une sincérité qui pouvaient rendre
jaloux le futur auteur du Génie du Christianif^me. Mais
ces néophytes se faisaient les apôtres intolérants d'un
1. Décade, XXV, 420 (10 prairial an VIII). Fauriel consacre à l'ouvrage
de M°" de Staël les trois articles anonymes des 10, 20 et 30 prairial.
2. Publiciste, 2 germinal an IX.
3. Veillées des Muses, XII, 130 (pluviôse an IX .
2i8 Ossian en France
catholicisme à restaurer. Fontanes ouvrit le feu '. L'ossia-
niste du temps de Louis XVI, le poète du Chant du Barde,
a depuis longtemps brûlé ses anciens dieux. Des quarante-
cinq pages qu'il consacre à l'ouvrage de M"' de Staël, il en
est quelques-unes qui doivent retenir dès maintenant notre
attention ; nous étudierons plus loin l'ensemble de son juge-
ment sur Ossian. Il commence par marquer un étonnement
narquois que ce soit « dans les montagnes de l'ancienne
Calédonie,dans les forêts habitées par les descendants d'Ar-
minius, que se trouve désormais le modèle du beau, et je
ne sais quel genre supérieur à tous les autres, qu'on appelle
mélancolique et sombre.... » D'ailleurs l'auteur de la Litté-
rature, étant femme, ne doit pas savoir raisonner. Admirez
comme c'est dit spirituellement, et comme le bel esprit de
collège a dû être lier de trouver ceci :
« La vive et trop fière Comala, dit un vieux barde, veut se
couvrir de l'armure des guerriers ; elle tremble sous ce poids
trop pesant, et sa faiblesse l'embellit. >> M"^^ de Staël aime les
poésies erses ; ce passage lui sera sans doute connu.
Il expose ensuite la théorie de l'auteur et en montre l'im-
portance dans l'économie de l'ouvrage, mais en forçant un
peu tous les termes : « C'est une idée de prédilection ;
c'est une grande découverte qu'on croit avoir faite en litté-
rature ; c'est enfin la base d'une nouvelle poétique. » Il pré-
sente tout de suite l'objection la plus naturelle : « On
n'ignore pas que les poèmes attribués au barde Ossian n'ont
été découverts que dans ces derniers temps par l'Anglais
Macpherson... Comment fait elle remonter si haut l'influence
d'un écrivain connu si tard?»L'^4/?^/«iS Macpherson étonne
sous la plume d'un homme qui a vécu quelque temps à
Londres. Il ajoute avec une sévérité méritée : ^< Ceux qui
connaissent l'histoire littéraire n'ont pas été peu surpris de
voir qu'on l'étudiât avec si peu de soin, quand on prétend
l'approfondir. »
1. Mercure, messidor et thermidor an VIII; Œuvres de Fontanes, II,
184.
Seconde édition et réponses aux critiques 219
III
M"' de Staël fut sensible à la critique de Fontanes. La
seconde édition du livre De la Littérature (1801) était faite
en partie pour j répondre. C'est du moins l'intention qu'an-
nonce clairement l'auteur, car de réponse on n'en voit guère
qui soit satisfaisante, j'entends en ce qui concerne Ossian.
La Préface, qui est consacrée à réfuter certaines objec-
tions d'ordre plus général, renvoie aux notes de l'ouvrage
pour « développer » un fait « que je croyais, dit l'auteur,
trop connu pour avoir besoin d'être expliqué ». Quel est ce
fait? « C'est que les chants d'Ossian étaient connus en
Ecosse et en Angleterre par ceux des hommes de lettres
qui savaient la langue gallique, longtemps avant que Mac-
pherson eût fait de ces chants un poème... » Pour peu qu'on
soit au courant de la question, on est stupéfait de la nou-
veauté de ce fait, et l'on court à la note visée '. On n'y
trouve rien qui développe cette extraordinaire assertion :
l'auteur se contente de la répéter en en modifiant à peine
les termes ; elle ne la prouve pas, et pour cause. D'ailleurs
elle s'est aperçue elle-même qu'en prenant ce fait pour acquis
le lecteur remarquerait que « les Ecossais et les hommes de
lettres qui savaient la langue gallique * ne constituaient pas
à eux seuls toute la « littérature du Nord », et se deman-
derait quelle avait bien pu être l'influence du Barde inédit
sur tous les autres Anglais et sur les Allemands. Elle ajoute
donc à ces deux notes, dont la première annonce la seconde
et dont la seconde répète la première, quelques phrases
pour se justifier et pour modifier sensiblement, quoi qu'elle
en dise, sa première idée. Ossian n'est plus pour elle que
« le plus ancien poète auquel on puisse rapporter le carac-
tère particulier à la poésie du Nord ». Les autres, qui ne
Font pas connu, lui ressemblent, et par conséquent peuvent
être considérés comme de la même famille littéraire. Il n'est
plus le tronc commun, il est la branche la plus ancienne et
la plus vénérable :
1. Chapitre XI, note 1.
220 Ossian en France
Les fables islandaises, les poésies Scandinaves du ix« siècle,
origine commune de la littérature anglaise et de la littérature
allemande, ont la plus grande ressemblance avec les traits dis-
tinctifs des poésies erses et du poème de Fingal.
Les « fables islandaises », c'est VEdda, révélée par Mallet ;
les « poésies Scandinaves » sont dans Mallet. Aussi, quoique
« un très grand nombre de savants » aient écrit sur « la
littérature runique », il sufiit d'ouvrir Mallet après avoir
lu Ossian et l'on constatera la ressemblance :
Ces poètes Scandinaves chantaient les mêmes idées religieuses,
se servaient des mêmes images guerrières, avaient le même culte
pour les femmes que le barde Ossian, qui vivait près de cinq
siècles avant eux.
Ossian n'est plus le père de toutes les littératures du Nord,
il en est tout au plus l'oncle. Malgré cette correction, tout
cela restait pensé et dit avec un à peu près, avec une insou-
ciance des faits, avec une inexactitude incroyables. D'im-
menses questions se trouvaient résolues négligemment en
quelques lignes. Pourtant les objections qu'on avait faites
à l'auteur valaient la peine d'une réplique plus étudiée et
plus développée.
Cette fois, ce fut Chateaubriand qui prit la plume pour
répondre à ces mauvaises réponses. Il donne à ses critiques
la forme d'une lettre à Fontanes, dans laquelle quatre pages
sont consacrées à la question d'Ossian '. Après avoir réfuté
l'opinion que la mélancolie des peuples modernes est d'ori-
gine germanique, et soutenu qu'elle est d'origine chrétienne
(on voit l'auteur du Génie s'établir solidement sur ses posi-
tions), il continue :
Mais Ossian... n'est-il pas la grande fontaine du Nord. où tous
les bardes se sont enivrés de mélancolie... ? J'avoue que celte
idée de M'"« de Staël me plaît fort. J'aime à me représenter les
deux aveugles, l'un sur la cime d'une montagne d'Ecosse, la tête
chauve, la barbe humide, la harpe à la main, et dictant ses lois,
du milieu des brouillards, à tout le peuple poétique de la Ger-
manie ; l'autre...
1. Œuvres de Chateaubriand, IV. 613-658 ; Mercure, 1" nivôse an IX.
Réplique de Chateaubriand 221
Accorder à l'adversaire cette séduisante antithèse, ce n'est
pas « abandonner la cause » de Fontanes ; car « Ossian lui-
même est chrétien ».
Ossian chrétien ! Convenez que je suis bien heureux d'avoir
converti ce barde, et qu'en le faisant entrer dans les rangs de
la religion j'enlève un des premiers héros à Vàge de la mélan-
colie.
Ossian, c'est Macpherson, poursuit Chateaubriand ; et
Macpherson, c'est un moderne, nourri de la Bible et des
poètes anglais d'inspiration chrétienne. Donc ce que M"® de
Staël prend pour l'inspiration ossianique n'est autre que
l'inspiration chrétienne, qui fait la grandeur de toutes les
littératures modernes, du Nord ou du Midi. Il aurait fallu
expliquer avec quelles nuances et dans quel esprit ditfé-
rent, et c'est ici le point faible de l'argumentation de Cha-
teaubriand, comme de tout son système qui consiste à ca-
tholiciser la littérature ; c'est pourquoi il se garde bien
d'insister.
Mais, répliquera l'adversaire, si des poésies incontesta-
blement païennes nous produisent la même impression ?
Direz-vous que Régner Lodbrog ou les héros de VEdda
étaient chrétiens ? Voici la réponse :
La mémoire de M""» de Staël l'a trahie lorsqu'elle avance que
les poésies Scandinaves ont la même couleur que les poésies du
prétendu barde écossais. Chacun sait que c'est tout le contraire.
Les premières ne respirent que brutalité et vengeance...
Telle est la chanson de Régner Lodbrog, dont Chateau-
briand rapproche un chant de guerre des Iroquois qui vient
fort à propos jeter dans la discussion un argument exotique
et neuf. Que reste-t-il de la théorie ? Rien :
Il résulte de ce que je viens de vous dire que le système de
M""® de Staël touchant l'influence d'Ossian sur la littérature du
Nord s'écroule; et quand elle s'obstinerait à croire que le barde
écossais a existé, elle a trop d'esprit et de raison pour ne pas
sentir que c'est toujours un mauvais système que celui qui re-
pose sur une base aussi contestée.
122 Ossian en France
Les critiques de Fontanes et de Chateaubriand n'étaient
pas, il s'en faut de beaucoup, aussi fondées à tous égards
qu'elles l'étaient sur ce point particulier. M"* de Staël ne
répliqua point par un écrit public. Mais son système avait
été en vain battu en brèche par ses habiles contradicteurs :
il ne s'écroula pas immédiatement ; il était d'une simplicité
logique qui séduisait les esprits ; et, assez longtemps après,
on verra encore des disciples de ses idées faire d'Ossian
l'ancêtre vénérable de la lignée des poètes septentrionaux-
IV
M"' de Staël ne s'est plus guère occupée d'Ossian après
le livre De la Littérature. Il n'est pas nommé dans V Alle-
magne. Il se trouve mentionné à plusieurs reprises dans
Corinne, à propos de Gesarotti, dont « les mots ont un air
de fête qui contraste avec les idées sombres qu'ils rappel-
lent ' » ; à propos de Roméo et Juliette dont elle admire la
variété : « Ce n'est pas, comme dans VOssiaîi, une même
teinte, un même son, qui répond constamment à la corde
la plus sensible du cœur '. » Plus précisément, les chants
« dalmates », qui commençaient à être à la mode à cette
époque, sont comparés par Corimie elle-même à ceux d'Os-
sian: ils respirent comme eux « l'effroi du mystère, la mé-
lancolie qu'inspire l'incertain et l'inconnu' ». Lorsque Del-
phine parut, on y trouva un « style ossianique ». C'est
Stendhal qui nous l'apprend, en ajoutant que ce roman a
« infatué toutes les jolies femmes * * de ce style. Si ce rap-
prochement n'est pas une invention ou une mystification
du jeune Henri Beyle,on se demande ce qu'on pouvait bien
entendre par là. Peut-être ossianique veut-il dire ici ; pas-
sionné, tumultueux ; encore que le style de Delphine ne
présente guère ces caractères. Le terme conviendrait plutôt
aux sentiments. Peut-être aussi ce mot fait-il allusion à la
1. Corinne, Vil, i.
2. M., VU, m.
3. Id., XV, IX.
4. Correspondance de Stendhal, l, 57 (26 mars 1803).
L'ossianisme de M"^" de Staël 2 23
mélancolie grave, à l'air fatal de quelques personnages ; en
relisant le roman, j'inclinerais plutôt à cette hypothèse.
L'ossianisme de M"" de Staël avait été plutôt une curio-
sité de son esprit qu'une adhésion de son cœur. 11 lui man-
quait trop de ces sentiments qui ont retenu si longtemps un
Chateaubriand ou un Lamartine sous le charme de la voix
lointaine de Cona. Elle a fidèlement cru à l'authenticité
d'Ossian, elle a été sensible à sa mélancolie; elle s'est servie
de son nom comme d'une maîtresse pièce pour édifier un
système d'histoire littéraire qui devait s'effondrer bientôt ;
la partie durable de son œuvre ne lui doit à peu près rien.
CHAPITRE IX
Ossian devant la critique. Résistances et limites
I. Epoque de discussions et de jugements.— Authenticité des poèmes ossia-
niques. Les partisans. L'Académie Celtique. La Notice de Ginguené.
Les adversaires. Boissonade; les Archives Littéraires; Esménard; la
Décade; Glorvina. Opinions indécises : le Magasin Encyclopédique ;
divers.
H. Valeur des poèmes ossianiques. Incertitude de l'opinion. — Les parti-
sans. Trois survivances : réédition des Variétés Littéraires (1804) :
Suard et Garât. Réédition de VOssian de Le Tourneur (1810). Traduc-
tion du Cours de Rhétorique de Blair (1808). Importance d'Ossian
dans l'ouvrage de Blair. Eloges des critiques. Sympathies des poètes.
Mérites de Macpherson aux yeux des adversaires de l'authenticité.
III. Adversaires d'Ossian et du genre ossianique. Les poètes. Lebrun et
son ode Homère et Ossian. Motifs de son sentiment. Les critiques.
Deux transfuges: M.-J. Ghénier;Fontanes. LaDécade et son évolution.
Quatre critiques attitrés : Geoffroy, Hoffmann, Dussault, Auger.
Esménard.
IV. Leurs arguments. La monotonie, l'obscurité et la tristesse; le procès
de la mélancolie septentrionale. Le paysage ossianique opposé au
paysage classique. Le style. L'irréligion d'Ossian. Réflexions sur cet
argument de Fontanes. Raisons de l'attitude de tous ces critiques.
Ce qu'ils défendent contre Ossian.
V. Limites du succès et de l'influence d'Ossian sous le Consulat et l'Em-
pire. Les poètes. Omissions notables. Influences rivales. — Conclusion
sur cette période : l'inspiration sentimentale ; l'inspiration litté-
raire.
L'époque de la plus grande vogue d'Ossian est en même
temps celle où il est le plus fréquemment, le plus àprement
discuté. Ces discussions portent sur deux points dilférents,
car le succès du Barde pose un double problème, historique
et littéraire. Qu'est-il, et que vaut-il? Son authenticité est-
elle certaine ? et, authentique ou non, que faut-il penser de
Authenticité. L'Académie Celtique 226
sa poésie ? L'Empire a vu formuler les opinions les plus
diverses sur le premier point, et les jugements les plus oppo-
sés sur le second. Résumons les principales tendances au
moyen des textes les plus importants ; on a déjà vu ce qui
concerne directement M"" de Staël et son sj^stème d'his-
toire littéraire.
Sur l'authenticité, les opinions les plus extrêmes se font
jour presque en même temps. Aux environs de 1810, la
critique française, qui ne peut en cette matière que se lais-
ser guider par l'opinion anglaise, est sollicitée en sens dif-
férents par les voix qui lui arrivent d'outre-Manche ; et
suivant que telle ou telle publication sera sous ses yeux,
l'écrivain français répétera et présentera à son public une
doctrine favorable ou opposée à l'authenticité du Barde et
à la bonne foi de Macpherson. Or, c'est l'époque où les do-
cuments essentiels se publient : c'est l'époque des ouvrages
de Malcolm Laing, du Rapport de 1805, de 1' «c original »
de 1807. La curiosité est donc à chaque instant réveillée,
et un intérêt toujours nouveau s'attache aux chants du Barde.
Au moment où il jouit chez nous de la plus grande popu-
larité, son existence même est révoquée en doute; et l'opi-
nion, sans cesse ballottée entre deux extrêmes, ne sait à
quelle solution s'arrêter.
Nous avons déjà parlé de l'Académie Celtique fondée par Na-
poléon. Le premier volume des travaux de l'Académie con-
tient un long Discours tC ouverture ' anonyme, qui est, paraît-
il, de Eloi Johanneau, secrétaire perpétuel (le président
était Cambry). Eloi Johanneau, ami de La Tour d'Auvergne,
se rattache à la tradition des celtomanes du xvui" siècle 2.
Son état d'esprit est à peu près celui des premiers hardi--
sants allemands ou de leurs successeurs romantiques. Wdoit
j avoir eu une poésie celtique, vraiment nationale, comme
il doit y avoir eu une poésie des bardes teutoniques dans
les forêts inviolées de la Germanie. Animé d'une foi ro-
buste, Johanneau est dépourvu de sens critique : il consi-
dère comme monuments authentiques les Vers dorés de
1. Mémoires de l'Académie Celtique, I (1807), p. 45 : Discours d'ouver-
tui'j sur rétablissement de l'Académie Celtique, les objets de ses recher-
ches, et le plan de ses travaux.
2. D'Arbois de Jubainville, Catalogne .., p. V.
TOME II 15
a26 Ossian en France
Pythagore, les Proverbes de Salomon, Orphée, Y Iliade et
\ Odyssée, VEdda et Ossian. Je n'insiste pas sur la compo-
sition de cet extraordinaire musée des antiques ; mais j'ai
l'impression que si un Macpherson bas-breton avait présenté
à Eloi Johanneau ou à quelqu'un de ses confrères un recueil
d'anciens poèmes gaulois, il eût eu quelque chance de réus-
sir pour un temps. 11 va sans dire que le secrétaire perpé-
tuel croit à l'authenticité totale d'Ossian. Il consacre une
longue note, qui s'étale sur dix pages ', à résumer toute la
question d'après le Rapport de 1805 et d'après Laing. Mais
ce résumé n'est pas impartial, et les conclusions en sont
nettement favorables à Macpherson.
Ceux-là ont leur siège fait, et l'étude des documents nou-
vellement publiés en Angleterre ne peut que les fortifier
dans leur opinion. Il semblerait que l'on ne dût plus raison-
ner de l'authenticité après les conclusions de 1805, et sur-
tout après le livre de Laing, comme auparavant. Jusque-là,
un critique comme celui qui rend compte dans le Publiciste
du recueil de d'Arbaud-Jouques ^, un ossianiste isolé comme
celui qui du fond delà Nièvre plaide dans la Décade la cause
du Barde ', pouvaient en 1801 et en 1804 admettre l'au-
thenticité. Mais, chose difficile à croire, les travaux consa-
crés à rendre compte des publications des deux Sociétés an-
glaises en 1805 et en 1807 et dulivre de Laing, aboutissent
à des conclusions diamétralement opposées. L'exemple typi-
que est fourni par Ginguené et Boissonade, qui la même
année donnent avec détail leur avis sur la question.
Ginguené fpurnit une Notice, nous l'avons vu, à Y Ossian
français que réimprime Dentu. Cette Notice a été aussi
publiée à part *. Deux raisons font de lui un tenant con-
vaincu de l'authenticité : la première, c'est que dans une
dissertation placée comme la sienne en tête d'une édition
complète d'Ossian, il était difficile de démolir l'idole à la
gloire de qui le livre était consacré ; la seconde, c'est que
1. Mémoires de l'Académie Celtique, 1 (1807), p. 53-62.
2. Publiciste, 22 thermidor an IX.
3. Décade, 10 prairial an XII : Lettre de M. Heynier, à Garchy par
Pouilly (Nièvre).
4. Ginguené, Notice sur l'étal actuel de la question relative à l'authen-
ticité des poèmes d'Ossian, 1810.
Ginguené. Boissonade 227
Ginguené a puisé toute son érudition gaélique à deux sources ;
\q Rapport de 1805 et !'« original >> de 1807. Ce qu'il offre
donc au lecteur français, ce sont les conclusions de la High-
land Society d'Edimbourg et de celle de Londres, habile-
ment, mais assez superficiellement fondues en un système
plausible. Plus de la moitié de sa Notice n'a d'ailleurs, même
en 1810, aucune valeur essentielle: je veux parler de cette
première partie où il résume l'opinion de Gesarotti, dont il
fait l'éloge comme traducteur et comme critique. Ginguené
s'est laissé sans doute entraîner par sa familiarité avec les
choses d'Italie à donner trop d'importance aux effusions en-
thousiastes du père de l'ossianisme italien. Rappelons-nous
le débit de l'édition Dentu, la réputation de Ginguené, et
nous comprendrons pourquoi l'opinion de tant de critiques,
de compilateurs, de faiseurs d'articles au cours du xix" siècle
ressemJDle tant à la sienne, qu'elle reproduit souvent jusque
dans l'expression. Les admirateurs d'Ossian tel qu'il leur
était donné, les champions de l'authenticité, ont trouvé dans
la Notice de Ginguené leur symbole de foi.
Si les vues de Boissonade n'ont pas eu un retentissement
aussi manifeste, nul doute que ses articles du Journal de
l'Empire ' n'aient frappé, étonné peut-être tous ceux des
8000 abonnés qui s'intéressaient à Ossian ou qui le con-
naissaient de nom. Quand on les réimprima en 1863 % il
était bien tard, et l'ouvrage d'ailleurs n'a pas dû toucher
le grand public. C'est à propos de la troisième édition de
Baour-Lormian que ces articles furent composés, et peut-
être en réponse à la Notice de Ginguené. Celui-ci était ita-
lianisant, Boissonade était helléniste ; l'un avait devant lui
les publications ossianiques des deux sociétés de Londres
et d'Edimbourg, et ne connaissait ou ne voulait connaître
qu'elles ; l'autre « avoue » en finissant qu'il a « puisé dans
une belle dissertation de Malcolm Laing » toute son « éru-
dition anglaise ».
On a vu dans V Introduction de cet ouvrage ce qu'est le
travail de Laing : on devine ce que seront les articles de
Boissonade. Ce que Laing dit de juste, il le lui emprunte,
1. Journal de l'Empire, 3 et 10 septembre 1810.
2. J.-F. Boissonade, critique littéraire, II, 39-51.
aa8 Ossian en France
en le rendant plus élégant, plus frappant, plus fort. Il a
raison d'attribuer beaucoup d'importance, dans la genèse
de VOssia?i macphersonien,aux premiers essais poétiques du
jeune maître d'école, et notamment à son Hiylilander ; mais
il a tort de parler du Highlander comme s'il l'avait lu, et
de forcer l'identité : « Même bouffissure dans le style, mêmes
images, mêmes incidents ; partout les m^Héores verdàtres,
la bruyère et les collines, les ouragans et les fantômes. »
Il a raison, ou à peu près, de dire : « Quelques romances
irlandaises, et le li'ig Mander , étaient la base et le fond de
toutes ces compositions... » mais il a tort d'ajouter ; « où
il n'y avait rien d'original et de neuf que l'impudence inouïe
du prétendu traducteur, sa prose mesurée, et quelques er-
reurs monstrueuses ». C'est le ton de Laing, mais ce n'est
pas celui du juge sage et éclairé : car, s'il en était ainsi, la
voix de Gona n'aurait pas retenti soixante à quatre-vingts
ans au fond de tant de cœurs dans toute l'Europe, Mais ce
qui est piquant, c'est de voir combien d'erreurs laisse tom-
ber la plume de celui qui n'était encore, il est vrai, qu'un
critique agréable, mais qui allait prendre rang parmi les
fameux philologues. Il est faux que Macpherson ait d'avance
« combiné son système de traductions ossianiques qu'il fît
circuler » ; il est faux qu'il soit revenu de sa tournée < au
bout de deux ans » ayec Fing al, etc.. ; il est faux qu'il se
soit <.< enrichi aux dépens de la crédulité » des lecteurs et
surtout il est faux — à quel point, on l'a vu dans Vlntro-
duction de cet ouvrage — qu'au moment où il écrivait son
Ossian Macpherson fût un « riche gentilhomme » qui se
promenait « dans son parc ». Il est dangereux enfin de citer
sans aucune réserve l'autorité de Johnson.
La thèse radicalement négatrice de Boissonade a beau-
coup plus de partisans que la croyance de Ginguené. Déjà
en 1801, à peine le Publiciste a-t-il admis l'authenticité,
qu'il reçoit et publie une lettre, en réponse à son article '.
Marignié, traducteur des Mémoires de Gibbon, l'avertit
qu'il ne faut pas faire état de David Hume comme autorité
pour l'authenticité d'Ossian ; tout au contraire, comme en
fait foi la lettre de Hume publiée dans les Mémoires del'his-
1. Publiciste, 27 thermidor an IX.
La Décade 229
torien (I, 210). A peine le Rapport de 1805a-t-il été publié
en juillet, et le livre antimacphersonien de Laing en août,
que les Archives Littéraires donnent un grand article ano-
nyme, très sensé et judicieux '. L'auteur résume les con-
clusions du Ranport^ l'article de YEdinhurgh Review, et
expose le système de Laing ; il conclut, comme on s'y
attend, tout à fait contre la véracité de Macpherson. Cette
documentation sérieuse est rare à cette époque de critique
improvisée, et plus brillante que solide. Un autre article
anonyme, plus court mais très judicieux, explique le sujet
d'Ossian par les plagiats mêmes de Macpherson : « On admira
ce qui était vraiment admirable, sans se douter qu'on l'avait
déjà mille fois admiré dans d'autres ouvrages \ » Esménard
se prononce contre l'authenticité, mais connaît très mal les
faits'. Il croit, avec Chateaubriand et d'après lui, que Mac-
pherson, quand il a composé ses poèmes, était déjà riche et
avait «un beau parc dansles montagnes del'Ecosse». Alors,
rien de plus simple : « Il a chanté ses montagnes, son parc,
et le génie de sa religion. » La ressemblance de ses argu-
ments avec ceux de Chateaubriand va jusqu'au plagiat : l'ar-
gument tiré de Gray qui dans son Barde ignore Ossian ;
l'argument tiré des chênes et des aigles qui ont toujours été
inconnus àl'Ecosse : tout cela est du Chateaubriand tout pur.
La Décade, pendant cette période, est nettement contre
l'authenticité. Mais ses arguments sont tous des arguments
internes, du même ordre que ceux d'Esménard. En 1804,
elle consacre à Ossian un article important *. Elle signale
l'astucieuse prudence de Macpherson qui, ignorant l'his-
toire des Gaëls et leurs mœurs, « s'est borné à les faire
combattre et chanter » ; qui ne leur a point donné de mytho-
logie, uniquement « par crainte de se compromettre aux
yeux des érudits » ; et qui d'ailleurs « a fait pousser des
chênes... » Nous connaissons la phrase : c'est la troisième
fois que nous la rencontrons ; elle a passé de Chateaubriand
à la Décade et au Mercure ; on la ressort tous les deux
ans. Le même journal annonce avec quelque scepticisme
1. Archives Litléraires de l'Europe, VIll, 256 (novembre 1805) : Sur
l'authenticité des Poèmes d'Ossian.
2. Les Qiialre Saisons du Parnasse, printemps 1806, p. 235.
3. Mercure, 1802, IV, 407; le même article, ih., 21 octobre 1809.
4. Décade, XLl, 348 (30 floréal an XII).
a3o Ossian en France
la publication prochaine du « texte gallique * » ; il donne
à entendre qu'il ne se laissera pas facilement convaincre.
Toutes ces résistances ont amené à ne plus croire à Ossian
ceux qui avaient quelque raison de se mettre au courant de
la question. Creuzé de Lesser, qui se faii l'apôtre et le hé-
raut de la chevalerie, préfère les mœuro des romans de
chevalerie à celles des poésies Scandinaves et même à celles
« des poésies erses, trop manifestement falsifiées pour être
d'aucun poids dans cette discussion ^ ».
Il était plus intéressant de trouver l'exposé de la même
thèse négatrice là où l'on ne se serait guère avisé de le
chercher, dans un roman, et dans un roman qui jouit d'un
certain succès : Glorvina ou la Jeune Ir/andaise,pd.v Miss
Owenson. Miss Ow^enson n'est autre que Lady Morgan. Le
roman date de 1808; traduit en 1813 sur la quatrième édi-
tion anglaise, il offrait aux lecteurs français des noms ou
du moins des consonances chères k plusieurs d'entre eux :
Glorvina, Inismore,Tura...L'autenv a placé dans ce roman
une longue discussion qui remplit trente-cinq pages \ et
dont l'authenticité d'Ossian fait les frais. Les interlocuteurs
sont un prince irlandais, un chapelain et un voyageur an-
glais. Ce dernier croit à Ossian écossais et à Macpherson
traducteur. Les deux Irlandais se relaient à lui démontrer
son erreur, et à lui donner une idée des véritables ballades
ossianiques irlandaises. Nous pouvons peut-être en par-
ler, disent-ils, « nous à qui l'on fait apprendre par cœur,
dès notre plus bas âge, ces poésies; nous qui portons encore
aujoard hui les noms des héros qu'elles célèbrent ». Ils se
servent des arguments que la critique ossianique emploie
aujourd'hui encore, mais en poussant à l'extrême un na-
tionalisme irlandais qui nie toute influence des Hautes-
Terres sur Ossian. Macpherson a éliminé tous les éléments
proprement irlandais, et surtout le rôle de Patrick et la
religion chrétienne. Morven ni Fingal n'ont de racines vraies
en Ecosse. On cite à l'Anglais, pour le convaincre, les tra-
vaux de l'Académie royale d'Irlande, 1786, et on lui montre
1. Décade, XLVI, 186 (19 juillet IS05).
2. Creuzé de Lesser, La Tuble- Ronde, 3" édit., 1814, p. XII.
3. Glorvina ou la Jeune Irlandaise, Histoire nationale, par Miss Owen-
son, traduit de l'anglais, 1813; II, 132-167.
« Glorvina » de Miss Owenson a3i
dans les Fianns une milice nationale ixlandaise. On insiste
sur la plus lourde bévue de Macpherson : il a confondu et
fait vivre ensemble GuchuUin et Fingal, que l'histoire nous
montre séparés par deux ou trois siècles. Smith a suivi
l'erreur de son devancier. Qae penser d'ailleurs des mœurs
que ces auteurs donnent à « Fingal et compagnie » ? Leur
siècle est barbare, et ils sont doués de toutes les perfections
et de toutes les vertus. La vérité est, toujours pour les deux
Irlandais, que leurs « ballades irlandaises bâtardes, comme
M. Macpherson les appelle, sont les originaux d'où il a
tiré, pour les arranger à sa manière, tous les matériaux de
sa version d'Ossian ». L'Anglais est forcé de s'avouer vaincu.
Mais « la jeune et belle Glorvina », qui assiste à ce docte
entretien, ne capitule pas aussi complètement. Elle reven-
dique les droits de la critique, nous dirions, subjective, et
de son goût personnel. Elle proclame « la supériorité des
poèmes de Macpherson comme composition, sur les produc-
tions informes... qui lui ont fourni ses matériaux ». Son
« imagination est quelquefois éblouie » par les originaux
irlandais, mais elle y trouve « des détails ridicules, gro-
tesques ». « Mais les sons touchants de la voix de Gona,
modulés par le génie de M. Macpherson, me charment...
Quand mon cœur est froid et languissant, quand mes es-
prits sont abattus, j'ai recours à mon Ossian anglais : il
apaise mes souffrances, mon abattement se change en une
douce mélancolie, plus délicieuse même que la joie. » Et
l'auteur semble conclure qu'il faut, malgré tout, savoir gré
à Macpherson de son œuvre.
Voilà un morceau important qui prenait la question à
peu près comme il fallait la prendre, et qui laissait parler
la voix du sentiment après cella de l'érudition. Le Mer-
cure ' relie Glorvina aux « poèmes vaporeux » d'Ossian, et
enregistre comme importante, comme incontestable, cette
découverte que le véritable Ossian est Irlandais. M. de G...
avait écrit la même chose au Journal des Savants cin-
quante ans auparavant ; mais qui s'en souvenait ?
Entre ces deux thèses extrêmes, le Magasin Encyclopé-
dique pencherait plutôt pour la première ^ Le journal de
1. Mercure, 25 septembre 1813 (article signé G. M.)
2. Magasin Encyclopédique, 1808, IV, 228.
232 Ossian en France
Millin a toujours été sympathique à Ossian plus qu'aucun
des périodiques du temps. 11 attribue la plus grande impor-
tance à l'édition de 1807 : « Cet ouvrage fait une époque
mémorable dans l'histoire de la littérature du Nord » et dé-
montre l'authenticité. Mais, comme Ahlwardt, dont il
adopte les conclusions, comme Gurlitt, comme plus tard
Archibald Clerk, comme tous ceux qui ont estimé authen-
tique r « original » de 1807, il s'appuie sur ce texte même
pour juger sévèrement « les talents et la bonne foi du pre-
mier traducteur » qui « n'avait qu'une connaissance assez
bornée de la langue gallique » et qui « ne s'est pas fait
scrupule de suppléer par ses propres idées aux passages du
Barde qu il n'entendait pas ».Mais,dira-t-on, si sa « bonne
foi » est com.promise, ses « talents » n'en sont que plus
remarquables, non ceux du philologue, mais ceux du poète,
et ces derniers intéressent bien davantage le lecteur. C'est
à peu près la même attitude que prennent Barbier et De-
sessartz K Après avoir rappelé le débat, ils donnent comme
« opinion dominante » celle qu'il existait bien des poèmes
ossianiques, mais que Macpherson « a traduit librement et
qu'il a ajouté d'autres poèmes à sa traduction ».
Heureux ceux qui, comme Delécluze — du moins c'est
lui qui le raconte — n'ont pas besoin de consulter les gros
in-quarto de Londres ou d'Edimbourg, ni d'écouter les
deux parties pour rendre lui arrêt décisif ! Il a toujours
cru « par pur instinct, ce qui a été prouvé depuis, que Mac-
pherson... avait très habilement tendu un piège auquel
toute l'Europe s*est laissée prendre - ». Un instinct aussi
sûr peut dédaigner les longues veilles.
II
Comme on discute sur l'authenticité de ces poèmes, on
varie sur leur beauté et leurs mérites intrinsèques. Au mo-
ment même où la mode s'empare d'Ossian, les critiques de
1. Barbier et Desessartz, Nouvelle Bibliothèque d'un homme de goût,
1808, II, 269.
2. Delécluze, Souvenirs de soixante années, p. 48.
Valeur des poèmes ossianiques 233
profession et les gens de lettres hésitent à le consacrer grand
poète, à lui donner ofticiellement une place dans le Pan-
théon littéraire de l'humanité. Ils ne savent guère s'il con-
vient de chasser ou d'encenser ce nouveau-venu, qui pour
les uns est digne d'un culte, et pour les autres n'est qu'un
intrus. « En France, les avis sont divisés sur le mérite du
barde écossais. Ce genre de poésie, disent les uns, presque
toujours amphigourique, gigantesque et faux, ne peut plaire
à ceux qui aiment à se nourir des belles littératures grecque,
latine et française. Selon d'autres, les idées grandes et fortes
que ces poèmes renferment sur les premiers sentiments de
la nature doivent plaire à tous les hommes \ » Autrement
dit, les lecteurs d'un goût purement classique sont hostiles à
Ossian, qui charme les partisans du retour à la nature. Donc
on est pour ou contre lui par principe : « Tout est soumis
à l'esprit de système, ou à de petits intérêts de parti *. »
Système littéraire ou philosophique, parti politique ou reli-
gieux ; nous allons nous en apercevoir à plusieurs reprises.
Pour d'autres, c'est avant tout une question de goût per-
sonnel : « La teinte sombre que beaucoup de gens aiment
dans les poètes du Nord, et que d'autres leur reprochent... ' »
Le résultat est toujours le même : les opinions sont ex-
trêmes dans les deux sens : « Ossian, méprisé par les uns,
mis au rang dHomère par les autres, n'a point encore de
place fixe parmi les poètes *. »
Commençons par les amis du Barde : au reste, ils sont les
moins nombreux et de beaucoup les plus timides. J'excepte
de cette timidité les trois premiers apôtres du nouveau
culte, dont la voix, après un demi-siècle ou environ, se
faisait entendre de nouveau. En 1804, on réimprime, nous
l'avons vu, les Variétés Littéraires de 17G8 ': le lecteur se
trouvait reporté par cette réédition au temps de la première
découverte et de la première ferveur. Garât, disciple et
biographe de Suard, en rappelant l'œuvre ossianique de ce
dernier, constate que ces poèmes « ont porté dans la poésie
1. Barbier et Desessartz, p. 269.
2. Puhliciste, 22 thermidor an IX.
3. Chérade-Montbron, Les Scandinaves, 1801, p. XVIII.
4. P. -A. Lebrun, Le Village abandonné, etc., p. X.
5. Voir plus haut, livre III, chapitre III.
a34 Ossian en France
un peu usée du Midi des images, des tableaux, des mœurs
et des passions, où les talents poétiques ont pu se rajeunir
comme dans un monde naissant, où ils ont pu recevoir des
inspirations, lorsqu'ils n'y trouvaient pas des modèles, parce
que l'analyse va bien plus loin que l'imitation '. » On recon-
naît l'idéologue à la conception et au style. D'autre part,
la réédition de Le Tourneur par Didot en 1810, dont nous
avons parlé plus haut, a certainement fait lire ou relire de
beaucoup de personnes l'important Discours Prélimi7iaire
du traducteur, et les éloges, discrets d'ailleurs, qu'il donne
à Ossian, ou plutôt à ses héros et à leurs mœurs. Enlîn,
il faut s'arrêter un peu davantage à une troisième publica-
tion, qui celle-là était une nouveauté, au moins pour les
Français, et qui a certainement contribué à affermir ou à
prolonger l'ossianisme chez nous : je veux parler de la tra-
duction du Cours de Rhétorique de Blair *.
Cet ouvrage est le plus parfait modèle de l'enseignement
théorique de la littérature, tel que le pratiquait un Le Bat-
teux,avec ses genres, ses règles, ses figures, tout cela classé,
étiqueté, numéroté ne varietur. Or toute cette machinerie
classique si compliquée ne semble montée qu'en faveur d'Os-
sian. En présentant au public Blair et son ouvrage, le tra-
ducteur rappelle le rôle capital que le docteur avait joué
dans les premièrespublications de Macpherson, et sa fameuse
Dissertation qui « réussit à inspirer beaucoup d'intérêt pour
la poésie erse ». Mais il est impossible d'oublier, en par-
courant l'ouvrage de Blair, qu'il fut le premier parrain d'Os-
sian en Ecosse, en Angleterre et en Europe. Quoiqu'il em-
prunte ses exemples à toutes les littératures, depuis l'Ecriture
et Homère jusqu'aux Anglais ou aux Français qui le pré-
cèdent immédiatement, Ossian est l'auteur qu'il cite le
plus souvent : c'est un trésor inépuisable, où l'on est sûr de
trouver toutes sortes de beautés. Que l'auteur traite Du
Sublime^ De la Métaphore, De r Apostrophe, De la Compa-
raison, De la Poésie descriptive, Ossian, toujours Ossian
lui fournira ses exemples. Il sert même à corriger Pope.
Oui, le classique, l'élégant, l'irréprochable Pope reçoit des
1. Garât, Mémoires sur M. Suard... 1820, I, 154.
2. Hugues Blair, Cours de Rhélorique et de Belles-Lettres, trad. P. Pré-
vost, Genève, 1803, 2 vol. in-8. Réédité en 1821.
Le « Cours de Rhétorique » de Blair 235
leçons de style du Barde primitif et sauvage. 11 délaye en
trois expressions la même image d'Homère, tandis qu'Os-
sian, qui sait « frapper l'imagination d'un seul coup », a
trois lignes parfaites, qui font voir l'objet. 11 a des métaphores
incohérentes, tandis qu'en voici deux d'Ossian qui, dans le
même genre, sont parfaites. Tel passage de Fingal figure
avec honneur entre Virgile et Quintilien. Ossian est un clas-
sique pour Blair, et l'égal des plus grands ; il le sera aisé-
ment pour les lecteurs de son ouvrage. Ces lecteurs ont été
assez nombreux : car le Cours de Rhétorique et de Belles-
Lettres est l'objet d'une seconde édition en 1821 . Dans l'in-
tervalle^ il fournissait une page à une anthologie de lectures
anglaises, et cette page était justement une de celles où Blair
explique par le menu le sublime de son cher Ossian \ Ce
choix témoigne qu'aux yeux des auteurs de la collection,
grammairiens fameux et fabricants accrédités d'ouvrages
scolaires, Ossian figure dignement dans une chrestomathie
classique.
Ces trois admirations-là sont des survivances. Les nou-
veaux amis du Barde aiment surtout en lui le paysage et
les sentiments. On ne peut guère lui refuser « la majesté
des images, le pittoresque répandu dans la description ^ »,
et « des beautés d'un genre qui frappe dans tous les temps
les hommes de goiit et les âmes sensibles ' » — « Il est
dans la vie, dit un autre critique, des moments où la mélan-
colie est voluptueuse, où la tristesse est presque un besoin...
Combien alors doit être chère la lecture d'Ossian * ! » Et
même cette lecture nous rendra meilleurs. Les détracteurs
même du Barde admettent que « ses chants plaisent aux ima-
ginations sensibles » ; surtout «le début des élégies d'Ossian,
— car on peut donner ce nom à ses poèmes — s'empare tou-
jours de l'âme et appelle la rêverie ^ ». D'autres juges, même
sévères, trouvent fort poétique cette conception qui « assigne
les nuages pour demeure aux âmes des héros, et qui les
1. Noël et Ghapsal, Leçons anglaises de littérature et de morale, 1817,
1,468.
2. P. -A. Lebrun, Le Village abandonné, etc., p. X.
3. Puhliciste, 22 thermidor an IX.
4. Les Quatre Saisons du Parnasse, pi-intemTps 1805, p. 252.
5. Œuvres de Fontanes, 11, 199.
236 Ossian en France
rend ainsi témoins des peines et des plaisirs de leurs parents
et de leurs amis ' ». La Décade ayant raillé le Barde et ses
chants, un ossianiste libre penseur lui écrit pour relever
certaines de ses assertions:* J'abandonne très volontiers le
style ossianique, mais c'est des poésies d'Ossian elles-mêmes
qu'il faudrait écarter l'arme trop meurtrière du ridicule '. »
Si elles ne sont pas goûtées davantage du peuple, c'est
qu'une éducation théologique a vicié son esprit. Si elles pa-
raissent barbares, c'est comme Homère pouvait le paraître
au siècle de Pisistrate. Toute la lettre est fort curieuse '.
Les poètes apprécient dans Ossian les sentiments délicats
ou pathétiques. Un d'eux lui est surtout reconnaissant de
la tendresse qui chez lui « adoucit les tableaux guerriers* ».
Michaud, nous l'avons vu, trouve en lui le plus parfait modèle
du vrai poète, dont l'imagination anime, personnifie tous
les objets naturels \ Dans les chants du Barde, c'est le paysage
qu'il faut retenir, c'est lui qui doit inspirer. « On peut donc
permettre aux jeunes littérateurs de chercher encore dans
la poésie gallique de nouvelles couleurs pour peindre la
nature ". » Cette nature est effrayante, lugubre ? « C'est
peut-être, continue Esménard, une des causes secrètes de
l'intérêt qu'inspire la lecture d'Ossian dans les doux climats
de la France et de l'Italie. »
Ceux même qui ont été le plus impitoyables pour l'authen-
ticité des productions de Macpherson et de Smith recon-
naissent hautement l'intime attrait, le charme mystérieux
de la poésie qu'ils ont créée. C'était le cas de miss Owenson,
l'auteur de Glorviiia ; c'est aussi le cas de Boissonade. Après
avoir traité Macpherson de charlatan, il continue :
Mais il faut au moins estimer son talent. Il serait injuste de
ne pas reconnaître qu'il avait une imagination véritablement
poétique ; que ses ouvrages offrent de belles descriptions, de
beaux récits, quelques traits vraiment imposants, parmi beau-
1. Noël, Dictionnaire de la. Fable, 1, xi.
2. Décade, 10 prairial an XII : Aux auteurs de la Décade ; Garcliy près
Pouilly (Nièvre). Signé : Rcynier.
3. M"« Tcdeschi l'a analysée avec plus de détail, p. S.S-89.
4. Pierre Chas, Poésies diverses, 1809, p. 7.
5. Michaud, Le Printemps d'un Proscrit, 1803, p. 104.
6. Mercure, 1802, IV, 407, et 21 octobre 1809, p. 481.
Sympathies diverses 237
coup d"enflure, et des morceaux très pathétiques qui élèvent
l'âme et l'attendrissent •.
Le Méridional avisé, le critique défiant, a les mêmes impres-
sions que la sensible authoress. Après avoir rappelé le succès
d'Ossian dans les principales nations de l'Europe, il ajoute :
Ossian n'est plus une divinité classique, il n'a plus de culte,
plus d'admirateurs enthousiastes ; mais Macpherson trouve
encore des partisans. Les lecteurs éclairés rendent toujours jus-
tice aux beautés supérieures répandues dans ses ouvrages, et
les âmes mélancoliques et sensibles y vont chercher encore ces
émotions tendres où elles se plaisent, et qu'il sait quelquefois
merveilleusement produire.
Un autre encore, après avoir démontré très solidement
l'inauthenticité foncière d'Ossian, rend hommage à ses gran-
des qualités, qui '< doivent séduire les poètes lyriques, et
surtout les musiciens ^ ».
m
Les adversaires d'Ossian sont bien plus nombreux, parlent
plus fort, et jouissent d'une plus grande autorité. Les poètes
lui reprochent la tristesse et l'horreur de ses paysages et
de ses tableaux. Le même Saint- Victor qui avait admiré
Girodet et qui devait lui dédier son Uthal, prescrit au
poète voyageur de s'écarter du Nord et de ses « monts
affreux » :
Laisse, sur leurs sommets hérissés de frimas,
Le Barde fabuleux, entouré de nuages,
Au fracas des torrents mêler ses chants sauvages '.
Viollet-Leduc,en son .4 r/Poe7i*7«e résolument classique,
dit leur fait à Ossian et aux ossianistes français, sur le mode
ironique qui est le sien. Uy a là et de la parodie et de la satire :
D'Ossian imitons les funèbres accords,
Célébrons le torrent, et sur ses tristes bords
Du héros expiré montrons l'humide pierre ;
1. Journal de l'Empire, 10 septembre 1810 ; Boissona.de, critique litté-
raire, II, 50.
2. Les Quatre Saisons du Parnasse, printemps 1806, p. 238.
3. OEavres de Saint-Victor, 1822, p. 4': Le Voyage du Poète.
238 Ossian en France
Que les vents en tout temps soufflent sur la bruyère ;
De la reine des nuits que le disque argenté
Dérobe à nos regards sa tremblante clarté...
Que toujours le brouillard s'étendant sur la plaine
Comme un fantôme errant lentement s'y promène,
Et sur 1 e noir rocher que vont battre les mers,
Chantons, la harpe en main, au milieu des hivers'.
Quoique l'auteur de cette parodie ait à dessein chargé
Ossian de traits qui n'appartiennent qu'aux poètes Scandi-
naves — et encore ! — Colnet délivre au portrait un certi-
ficat de ressemblance, et ne semble pas regretter qu'on se
moque « des imitateurs d'Ossian ^ ».
Un autre poète, et qui compte, le grand Lebrun, le
Pindare de la France, proteste contre Ossian dans une pièce
bien connue, et qu'il faut pourtant citer. L'ode Sur Homère
et sur Ossian ' a seize strophes, dont sept et demie pour
Homère, six et demie pour Ossian, et deux de conclusion.
Après avoir loué Homère, le poète continue :
Mais Ossian n'a point d'ivresse :
La lune glace ses crayons.
Sa sublimité monotone
Plane sur de tristes climats;
C'est un long orage qui tonne
Dans la saison des noirs frimas.
Parmi les guerrières alarmes,
Fatiguant sa lyre et sa voix,
Il parle d'armes, toujours d'armes;
Il entasse exploits sur exploits.
De mânes, de fantômes sombres,
Il charge les ailes des vents;
Et le souffle de pâles ombres
Se mêle au souffle des vivants.
Ses fleuves ont perdu leurs urnes;
Ses lacs sont la prison des morts;
Et leurs naïades taciturnes
Sont les spectres des sombres bords.
1. Viollet-Leduc, Nouvel Art Poétique, 1809, p. 19.
2. Journal des Arts, des Sciences et de la Littérature, I, 228 (1810).
3. Œuvres de Le Brun,l, 408 [Odes, VI, 21).
Les Adversaires. Lebrun. Chénier. Fontanes 239
Il n'a point d'Hébé, d'ambroisie,
Ni dans le ciel, ni dans ses vers :
Sa nébuleuse poésie
Est fille des rocs et des mers.
Son génie errant et sauvage
Est cet ange noir que Milton
Nous peint, de nuage en nuage,
Roulant jusques au Phlégéton.
Vive Homère et son Elysée,
Et son Olympe et ses héros,
Et sa muse favorisée
Des regards du dieu de Claros!
V^ive Homère ! Que Dieu nous garde
El des Fingals, et des Oscars,
Et du sublime ennui d'un barde
Qui chante au milieu des brouillards!
Lebrun reproche à Ossian sa tristesse, sa monotonie, sa
froideur. Le second reproche est le plus fréquent ; le pre-
mier est mérité aussi, et si Ton n'aime pas les émotions
tristes, Ossian est un livre fermé ; le troisième montre seu-
lement que Lebrun l'avait peu ou mal lu, car nous savons
que le sentiment n'y manque pas, et même qu'il y déborde.
En réalité, ce jugement sévère s'explique par deux excel-
lentes raisons. Le vieux classique tient à répondre à Creuzé
de Lesser et à tous ceux qui se permettent d'élever la
mythologie d'Ossian au-dessus de celle des Grecs et des
Romains. Le vieux républicain tient à protester contre ce
qu'il entre d'adulation et de mode servile dans l'apothéose
du Barde, et, comme le dit Ulric Guttinguer, « sa haine et
ses plaisanteries contre Ossian proviennent en grande partie
de l'humeur du républicain contre le Consul qui s'était
déclaré le protecteur du vieux Barde ' ».
Les critiques de profession ont, comme de juste, des ar-
guments plus solides. Tous sont hostiles au Barde, sauf
Ginguené, et nous avons vu à quoi tient cette exception.
Ginguené, au reste, est déjà vieux et ne représente pas la
1. Du Classique et du Romantique, 1826, p. 233.
240 Ossian en France
critique militante de l'Empire. Deux de ces ennemis d'Os-
sian sont des transfuges du camp ossianique. Marie-Joseph
Chénier ne veut plus se souvenir sous l'Empire qu'il rima
sous le Directoire avec constance, avec goût, avec quelque
succès, cinq des poèmes du Barde. Critique et historien des
lettres, il représente la pure tradition classique et l'esprit
de Voltaire, du Voltaire des dernières années, de celui qui
fulminait contre Shakespeare et parodiait Ossian. Quoique
convaincu autant que M"" de Staël de l'authenticité des
poèmes, il est l'ennemi des idées qu'elle représente et, à
travers elle, il atteint Ossian. C'est dans son cours de 1800
à l'Athénée qu'à propos des Romans français il s'explique
sur ce point. Fontanes aussi a ossianisé dans sa jeunesse.
Mais l'auteur du Chant d'un Barde a bien renié son en-
thousiasme pour Fingal, pour Le Touiuieur et sa « muse
hardie ». Il professe, dès le Consulat, un classicisme intran-
sigeant. Toute note germanique dans la littérature lui est
odieuse '. Protégé de Napoléon, il ne va pas jusqu'à s'ins-
pirer de Morven pour faire plaisir au maître : tout au plus
sa Prophi'tesse gauloise de 1814 ^ laisse-t-elle apercevoir
qu'il a tenté jadis de ramasser la harpe du Barde. Mais son
point de vue, on le devine, est juste l'opposé de celui de
Chénier. L'un est républicain et, en fait de religion, en est
resté à l'Etre Suprême de Robespierre ; l'autre, serviteur
dévoué de l'Empereur, est un des chefs, avec Chateaubriand,
du retour au catholicisme. Dès 1795, il publiait dans le Ma-
gasin Encyclopédique, à propos de la traduction de Hill, un
article anonyme ', qui est certainement de lui, car on y
trouve plusieurs phrases qu'il s'est contenté de reproduire
textuellement en 1800 lors de sa polémique contre la Lit-
térature de M""" de Staël. Lui non plus ne doutait pas alors
de l'authenticité ; mais c'est justement parce qu'il croit
avoir affaire à un vieux barde athée qu'il proleste, nous
allons le voir, au nom de la poésie moderne qui a des be-
soins religieux à satisfaire.
Ce n'est certes pas la même raison qui explique les ré-
serves de la Décade, dont les rédacteurs sont tous philo-
1. Sainte-Beuve, Préface des Œuvres de Fonlanes.
2. Œillères de Fonlanes, I, 155.
3. Magasin Encyclopédique, 1795, V, 118.
Geoffroy. Hoffmann. Dussault. Auger 241
sophes et indévots. Si elle tient rigueur au Barde à partir
de 1800, c'est que ses nouveaux protecteurs le lui rendent
suspect. En rapprochant les nombreux passages que nous
avons empruntés à ce grand et intéressant journal, il est
aisé de constater qu'il a évolué en ce qui concerne Ossian,
son authenticité et sa valeur. On a reproché à mon prédé-
cesseur dans cette étude d'avoir trop simplifié les choses,
et d'avoir fait de la Décade uniquement l'adversaire du
Barde '. La vérité est qu'elle est d'abord impartiale et plutôt
sympathique : elle insère plusieurs imitations d'Ossian ;
Andrieux y donne l'article de 1796. Mais quand l'ossianisme
sert de tremplin à Baour, un ennemi des idéologues et de
l'Institut ; quand il est officiellement protégé par Bonaparte,
et se prête à chanter les louanges du Premier Consul, puis
de l'Empereur, la revue philosophique et indépendante
s'écarte dOssian, accueille avec plaisir les preuves de son
inauthenticité, et lance contre lui et ses imitateurs les traits
caustiques de la satire.
Mieux que par Ginguené, Boissonade, Chénier et Fon-
tanes, la critique professionnelle de l'Empire est représen-
tée par Geoffroy, Hoffmann, Dussault et Auger : c'est dans
cet ordre que les rangent assez naturellement et leur âge
et l'époque de leurs débuts. Depuis le temps lointain où
Geoffroy succéda à Fréron dans la rédaction de L'Année
Littéraire , il n'a pas laissé passer une occasion de protes-
ter avec son ton rogueet son humeur acariâtre contre toutes
les littératures du Nord, et particulièrement contre Ossian
et l'ossianisme. Critique dramatique, les pièces de théâtre
qu'ont fournies les poèmes du Barde lui seront autant d'oc-
casions toutes trouvées de fulminer contre 1' « Homère du
Nord » et ses sectateurs. Hoffmann, plus jeune et beaucoup
moins solennel, auteur agréable de livrets d'opéras-comiques
et de comédies, juge Ossian moins au nom des grands prin-
cipes de l'art que d'après l'esprit français, qu'il confond,
comme tant d'autres, avec le sien. Dussault est anti-classi-
que et met une obstination candide, à moins qu'elle ne soit
intéressée, à ne rien reconnaître de bon dans les littéra-
1. P. Hazard, compte-rendu de A. Tedeschi, Ossian... en France (Revue
d'Histoire littéraire de la France, 1912, p. 222).
24* Ossian en France
tures du Nord.Holîmann niait rauthenticité ;Dussault paraît
y ajouter foi, mais leur jugement final est le même. Auger,
si fameux plus tard par sa diatribe publique contre les Ro-
mantiques, n'est pas ennemi, sous l'Empire, d'une littéra-
ture d'inspiration médiévale et chrétienne ; mais il n'a pour
Ossian que du mépris : ses tableaux lui font horreur et son
style lui fait pitié. A ces quatre aristarques joignons Esmé-
nard, plus jeune qu'eux tous, versificateur insipide et fonc-
tionnaire docile ; s'il est trop peu poète pour sentir Ossian,
s'il le malmène autant que les autres, il a cependant quelque
intuition des nouveautés qu'il apporte. Il est surtout beau-
coup mieux informé qu'eux touchant Macpherson et l'au-
thenticité. Mais il a ceci de particulier qu'il répète les autres
et se répète lui-même. Son article de fond sur Ossian, qui a
douze pages, a eu pour occasion la traduction de d'Arbaud-
Jouques et a paru en prairial an IX dans le Mercure * ; il
est réimprimé dans le même journal en 1809 ' ; il passe de
là à V Ambigu de Peltier un mois plus tard'. D'autre part,
cet article s'inspire de très près des critiques faites à
M"" de Staël et à sa Littérature par Chateaubriand et Fon-
tanes, qu'il pille tous deux quand il ne les cite pas. Au
premier appartient : «Macpherson a chanté ses montagnes,
son parc, et le génie de sa religion. » Au second : « Il y a
plus de cordes à la harpe d'Isaïe qu'à celle du Barde. » Ce
critique à la suite nous fournira donc moins que les autres.
IV
Tous sont également adversaires d'Ossian ; mais ils le
sont pour des raisons assez différentes. Plusieurs insistent
de préférence sur une impression générale d'obscurité et de
tristesse pénible, qui résulte en partie de la monotonie de
ces poèmes. Dans ce « fatras monotone, mêlé de quelques
beautés », on ne trouve que « l'amour fatal et malheureux,
et un paganisme aussi lugubre que celui des Grecs était
1. Mercure de France, 1802, IV, 407.
2.1h., 21 octobre 1809.
3. L' Ambigu, Londres, 30 novembre 1809.
La monotonie et la tristesse 243
riant et poétique ». Et Ghénier poursuit en jetant Tana-
thème sur les « barbares modernes » qui l'ont « mis avec
complaisance à côté des brillants chefs-d'œuvre d'Homère ».
Qui sont ces barbares? M"' de Staël sans doute, mais aussi
des « écrivains anglais et allemands » ; heureusement
« cette opinion exagérée n'est guère admise parmi les litté-
rateurs français ' ». Cette protestation de Chénier est à ranger
à côté de l'ode de Lebrun : c'est la réaction du goût pour
l'antique et la mythologie, et c'est une de ses dernières mani-
festations.
Cette monotonie engendre l'ennui, plutôt qu'une véritable
mélancolie. On peut bien se laisser prendre à « cette espèce
d'intérêt que le charme de la simplicité inspire au premier
moment » ; mais on trouve bientôt que « les cordes de la
harpe d'Ossian peuvent avoir un son touchant, mais elles
sont en trop petit nombre ». Cette monotonie « explique
le peu de popularité d'Ossian ». Il n'a que « fort peu d'idées
et un petit nombre d images lugubres ». « Est-il question
de poésie des Bardes, dès qu'on a nommé Malvina et Fingal,
qu'on a parlé de palais de nuages, de rochers de glace, d'un
bouclier rond comme la lune, et entremêlé ces beaux sou-
venirs des mots de mélancolie et de rêverie, on a tout dit. »
Pour apaiser les admirateurs d'Ossian qu'elle a scandalisés
« en parlant avec irrévérence du patron de la mélancolie »,
la Décade admet que « cette couleur triste, mais agréable
à l'œil, employée à d'autres tableaux, ajouterait à l'intérêt
de situation son charme mélancolique » : c'est ce qu'a tenté
Parny dans Isitel et Asléga ^ Au contraire de Lebrun et de
Chénier d'une part, qui opposent aux fantômes ossianiques
la « riante mythologie d'Homère », au contraire de Fon-
tanes et de Chateaubriand d'autre part, qui reprochent au
Barde son absence de religion, certains estiment que ce
qu'Ossian présente de plus heureux, c'est sa mythologie :
Macpherson « était un bon théologue poétique ^ ». Ceux
qui n'accordent même pas ce point à Ossian insistent sur
« l'ennui plus fort que l'admiration », sur cette « monoto-
1. M.-J. Ghénier. Tableau historique...,chap. VII, p. 131 et 152.
2. Décade, XLI, 347 (30 floréal an XII).
3. Ih., LI, 102 (11 octobre 1806).
344 Ossian en France
nie assommante ». Pour GeoiTroy, cette mélancolie si fort à
la mode, loin d'être la pierre de touche des belles âmes, est
« une maladie des hordes septentrionales... Tous les sauva-
ges sont mélancoliques *. » En lisant cet article, Edmond
Géraud note dans son Journal que GeoiTroy parle du genre
ossianique « à peu près comme Sganarelle parle du foie et
de la rate », puisqu'il s'agit « d'un genre et d'un poète qu'il
avoue lui-même ne pas connaître » ; ce qui rend admirable
« le ton d'assurance de notre Aristarque » dans cet article
«fait sans doute après boire, comme tant d'autres ' ». — Il
faut surtout blâmer les imitateurs de « je ne sais quel
chantre sauvage dont la harpe incomplète n'a rendu que des
accords monotones et dissonants' »: Nodier par exemple ;
l'article est consacré aux Chants d'un Z?a;'^e. Ailleurs encore,
même dégoût de cette « sécheresse », de cette « uniformité
de traits et de couleurs * », grand danger pour ceux qui,
comme Chérade-Montbron, essaient d'ossianiser ^
Cette poésie monotone et lugubre a le tort de ne dérou-
ler aux yeux qu'un paysage affreux et repoussant. Partout
« des images funèbres, une poésie de cimetières et de ca-
vernes ° » : Geoffroy vient de voir jouer Les Bardes de
Le Sueur. Ces poésies « peignent seulement une petite par-
tie de la nature, la partie la plus triste, et la peignent ex-
clusivement. On trouve des rocs, des vents, des nuages, des
tempêtes, des torrents, des tombeaux, dans tous les poètes
anciens ou modernes ; ils y font opposition, et ne reviennent
pas sans cesse fatiguer le lecteur. Dans les chants ossiani-
ques, au contraire, ils sont le fond et la forme, le principal et
l'accessoire, le but et le moyen. » Les chants arabes « par-
lent sans cesse de sable et de palmiers, ceux-là de chênes
et de bruyères... tandis que nos classiques puisent dans la
nature entière, y trouvent toutes les couleurs et toutes les
1. Journal de l'Empire, 21 mai 1806.
2. Edmond Géraud, Fragments de Journal intime, p. 30 (mai 1806).
3. Décade, XLII, 294 (20 thermidor an XII).
4. Noël, Dictionnaire de la Fable, Préface.
5. Mercure de France, A août 1801.
6. Journal des Débats, 23 messidor an XII ; Geoffroy, Cours de Litté-
rature dramatique, V, 57.
Le paysage et le style 245
formes ' ». Le même Hoffmann applaudit aux railleries du
Nouvel Art Poétique de Viollet-Leduc % et constate avec
plaisir que dans VHistoire d'Irlande de Gordon, nouvelle-
ment traduite, on trouve des arguments contre l'authenti-
cité ^ Auger est, lui aussi, particulièrement sensible au
triste décor ossianique ; et ses expressions ressemblent
d'une manière frappante à celles que Monti devait employer
en 1825 dans son Sermone sulla Mitologia :
Le délicieux Elysée a été remplacé par des palais de nuages ;
le riche bouclier d'Achille et le casque étincelant d'Hector, par
des arcs de vapeur et des lances de neige ; le chêne prophé-
tique par le pin lugubre ; le tertre émaillé de fleurs par la pierre
grise du tombeau; la rose vermeille et odorante par l'aride fou-
gère. La poésie et l'imagination n'ont-elles pas beaucoup gagné
à cet échange * ?
Ces puristes ne sont pas moins offensés du style ossiani-
que. S'ils n'instruisent pas à cet égard le procès du Barde
avec autant de détail que Morellet le faisait pour Atala,
ils jettent les mêmes cris d'effroi qu'eux-mêmes ou leurs
successeurs feront entendre après 1825 devant la marée
montante du romantisme. Dussault refuse aux peuples du
Nord le sens de l'harmonie, qu'il accorde à ceux du Midi,
y compris les nègres. Cet « air épais et glacé » ne peut
retentir que de « chants sauvages ». Nous voilà bien loin
de M""" de Staël. « C'est donc bien vainement que Ton a
prodigué tant d'esprit pour nous persuader que les hymnes
des Bardes et des Druides, que les sons de la lyre d'Odin
et d'Ossian étaient préférables aux accents divins des Ho-
mère et des Virgile ^ » C'est l'esprit des Débats, c'est celui
de Geoffroy ; mais Dussault surveille trop peu ses expres-
sions, car personne n'a jamais parlé de la lyre d'Odin ni
des hymnes des Druides. L'article passe des Débats au Spec-
1. OEuvres de Hoffmann, III, 354-356 : Du genre ossianique.
2. Ih., IX, 443.
3. Ib., VI, 354.
4. Auger, Mélanges philosophiques et littéraires, I, 512 : Imitateurs
d'Ossian.
5. Journal des Débats, 21 mai 1801 (à propos des Scandinaves de Ché-
rade-Montbron) ; Dussault, Annales LiLiérnircs, 1, 106.
246 Ossian en France
tateiir du Nord ' : idée bizarre, et peut-être malencon-
treuse, que de réimprimer « en Basse-Saxe » ces aménités
à l'endroit des peuples septentrionaux et de leur littéra-
ture. Auger n'a pas moins de mépris pour le « style ossia-
nique », dont le « débordement » lui paraît « une chose
bien déplorable ». C'est un « jargon bizarre et incorrect »,
un « style barbare », dont « on atTuble des idées fausses
ou incohérentes, des images dépourvues de grâce et de
justesse ». Nous avons vu si la langue des ossianistes de
l'Empire reste timidement classique et traditionnelle ; ce
n'est pas encore assez pour ce gardien du sanctuaire :
« Que surtout on respecte la langue ! s'écrie-t-il. Rien ne
dégage de cette obligation *. » Plus particulièrement, il
signalait une autre fois, à propos des Chants d'un Barde
de Nodier, l'affectation de 1' « école ossianique » à employer
« des expressions familières ot même basses ' ». On croit
rêver. De la familiarité dans Ossian ! de la bassesse ! Y a-t-
il auteur au contraire d'une noblesse plus constante et
d'un raftînement plus soutenu ? Ses imitateurs renché-
rissent sur lui à cet égard. Si l'on veut pourtant trouver
un sens aux paroles d'Auger, il faut admettre, je crois,
qu'il entend par ossianique toute poésie imitée des Anglais
ou des Allemands, et qui se plaît à un certain réalisme, à
un certain pittoresque d'expression ; bref, toute poésie
romantique. Ce n'est pas la seule fois que nous voyons
l'ossianisme singulièrement élargi ou transformé par ses
adversaires. En tout cas, Ossian demeure pour tous ces
critiques un amas confus de « romances ampoulées » et le
type du « galimatias septentrional * ».
Ils sont à peu près unanimes à blâmer la monotonie et la
tristesse, le paysage et le style ; mais Fontanes, soutenu
par Chateaubriand, apporte une objection plus neuve. Il
est curieux d'observer en passant qu'il trouve dans la so-
ciété que peint Ossian l'origine, tant cherchée par les savants,
de la chevalerie, de la Table-Ronde, et des paladins ; c'est
1. Spectateur du Xord, XIX, 58 (juillet 1801),
2. Augcr, Mélanges philosophiques et littéraires, l, 512.
3. Décade, XLII, 294 (20 thermidor an XII).
4. Journal des Débats, 23 messidor an XII ; Geoffroy, Cours de Litté-
rature dramatique, V, 57.
Fontanes et l'irréligion d'Ossian 247
même déjà la chevalerie « avec plus de simplicité, et sans
ce mélange de préjugés gothiques qui la défigurèrent en
des temps postérieurs ». Mais voici qui est plus important.
La monotonie de cette poésie a pour cause l'absence de
religion. La seule croyance qu'on y rencontre, la survie des
héros dans les nuages, « n'offre qu'un merveilleux assez
triste et bien vite épuisé ». On ne trouve dans tous ces
poèmes « aucun point de vue consolant ». Et voici qui est
plus net encore :
Ossian m'attendrit sans doute quand il me conduit au tom-
beau de ses pères ; mais il faut qu'une divinité veille autour
des tombeaux pour leur donner plus d'intérêt et les rendre
sacrés...
C'est l'idée d'un Dieu qui féconde les arts, comme elle anime
le spectacle de la nature '.
De là cette supériorité de la poésie des Hébreux, où
Racine a puisé Alhalie, et d'où il aurait pu emprunter
d'autres chefs-d'œuvre, tandis que d'Ossian l'on ne pourrait
tirer qu'une seule pièce. C'est qu' « il y a plus de cordes
à la harpe de David et d'Isaïe qu'à celle d'Ossian », C'est
la première fois que nous voyons le Barde moins goûté
pour cet athéisme même qui l'avait fait tant estimer d'un
siècle incroyant. Le vent va tourner : Ossian en ressent
un des premiers effets.
Fontanes revient à la charge cinq ans plus tard, et ré-
pète mot pour mot deux des phrases que je viens de citer.
Il insiste davantage sur le principal défaut des poèmes
ossianiques, qui est de manquer de religion. Le merveil-
leux calédonien « est assez triste et bientôt épuisé. Il peut
amuser un instant l'imagination, il ne la nourrit pas ^ »
II attendrit ; il ne console pas. Au contraire, les maîtres
de la Httérature du Nord, « Milton, Young, Klopstock,
Shakespeare lui-même » doivent leurs beautés à la Bible :
ils offrent le caractère de la poésie hébraïque. Pour Cha-
teaubriand et Fontanes qui sont en étroite communion
d'idées et emploient les mêmes expressions, pour Esmé-
nard qui les copie % pour les initiateurs de la renaissance
1. Magasin Encyc opédique, 1795, V, 118.
2. Mercure, messidor et thermidor an VIII ; Œuvres de Fontanes, II, 184.
3. Ib., 1802, IV, 407 ; et 21 octobre 1809.
248 Ossian en France
religieuse du Consulat, Tadmiration pour Ossian ne peut
que dévier la littérature et le goût public de la voie natu-
relle à la France, dont le philosophisme du xviii- siècle et
l'engouement pour certains modèles étrangers ne l'ont que
trop détournée, celle de la poésie chrétienne et tradition-
nelle.
Aucun de ces critiques n'a même essayé de donner une
étude d'ensemble dans laquelle les défauts du genre fussent
exposés en bon ordre et avec un juste développement ; ils
ont multiplié les boutades, les sarcasmes, les allusions, les
chicanes de détail et les inexactitudes. Si l'on cherche ce-
pendant à retrouver dans cette poussière d'idées les direc-
tions générales de l'opposition à Ossian, on s'apercevra, je
crois, que ce qui les choque avec raison dans ses poèmes,
c'est l'absolu manque de vérité. L'art, pour eux, c'est avant
tout la nature imitée par l'homme, et rendue plus agréable
à l'homme que la nature même ; ce sont des attitudes, des
sentiments, des idées, des discours, vrais comme la vie, mais
plus intelligibles et plus sensibles que la vie même, parce
que l'esprit les a choisis, interprétés et rendus. Disciples de
Boiieau, ils n'aiment que « la nature » et estiment que « d'abord
on la sent». A cet égard ils se plaignent de ne trouver dans
Ossian et ses imitateurs aucune satisfaction. Si au contraire
le but n'est pas de se pencher sur son âme ou celle des
autres pour y lire, mais de fuir ce qui est, pour rêver à ce
qui pourrait être ; si l'imagination prend le pas sur la rai-
son, si l'idéal fait oublier ou dédaigner le réel ; alors l'âme
part des nuages d'Ossian pour s'envoler au pays des chi-
mères ; alors ces êtres sans consistance, que la raison juge
creux et faux, l'imagination se plaît à les animer d'une vie
fugitive ; surtout elle se plaît à habiter ces déserts, où rien
ne la rappelle à la réalité, et qui deviennent le cher asile de
ses rêves. Nos critiques de l'Empire ne sentent pas, comme
Faust, deux âmes dans leur poitrine ; ils n'envient pas,
comme lui, l'aile de l'oiseau ; et, fidèlement attachés à la
doctrine d'imitation et de vérité qui est la grande doctrine
classique, ils protestent une dernière fois, avant de tomber
un à un devant le romantisme envahissant, contre une
poésie dont ils n'ont devant les yeux que de prétentieuses
ou de naïves contrefaçons, et dont le véritable intérêt, la
Point de vue de ces critiques 249
véritable portée se trouvent dans des régions de l'âme qui
paraissent leur être étrangères.
Remarquons enfin que pour ces critiques attardés et
maussades, résister à Ossian, c'est défendre la poésie d'ins-
piration mythologique et gréco-romaine ; goûter Ossian,
c'est porter une main sacrilège sur les trésors de la belle
antiquité. La bataille à laquelle ces vétérans tiennent à
prendre part, si débile ou si gauche que soit parfois leur
bras, ne se livre pas entre la poésie ossianique et une poésie
pure d'alliage, nationale, naturelle : ils ne visent qu'à pré-
server de toute atteinte la poésie classique gréco-romaine.
Comme Monti, Hoffmann ou Dussault, Geoffroy ou Auger
reprochent à 1' « audacieuse école boréale » de substituer le
Nord et ses frimas, Morven et ses brumes, au clair soleil,
aux riants paysages de la Grèce et de l'Italie, Fingal à Enée,
Oscar à Hector, Odin à Jupiter et Apollon. C'est, sur le
sol français, la guerre entre deux mythologies et deux
légendes, entre deux domaines de l'imagination et du lan-
gage. Ce n'est pas la France ni la poésie française qui ré-
siste et se défend ; de la France, il n'est jamais question. Nos
critiques n'occupent donc qu'une position peu solide et à
peine tenable. L'ossianisme, contre lequel ils luttent de
leur mieux, n'est que l'avant-garde de la grande armée ro-
mantique, qui aura vite fait de submerger la citadelle et ses
défenseurs.
Pour le moment, ils pouvaient se rassurer en jetant les
regards autour d'eux ; la marée montante de Tossianisme sous
J'Empire ne submergeait pas tout le domaine des lettres,
et ce mouvement dont ils étaient les spectateurs ironiques ou
grondeurs n'allait pas, même dans la poésie, sans rencontrer
des obstacles. Il ne faut même pas croire qu'à aucun mo-
ment la note ossianique ait été dominante. Dans son ensemble,
cette poésie, ou ces volumes de vers qui se donnent pour
de la poésie, restent classiques et de genre et de style. De
toutes parts on rencontre des monuments d'un art timide
â5o Ossian en France
OU suranné, qui limitent étroitement le champ où règne Os-
sian. Le classique intransigeant, le pur gréco-romain, ou
soi-disant tel, avec tout l'attirail défraîchi de la mythologie
traditionnelle, règne exclusivement dans quantité de vo-
lumes. Ecartons les chefs, les vétérans du Parnasse français,
qui sont indifférents comme Delille, hostiles comme Lebrun,
ou portés comme Parny à des concessions maladroites. Ecar-
tons leurs élèves, et ceux qui étayent de leurs noms respec-
tés une œuvre chancelante et bâtarde :Chaussard ',1e sous-
Lebrun, « élève, ami du Pindarede la France- », obstinément
classique en des sujets nationaux ; de Charbonnières % « ne-
veu et élève » du grand Delille, qui doit tout à l'antiquité,
sauf quelques emprunts à Pope, à Gay, à Gray. Ecartons
encore, pour être absolument justes, ceux qui sont, comme
Legouvé *, les poètes de la famille, des émotions douces,
des intimités ; ceux qui, comme le comte de Saint-Leu
(Louis Bonaparte) sont élégiaques et moraux ^ ; ceux qui
professent que leur poésie ne traite que de l'homme, qui,
en protestant contre l'abus du genre descriptif, veulent re-
nouer la tradition du vrai classicisme, et qui, fidèles au mot
de Pope, The proper sttidy of niankind is man, s'écrient
avec Clovis Michaux :
Peintres du monde, étalez ses merveilles;
L'homme avant tout est l'objet de mes veilles*.
Mais exhumons de l'oubli, d'ailleurs mérité presque tou-
jours, où depuis un siècle ils gisent ensevelis, ces recueils
de vers que voyaient paraître les années 1802, 1803,1804,
le moment de la plus grande vogue d'Ossian ; ceux sur-
tout qui sont des œuvres de débutants, ces volumes brochés,
à tirage restreint, nous dit-on, à débit plus restreint encore.
Y trouverons-nous l'inspiration ossianique ? Les chants du
Barde les ont-ils nuancés d'une teinte nouvelle ? Non, ou
1. Chaussard, Fr 3(7 ni en <s (/'un Poème .sur les Victoires nationales (an VII)'
Chant de paix et de victoire ; Les Triomphes et la Paix, ode, 1807.
2. Les Triomphes et la Paix, Préface.
3. A. de Charbonnières, Essai sur le Sublime, poème en 3 chants, 1814.
4. Œuvres de Legouvé, 1826 (Legouvé est mort en 1812).
5. Comte de Sainl-Leu, Odes, 1814.
6. CI. Michaux, Les douze Heures de la Nuit, 1826 (écrit avant 1803).
Influences rivales et limites 25i
bien rarement ;etla raison peut-être, c'est que leurs auteurs
sont versificateurs plus que poètes. Du moins la lecture
des poèmes ossianiquesa-t-elle rafraîchi, renouvelé leur lan-
gage ? Point. Un recueil manuscrit qui paraît dater de cette
époque, s'il fait dans ses effusions patriotiques une certaine
place au genre troubadour, ne doit rien à Ossian i. Les La-
vedan -, les Lamotte \ les Gensoul * ne sont pas touchés
du grand souffle de Calédonie.Dans les années qui suivent,
les Murville % les Morin \ les Lecornu ', les Pfluguer '
ignorent Ossian en des sujets qui pourraient l'appeler. Mais
peut-être que ces poétereaux intimes l'ont négligé plutôt
qu'ils ne l'ont ignoré. Que dire de celui qui rend compte
de la traduction du Voyage dans les Hébrides de Johnson '
sans faire la moindre allusion à Ossian à propos de ces lieux
qu'il a rendus fameux, ni à la querelle qui a mis aux prises
Macpherson et le docteur? ou d'un poème qui situe en l'an
728 une aventure d'amour '" et qui n'utilise aucun souvenir
bardique ? Voici un Hymne au Soleil '^; voici une invoca-
tion à l'Etoile du Soir '^ ; voici des poésies sur la Nuit ^^ ;
voici, de Chênedollé, des aurores et des clairs de lune '* ;
thèmes essentiellement ossianiques, mais rien n'y décèle
l'influence du Barde. Et Pierre Lebrun qui lisait Ossian,
nous l'avons vu, qui a visité l'Ecosse, qui a été l'hôte de
W. Scott, ne rafraîchit pas sa poésie à cette source neuve *^
Ceux-là sont exclusivement classiques, et ne doivent rien
à aucune inspiration étrangère. D'autres ont puisé aux sources
1. Recueil de Chants, Hymnes... (Bibliothèque de l'Opéra, Manuscrits,
226 D).
2. J-B. Lavedan, Lej Arts, poème, an X.
3. Lamotte, Mon Portefeuille, 1803.
4. G[ensoul], Mes premiers pas, 1803.
5. Murville, L'Année cham-ètre, 1808.
6. Morin, Gênes sauvée, poème, 1809.
7. Lecornu, Poésies fugitives, 1810.
8. Pfluguer, Les Amusements du Parnasse, 1811.
9. Journal des Débats, 14 mars 1804 'article de Jondot).
10. D [u] B [ois], Geneviève et Siffrid, correspondance inédite du
VIII" siècle, 1810.
11. Almanach des Muses, 1803, p. '199: Hymne au soleil, par Butignot.
12. Coupigny, Romances et Poésies diverses, 1813, p. 14.
13. Cl. Michaux, Les douze Heures de la Nuit.
14. Almanach des Muses, 1S02, p. 11.
15. Œuvres de Pierre Lebrun, 1861.
a5a Ossian en France
d'Albion ou de la Germanie. On ignore Ossian, et l'on con
naît plusieurs poètes anglais dont le genre avoisine plus ou
moins le sien : comme ce Leuliette, idiot jusqu'à l'âge de
quinze ans, puis professeur à l'Athénée de Paris, qui en est
resté à Thomson et Young '. Celui-ci est encore assez ac-
crédité, car on le met en chansons :
Maître Young-, rêveur crédule.
Aimait la lune et la nuit... ^
De même Milton dans ChênedoUé *, dans Trappe *, qui
l'imitent et le traduisent. Thomson figure ici et là, notam-
ment dans le Mercure \ Ce Mercure, \evs la fin de l'Empire,
est intéressant à étudier au point de vue des sources litté-
raires d'inspiration poétique : de Moïse et Anacréon à Métas-
tase et Gessner, c est une curieuse mascarade où vingt-cinq
siècles et dix littératures fournissent les costumes et les
attributs. Les romans, Valérie, Praxède % offrent le même
amalgame bizarre de lectures ; dans Valérie seul figure
Ossian, et nous l'y avons rencontré.
Gessner mérite une place à part : sa vogue est ancienne
et dure toujours. Un certain Léonard le traduit pendant
l'émigration ou sous l'Empire '; le hussard Blanchet limite
vers 1800 ' ; l'aveugle Rosny s'inspire du « Théocrite zuri-
cois » et non de l'aveugle Ossian °. On le rencontre chez
Sarrazin en 1802, chez Frénilly •", chez Chas '*,chez de Piis '-,
chez Armand-Gouffé '^ : celui-ci ossianise aussi, mais à très
petite dose.
Concluons sur cette fastidieuse énumération d'inconnus,
1. Leuliette, Tableau de la. Littérature en Europe, 1809.
2. De Piis, Œuvres choisies, mo,iy, 51.
3. Œuvres de ChênedoUé, p. 361: Ode VII : Milton (1814).
4. De Trappe, Variétés en vers et en prose, 1808.
5. Mercure, 1814 : deux imitations de Tliomson.
6. Aug. Lambert, Praxède, 1807.
7. Joseph Léonard, Début poétique, 1823.
8. Aug. Blanchet, Poésies, 1805.
9. Rosny, Amusements poéticiues d'un aveugle, 1804.
10. De Frénilly, Poésies, 1807.
11. Pierre Chas, Poésies diverses, 1809.
12. De Piis, Œuvres choisies, iSlO.
13. Armand-GoufTé, Ballon d'essai, 1S02.
Conclusion sur cette période 2 53
et sur leurs vers plus fastidieux encore, on peut le croire.
Ossian frappe assez fortement ceux qu'il a touchés ; mais
il ne touche qu'une minorité parmi les poètes. Peut-être
est-il trop nouveau; pas plus que Young ou Gessner. Peut-
être est-il trop âpre, trop barbare, trop étrange aussi, en
un mot trop différent. 11 effraie les poètes, surtout les
médiocres ; il ne tente guère: les débutants. Nous avons vu
son rôle dans la grande poésie presque officielle. Quand la
poésie asthmatique de l'Empire veut se guinder au sublime,
elle tend les ailes au souffle de Morven ; mais Ossian ne
fournit que peu de chose à la poésie ordinaire, timide, édul-
corée ou mièvre, et si prosaïque! On lui préfère souvent les
dissertations d'Young,et surtout les bergeries de Gessner.
En prose au contraire, nous l'avons vu, Ossian s'impose à
l'attention des critiques, parce qu'il pose des problèmes que
ne posent ni Young ni Gessner. Aussi est-il à chaque ins-
tant question de lui dans les revues, les journaux, les ou-
vrages d'histoire littéraire ou de critique.
Pour conclure sur cette époque, Ossian complété par Hill,
imposé par le goût du maître, versifié par Baour-Lormian,
popularisé parla cantate, la romance, le théâtre, la vignette
et la peinture, connaît un moment de grande vogue sous
le Consulat et l'Empire. Parallèlement à cette vogue, un
grand courant de sympathie fait aimer le Barde de certains
poètes à qui manque le talent, de certains solitaires rêveurs
qui lui vouent un culte discret. Ceux même qui ne croient
pas à l'authenticité d'Ossian se laissent entraîner au charme
de ses poèmes. Les contemporains le comparaient à un
harmonica ' dont les notes frêles et cristallines éveillent
une émotion moins puissante que délicate. De plus se-
crètes harmonies lui attiraient les cœurs. « Chaque rêveur
retrouvait là les émotions de ses promenades solitaires
et de ses rêveries philosophiques \ » Il transportait
ses lecteurs « dans un monde idéal, assez inconsistant et
assez vague pour réfléchir, en y ajoutant le mirage trom-
peur de la perspective, les sentiments et les rêves du
jour ^ ». Sa mythologie, de plus, était fort appréciée : on
1. Spectateur du Nord, XVIII, 363 (juin 1801).
2. T aine, Histoire de la Littérature anglaise, IV, 226.
3. Léo Joubert, Nouvelle Biographie générale, art. Macpherson.
254 Ossian en France
la trouvait « originale et touchante ' » ; et nous avons vu
quelle importance prépondérante elle prenait dans les juge-
ments qu'on portait sur le Barde. Il fournissait de merveil-
leux un temps sans foi et sans poésie, où le champ était
libre entre les fictions mythologiques usées et les évocations
romantiques, où la Révolution avait achevé de faire place
nette de plus d'une ancienne croyance, en attendant que la
religion positive revînt en faveur. Sa mélancolie enfin s'ac-
cordait à cette « mélancolie inquiète » qui « avait saisi les
imaginations » d'un monde « triste comme après les grandes
commotions ' ». Quelques-uns de ces sentiments, et ce
sont les plus importants, se développeront encore dans la
génération suivante, et l'expression que leur donneront
les poètes devra beaucoup à Ossian, soit directement, soit
par l'intermédiaire de Chateaubriand.
Mais il ne conquiert pas l'approbation des critiques ; il
n'éveille plus chez les lettrés le grand intérêt qu'il excitait
dans la première période de son acclimatation ; il ne fournit
plus l'occasion ou la solution de nombreux et intéressants
problèmes. Ceux qui dirigent l'opinion le raillent le plus
souvent ou le censurent, pour ses véritables défauts et pour
ceux qu'ils lui prêtent, en haine du romantisme qu'ils en-
trevoient à l'horizon. Le hasard aurait pu faire naître un
grand poète qui sous l'Empire aurait animé de son génie les
mornes fictions ossianiques ; le hasard n'a donné à Ossian
que de plats interprètes ; les grands poètes sont venus
plus tard, leur imagination a créé dans d'autres domaines,
et l'ossianisme comme genre littéraire n'a été qu'une ten-
tative manquée d'atfranchissement, un essai timide de ro-
mantisme classique qui devait demeurer infécond.
1. Journal des Arts, 1801.
2. Lamartine, Nouvelles Confidences, IV, 9. 11 s'agit de l'année 1802.
LIVRE QUATRIÈME
OSSIANISME ET ROMANTISME
(1815-1835)
CHAPITRE PREMIER
Les dernières traductions en vers
(1813-1835)
I. Ossian entre 1815 et 1830. Caractères généraux des traductions en vers
de la Restauration. — Saint-Michel, traducteur et imitateur. Rapport de
son travail avec celui de Baour-Lormian. — Saint-Ferréol. Contenu de
ses recueils ossianiqucs. Ses prudences et ses libertés.
II. Deux soldats ossianistes.Bruguière de Sorsum:son Fingal. — Le géné-
ral Lamarque. Importance et époque de son travail. Son exactitude.
SonDiscours préliminaire. L'amour dans Ossian. Le roman ossianique.
Publication tardive de son ouvrage.
III. Traducteurs isolés et provinciaux: Gérard-Granville. Un inédit^
J.-B. Fleury. Son Carthon et sa Mort d'Ossian
I
Pendant les années fécondes qui vont de 1815 environ
au triomphe et à la vulgarisation du romantisme au lende-
main de 1830, la destinée d'Ossian est très curieuse à obser-
ver. Il appartient au passé ; et, à ce titre, il n'influe que
faiblement sur les nouvelles tendances littéraires, bien que
la plupart des Romantiques soient marqués de son empreinte
et qu'ils aient dû passer par Ossian avant de trouver leur
voie. Mais, comme il appartient au passé, il est accrédité
par cela même auprès de ceux que les innovations gênent
ou effraient : il est pour eux un classique en son genre.
Beaucoup de ceux qui, soit par leur âge, soit par leur carac-
tère, ne se sentent aucun désir de plus hardies nouveautés,
s'en tiennent au Barde ; il satisfait leur goût de l'étrange et
du rêve. En tout cas, il ne partage pas le sort de Young et
surtout de Gessner, ses rivaux en gloire aux temps déjà
a58 Ossian en France
lointains de Louis XV et de Louis XVLLa Restauration le
trouve entouré d'honneurs, et ne le détrône pas brusquement.
Il survit notamment à Gessner, parce que, plus varié et plus
souple, il s'accommode mieux à des temps nouveaux; parce
qu'il est infiniment plus romantique à tous égards.
Surtout il est le poète de beaucoup d'amateurs, d'isolés
qui ne se rattachent à aucune coterie littéraire. De ce nombre
sont les traducteurs en vers qui recommencent à cette épo([ue,
avec plus ou moins de prétentions et d'ampleur, la tâche de
Baour-Lormian. Ce sont les derniers de la série. Ils tra-
vaillent généralement sur l'ouvrage de Le Tourneur, qu'au-
cune traduction en prose n'est venue déposséder, depuis une
quarantaine d'années, de la faveur dont elle jouit, Ils croient
encore à ce genre de la traduction en vers, si glorieux entre
les mains d'un Delille, si impossible à qui place plus haut son
idéal. Ils ne traduisent pas Ossian pour établir leur réputa-
tion littéraire, ni même pour assouplir leur talent, puisque
aucun presque n'a fourni d'autres ouvrages. Isolés, ils pa-
raissent, sauf une exception, s'ignorer l'un l'autre ; ils cé-
lèbrent leur culte au désert, loin des chapelles où se font les
réputations. Ils sont démodés en naissant, et n'attirent point
l'attention du public. Ils ne sont en littérature que des ama-
teurs : Ossian, à toutes les époques, a surtout tenté les ama-
teurs. Gentilshommes, soldats, fonctionnaires, leur vie désœu-
vrée ou active a connu au moins une fois l'enthousiasme
poétique, et c'est aux chants du Barde qu'ils doivent cette
heure-là. Leurs vers redondants ou malhabiles dorment en-
sevelis dans la poussière des bibliothèques ; mais, en tour-
nant ces pages monotones que nul n'a jamais coupées, en
découvrant tant d'enthousiasme candide et de studieuse
application, on connaît mieux la séduction puissante et pro-
longée qu'Ossian a exercée sur les âmes.
Les plus importantes traductions partielles de cette époque
sont celles de deux poètes amateurs, qu'Ossian a touchés
une fois, et qui n'ont pas autrement marqué dans les lettres.
En général, ceux qui se consacrent à traduire en vers quelques
morceaux d'Ossian ne savent pas se créer beaucoup d'autres
titres à la renommée. Par le nombre des poèmes traduits,
Alexis Saint-Michel mérite une des premières places parmi
les interprètes du Barde. Il avait donné dès 1813 une imi-
Saint-Michel iSç
tation de la Guerre de Thura i — 322 alexandrins — qui
rattache l'auteur à ïa poésie ossianique de l'Empire. Cette
Guerre de Thura n'est autre, s. us ce titre nouveau, que le
poème bien connu de Carric-Thura, qui reparaît sous son
vrai nom en 1820, précédé de Fingal &iàe neuf autres courts
poèmes ossianiques ou pseudo-ossianiques \ Enfin, dans son
volume de 1822 % l'auteur s'inspirait encore d'Ossian dans
un poème sur l'île de Groix au temps de César, où une
vierge nommée Vinvéla, comme l'amante de Shilric dans
Carric-Tkura, voisine avec Vénus et les Druides. Le même
recueil montre Saint-Michel traduisant tantôt Gessner, tan-
tôt le Tasse, tantôt Anacréon, et tantôt Young, prenant à
Klopstock les chœurs de la Bataille d'Hermann et les « bardes
de Wodan », enfin créant un Mainfroy qui appartient au
genre troubadour. Ce petit volume est assez curieux, on le
voit, comme point de convergence d'influences contempo-
raines très diverses, toutes plus ou moins à leur déclin ; le
bon Saint-Michel est un éclectique dont les choix sont très
instructifs.
Mais revenons à Ossian. Comme plusieurs de ses con-
temporains, Saint-Michel mélange assez audacieusement les
poèmes ossianiques et les créations de sa propre imagina-
tion. « J'ai plutôt imité que traduit quelques-uns de ces
poèmes. J'en ai composé d'autres avec les idées éparses dans
les poésies galliques, et j'en offre la collection aux amis
d'Ossian. » 11 n'est pas aisé de se reconnaître dans cette
confusion voulue. A côté de Fingal, condensé en quatre chants
au lieu de six; à'Orla qui, sous un nom inventé, est un épi-
sode de Finf/al ; du Chant de Fingal sur la ruine de Bal-
clutha, qui est emprunté à Carthon ; de la Guerre de Tara,
qui n'est autre que Carric-Thura ; de Armin de Sellama qui
n'est autre que Cathlinde Clutha rebaptisé parla fantaisie du
traducteur; de Finan et Lornia, de Dargo, qui appartiennent
au recueil de Smith ; voici un Arviti qui semble bien n'être
qu'une imitation; voici une hma et un Olvar qui ne sont
1. La Guerre de Thura, poème imité d'Ossian, par Alexis Saint-Michel
[1813] in-S.
2. Fingal, poème, et autres poésies galliques en vers français, par
A. Saint-Michel, 1820, in-8.
3. -La Vierge de Groa, poème... par Alexis Saint-Michel, 1822.
a6o Ossian en France
que des nouvelles écrites dans le genre ossianique. Dans ces
dernières, avoue l'auteur, la couleur est « plutôt Scandinave
que calédonienne ». Voici encore une description du Loda
(c'est «le palais de Cruth-Loda ou Odin ») qui est inventée;
et voici enfin un poème intitulé Ossian aux vaincus, sup-
posé adressé aux Calédoniens, vaincus par les Romains, qui
développe, avec un refrain, l'idée que la défaite importe peu
quand le combat fut héroïque, et qui semble bien rattacher
Saint-Michel au groupe de ceux qui empruntaient la harpe
d'Ossian pour exprimer leurs sentiments patriotiques au
lendemain des invasions.
La partie proprement ossianique de l'œuvre de Saint-
Michel peut aller à 2.900 vers environ. Il est plus que pro-
bable qu'il traduit sur l'édition française de 1810, qui lui
fournit à la fois la version de Le Tournenr pour Fingal et
celle de Hill pour Dargo. Ses notes répètent ou résument
celles des deux traducteurs français. Quand il s'agit de dé-
cider de l'authenticité d'Ossian, il renvoie à Ginguené, dont
la dissertation ouvre, comme on sait, cette même édition de
1810. Son admiration est profonde pour « ces ouvrages d'un
génie sublime, mais sauvage » ; pour « les beautés de cette
poésie appelée barbare, beautés qui consistent dans le gran-
diose de la pensée et la vigueur de l'expression ». Le se-
cond ouvrage que Saint-Michel a sous les yeux, c'est la tra-
duction de Baour-Lormian. Celui-ci « a élevé à la gloire
d'Ossian un monument immortel » ; néanmoins il a « né-
gligé » quelques-uns de ses poèmes, et le nouveau traduc-
teur s'est cru en droit de les reprendre. Malgré ses efforts
pour ne pas traduire les mêmes poèmes que son devancier
avait choisis; quoiqu'il ait poussé l'indépendance jusqu'à
remplacer dans Carric-Thura l'apparition de l'Esprit de
Loda par celle de l'ombre de Trenmor « pour ne pas me
rencontrer trop souvent, dit-il, avec Baour-Lormian»; il ne
peut éviter d'entrer en concurrence avec lui de loin en loin,
et se reproche alors d'avoir « commis une imprudence ».
D'ailleurs Baour « n'a fait qu'imiter » la plainte de Min-
vane, à laquelle Saint-Michel donne deux à trois fois plus
d'étendue; il n'a fait « qu'une très libre et très élégante imi-
tation » de l'invocation de Gaul à l'ombre de Morni, que
celui-ci traduit plus littéralement. En somme Saint-Michel
Saint-Michel i6i
se donne pour un disciple respectueux et modeste, mais
plus exact que son heureux prédécesseur.
Il a raison d'être modeste, s'il s'agit de son talent poé-
tique. Malgré les fantômes voyageant sur leurs chars de
nuages, les vierges pâles comme un rayon de l'astre de la
nuit, les météores, les bruyères, les sapins et les esprits des
vents, la versification toute classique et les épithètes banales
ne laissent pas deviner dans l'Ossian qu'il présente un père
du romantisme. Il y a bien le tour ossianique, mais qui n'a
pas survécu à Ossian, bizarrement accouplé à un tour clas-
sique dans des vers comme ceux-ci :
Lorsque dans Témora les chants de la vaillance
Instruisent de Cormac la généreuse enfance...
11 y a bien, dans les malédictions que les héros accumu-
lent sur leurs têtes, quelque pressentiment des fureurs gran-
diloquentes d'Antony ou d'Hernani :
Ah! rugissez sur moi, vents orageux des mers!
Fantômes, sur mon front allumez vos éclairs !
Levez-vous, ouragans ! Cieux, croulez sur ma tête !
Mais on trouve plus souvent des vers aussi neufs que
ceux-ci :
Il voyait chaque jour dans son fils et sa fille
Fleurir les rejetons de sa noble famille...
Et les paisibles bords, et les jaloux transports, et Mon
glaive dans son sein br aie de se plonger, et, chose extraor-
dinaire en Calédonie, des tribus et des phalanges. Donnons
une meilleure idée de l'ossianiste Saint-Michel en citant une
description plus heureuse :
Mais soudain, déployant sa robe ténébreuse,
La froide nuit descend sur la vague orageuse,
Et Rotha dans sa baie a reçu le héros,
Rotha, plage déserte, où de sombres coteaux
Que couronne des pins la tête échevelée
Entourent une étroite et profonde vallée ;
102 Ossian en France
Les yeux n'y sont frappés que de tristes débris.
Là, du Nord mugissant l'écho roule les cris;
Là, des arbres rompus et des roches voisines
Un torrent dans ses Ilots entraîne les ruines,
Et partout sur ses bords croissent dans le vallon
La bruyère sauvage et l'aride chardon.
La contribution de Saint-Ferréol, tout à fait contempo-
raine, est à peu de chose près aussi considérable, et n'est
pas moins intéressante. Son recueil parut en 1825 ' ; mais
l'un au moins des morceaux, Le Char de Cuthullin, date
de 1820 -. L'auteur est jeune et s'essaie à la poésie, comme
tant d'autres, sur les poèmes d'Ossian. Probablement méri-
dional, il est plus enthousiaste que Saint-Michel. Comme
lui, il renvoie à Ginguené pour l'authenticité; comme lui, il
voit dans le Barde un « de ces hommes privilégiés que la
nature créa pour dominer leurs semblables par l'ascendant
d'un génie sublime et,jusque dans ses écarts, plein de force
et d'originalité ». Ce génie est attesté par les détracteurs
même d'Ossian : « l'âme fortement émue » de son lecteur
« se passionne pour ou contre » et ne saurait rester indiffé-
rente. L'enthousiaste traducteur regrette de constater que
« c'est surtout en France qu'on s'est plu à relever avec une
extrême sévérité ce que la manière d'Ossian peut avoir de
défectueux». 11 déplore qu'une « critique malveillante » ait
eu « recours au ridicule » pour l'attaquer. 11 en est, dit-il,
tout autrement à l'étranger. Là, on sait reconnaître la mo-
rale pure que respire la poésie ossianique, « tant de grandeur
d'âme, tant de véritable héroïsme ». Là, on admire comme
il le mérite « le sublime caractère de Fingal ». L'Italie sur-
tout se distingue dans ce concert d'éloges autant que Cesa-
rotti s'élève au-dessus de tous les traducteurs.
Il semble bien que Saint-Ferréol ait eu constamment
sous les yeux, avec la traduction de Le Tourneur — dans les
premières éditions plutôt que dans celle de 1810, parce qu'il
n'emprunte rien aux poèmes traduits par Hill — celle de
Cesarotti, qu'il admire tant et cite si souvent. Celui-là, dit-
1. E.-P. de Saint-Ferréol, Ossian, chants galUques, traduits en vers
français, 1825, in-16.
2. /jb.,p. 253.
Saint-Ferrcol a63
il, est un traducteur, tandis que Baour-Lormian ne peut guère
être considéré que comme un imitateur ; « imitation char-
mante », soit ; mais imitation seulement.
L'ensemble des traductions de Saint-Ferréol peut aller à
2.300 vers environ. Des dix morceaux que contient le vo-
lume, deux sont donnés par Le Tourneur, avec des réserves
que reproduit le nouveau traducteur. Les autres se compo-
sent de quatre fragments : l'Hyimie au soleil ei le Chant sur
les ruines de Baklutka, tirés de C«;r^Ac>/i; la description du
Char de Ciithullin et Faïnasilla,tirés du premier et du troi-
sième chant de Fingal ; et quatre poèmes entiers : Croma^ Les
Chants de Selma, Carric-Thura et Oïna (c'est Oïna-Morul).
On remarquera aisément que plusieurs des morceaux les
plus poétiques et les plus connus se trouvent dans les poè-
mes que Saint-Ferréol a choisis. C'est ainsi que nous avons
YHijmne au Soleil àe, Carthon^V Hymne an soleil couchant
par XeqvieX s' owvve Carric-Thura, Y Invocation à l Étoile du
soiràes Chants de Sehna\ei ces titres sont ceux que donne
le traducteur lui-même, qui a l'obligeance de prévenir ainsi
le lecteur et de lui signaler à Tavance les morceaux à effet,
comme M. D'Annunzio le faisait il y a peu d'années dans
sa Fedra.
Le nouveau traducteur a de louables scrupules. Il est le
premier à dire que « le mot zéphir, si agréable à l'oreille,
mais qui appartient à un ordre d'idées étrangères à Ossian,
ne saurait entrer dans la traduction de ce poète ». Mais en
revanche il a de regrettables timidités : « Je n"ai pas cru
pouvoir transporter dans notre langue l'image du renard qui
regarde par la fenêtre des maisons abandonnées. » Ce renard
devient les hôtes des forêts, comme la chouette les habi-
tants des airs. Et voilà toute couleur disparue. Cependant
Gesarotti, son modèle dans l'art de traduire Ossian, avait
été plus exact : il avait osé et le renard et la chouette.
C'est en suivant Cesarotti qu'il adoucit les noms galliques
« trop durs et trop barbares pour des oreilles françaises ».
C'est lui qu'il traduit plutôt qu'Ossian, lorsqu'il écrit dans
l'Hymne au Soleil :
Seul tu remplis du ciel la voûte solitaire...
264 Ossian en France
L'italien, en disant : « Tu pel ciel deserto Solo ti movi... »
avait « cru devoir réunir deux expressions, l'une d'Ossian
et l'autre de Pindare .-çae-.vcv xz-pov èpriiJ.a; 5-.' alOépor (Olymp.
I, 10) qui semblent faites l'une pour l'autre ». Surtout
Saint-Ferréol use décidément trop de la périphrase. Comme
plusieurs autres traducteurs en vers, il exprime plus com-
plètement l'image poétique contenue en germe dans le texte
ossianique. Macpherson était un préromantique parfois ti-
mide ou maladroit, qui n'a pas su ou pas voulu soumettre
ses thèmes poétiques à une méditation assez prolongée, qui
n'a pas regardé assez profondément ses images avec les
yeux de l'âme. Il gagne à être légèrement renforcé. Le be-
soin de remplir l'ample vers alexandrin invite nos poètes à
des développements qui ne sont pas toujours malheureux.
Traduire ihe stars hide themselves in the skij par
Les innombrables sœurs de l'astre du matin
Ont voilé devant toi leurs têtes virginales...
c'est écrire poétiquement d'après Ossian, c'est le paraphra-
ser. Mais c'est s'en éloigner tout à fait que de continuer par
ces vers :
La lune pâle et froide aux mers orientales
Fuyant de tes regards réclat majestueux
Se plonge à ton aspect sous les flots écumeux.
Et c'est inventer, d'après le seul mot hide, tout un drame
sidéral qui part du texte ossianique et qui n'aurait pas pris
naissance sans Ossian. Le couplet sur l'étoile du soir ne
mérite guère d'être lu à côté de celui de Musset.
II
Nous avons vu le général Despinoy traduire en vers Ca-
theluina sous le Consulat ; nous verrons le général Lamar-
que consacrer de longues veilles cà mettre en vers tout
Ossian à la fin de la Restauration. Entre eux se place un
autre soldat- poète, le baron Bruguière de Sorsum, le ira-
Bruguièrc de Sorsum 265
ducteur de Shakespeare, Tami de Vigny. C'est une figure
originale, un peu effacée, sur laquelle des travaux récents
ont jeté quelque lumière. Le général Lamarque, qui Ta
connu et a été par lui initié à Ossian, parle avec tendresse
et émotion de ce soldat-poète, qui « au milieu du tumulte
des armes et des courts moments de repos que lui lais-
saient les batailles », entretenait en lui « le goût des arts et
des belles-lettres ' ». Quand on connaît, quand on apprécie
la tentative de Bruguière pour être exact en traduisant
Shakespeare, on attend beaucoup de son Fingal ' ; mais
l'attente est bientôt déçue. C'est une traduction en alexan-
drins ; des six chants, le quatrième « ne s'est pas retrouvé
dans les papiers de l'auteur » ; et, dans le chant I, le tra-
ducteur a cru devoir omettre l'épisode de Carril, à cause,
dit-il, de son inutilité et de la longueur des chants de ce barde.
Malgré ces lacunes, le poème compte environ 2.C00 vers.
Publié par Chênedollé dans les œuvres posthumes de l'au-
teur, il n'est précédé d'aucune préface ; il s'accompagne
seulement de notes qui pour une grande part sont emprun-
tées à Le Tourneur ; d'autres remontent peut-être à Mac-
pherson directement. Il est difficile d'affirmer que Bru-
guière traduit toujours sur l'anglais ; son vers vague et
ronflant se tient extrêmement loin du texte de Macpherson,
et l'on ne peut dire qu'il côtoie de très près Le Tourneur.
Ce vers est l'alexandrin le plus banal et le plus usé. La
couleur ossianique y manque, et, de toute façon, c'est une
pauvre poésie :
... Dans les champs de la guerre
Mon bras est redoutable à l'égal du tonnerre...
A ce jeune héros la lumière est ravie ?
Il n'est plus ? — Ah ! cruel, arrache-moi la vie...
On y trouve un « monstre marin » dont la description
s'inspire du récit de Théramène :
Et l'onde menaçante
Se courbe en mugissant sous sa masse pesante...
1. Ossian, Poèmes et fragments, par Maximilien Lamarque, p. 42.
2. Chefs-d'œuvre de Shakespeare... suivis de Poésies diverses, par feu
Bruguière de Sorsum, 1826 : II, 311-416 : Fingal (traduction en vers).
a66 Ossian en France
Tous ces gens-là ont fait de trop bonnes études classi-
ques. Tous les clichés se donnent rendez-vous dans les vers
de Bruguière : et « le chêne au front audacieux » et la
« source pure » et son « doux murmure ». Rien de la gran-
deur et de la mélancolie ossianiques dans ce jargon pseudo-
classique, véritable centon de Racine, de Voltaire et de
Delille. Au reste, Bruguière est un ossianiste convaincu et
pieux : il sait comment les Fingaliens préparaient leurs
repas, et que « le tout était soigneusement recouvert de
bruyère, pour éviter l'évaporation». Il est bien du xviii'' siè-
cle quand il admet que « le but final de tous ces poèmes,
c'est d'inspirer la grandeur d'âme ». Mais il admire surtout
son auteur en ce qu'il est « prodigue de comparaisons ».
C'est là un « magnifique défaut » qui « nous séduit et nous
éblouit au moment même où nous voudrions le condam-
ner » ; car « l'esprit de comparaison est peut-être la qua-
lité la plus essentielle de la poésie. L'office du poète, comme
peintre d'imagination, est de rassembler toutes les appa-
rences des choses. » Ce n'est peut-être pas par la compa-
raison proprement dite, telle qu'elle surabonde dans Ossian,
qu'il y arrivera. Bruguière, si proche du romantisme, n'est
pas romantique sur ce point, pas plus que dans son style
ou sa versification. C'est un attardé, dont l'admiration pour
le Barde est impuissante à conférer à sa poésie une nou-
velle jeunesse,
La plus complète de toutes les traductions d'Ossian en
vers français est celle du général Lamarque '. Elle appar-
tient à l'époque de la Restauration. Le général nous indi-
que brièvement dans quelles circonstances et sous quelle
influence elle fut composée. Au temps où « proscrit » il
errait « sur les bords orageux de l'Océan du Nord », il
arriva qu'un volume d'Ossian tomba par hasard dans ses
mains. Il dut beaucoup, pour goûter les chants du Barde
et sans doute pour les mettre en vers, aux lumières et à
l'amitié d'un de ses compagnons d'armes, de ce Bruguière
de Sorsum dont l'essai précéda son travail. Nous avons
donc la date approximative où ce dernier a commencé.
D'autre part, il emploie dans le même Discours prèlvmi-
1. Ossian, Poèmes et fragments, traduits par le comte Maximilien La-
marque, lieutenant-général, 1859, in-4.
Lamarque ^6^
naire le mot récemment en parlant des derniers moments
de Brug-uière, qui est mort en 1823. Ce travail ossianique,
commencé sous l'Empire, sans doute repris et interrompu
plus d'une fois sous la Restauration, approchait de sa fin
en 1832. Les éditeurs de l'œuvre laissée manuscrite ont
placé la mention suivante à l'endroit où le chant II de
Temora s'interrompt brusquement : « Interrompu par la
mort du lieutenant- général comte Lamarque, 2 juin 1832. »
Cette traduction en vers a pour base VOssian de Le
Tourneur. Elle comprend 15 poèmes entiers, plus la cin-
quième partie ou environ de Temora ; \ Hymne au Soleil
de Carthon, qui est mis à une place distincte, et même
pas à la suite de ce poème ; La Mort de Malvina, extrait
de Berrathon ; enfin La Mort cV Oscar qui est un frag-
ment détaché du chant I de Temora ; en tout 19 pièces,
formant un total d'environ 7.100 vers. Lamarque a laissé
sans y toucher Cath-Loda, Colna-dona, Cathlin de Clu-
tha, La Guerre de Caros et Sulmalla. Chose curieuse, ces
cinq petits poèmes manquent également dans Baour-Lor-
mian. Celui-ci, ses prédécesseurs et ses émules n'ayant tra-
duit qu'un certain nombre des poèmes choisis par Lamar-
que, le général se trouve avoir donné la seule traduction
en vers de Conlath et Cuthona, de La Mort de Cuthullin,
de Cahhon et Colmal. Il fait remarquer que son Lathmon
n'est qu'une « imitation libre » et que sa Mort d'Oscar est
« plutôt une imitation qu'une traduction ». Donc le reste
est à ses yeux une traduction qui veut être fidèle.
Elle Test en effet autant qu'une traduction en vers peut
l'être sans scrupule minutieux. Le poète s'est libéré le plus
souvent possible de la contrainte trop rigoureuse de Talexan-
drin, et ses vers libres, ses strophes variées, lui permettent
de suivre à peu près la pensée de son auteur. Il n'est pas
gêné non plus par le soin diligent de la rime, l'élégance de
la versification, le choix des mots et des images. Sa poésie
n'est souvent que de la prose rimée. Ce soldat-poète écrit
facilement en vers, mais sans précision et sans distinction.
Son vocabulaire, ses expressions purement classiques,
manquent d'imprévu, sinon de quelque facile et banale har-
monie. Dociles courages, généreux soldats Jambris^ ce pre-
mier fruit de ses jeunes amours, voilà son style ; joignez-y
208 Ossian en France
quelques réminiscences classiques, de Racine, par exemple :
Son front chargé d'ennuis... Point de couleur locale ; éton-
namment peu, si on le compare à Baour-Lormian, qui
l'emporte incontestablement comme versificateur et même
comme poète. Chose curieuse, jamais Lamarque n'est plus
mal inspiré que dans les strophes lyriques des petits poèmes
comme Dar-thula. Voici comment il écrit le plus mal :
Pour tes attraits mon cœur s'enflamme,
Je voudrais le cacher en vain ;
Viens ! Je t'aime comme mon âme ;
Oh ! viens sans toi point de bonheur...
Par contre, l'alexandrin à rimes variées lui réussit bien
mieux. Ce mètre, par sa naturelle souplesse, fait qu'on lit
certaines pages sans ennui. Voici comment il écrit le mieux :
Le chasseur fatigué d'une course lointaine
Se repose et s'endort sur le riant coteau ;
Le soleil de ses feux colore encor la plaine,
Le vent du jour encor de sa paisible haleine
Caresse, en se jouant, la feuille de l'ormeau.
Il s'éveille et déjà la nuit est survenue.
La foudre en longs éclats a sillonné la nue,
La tempête en fureur agite la forêt...
Alors son rêve fuit, alors son âme émue
Au passé qui n'est plus accorde un vain regret.
Aussi s'évanouit le printemps de notre âge ;
Comme une ombre légère il passe sans retour.
Ce passage développe largement l'idée centrale du mor-
ceau en ajoutant beaucoup d'images, et place à la fin ce
qui se trouve au début dans Ossian : « Notre jeunesse res-
semble au rêve du chasseur... » C'est un peu plus qu'une
imitation, c'est un peu moins qu'une traduction. On n'a
pas lieu d'être particulièrement satisfait de la manière dont
Lamarque a rendu des morceaux très connus, comme
l'hymne au soleil ou l'apostrophe à l'étoile du soir : il n'a
pas atteint certains de ses concurrents.
Il est étrange que Lamarque, dans son ample Discours
préliminaire., ne mentionne son prédécesseur dans la même
entreprise, Baour-Lormian, qu'à propos de son opinion sur
Lamarque 269
le mérite relatif de Fingal et de Temora. Lamarque con-
tredit Baour, et trouve Fingal « de beaucoup supérieur à
Temora pour l'ensemble et pour les détails ». Il est vrai
qu'il ne cite aucun des autres traducteurs et ne fait aucune
allusion au succès du Barde auprès de ses contemporains.
Le général est décidément un amateur passionné de ses
chants, mais un amateur fort peu au courant des travaux,
des discussions dont il a été l'objet. Ame conquise par
Ossian, il lui a voué un culte secret : il le traduit sans s'in-
former s'il fut à la mode et si sa gloire est passée. Pour
qui s'intéresse aux grands mouvements du goût et de l'opi-
nion, le témoignage de tels amateurs est deux fois pré-
cieux, puisqu'il est indépendant et spontané. Lamarque
consacre son Discours préliminaire à l'éloge d'Ossian. Ce
morceau doit beaucoup à la Dissertation de Blair, qu'il cite,
et qu'il suit de près même quand il ne la cite pas. Beauté des
caractères et des sentiments ; sublimité de Fingal ; pureté
des mœurs ; art consommé de la composition ; variété des
images ; nous connaissons tout cela. Il n'y manque pas non
plus l'inévitable parallèle avec Homère d'une part, avec Vir-
gile de l'autre ; Lamarque ajoute Tibulle. Il insiste sur l'ab-
sence de toute religion, et ce libéral paraît peu souffrir de
cette lacune. Il insiste aussi, et avec plus de complaisance,
sur le chapitre de l'amour dans Ossian. Nul des nombreux
panégyristes du Barde ne s'est si fort étendu sur ce point :
Une des beautés les plus remarquables d'Ossian, c'est la ma-
nière pleine de délicatesse dont il peintramour... Chez lui, c'est
un sentiment profond et tendre ; trop vrai pour que les sens en
soient bannis, trop élevé pour qu'ils lui suffisent. Son langage...
est touchant et vif, sans cesser d'être pur. Le poète se plaît à
peindre les charmes des jeunes beautés qu'il met en scène,
mais ses couleurs sont chastes, et l'on sent bien que ses héros
ne désirent que parce qu'ils aiment... La tendresse est expri-
mée partout, la volupté ne l'est nulle part ; les nuages qui si
souvent enveloppent les guerriers servent toujours de voile à
leurs plaisirs... Entre eux, point d'inconstance, point d'infidé-
lité, par conséquent point de jalousie ; l'estime préserve du
soupçon, c'est l'âge d'or de l'amour. N'est-ce pas une preuve
de plus de l'authenticité et surtout de l'ancienneté des poésies
d'Ossian ?
270 Ossian en France
Tout cela n'est ni de Maepherson ni de Blair ni de Le
Tourneur : tout cela est bien de Lamarque. Voilà l'enthou-
siasme qu'excitait la peinture de l'amour dans Ossian au
temps où, dans les rares loisirs des campagnes de Napoléon,
les deux amis,Bruguière et Lamarque, échangeaient leurs
impressions et communiaient en Ossian.
Surtout, on trouve dans ce Discours un exemple typique
de ce qu'on peut appeler le roman ossiaiiique. Celui du
marquis de Saint-Simon n'était rien à côté. De détails em-
pruntés à Maepherson, à Blair, au texte même des poèmes,
Lamarque compose un tableau étonnant de précision, et
qui fait le plus grand honneur à son imagination. On y
apprend, entre autres choses nouvelles^ que « ces héros ne
s'endormaient qu'aux sons harmonieux de la harpe » ; que
« les Calédoniens étaient... d'une carnation éclatante de
blancheur » ; que « les femmes, grandes, belles, avaient en
général des yeux bleus. . . et des cheveux d'un noir d'ébène ».
L'auteur sait par le menu les moindres détails de la bio-
graphie de Fingal, l'ordre de ses campagnes, la douleur que
lui causa la mort de Roscrana, « son épouse chérie ». Il
fait sa psychologie, et sait que la mort de Fillan et d'Os-
car porta le dernier coup à « l'âme du héros qui était déjà
fatigué par des guerres continuelles ». Il sait qu'Ossian
« aima toujours Eviranella [sic) avec tendresse, et qu'il resta
fidèle à sa mémoire ». Il sait que Cuthullin est mort « dans
la vingt-septième année de son âge ». Ce roman fait sourire
par sa précision puérile. Il est attendrissant de naïveté et
de foi. C'est une espèce de Légende Dorée, à laquelle le
cœur de ce soldat, de ce politique, adhère avec une candeur
admirable et toute religieuse. Son rêve le conduit dans ce
monde idéal, comme le rêve du croyant le conduit parmi
les belles légendes pieuses.
Ce grand et beau volume compact, ce majestueux monu-
ment élevé par une main pieuse à la gloire du Barde, paraît
être resté à peu près inconnu. Publié trop tard, vingt-sept
ans après la mort de l'auteur, alors que l'ossianisme était
déjà une chose du passé, il est de ces livres qui sont nés
sous une mauvaise étoile. Personne ne le mentionne ; l'exem-
plaire de la Bibliothèque Nationale n'était même pas coupé
lorsque je l'ai eu entre les mains, et sans doute la plupart
Gérard-Granville. J.-B. Fleury Î71
de ses frères auront eu le même sort. Et cependant il valait
peut-être d'être brièvement remis en lumière, et pour la
personnalité intéressante du soldat-poète, et pour la foi
ossianique qui s'y révèle ingénument.
III
C'est de la fin de cette période que date la version en
vers des Chants de Selma par Gérard-Granville '. 11 manque
au poème deux parties importantes, la plainte de Colma et
celle d'Alpin. Ce qui reste donne 190 vers libres ; le récit
d'Armin est en décasyllabes, mètre bien mal choisi pour ce
morceau pathétique et désespéré. L'ensemble de la traduc-
tion est fidèle ; peu importe qu'Arindal se change en je ne
sais quel romantique Alvar ; la versification a de la facilité,
sans jamais s'élever au-dessus du médiocre. Transcrivons
quelques vers de la conclusion :
Adieu, rêves heureux que je dois oublier !
J'entends la voix des ans en passant me crier :
D'où vient qu'Ossian chante encore ?
Il vieillit, languissant dans un triste abandon,
Et nul barde après lui sur la harpe sonore
Ne fera retentir son nom.
Voilà quelles sont les traductions imprimées qui appar-
tiennent à cette période. Combien d'essais analogues, et qui
valaient autant que ceux-là, sont restés inédits ou ont dis-
paru ? Dans combien de villes ou de villages de France
s'est-il trouvé un amateur de poésie, officier en retraite
comme le général Despinoy ou le général Lamarque, fonc-
tionnaire, magistrat, pour mettre en vers français l'hymne
au soleil ou l'apostrophe à l'étoile du soir ? A cent ans
d'intervalle, toute réponse précise est impossible. Détruits,
disparus, ensevelis dans des cartons, oubliés au fond de
vieilles demeures, que d'essais demeurent introuvables au
chercheur ! Au moins quand le manuscrit ossianique a été
1. Mémoires de l'Académie Royale de Nancy, 1835, p. 112 : Imitation
d'un poème d'Ossian, par M. Gérard-Granville.
573
Ossian en France
légué par l'auteur ou par ses héritiers à quelque biblio-
thèque publique, nous pouvons le retrouver et l'exhumer.
Le cas est plus rare qu'on ne le croirait. L'examen de l'in-
ventaire général des manuscrits conservés dans les biblio-
thèques de France permet de relever un certain nombre de
titres qui sont généralement trompeurs. A Amiens, le con-
seiller de préfecture H. Marotte laisse un poème inédit ;
Oscar ; mais c'est tout bonnement l'histoire d'un chien de
chasse dont le propriétaire s'appelle comme le fils d'Ossian».
A Rouen, il y a des traductions d'apparence ossianique ;
mais ce sont des imitations de chants irlandais modernes.
Par contre nous trouvons à Vienne (Isère) un sérieux héri-
tage ossianique '. J.-B. Fleury (1757-1841), juge de paix et
député sous l'Empire, se retire en 1815 à Ternay, village
au nord de Vienne, et c'est probablement pendant les loisirs
de sa longue retraite qu'il versifie abondamment. Il traduit
la Jérusalem Délivrée : toujours le Tasse aux côtés d'Ossian,
comme chez Baour. Et il écrit La Mort de Car thon, poème
imité d'Ossian ^. Peu nous importe son opinion sur l'au-
thenticité : il ne tranche pas ce grand dilférend, mais il
semble conclure en des termes qui sont bien choisis quand
il parle de « fragments de poésie qui ont au moins servi de
germe à cet ouvrage ». Germe est heureux, et l'inconnu
Fleury a sans s'en douter mieux caractérisé le travail de
Macpherson que tous les critiques en renom qui ressassaient
de son temps la même question. Quant à Car thon, qu'il a
voulu « traduire ou plutôt imiter en vers français », son
travail accompagné d'amples notes, sommaires, explications,
ne tranche pas sur tant d'autres que nous rencontrons sur
notre chemin. Même procession d'alexandrins corrects, mais
poncifs, et souvent usés jusqu'à la corde. Les octosyllabes
du Chant des Bardes, les strophes libres de l'Hymne au
soleil, ne sont pas beaucoup plus dignes d'attention. Tout
cela est exact d'ailleurs, et donne, à tout prendre, une idée
1. Je dois ce renseignement à l'obligeance de M. Maurice Garet, avoué
k Amiens.
2. Tous les détails sur Fleury et l'analyse détaillée de ses manuscrits
m'ont été fournis par le zèle diligent de M. l'abbé Bouvier, à Vienne.
3. Bibliothèque de Vienne, Manuscrits, n» 25, p. 793-832.
J.-B. Fleury 273
plus juste du sens, sinon de la couleur du texte, que les
vers élégants de Baour-Lormian.
De l'antique Morven je célèbre la gloire ;
Héros qui n'êtes plus, revivez dans mes chants.
Malvina, du ruisseau les murmures touchants
Semblent de mes aïeux rappeler la mémoire.
C'est là que sont placés, sous l'ombre d'un vieux chêne,
Deux modestes tombeaux que l'on distingue à peine...
Un fantôme sanglant en défend les accès.
La nuit, ses cris plaintifs remplissent les forêts.
Malvina, dans ces lieux qu'illustre leur mémoire
Reposent pour toujours deux fameux combattants.
Héros qui n'êtes plus, revivez dans mes chants;
De l'antique Morven je célèbre la gloire.
Surtout il a pris plaisir à traduire, après tant d'autres, il
est vrai, mais qu'il ne cite pas et que peut-être il ignore,
l'Hymne au soleil « à cause de la grandeur des idées et de
la beauté des images ». Il y règne surtout « un ton de cette
mélancolie profonde qui plaît tant aux âmes sensibles ». Et
le vieillard, du fond de sa retraite rustique, sent son âme
s'élever sur les ailes de cette poésie, vers le rêve, vers le
mystère, vers le problème que l'univers éternel pose à
rhomme éphémère.
A ce vaste univers toi qui donnes la vie,
Astre éclatant du jour, ô Monarque des Cieux,
Pour chanter ta grandeur réchauffe mon génie
De l'ardeur de tes feux.
Avec l'éternité commençant ta carrière,
Soleil majestueux, d'où te vient ta lumière ?
L'éclat de tes rayons remplit l'iminensité,
Et les siècles n'ont pu te ravir ta beauté.
Tu parais, et la nuit se cache dans ses voiles.
Ton front resplendissant fait pâlir les étoiles ;
La lune disparaît, les cieux restent déserts,
Et tu viens [illisible] régner sur l'univers.
Fleury a encore laissé un Chant de mort d'Ossian^ qui
paraît être entièrement de son invention, sur le thème du
2^4 Ossian en France
dernier chant d'Ossian qui est indiqué dans Bcrvathon.
Cette ode est un poème assez étendu, en strophes régulières,
où Ossian passe en revue sa carrière de guerrier et de barde,
et fait ses adieux à Malvina. On sait que dans Macpherson
c'est au contraire lui qui survit à l'amante d'Oscar.
CHAPITRE II
La poésie calédonienne et Scandinave
sous la Restauration
(1814-1830)
I. L'allégorie ossianique en 1814-1815. Ossian poète des Bourbons. Un
Cliant gaUique officiel. Ossian chante le retour de Louis XVIII et le
sacre de Charles X : Laffllé, Malo, Talandier-Firmin et divers. Une
pose de première pierre en style ossianique. La poésie nationale et le
genre ossianique.
IL La poésie politique et patriotique d'inspiration ossianique : Bardes et
chants nationaux: Bétourné, Hédouin, Moufle. — Boucher de Perthes.
Ses poèmes ossianiques à allusions politiques. Ses autres composi-
tions ossianiques. Ses Chants a,rino icains d'inspiration ossianique.
III. Ossian au tombeau de Napoléon : Delphine Gay. Ossian barde de la
Revue Nocturne: Boulay-Paty. Un ossianiste gascon.
IV. Les poèmes ossiano-scandinaves : le Balder de Saint-Geniès : Odin,
Ossian, les Gaulois et la chevalerie. L'Interrègne de Proisy d'Eppe
et son Chant du Barde. Marchangy. D'Arlincourt et sa Caroléide :
mythologie Scandinave, germanique et calédonienne. Le Mont d'Os-
sia?i. Même confusion dans Norvins, Baour-Lormian, et divers.
V. Deux poèmes calédoniens : La Calédonie, d'Auguste Fabre. Ce qu'elle
doit à Ossian. Absence de mythologie Scandinave. Arindal, de Ber-
nède,et le genre ossianique. Conclusion sur cette inspiration inter-
médiaire entre le classique et le romantique.
II était réservé aux premières années de la Restauration
de faire jouer à Ossian un double rôle, assez nouveau et
inattendu. Le Barde prête sa voix belliqueuse ou mélan-
colique aux sentiments collectifs qui remplissent l'âme des
Français en 1814 et 1815. Les royalistes, par deux fois,
exultent; les fidèles de l'Empereur passent de l'humiliation
au triomphe, et du triomphe à la consternation ; tous les
276 Ossian en France
bons citoyens frémissent de voir l'étranger fouler librement
le sol de la patrie, s'y attarder, et y parler en maître. Pour
dire leur émoi ou leur peine, plusieurs empruntent à Ossian
sa harpe et son langage. C'est une allégorie nouvelle, plus
fraîche et plus saisissante que les vieilles allégories mytho-
logiques. 11 n'}' a pas de poète national en France : Ossian
va quelquefois en faire l'office, et après avoir figuré dans
les cantates napoléoniennes en qualité de Barde officiel de
l'Empire, il va prêter sa voix pathétique aux émotions d'un
pays divisé et envahi.
Ossian est d'abord le poète des Bourbons légitimes. Il a
même été au moins une fois leur poète officiel. Le 15 avril
1814, on exécutait, à l'Académie Royale de Musique, en
présence de Monsieur, le futur Charles X, un Chant gallique
intitulé La Renaissance des Lis, par Laffîlé'.«Sa vogue, dit
l'éditeur, a été complète, son succès est devenu populaire.»
On serait en effet sans excuse de ne pas le jouer ouïe faire
jouer n'importe où et n'importe par qui : car « il a été
arrangé avec accompagnement de piano, ou harpe, ou gui-
tare, ou pour grande harmonie militaire ». Espérons que la
musique, en ce dernier cas au moins, empêchait dentendre les
paroles : car celles-ci sont d'une nullité parfaite. Ce Chant
(jallique est extrêmement peu ossianique; mais l'idée même
de donner ce sous-titre à une production tout officielle est
une preuve de la vogue persistante d'Ossian.
En décembre, c'est YAntigone Scandinave de Charles
Mado ^, cent vers qui sont à peu près, pour la justesse des
termes et l'imprévu des rimes, des vers d'opéra, et qui sont
en effet mis en musique par C. H.Plantade. Après un som-
maire de neuf lignes, c'est un duo coupé d'airs et terminé
par un chœur. Morar, banni de sa patrie par l'usurpateur
Caros, a longtemps erré sur le sol étranger ; sa nièce Ros-
mala soutient et guide ses pas ; ils rentrent eniîn dans leur
chère patrie, et ils échangent leurs émotions et leurs espoirs. ■
L'allégorie est d'une clarté enfantine : le vertueux ]\Iorar
est Louis XVIII ; Rosmala est la duchesse d'Angoulême ;
UUin n'est plus un barde, mais un pays, et ce pays est la
1. Ch. Laffilé, Chants Français, 1829, p. 13.
2. Cil. M&lo, L'Anligone Scandinave, scènelyrique imitée d'Ossian, 1814;
Mercure, décembre 1814 ; Almanach des Muses, 1815, p. 169.
Ossian poète des Bourbons 277
France. Connmor ' est Louis XVI ; l'affreux Caros, « célèbre
usurpateur », est Napoléon ; Fingal, ce prince généreux
(« Depuis vingt ans ils vivent à sa cour ») est Alexandre.
Ossian, barde de la légitimité, prête son langage aux Bour-
bons comme il le prêtait à Napoléon dans sa gloire ; et Morar-
Louis XVIII n'oublie pas de saluer avec sa patrie les ombres
de ses aïeux.
Les vers de Talandier-Firmin valent mieux que ceux de
Charles Malo. Lui aussi, il célèbre sur le mode ossianique
le retour du monarque légitime. Sept bardes entonnent suc-
cessivement les louanges de Louis XVIII ; ils retracent les
malheurs, et — il est juste de le reconnaître — les gloires
de la Révolution et de l'Empire. La duchesse d'Angoulême
s'appelle cette fois Malvina ; le duc d'Enghien est pleuré
sous le nom d'Oscar. Tout cela est très ossianique de cou-
leur :
Le silence habitait la salle de nos fêtes.
Tes auf^ustes aïeux, penchés du haut des airs,
Ecoutaientles accents de ta douce harmonie ^..
Dans les cercles royalistes, l'ossianisme paraît avoir joui
d'un certaincrédit. Une romance sur la mort d'une princesse
nous transporte avec une Malvina
Sur les monts de Caledonie
Qu'éclaire un soleil nébuleux \
Quelques années plus tard, Ossian salue Charles X : la
France a remis au « barde prosterné » une « harpe sonore »
pour chanter les vertus du nouveau monarque *.
Un des monuments les plus curieux de cette manie de
transposer sur le mode ossianique les événements du jour
est un morceau qui se donne pour la traduction d'une poé-
1. Appelé Sennmor dans le texte du Mercure.
2. Ïalandier-Firmin, Les Chants du Barde, ou le Retour du Roi, 1815.
3. La Guirlande des Dames, 1820, p. 4: Le Barde Ecossais, romance par
M"' la Comtesse de Valory, à l'occasion de la mort de S. A. R. la Prin-
cesse Charlotte d'Angleterre.
4. Emile Dupré, l'Inspiration du Barde, ou Le Sacre, 1825.
278 Ossian en France
sie armoricaine '. Il a été composé à roccasion de la pose
de la première pierre d'un obélisque sur le champ de ba-
taille de Ploërmel-Josselin où la tradition plaçait le Com-
bat des Trente (1351). Pour célébrer cet événement, l'au-
teur décrit la cérémonie en une prose naïvement ampoulée,
dans le genre de celle des Natckez, et qui a l'intention de
reproduire le style ossianique. C'est que « le transport de
cette pierre et l'ensemble du cortège rappelèrent à l'auteur
les cérémonies décrites par Ossian ». Et il cite un passage
de Fingal. « Comme la poésie armoricaine était celle des
Bardes, on a aussi imité Ossian », d'où le style si particu-
lier de ce morceau. Le général qui préside la cérémonie
reçoit le nom de Ttidoscar, qui, dit l'auteur, « est ossia-
nique », ou à peu près. Ce général prononce un discours,
où il dit notamment que « les salles de Lutèce ont retenti
du chant des Bardes » ; et la cérémonie s'achève parmi
beaucoup de météores et de nuages.
Ces effusions patriotiques, ces souvenirs nationaux revê-
tus d'une forme ossianique, ne se présentent pas seulement
d'une manière isolée. Quelques-uns en font un véritable sys-
tème. Cyprien Anot, qui fait profession d'un romantisme
mitigé, appelle de ses vœux une poésie où l'on verrait « la
muse nationale, assise auprès du tombeau des vaillants,
écouter le bruit des vents orageux, qui amènent sur les
nuages les ombres gémissantes des guerriers des anciens
jours ^ ». Même conseil sous la plume du respectable Ch.
Durand, ancien procureur du Roi, secrétaire perpétuel de
l'Académie provinciale de Lyon. Soyez Français, dit-il,
célébrez les gloires françaises, « que vous preniez la lyre
d'Homère ou la harpe d'Ossian ' ».
II
D'autre part, et ceci est peut-être plus intéressant et plus
inattendu, Ossian prête sa voix aux émotions patriotiques
et aux colères des partis. Il y a là, sinon une école, du
1. Traduction d'un morceau de poésie armoricaine, 1819.
2. Cyprien Anot, Elégies Bliémoises, 1825, p. 169.
3. De Loy, Préludes Poétiques, 1827, p. XXVI.
Ossian et la poésie patriotique 179
moins un groupe qui paraît unanime à puiser dans les
chants du Barde l'expression de certains sentiments de
révolte et de colère qu'il est parfois difficile de préciser et
de dater exactement. Ossian se prête fort bien à ce rôle :
c'est le poète des vaincus, des exilés, des fugitifs ; et sa voix
lugubre convient mieux aux angoisses d'un proscrit, à
l'amertume d'un demi-solde, qu'à l'allégresse bruyante des
Te Deum et des Alléluia. Bétourné, par exemple, donne
la parole à un barde exilé qui déplore les malheurs de sa
patrie :
Loin de ces lieux peuplés de brillants souvenirs,
Un des fils d'Ossian, sous des climats plus sombres,
Fuyait la tyrannie et, par de longs soupirs,
D'Ossian, de Fing-al il implorait les ombres.
De quelle tyrannie s'agit-il ? Il semble que ce soit celle
de Napoléon, à moins que les vers suivants ne doivent s'en-
tendre du trop long séjour des alliés sur notre sol :
La terre de Fingal est lasse de porter
Les oppresseurs qui la dévorent !
Gloire à Fingal ! imitons ses vertus ;
Le ciel se ferme au lâche qui n'est plus '.
Ce Bétourné compose également un Chant national qu'il
intitule Le Vieux Barde et qui dit l'apothéose d'un cer-
tain Oldar qui paraît être une réplique d'Ossian. Je n'ai pu
découvrir ce que ce sujet a de national. En tout cas c'est
bien ainsi qu'Ossian a dû mourir :
Au même instant s'ouvrent les cieux :
Aux longs roulements du tonnerre
On voit le Barde radieux
Pour y monter quitter la terre *.
Il est encore l'auteur d'une Ecossaise au tombeau de son
amant ^ qui n'a rien de politique, et où foisonnent les rois
1. A. Bétourné, Délassements Poétiques, 1S25, p. 31:Le Barde.
2. Ib., Oldar; le même dans le Chansonnier des Grâces, 1827, p. 87: Le
Vieux Barde, chant national.
3. Ib., p. 11.
28o Ossian en France
des chasseurs, les ciel 7iébuleux, les torrents écumeux. Mais
nous retrouvons les allusions avec llédouin et son Chant du
Barde ' ; je ne sais au reste qui peut être ce Tremnor qui
tue Dermide, qui succombe en luttant contre l'usurpateur,
et dont la veuve « a déserté les palais de Morven ». C'est
Ossian très transformé et adapté à des faits certainement
politiques, mais difficiles à préciser. A la même époque
remonte sans doute un Chant gallique d'Auguste Moufle
qui respire le plus pur patriotisme. Oscar y encourage
Morni à combattre le tyran Salgar, à braver « le joug af-
freux du Slave ^ *. Si ce dernier mot n'est pas là unique-
ment pour rimer avec esclave, le poème fait peut-être allu-
sion à l'invasion de 1815.
M""^ de Genlis peut donc légitimement incarner dans le
Barde moderne une poésie patriotique et belliqueuse, et vou-
loir que « sa harpe anime les guerriers ^ ». En ce genre, la
place de beaucoup la plus considérable est occupée par Bou-
cher de Perthes. Le futur créateur de l'archéologie préhis-
torique a été en sa jeunesse poète, et poète patriotique. Il
devait posséder à fond les poèmes d'Ossian et leur vouer une
entière admiration, car il a, sans se lasser, ossianisé en vers et
en prose, et souvent sur des thèmes patriotiques. La date
de ses recueils, 18^1 et 1823, ne doit pas faire oublier que
plusieurs de ses chants ossianiques remontent certainement
à 1814 ou 1815. C'est Oscar *, qui est plein d'allusions aux
événements de 1814; c'est Le Météore % qui flétrit proba-
blement la défection de Marmont : « ce pâle météore » qui
s'élève sur le brouillard, « c'est le spectre de Durandart » ou
du duc de Raguse. C'est Le Renégat ^ dont le nom est
Hidallan, un des rares personnages odieux de Macpherson.
C'est Le Chêne ' , qui est un cri de joie à l'annonce du retour
1. Almanach des Muses, 1820 : Le Chant du Barde sur le tombeau de
Tremnor, par P. Hédouin.
2. Almanach des Dames, 1833, p. 187 : Oscar à Morni, chant gallique,
par Auguste Moufle.
3. La Guirlande des Dames, lSlô,p. 125: Le Barde Moderne, pSiV M°" de
Genlis.
•4. Boucher de Perlhcs, Romances, Ballades et Légendes, 1822, p. 163.
5. Ib., p. 119.
6. Ib., p. 226.
7. rb., p. 169.
Boucher de Perthes 28 1
de l'île d'Elbe. C'est Le Barde*, qui répète les menaces inso-
lentes des alliés en des termes empruntés à l'évocation de
la ruine de Balclutha. C'est Olgar, chant gallique ^ : Olgar
« de son pays déplore les malheurs ». C'est un autre chant
galliqne, celui à^ Oscar à Carul :
Tu dors, Carul ! altérés de carnage,
Les fils d'Odin débarquent sur ces bords ^ .
Appel patriotique à la défense et à la veng-eance. C'est
un autre Chant gallique où le « Barde d'Ardulène » console
le guerrier Colgar qui se lamente, vaincu par les « enfants
du Nord » ; il lui rappelle les gloires récentes de sa patrie :
Peut-il, dis-moi, dans sa vaine colère,
A l'univers ôter le souvenir?...
Et contre lui n'as-tu pas la justice,
Ving-t ans de gloire, et les maux qu'il t'a faits ♦?
Comme ce style fort clair est peu ossianiqae, il faut bour-
rer la pièce, par ailleurs, de Témora, à' Lister ou d'Ultonie.
Et c'est encore Ossian, écrit en 1814 % protestation contre
l'invasion et acte de foi dans les destinées de la France. Le
Barde commande à son fds (« Allez, Oscar, allez, fils de la
gloire... ») de raffermir tous les cœurs par l'espoir que lui
inspire son don de prophétie. En somme, dans cette partie
de l'œuvre du jeune poète se découpent par voie d'allusions,
dans un cadre ossianique, les principaux sentiments qui
l'animent vers 1815.
Tous les essais ossianiques de Boucher de Perthes ne sont
pas marqués de ce caractère. Certains sont de simples fan-
taisies élégiaques, comme la romance d'Isnelle \ où la « harpe
du Barde » a des sons de guitare ; ou celle à'Elfride rinfi-
1. Boucher de Perthes, Opuscules lyriques, 1821, p. i : L'Invasion; et
Alnianach des Muses, 1822, p. 33: Le Barde.
2. Chansonnier des Grâces, 1829, p. 227.
3. AUnanach des Muses, 1820, et Almanach des Dames, 1823, p. 17 7.
4. Ib., 1822 et 1836, p. 150. L' Almanach de 1836 est identique, sauf les
gravures et les notices, à celui de 1822 dont il constitue une simple réim-
pression.
5. Boucher de Perthes, Romances, Ballades et Légendes, p. 166.
6. Ib., p. 161; et Chansonnier des Grâces, 1824, p. 119.
282 Ossian en France
cléle ', dont le héros est un Oscar. Certains, et plus impor-
tants, sont de véritables poèmes en prose : Fergus, Swa-
ran, et Irama -, qui ont de dix à vingt-cinq pages. Ces trois
morceaux constituent un genre nouveau, celui de la nou-
velle ossianique : des amours, des combats, des mariages,
parmi beaucoup de chants des Bardes, Swaran est le plus
intéressant: ce héros est converti à un dieu inconnu que le
Barde lui a annoncé, et avec qui il a eu la nuit un combat
mystérieux. Il y a là, avec une forme extérieure assez ana-
logue à celle de Macpherson (prose poétique, courts alinéas),
une inspiration chrétienne voilée et un bizarre mélange de
fadeur ossianique et de rudesse Scandinave. Les noms, dans
ces trois nouvelles, sont tantôt tout ossianiques, Lubar,
Star?io,Imsto/ia, Loclin, Swaran, Salgar, Suh)mla, Corina,
Carul, Inisfail; tantôt inventés par analogie; tantôt Scan-
dinaves, surtout dans Irama, la plus longue. C'est dans
Irama que se montre le mieux l'anastomose odino-ossia-
nique. Ducomar et une Elmora y voisinent d'une part avec
Odi?i, Thorvald,\e Nisfleim et le Naslrofid, et d'autre part
avec les Druides et leurs chênes. Et il y a là des « vierges
roses qui pansent les plaies des guerriers » et d'autres vierges
qui méritent qu'on leur dise : « Tes yeux sont bleus comme
l'azur d'un beau jour, et ta bouche appelle les baisers, »
L'auteur traite aussi les sujets Scandinaves pour eux-mêmes,
dans un Chant de mort d'Haï fadan ' ou dans un Chant
de Thorvald * ; encore Halfadan rappelle-t-il Ossian par le
nom de son ennemi Ducomar. Ailleurs il se tourne vers
notre Armorique, et, toujours plein d'Ossian, il cherche à
identifier les traditions calédoniennes avec les usages bre-
tons. Ici et là, mêmes spectres errants, mêmes pierres sur
les tombeaux; les bardes sont les barz bretons, et Ton
retrouve en Bretagne des dogues, des harpes et des météores \
C'est à propos de la Bretagne qu'il parle des « champs
d'Arven » et d'Inistore ^ D'ailleurs aucune des touches
1. Boucher de Perthes, Romances, Ballades et Légendes, p. 237.
2. Id., Chants Armoricains, 2« éd., 1831, p. 269: Fergiis\ p. 283: Swa-
ran; p. 297: Irama. Fergas a paru dans VAlmanach des Dames, 1819,
p. ^l; Swaran dans le même recueil, 1822 et 1836, p. 71.
3. Almanach des Dames, 1823, p. 97.
4. Ib., 1822, p. 198.
5. Boucher de Perthes, Chants Armoricains, p. 25, et passim.
6. Ih., p. 154.
Ossian au tombeau de Napoléon 283
du clavier romantique ne reste muette sous ses doigts :
l'Orient, les belles sauvages, les sylphes et les follets du
Nord, le moyen âge troubadour des Alix et des Loys,le genre
RadclitTe avec ses proscrits mystérieux, ses cadavres et ses
revenants dans les vieux châteaux. Mais il faut surtout
retenir de Boucher de Perthes l'ossianisme patriotique et
l'ossianisme bretonnant.
III
Tout à coup retentit la nouvelle de la mort de Napoléon;
parmi les chants qui s'élèvent en toute langue sur la tombe
du conquérant, il eût été surprenant que la voix de Cona
ne se fît pas entendre. C'est Delphine Gay qui joua la par-
tie d'Ossian dans ce grand concert. Son Chant ossianiqiie
sur la mort de Napoléon ' est daté de juillet 1821 ; il est
dédié à la comtesse Bertrand, et précédé du morceau de
Népomucène Lemerciercité plus haut, où l'on voit Napoléon
prendre Ossian pour poète parce que les autres étaient déjà
pris. L'ode elle-même a quarante-sept vers en strophes
libres. L'auteur rappelle comme il sied la passion de Napo-
léon pour le Barde :
0 divin Ossian, chantre des demi-dieux,
Toi dont les vers mélodieux
Autrefois charmaient son oreille,
Pour chanter ce héros que la mort te réveille...
Fils de Fingal, saisis ta harpe d'or ;
Rassemble autour de toi les vainqueurs d'Inistor:
Que tous enfin, portés par les orag-es.
Ouvrent le palais des nuag^es
Au guerrier qui repose encor...
Tout à côté, on rencontre les filles d'Odin...Et l'ensemble,
médiocre et peu convaincu, invite à relire par contraste le
Cinqiie Maggio de Manzoni. C'est de la bien mauvaise
poésie, et mal écrite, et, on l'a remarqué, parfois inintelli-
1. Delphine Gay, Essais poétiques, 1824, p. 11 ; Œuvres de M""' de Gi-
rardin, I, 207.
284 Ossian en France
gible. Il y a là cependant comme une indication du thème
de la Revue Nocturne, mais l'auteur n'en a rien su tirer.
Tissot déployait une bienveillance inaccoutumée, et qu'ex-
pliquaient sans doute le sexe et la beauté du poète, lors-
qu'il commentait ce poème avec éloge, y trouvant « de
l'imagination, du nerf, de la poésie, de beaux vers... purs
et sans tache * ». Non, décidément, la balance du critique
était fausse ce jour-là.
Ainsi Delphine Gay préludait à son rôle de Musc de la
patrie. Elle continue à ossianiser. En janvier 1825, c'est La
Druidesse %où se rencontre l'amalgame accoutumé de Bardes,
de faucilles d'or, de framées,de Velléda et d'Irminsul. Cha-
teaubriand y est appelé « le Barde au sublime langage ».
En octobre de la même année, c'est Elgise % dont le troi-
sième « récit » s'intitule Le Barde :
Invincibles guerriers, fils du roi des orages,
Du barde révérez les chants mélodieux.
Sa voix peut nous ouvrir le palais des nuages;
La harpe a le secret des dieux.
Là comme ailleurs les « belles Valkyries » entourent
Fingal et Ossian. L'ensemble à' Elgise offre un mélange de
troubadour, de gothique, de Scandinave, avec un peu d'Os-
sian.
Un peu plus tard, Boulay-Paty reprend, sans en tirer
tout l'effet qu'il comporte, le thème de la Revue Nocturne
ou infernale *. Après avoir en quatorze strophes retracé les
exploits et la mort d'un vétéran des armées républicaines
et impériales, il montre Napoléon recevant ses guerriers
« aux sombres rives » dans sa « capote de brouillards » :
Moi-même, dans l'orage, en tableau fantastique.
J'ai cru voir bien souvent leur troupe ossianique
Se mêler dans le choc des vents et des éclairs.
1. Le Mercure du XIX' siècle, 1824, IV, 488 : article sur les Essais Poé-
tiques de Delphine Gay.
2. Delphine Gay, Nouveaux Essais poétiques, 1826, p. 87 : La Druidesse,
chant prophétique, à M. Horace Vernet, d'après son tableau.
3. Ib., p. 109, et OEuvres, I, 89: Elgise, poème en 4 récits. Le Barde
paraît séparément dans le Chansonnier des Grâces, 1827, p. 114.
4. Boulay-Paty, Odes nationales, 2' éd., 1830, ode XVIII : La Mort du
Vétéran.
Ossian et la Revue Nocturne 285
Ossian accompagne la dernière chevauchée des héros :
Et le roi des concerts, dans un hymne de fête,
Une main sur sa harpe et le front dans les cieux...
Dans une note sur ces derniers vers, le poète croit devoir
justifier cette « teinte ossianique * en rappelant la prédilec-
tion bien connue de l'empereur pour Ossian :
Le grandiose des hymnes irréguliers, sauvages, mais hardis,
du chantre de Fingal devait en effet sympathiser avec lui. Toutes
les âmes exaltées, qui s'élancent avec force hors de la vie ordi-
naire, aiment ces poésies galliques simples et éloquentes, où
l'immortalité se révèle dans les grandes images de la nature,
monotones comme le torrent mais majestueuses comme lui.
Quelle belle mythologie que celle qui agrandit ainsi les pensées,
et élève les yeux de l'homme vers le ciel, pour qu'il trouve dans
les formes penchées des nuages les ombres des héros, des belles
et des poètes !
Ce passage est intéressant, étant daté de 1830. Qu'on le
compare aux premiers élans de l'enthousiasme de 1760, et
l'on verra que soixante-dix ans d'ossianisme n'ont pas essen-
tiellement modifié les sentiments qui s'éveillent à la voix du
Barde. Le ton et le style ont plus changé que l'âme même.
On peut rapprocher de cette Revue Nocturne ossianique
l'ode A la mémoire des braves du pays occitanien dont
quelques strophes sont citées par Jouy. UErmite en Pro-
vince, au cours d'un voyage en Gascogne, rencontre à Gri-
zolles un jeune homme qui vient de composer cette ode
patriotique et qui la lui récite :
Telle, au ciel nébuleux de la Calédonie,
Non loin des vastes flots du bruyant Océan,
Des mânes de Morven la troupe réunie,
Avide d'harmonie.
Ecoutait Ossian.
Quoique affranchis des liens de la terre,
Du récit des combats nourrissant leur loisir,
Ils s'enflammaient d'un belliqueux désir.
Et dans leurs mains le large cimeterre
A la voix d'Ossian frémissait de plaisir ^
1. Mercure, 27 décembre 1817: L'Ermite en Province, pai' l'Ermite de la
Guyane.
286 Ossian en France
Les mânes sont de trop, et le cimeterre aussi ; mais
voilà un témoignage inattendu d'un jeune méridional inconnu,
qui nous parvient à travers le classique Jouy.
IV
De 1814 à 1824 paraissent plusieurs poèmes importants,
sinon par le talent de leurs auteurs, du moins par l'effort
nouveau dont ils témoignent, et, pour quelques-uns, par la
renommée éphémère dont ils ont joui. Le Balder de Saint-
Geniès, le Vergy de Proisy d'Eppe, la Caroléide de d'Ar-
lincourt, la Calédonie d'Auguste Fabre, VArindal de Ber-
nède, doivent tous beaucoup à Ossian, quoique plusieurs
se teintent également de scandinavisme. Aucun de ces écri-
vains n'appartient à l'école romantique : ce sont des nova-
teurs prudents, qui ont cherché dans le Nord qu'ils connais-
saient ou croyaient connaître, celui de Mallet et d'Ossian,
des couleurs nouvelles pour rafraîchir et renouveler la
classique épopée.
Saint-Geniès offre le parfait modèle de ces esprits qui
ont cru trouver dans Ossian la poésie nouvelle, héritière de
la poésie classique. L'idée essentielle de son Balder ' s'ex-
prime dès l'épigraphe du poème : Nihil invidet Arctos
Olympo, et se développe en maint endroit de sa longue
préface ou de ses notes :
Les trésors de la mythologie grecque sont totalement épuisés.
L'Olympe et le Tartare ont vieilli depuis longtemps ; le Valhal
et le Nastrund s'ouvraient à propos pour les remplacer. Il était
temps qu'Odin vînt redemander la foudre à Jupiter las de la
porter.
Et ailleurs, parlant de l'influence de la Scandinavie sur
les poètes :
Une mythologie jusqu'alors ignorée venait ranimer leurs
inspirations ; un monde poétique, riche de merveilles et d'cs-
l.L. de Saint-Geniès, Balder, fils d'Odin, poème Scandinave en 6 chants,
1824.
Le « Balder » de Saint-Geniès 287
pérances, s'ouvrait à Timagination et lui offrait des spectacles
qui avaient le bonheur d'être inconnus.
Non seulement le nouveau monde poétique vaut Tautre,
mais encore « cette obscurité » du « ciel de la Scandinavie »
offre un avantage : « En littérature, ce qui est trop connu
est désormais épuisé et stérile. »
Mais où est Ossian dans tout cela ? Le voici. Saint-Ge-
niès, comme tant de ses prédécesseurs et de ses contempo-
rains, ne fait qu'un bloc des croyances et des mœurs de la
Calédonie ossianique et du monde Scandinave de VEdda.
II aftirme cette identité avec un aplomb incroyable. La
découverte des poésies d'Ossian, dit-il, « nous a fait con-
naître la théogonie et le système religieux des anciens Scan-
dinaves ». On voit par elles que « Todinisme était la reli-
gion dominante dans les Iles Britanniques » ; que « les
Ecossais adoraient les dieux du Valhal » ; et comme ce
mythologue si averti se double d'un linguiste, nous appre-
nons du même coup que « l'idiome dans lequel Ossian a
composé ses poésies a la plus grande analogie avec ceux
des scaldes d'Islande ou de Norvège ». Passe pour l'idiome;
Saint-Geniès ne peut distinguer le gaélique du vieux nor-
rois. Mais, pour la religion, on croit rêver: il suffît d'avoir
parcouru rapidement Ossian pour savoir qu'il ne connaît
aucun dieu ni aucun culte. Le début du poème est significatif:
Déesses du Valhal, vous que le Barde implore,
Dont le souffle descend sur sa harpe sonore,
Inspirez-moi...
Que la confusion porte sur d'autres points : que, comme
les premiers lecteurs de Mallet, Saint-Geniès assimile sans
cesse celtique à Scandinave et à germanique, au point d'ap-
pliquer aux descendants des Calédoniens une phrase de
Montesquieu sur les Scandinaves ; cela est moins remar-
quable et moins nouveau. Cet Odin, au reste, est pour lui
autant un héros divinisé qu'un dieu, un Hercule qu'un Jupi-
ter : c'est presque l'Odin que Carlyle a rêvé et qui forme
le premier de ses Héros. Par une deuxième contamination,
la prophétesse qui l'invoque ressemble à la Velléda gau-
loise :
288 Ossian en France
Elle invoquait Odiii : sur les chênes sacrés
Il dessillait ses yeux d'avenir entourés.
Il va sans dire que notre auteur est un ferme tenant de
l'authenticité. Ces poésies d'Ossian « universellement con-
nues et admirées », qui constituent « le plus précieux mo-
nument du génie des peuples du Nord >>, c'est < mal à pro-
pos » que des « ennemis de Maepherson » en ont révoqué
en doute l'authenticité : elle est « démontrée aujourd'hui
par les preuves les plus solides et les plus incontestables ».
Et l'auteur de s'appuyer sur l'édition gaélique de 1807 et
sur l'autorité de Sinclair. Sur la personne même d'Ossian,
il reproduit l'article de la Biographie Universelle, alors
dans sa fraîche nouveauté.
C est Ossian qu'il désigne plus nettement que tout à
l'heure, lorsqu'il met en garde les poètes nouveaux qui
cherchent leurs couleurs dans la poésie du Nord, contre
« l'obscurité trop souvent répandue » dans ces poésies :
« Les brouillards qui enveloppaient le barde sur les rocs
escarpés de Morven, ou au fond des grottes humides de
Lora, ont étendu leurs voiles nébuleux sur ses compositions
et son style. » Soyons éclectiques : faisons « un heureux
mélange de l'originalité des bardes avec la clarté des chantres
immortels de la Grèce ». Ce poète épique peu lu est riche
en idées; il fixe pour nous celles qui ont eu cours à divers
moments de lavogue d'Ossian. Il voit dans les « paladins
du moyen âge, idolâtres de leurs dames » des descendants
des héros ossianiques, et proclame que « l'odinisme a été le
berceau de la chevalerie ».
Voilà un échantillon significatif de quelques-unes des idées
flottantes alors dans certains esprits : identité ou analogie
du monde de VEdda et du monde d'Ossian; origine de la
chevalerie dans les mœurs que peint l'une ou l'autre légende ;
utilité de ces légendes pour renouveler la poésie moderne.
Et Saint-Geniès embouche la trompette épique, et s'écrie:
Tu marches sur l'oraye et les foudres brûlantes,
Sur le volcan roulant ses laves bouillonnantes.
Gomme sur le gazon et les Heurs de Lora
Ou sur les parvis d'or du palais de Selma *.
1. Chant III, p. 61 : Hymne des dieux du Vaihal à Balder.
« Vergy, ou l'Interrègne » de Proisy d'Eppe 289
Et voilà comme on rajeunit, on rafraîchit la poésie fran-
çaise.
Le comte de Proisy d'Eppe devait avoir été pendant l'Em-
pire, ou même auparavant (j'ignore tout de la biographie
de ce gentilhomme), touché d'Ossian à un degré que son
poème, Vergy, ou V Interrègne, nous permet d'apercevoir '.
Ce poème, on le devine d'après la date et le second titre,
a pour cadre la Révolution et l'Empire. Il a pour sujet les
aventures que les circonstances politiques imposent aux
héros de ce roman en vers, qui prétend être un poème his-
torique ; car, dit l'auteur, tous les anciens poèmes sont natio-
naux et historiques ; et il cite Homère, Virgile, les trouba-
dours, les trouvères, « le Ranz des Suisses » et les « Pismés
morlaques ». Fier de son érudition poétique, il cite encore
ces « montagnards errants » de l'Ecosse, qui « de père en
fils ont retenu des fragments de poésies erses ». Comme
ses émules, Ossian a su garder les couleurs des héros qu'il
peignait : de même qu'Achille, Enée, Godefroy, ont chacun
leur caractère, Fingal devait être brave et animé de lespoir
d'être loué par les Bardes. On voit les quatre grands épiques
dresser leurs têtes à travers la brume des siècles : on voit
Ossian désormais accompagner dans la gloire Homère, Vir-
gile et le Tasse.
Au chant VIII du poème, les deux amants, Eponine et
Vergy, se réfugient en Ecosse, sous le toit de chaume d'un
vieillard qui leur offre l'hospitalité proverbiale de son pays;
et au chant X, de la retraite où ils continuent à se blottir, ils
entendent un pâtre chanter un morceau de 198 vers qui est
« dans le goût des poésies erses ou galliques » . Sarno, Almor,
Vilmar roi d'Inistore, la belle Irma : on connaît ce mélange
de noms véritables ou inventés, qui défilent parmi des aven-
tures d'amour et des batailles. Peu de couleur, et aucun
signe de rajeunissement de la poésie par cet afilux étran-
ger. Je remarque que le chevreuil est remplacé par le cha-
mois, plus alpestre, et par là sans doute plus digne des mon-
tagnes de Morven, plus pittoresque aussi. L'auteur examine
sans la trancher la question d'authenticité ; mais il émet
1. Comte de Proisy d'Eppe, Vergy, ou l'Interrègne depuis 179-2 jusqu'à
18IÂ, poème en 12 chants, 1814.
290 Ossian en France
l'hypothèse du peuplement de l'Ecosse par les Scandinaves,
qui Y auraient apporté leurs croyances. Retenons cette vue.
Pour le reste, il cite six pages durant les notes de Le Tour-
neur. Il faut observer que des douze chants de son poème,
c'est justement celui-là que l'auteur choisit pour faire con-
naître son œuvre aux lecteurs du Mercure '. Le Chant du
Barde y est donné tout entier, avec une introduction expli-
cative.
Le grand ouvrage de Marchangy % quoi qu'on en ait dit %
ne ressent qu'extrêmement peu l'influence d'Ossian. 11 y a
dans la Gaule Poétique des bardes et même un bardil; Teu-
tatès y a ses autels, et l'on y boit la bière dans des crânes
sanglants ; cela est vaguement celtique, plutôt germanique
et Scandinave ; l'anastomose est directe entre la veine gau-
loise et le courant d'outre-Rhin, sans que la Calédonie inter-
vienne de manière sensible. Mais un autre exploiteur du
patriotisme littéraire n'a pas craint de faire largement appel
à l'épopée ossianique pour enfler fort à propos l'exilité de
son sujet. On connaît l'habile d'Arlincourt, qui fut en son
temps le roi des faiseurs, et le succès éphémère de sa Caro-
léide *• Le poème était attendu, espéré, prôné, cité presque
un an ou deux à l'avance. Pareille attente ne réussit ni à
la Pucelle de Chapelain, ni aux Mois de Roucher; seul, le
modeste et discret Virgile n'a pas déçu l'espoir enthousiaste
de ses amis. Dans ce poème « que M. de Marchangy a nommé
la seconde immortalité de Charlemagne ^ » — c'est l'auteur
lui-même qui transmet ce propos flatteur — on rencontre
Ossian à chaque instant. Le poète nous prévient dans sa
Préface qu'il va chanter « les fils de Lochlin » et qu'il
mêlera « les forêts de la Gaule, les rives de Lochlin, la
grotte de Fingal et les monts de la Calédonie ». En elîet,
il nous donne tout cela, et bien d'autres clioses encore. Les
noms, les détails empruntés aux poèmes os si uniques voi-
sinent avec les souvenirs Scandinaves, toujours les mêmes :
1. Mercure, septembre 1814.
2. Marchangy, La Gaule Poéti(iue..., 3" éd. augmentée, 1819.
3. A. Tedeschi, p. 84. L'auteur consacre plus d'une page à Marchangy.
4. Vicomte d'Arlincourt, Charlemagne ou la Caroléide, poème épique
en 24 chants, 1818.
5. Alfred Marquiset, Le Vicomte d'Arlincourt, p. 77 : Lettre de d'Ar-
lincourt à son père, 16 juin 1818.
« La Caroléide » de d'Arlincourt 291
Lochlin, la grotte de Fingal, Loda, Oscar, Morven, les bardes,
les sept bosses du bouclier qui font entendre les sept voix
de la guerre, etc. Et d'autre part, Odin, Balder, Freya,
Thor, les scaldes, les Valkyries. Des scaldes entonnent un
bardit. N'oublions pas un troisième élément représenté par
les preux et Voriflamme, mais bien plus rare qu'on ne le
croirait dans ce poème consacré à Gharlemagne. Je sais
bien que le vicomte connaissait mal, et pour cause, les Chan-
sons de geste, et que Fauteur de la Caroléide ignorait à
peu près notre Roland. Mais il est extraordinaire qu'il ait
si souvent fait appel à la légende Scandinave, plus encore,
qu'il y ait mêlé une forte proportion dossianisme. Celui-ci
lui fournit à plusieurs reprises des comparaisons avec les
ombres, avec les sons mystérieux de la harpe. Il y a
même un chant, le XI V% presque entièrement ossianique.
C'est l'épisode du « mont d'Ossian ». Ce mont fut la de-
meure « d'un Barde de Morven... de l'immortel Ullin ».
C'est pour cela, paraît-il, qu'il s'appelle le mont d'Ossian.
Ullin a édifié sur le sommet un palais merveilleux :
Là des Bardes en chœur la voix mélodieuse
Montait en doux accords jusqu'au palais des vents,
D'où les nobles aïeux de ces chantres vaillants,
Princes aériens, commandaient aux orages.
Là est évoqué sans cesse le souvenir de Starno, de
Trenmor, de Fainasollis, et d'Agandecca, et de Temora, et
d'Inistore. Là revivent
Les palais de Morven, les grottes du Lora,
Et surtout Ossian, ce barde de Selma,
Dont les exploits guerriers, comme les chants célèbres,
Ont du chaos des temps traversé les ténèbres.
Et nous avons le couplet sur les ruines de Balclutha. Ce
chant tout ossianique est d'ailleurs le meilleur, ou le moins
mauvais, du poème : c'est que l'auteur suit un modèle qui
fournit de poésie son indigente imagination. Il s'excuse
d'ailleurs de « ce style étrange » ; mais il a tenu à conserver
« exactement les teintes et la couleur ossianique ».
Il faut joindre à ces poèmes ossiano-scandinaves quelques
a9ï
Ossian en France
pièces isolées qui offrent le même caractère. Norvins, ancien
fonctionnaire et futur historien de Napoléon, passant en
revue les croyances de tous les peuples sur L' linmortalité
de l'Ame, mêle constamment Odin et les Celtes, place un
barde en Islande, met le Walhalla dans les nuages d'Ossian,
les peuple de bardes poétiques, e^i invoque une vague Calé-
donie qu'il fait religieuse pour les besoins de son sujet :
0 terre de Fingal ! solitude g-uerrière ' !
Baour-Lormian essaie de se rajeunir et de se mettre au
goût du jour en faisant des ballades du genre de Lenore,
des Paradis d'Odin où le scalde remplace le barde ; il reste
fidèle aux plaines de Cromla — il a oublié son Ossian, car
le Cromla est une montagne — qu'il associe à Balder,
Fregga^ Idrazil — il estropie toutes les mythologies — et
aux TFa//iyri>.s ^ ReitTenberg donne la parole à un Barde cap-
tif des Romains : ce n'est pas un Calédonien, c'est un Gau-
lois qui est tout de même un Germain \ Dans un autre
poème, il place Velléda sur « les bords du Légo » qui est,
on le sait par Ossian, « le Styx du Nord * ». La Harpe du
Scalde ^ est aussi celle du Ménestrel de Beattie, que Cha-
teaubriand avait commencé à traduire et dont la traduction
est achevée par J.-B.-A. Soulié'^ ; et celle des troubadours
qui l'empruntent à Ossian pour « remplacer la lyre ' ».
Enlin, notons YIrtna de l'ossianiste Saint-Michel % « récit
dans le goût Scandinave » ; mais ce scandiuave-là doit beau-
coup à Ossian. Deux frères s'entre-tuent pour la belle Irma:
elle périt à son tour en embrassant son amant, et le voya-
geur ému vient rêver sur leur tombe.
l.De Norvins. L'Immortalité de l'Ame, poème, 1822, chant IL
2. Baour-Lormian, Légendes, Ballades et Fabliaux, 1829.
3. De ReilTenberg, Poésies diverses, 1825, 1,53.
i.Ih., I, 133.
5. Annales de la Littérature et des Arts, II, 166 (1821) ; Almanach des
Muses, 1822, p. 121 ; Almanach des Dames, 1823, p. 107 : La Harpe du Scalde,
ou le Réveil de l'Honneur, par Ch.de Saint-Maurice.
6. Annales de la Littérature et des Arts, III (1822).
7. René Trédos, Loisirs Poétiques, 1828, p. 61 : Hommage à la Harpe,
romance.
8. Almanach des Muses, 1816, p. 35 : Irma, récit dans le goût Scandi-
nave, par Alexis de Saint-Michel.
« La Calédonie » d'Auguste Fabre apS
A côté de ces poèmes ossiano-scandinaves il en est deux
au moins qui portent plus exclusivement l'empreinte ossia-
nique. Je veux parler de La Calédonie d'Auguste Fabre et
de VArindal de Bernède. Là, point de Walkyries ni de
Walhalla. L'Ecosse ossianique leur suffît : mais ils en font
un usage bien différent.
L'auteur de La Calédonie, frère de l'ossianiste Victorin
Fabre, explique dans sa Préface 'quelle est sa dette envers
Ossian. Son poème a pour sujet la guerre victorieuse qui
rendit aux Calédoniens l'indépendance, et chassa du sol de
l'Ecosse les légions de Septime Sévère et de Caracalla. Ses
couleurs, ses caractères, lui ont été fournis par les poèmes
d'Ossian, puisqu'on ne connaît guère la Calédonie ancienne
que par eux ; et Ton peut s'y fier, car l'authenticité de ces
poèmes est « au moins quant au fond, reconnue aujourd'hui,
ou plutôt constatée ».Mais, dira-t-on,s'il en est ainsi, pour-
quoi n'a-t-il pas choisi pour ses héros Fingal, Oscar et Os-
sian ? Parce qu'il ne les a pas trouvés dans l'histoire. Il
s'est contenté de s'inspirer d'une manière générale des
poèmes ossianiques. D'une manière générale, en effet ; et
aussi pour les noms propres : à l'exception des trois qu'il a
nommés, on retrouve dans ses vers les noms les plus connus.
Quelques-uns revêtent des personnages familiers : Gaul,
Dermide, Clessamor, Moïna, Minvane, Foldath, Carril le
barde, évoluent dans Inistore, à Lochlin ou aux bords du
Lora ou de la Clutha. D'ailleurs l'auteur cite Le Tourneur
qui est avec Tacite sa principale autorité.
Ce qu'il faut surtout noter dansL« Calédo?iie, c'est qu'Au-
guste Fabre, à la différence de la plupart de ses émules,
sait faire la distinction entre Ecosse et Scandinavie. Léon
Thiessé le félicite d'avoir laissé de côté toute mythologie
Scandinave et supposé seulement « que les âmes des héros
président aux actions des hommes^ ». C'est à Ossian qu'il
1. J. -R.Auguste Fabre, La Calédonie, ou la Guerre Nationale, ipoème en
12 chants, 1S24.
2, Mercure du XIX' siècle, 1824, VI, 193.
2C)4 Ossian en France
emprunte cette mythologie spiritualiste et un peu abstraite
dont le critique le félicite. Quoiqu'il ne parle pas d'Ossian
une fois à ce propos, et ne fasse intervenir qu'Homère dans
le débat, Olgar, le héros, explique au grec Nicéphore que
la mythologie grecque dérive tout entière de la croyance
primitive aux ombres des morts et à la part qu'elles pren-
nent aux actions des hommes, croyance commune à tous les
peuples. Ce Calédonien, qui s'improvise professeur de mytho-
logie comparée, nous dévoile la pensée de l'auteur. En tout
cas ce poème, qui n'est pas entièrement ossianique, reste
plus fidèle à l'inspiration générale ossiano-macphersonienne
que ses congénères. L'auteur, se gardant simplement de
toute contamination Scandinave, a tenté un poème sans
merveilleux. Mais les âmes des morts n'ont pas su l'ins-
pirer, et l'œuvre reste froide et inanimée. Un critique ' at-
tribue le peu de succès du poème au « choix malheureux »
du sujet : « Quel fatal génie a pu lui persuader qu'il ferait
trouver à des lecteurs français du charme et de l'intérêt dans
les traditions lointaines des anciens pâtres d'Ecosse?» Ce-
pendant il trouve dans La Calédonie « des vers d'un tour
énergique, des descriptions neuves, des comparaisons bril-
lantes ». L'auteur, au reste, paraît sérieux, et non pas fai-
seur comme d'Arlincourl : aussi a-t-il été beaucoup moins
connu en son temps.
Comme les précédents, ce poème n'était ossianique que
partiellement. Celui de Bernède est le seul qui dérive com-
plètement d Ossian, forme et fond. L'auteur à' Ariiulal ',
dès le début de sa Préface, pose la question ossianique. Il
la tranche affirmativement ; car, dit-il, ces poésies sont
connues dans toute l'Ecosse : « Après quinze siècles, l'écho
de la montagne répond encore aux plaintes de Lorma,aux
chants guerriers de Fingal,et aux récits douloureux du père
de Malvina. » Deux choses à remarquer ici : la première,
c'est que le jeune Bernède utilise indifféremment les poè-
mes de Smith et ceux de Macpherson, puisqu'il cite Lorma :
il se sert donc de l'édition complète de 1810. La seconde,
c'est que sa lecture a été peu attentive, puisqu'il fait, ici
1. L'Année française, iSii, p. 220.
2. Auguste Bernède, Aiindal, ou les Bardes, suivi de Gélimer, ou le
Héros vandale, etc., 1819.
« Arindal » de Bernède 295
et ailleurs, d'Ossian le père de Malvina, quand c'est Tos-
car qui doit revendiquer cet honneur. S'appuyant donc sur
le témoignage des voyageurs qui ont « médité sur les
ruines de Morven », Fauteur a entrepris de composer un
poème dans le genre ossianique ; il a pris au Barde les
noms, la couleur locale et « le court épisode du dogue »
qui pleure son maître. Libre à d'autres de critiquer ce genre,
de « ridiculiser avec beaucoup d'esprit les bruyères, les lacs
et les déserts ». Il tient, lui, que ce paysage est « en par-
faite harmonie » avec « une imagination exaltée par le
malheur ». Ossian est de son pays comme Homère et Vir-
gile sont chacun du leur : il est, comme eux, riche en « beau-
tés sublimes ».
Le poème n'est pas fort long : 478 vers en 3 chants ;
alexandrins coupés de vers libres. Ossian sort de sa caverne,
et, dans une sorte de monodie en vers libres, décrit le pay-
sage avec ses bruyères et ses météores, invoque la lune,
dit sa vie errante, pleure Oscar et Malvina, et contemple le
tombeau de cette dernière — car pour Bernède Ossian n'est
pas aveugle, il a seulement « une faible vue » — évoque
Fingal et la ruine de Morven, qu'il identifie avec Balclu-
tha. Tout à coup paraît un autre vieillard : c'est Carril ;
après s'être pris mutuellement pour des fantômes, les deux
bardes se reconnaissent, et Carril raconte à Ossian qu'il
fuit, torturé par les remords, car il a laissé périr le jeune
Arindal qui lui était confié par son père Lamor.
Bernède a pris aux poèmes ossianiques des personnages
et des lieux — qu'il a souvent brouillés ou confondus —
quelques faits, quelques motifs, et surtout de la couleur
pseudo-calédonienne, et avec tout cela a composé un petit ro-
man ossianique. Le style, bien que d'un novice, a de l'aisance,
et les fausses élégances y sont rares. Le premier chant est
le plus typique et le seul intéressant. Le Conservateur Lit-
téraire,àAns un article signé S..., n'apprécie guère le poème,
et se borne à constater que « décidément les poésies ossia-
niques deviennent à la mode ; o n veut du romantique en
vers et en prose ' ».0n remarquera deviemient à la mode ;
l'expression est au moins curieuse en 1820.
1. Conservateur Littéraire, II, 272 (juillet 1820).
296 Ossian en France
Fabre et Bernède étaient, en somme, des exceptions. Bien
plus nombreux sont ceux qui mélangent intimement les
deux légendes : les mythes Scandinaves, connus par Mal-
let — car on continue à exploiter ce vieux fonds qu'aucune
contribution importante n'est venue enrichir depuis trois
quarts de siècle — et le monde ossianique, qui n'est naturel-
lement révélé que par les poèmes de Macpherson et de
Smith. Un savant de langue suédoise qui étudiait récem-
ment une partie de la production ossiano-scandinave que je
viens d'analyser faisait la remarque que de ces deux inspi-
rations « jumelles » c'est l'ossianique la plus importante :
« Quelque abîme qui sépare le style énergique des sagas et
des poèmes Scandinaves du ton uniforme et sentimental
d'Ossian» dit-il, on peut admettre que « les peintures Scan-
dinaves de cette époque ne sont que des variantes des imi-
tations d'Ossian '. » On sent le besoin d'atîranchir la poésie
française de l'empreinte gréco romaine : on choisit des su-
jets dans le monde barbare, et on se compose pour les trai-
ter une palette, assez maigre d'ailleurs et grise, où voisinent
des couleurs empruntées à Ossian, à VEdda, aux Gaulois
des Martyrs, aux Germains que Tacite et les annalistes de
Charlemagne font très imparfaitement connaître. Le roman-
tisme n'a pas encore ouvert à la poésie de nouvelles sour-
ces en s'attaquant à un moyen âge plus récent ; ou s'il les
a ouvertes, les poètes attardés qui ossianisent ne les con-
naissent pas. En 1817, dit "Victor Hugo à propos des
« quatre Oscars quelconques » qui figurent dans l'épisode
de Fantine, « on sortait d'Ossian : l'élégance était Scandi-
nave et calédonienne ; le genre anglais pur ne devait préva-
loir que plus tard ^ ». Il y avait là un essai malheureux pour
chercher une rénovation des sujets, des mythes, des cou-
leurs, dans une deuxième antiquité très confuse, très mal
connue, et qui ne devait s'ouvrir partiellement à la France
que beaucoup plus tard, Ossian expulsé, ou transformé
comme nous le verrons, Leconte de Lisle saura dire l'ago-
nie du monde celtique et la farouche grandeur des héros
Scandinaves. Mais, sous la Restauration, le respect de l'épo-
1. Gunnar Castrén, Norden i den franska Lilteratiiren, p. 178 et 251.
2, V. Hugo, Les Misérables, III, n : Double Quatuor.
Conclusion sur ces poèmes 297
pée traditionnelle, l'artificiel des sujets, une couleur locale
plaquée et fausse, de perpétuelles confusions, et surtout
Tabsence totale de talent, n'ont donné que quelques Poè-
mes Barbares avortés.
CHAPITRE III
Lamartine
I. Bibliographie du sujet. Quand Lamartine a-t-il découvert Ossian ? L'épi-
sode de Lucy : une idylle ossianique. Rectifications et doutes de la cri-
tique. Quel Ossian a-t-il connu? Celui de llill; preuves. Le poème os-
sianique du jeune Lamartine : A Lucy. Eléments divers de ce poème
IL Témoignages autobiographiques sur l'impression que produisait en lu
la lecture d'Ossian. Une liste de premières lectures. Ossian et Dante
Une autre liste. Conclusions qu'on en peut tirer sur les goûts de Tau
teur. Werther et Ossian. Le rêve et la formation du paysage intérieur
Témoignages tirés de la Correspondance : rêves de voyage au pays
d'Ossian. Transposition de ces souvenirs dans Jocelyn. Un Ossian
romantique.
IIL Place d'Ossian dans l'œuvre poétique de Lamartine. Evocation di-
recte : transformation du type traditionnel du Barde. Quelques allu-
sions. Influence. Impression générale. Rapprochements précis. Mé-
thode de M. von Poplawsky. Rapprochements douteux. Exemples de
rapprochements probants. Autres analogies. Lamartine comparé à
Ossian par ses contemporains. Tableaux synoptiques des rapproche-
ments. Conclusions qui s'en dégagent. Causes du contraste entre les
deux périodes. Le type d'Ossian.
IV. Ce que Lamartine doit à Ossian. Fléments qu'il néglige. Ce qu'il re-
tient : le paysage ; les sentiments.
V. Ossian et la vieillesse de Lamartine. Le Cours de Littérature et les
deux Entretiens sur Ossian. Contenu de ce long morceau : l'histori-
que; la démonstration de l'authenticité; les traductions ;lesjugements.
On a déjà à plusieurs reprises étudié la part qui revient
à Ossian dans l'œuvre de Lamartine. Il est à peu près le
seul des écrivains français pour qui cette étude ait été faite :
il doit ce privilège à l'évidence et à l'importance de l'in-
fluence ossianique sur sa poésie et, pourrait-on dire, sur son
âme même. Cette partie de notre étude ne saurait donc ap-
porter de résultats entièrement nouveaux, après les vues
Bibliographie du sujet 299
générales d'Emile Deschanel ', l'analyse plus détaillée de
M. Zyromski-, l'étude très minutieuse à laquelle s'est livré
M. von Poplawsky % enfin les pages de M"° Tedeschi*. Une
enquête personnelle m'amènera cependant à restreindre sur
certains points la portée de cette influence, et à en préciser
ailleurs le caractère. M. Zyromski, dans les vingt-six pages
qu'il consacre à cette question, non seulement ne vise expli-
citement qu'un petit nombre de textes de Lamartine (huit
exactement), mais encore se montre surtout désireux d'éta-
blir la part d'Ossian dans la formation an paysage intérieur
de Lamartine. Il aurait fallu, même en envisageant la ques-
tion de ce point de vue, se préoccuper un peu davantage
de doser rinfluence,d'en dater les principales phases, d'ap-
porter en un mot quelque précision. L'auteur semble sur-
tout connaître VOssian de Baour-Lormian ; il cite le Discours
préliminaire de ce dernier pour expliquer le succès d'Os-
sian en France ; il apprécie sa traduction. 11 faudrait d'abord
établir que Lamartine a connu Ossian par Baour-Lormian,
et nous verrons tout à l'heure que c'est peu probable. M. von
Poplawsky s'est livré au contraire à un dépouillement extrê-
mement complet, trop complet en ce sens qu'il a cru re-
connaître des influences lorsque sans doute il n'y a que des
rencontres, ou même lorsque le rapport est à peine percep-
tible pour des yeux moins perspicaces. La connaissance gé-
nérale, même superficielle, de notre littérature, manque à
l'auteur ' ; et malgré l'abondance des textes qu'il cite et
l'ordre judicieux dans lequel il les dispose, il doit être suivi
avec prudence dans ses conclusions générales, lesquelles ne
sont d'ailleurs pas exemptes de contradictions. On voudrait
que da moins il eût pris la peine de chercher comment La-
martine a connu Ossian, par Le Tourneur, par Baour, ou
autrement. L'historien italien d'Ossian en France dessine à
1. Em. Deschanel, Lamartine, 3° éd., 1895, I, 26.
2. E. Zyromski, Lamartine poète lyrique, 1896, ch. III : Ossian.
3. Th. A. von Poplawsky, L'influence d'Ossian sur l'œuvre de Lamar-
tine, 1905.
4. A.Tedeschi, Ossian... en France, p. 95-102.
5. Il parle des cercles littéraires de Versailles au temps de Richelieu
(p. 10), place la Pléiade après Hardy (i/).), considère Ossian comme le seul
poète étranger connu en France avant le Romantisme (p. 2), et voit dans
la révocation de l'Edit de Nantes la cause de la faiblesse de la poésie fran-
çaise au xviii» siècle (p. 11).
3oo Ossian en France
grands traits les contours essentiels du sujet, et avec un
coup d'œil assez sûr. Mais son travail, qui paraît indépen-
dant des trois autres, n'en réclame pas moins quelcjues rec-
tifications et d'abondantes additions. Il restait donc beaucoup
à faire après ces auteurs pour retracer d'une manière aussi
précise que possible l'histoire de l'influence d'Ossian sur
Lamartine.
Son enfance en partie campagnarde, libre et rêveuse,
le préparait certainement à comprendre et à aimer la poé-
sie ossianique. Non que les coteaux pierreux de Milly eus-
sent quelque analogie avec les monts nébuleux et humides
du fabuleux Morven. Si, comme on a cru le discerner,
le paysage ossianique a été interprété par lui avec des sou-
venirs de Milly ', c'est que ce vrai poète avait le don de
transformer ses souvenirs au gré de ses rêves. Il ne subis-
sait pas à cet égard, comme Chateaubriand, l'influence ossia-
nique avant Ossian. Mais il avait le goût de la rêverie, de
la chimère, et, ajoutons-le, de la paresse : il était élevé en
partie en plein air et dans une liberté relative. Vers l'âge
où l'adolescent heureusement doué sent l'impérieux besoin
de préciser la forme de son rêve, il découvre Ossian. A quelle
date et sous quelle forme ? Ni l'une ni l'autre de ces deux
questions n'ont été même abordées par aucun des auteurs
que j'ai cités tout à l'heure.
A en croire Lamartine lui-même, il aurait eu quinze ans.
On connaît le joli épisode de Lucy, raconté dans les Confi-
dence s^.eiàoni on trouve un résumé critique sous la plume
de M. Christian Maréchal % de ce premier amour « sous
l'invocation d'Ossian », comme dit Sainte-Beuve \ Lamar-
tine raconte qu'il avait depuis quelque temps le culte du
Barde. « Mais il manquait quelque chose à mon intelligence
complète d'Ossian : c'était l'ombre d'un amour. » 11 fait
heureusement la connaissance de Lucy L..., jeune lille à peu
près de son âge, qui habite un château des environs.
Elle adorail comme moi Ossian, dont les images lui ra|)pelaient
nos propres collines dans celles de Morven... Nous nous rcn-
1. Poplawsky, p. 51.
2. Confidences, livre VI, vu à xiii.
3. Chr. Maréchal, Lamennais et Lamartine, p. 22-25.
i.Ca.useries du Lundi, 1,30.
L'épisode de Lucy 3oi
contrions déjà dans nos nuages, nous nous aimions déjà dans
notre poète chéri.
Les deux enfants, dans les promenades, marchent seuls
en avant, admirent comme le paysage d'hiver est pareil à
celui d'Ossian : « Les chênes penchaient sur l'eau leurs bras
alourdis de neige, comme les vieillards de Lochlin sur la
harpe des bardes. » Et Tidylle continue et se précise : « Ossian
fut notre confident muet et notre interprète ». Galeotlo fu
il iibro e chi lo 5crf 556... Alphonse envoie à Lucy des vers
ossianiques : « L'idée me vint d'ajouter une ou deux pages
à Ossian, et de charger l'ombre des bardes écossais de la
confidence de mon amour sans espoir. » Lucy lui répond
« par un petit poème ossianique aussi». Dans leurs prome-
nades, ils contemplent ensemble « l'arc de la pluie dont
parle Ossian ». Nous souhaitions, poursuit Lamartine,* de
nous entretenir sans témoins et sans fin des plus secrètes
émotions de nos âmes, comme Fingal, ^lorni et Malvina sur
les collines de leurs aïeux ». Enfin vient le récit de cette
« première nuit de poésie ossianique » qui ne dura qu'un
instant, qui mit en assez mauvaise posture le jeune amou-
reux, et qui fut le signal de la séparation définitive.
Puisque Lamartine avait quinze ans, cette idylle se serait
déroulée dans l'hiver 1805-1806. Le poème A Lucy est daté
du 16 décembre 1805. Mais la critique moderne a rectifié,
sur ce point comme sur tant d'autres, les souvenirs de celui
qui s'est raconté tant de fois. On sait que l'auteur des Con-
fidences, de Raphaël, de Graziella et des Commentaires
avait l'inexactitude naturelle, hardie et ingénue. La véri-
table Lucy était une enfant de douze à treize ans '.La « mai-
son banale » de ses parents ne s'ornait point de tourelles,
et aucun torrent ne mugissait au pied de ses murs ^ Ces
détails romantiques ont été ajoutés par le poète, qui a cédé,
inconsciemment peut-être, au désir de conformer la scène
au genre de la poésie ossianique. Le fond de l'histoire paraît
authentique à un autre biographe % dont le principal argu-
1. De Riaz, Annales de l'Académie de Màcon, 1910-1911, cité par P. de
Lacretelle, Les origines et la jeunesse de Lamartine, p. 187.
2. Ch. Alexandre, Souvenirs sur Lamartine, p. ISl.
3. Félix Reyssié, La Jeunesse de Lamartine, p. 93.
3o2 Ossian en France
ment est la plaque posée par M. de G..., propriétaire du châ-
teau de Byone,en souvenir de Lucy,« le poète ayant conté
riiistoire ». C'est se contenter à peu de frais. Quant à la
date de cette première ferveur ossianique, on fait remarquer
que d'après la Correspondance, Lamartine ne connaissait
pas Ossian avant 1808. Il aura, en racontant sa vie, fondu
ensemble une gracieuse passionnette d'adolescent et ses
premières émotions de jeune homme à la lecture d'Ossian :
il aura pour cela reculé la date du poème qu'il avait yardé
en portefeuille, de manière à pouvoir l'intercaler dans
l'idylle de Lucy, et à le rendre plus intéressant en le par-
fumant, pour ainsi dire, de toute cette poésie de leurs jeunes
cœurs.
Telle est la thèse deM.de Lacretelle. Je veux bien croire
que les vers A Lucy ne datent pas réellement de décembre
1803, et qu'ils ont été après coup introduits dans l'épisode;
mais rien ne me le prouve. Le biographe prétend reconnaître
l'âge exact de ces vers à leur facture, qui les fixe aux an-
nées 1810-1811. J'admire cette précision, sans oser y pré-
tendre pour ma part, et même sans être absolument con-
vaincu. Mais, dira-t-on, Lamartine pouvait-il écrire ainsi à
quinze ans .'' Pourquoi pas ? Savons-nous ce qu'il pouvait
écrire ou non à cet âge, puisque aucun poème ne nous est
parvenu qui soit indubitablement de cette époque ? L'un
des deux termes de comparaison manque. Comment affirmer
d'autre part que Lamartine ignorait complètement Ossian
avant le mois de décembre 1808, date où il en est fait la
première mention dans la Correspondance ? 11 dit : « J'ai lu
Ossian ces jours-ci... ' » sans autre appréciation. Est-ce le
langage d'un jeune homme qui découvre un poète inconnu,
avec lequel il va tant et si longtemps sympathiser de toute
son âme? C'est bien plutôt l'expression de celui qui connaît
déjà, au moins d'une première vue, l'auteur dont il s'agit.
Tel d'entre nous à qui Musset aura donné, au temps heu-
reux de ses quinze ans, la révélation foudroyante delà beauté
poétique, aura très bien pu écrire à dix-huit ans : « J'ai lu
Musset ces jours-ci... » Il s'exprimerait autrement s'il venait
de recevoir le choc divin du génie.
1. Correspondance de Lamartine, 1,98 (sans date, mais peu après le 11 dé-
cembre 1808).
Ossian et la jeunesse de Lamartine 3o3
Que conclure ? Selon moi, Lamartine, en romançant comme
on Ta vu l'épisode de Lucy, peut très bien s'être souvenu
qu'il aima Ossian dès quinze ans. La pièce de vers qu'il
intercale dans son récit peut dater de cette époque, comme
elle peut être postérieure, et avoir été très arrangée, dans
les deux cas, avant de paraître au grand jour dans les Con-
fidences. La fausseté prouvée d'un détail n'entraîne pas en
pareil cas la ruine de tout le récit; et surtout l'historien doit
savoir ignorer.
La seconde question est plus facile à résoudre. Il suffit
de rapprocher deux textes. Lamartine écrit : « De petites
éditions en volumes portatifs se glissaient dans toutes les
bibliothèques. Il m'en tomba une sous la main ^.. » Cette
indication ne peut s'appliquer qu'à l'édition de Le Tourneur
de l'an VII ou à la traduction de Hill,179o ou 179G. D'autre
part, sa lettre àVirieu donne comme sujet de l'épisode qui
l'a particulièrement touché « un vieillard qui pleure son
chien mort ^ ». Cet épisode se trouve dans Manos, poème
qui fait partie du recueil de Hill, L'expression de tout à
l'heure convient parfaitement à ce dernier ouvrage. Déplus,
souvenons-nous que ni Baour-Lormian, ni aucun autre tra-
ducteur n'avaient touché à Manos ; que l'édition Dentu, qui
comprenait à la fois les poèmes traduits par Le Tourneur
et ceux qu'avait donnés Hill, ne parut qu'en 1810 ; et nous
achevons d'être certains que ce sont les trois petits volumes
de Hill qui ont révélé Ossian à Lamartine. Quant au texte
anglais, ce n'est que vers 1812 que le jeune homme se met à
apprendre cette langue, et qu'il s'exerce à traduire Young
et Addison, sans compter Pope, Sterne, Richardson, Fiel-
ding, Milton,Dryden,Gray, Thomson, Goldsmith et Otway,
qu'il découvre dans cet ordre entre 1807 et 1812 % et qu'il
a peut-être en partie lus en anglais, bien que rien ne per-
mette de l'affirmer. Ossian ne figure pas sur cette liste.
Nous ne saurons probablement jamais ce que valait la
pièce ossianique par laquelle Lucy répondit à celle d'Al-
phonse.
1. Confidences, livre VI, vi.
2. Correspondance de Lamartine, I, 98.
3. Ih., passim.
3o4 Ossian en France
Ses vers n'exprimaient que la plainte mélancolique d'une
jeune vierge de iMorven, qui voit le vaisseau de son frère par-
tir pour une terre lointaine, et qui reste à pleurer le compagnon
de sa jeunesse, au bord du torrent natal. Je trouvai cette poé-
sie admirable et bien supérieure à la mienne. Elle était en effet
plus correcte et plus gracieuse...
Mais nous pouvons juger en connaissance de cause la
pièce de 140 vers que le poète reproduit dans les Confiden-
ces. Le poème se compose d'un récitatif, d'un chant, du Chant
d'un chasseur, d'un dialogue entre le chasseur et la lune ,
et d'un dernier récitatif. L'ensemble est incontestablement
ossianique, par le cadre général, par le paysage, par le sen-
timent ; mais il n'y a pas imitation de tel poème, de telle
situation particulière. Il y a même peu de touches locales:
deux noms propres : Morven, Cromla ; quelques détails :
harpe, chevreuil, barde (mais c'est un barde aux bnms che-
veux) ; et surtout du vent, de la neige, la nuit, la lune, le
rêve, le pas des morts... Le premier vers nous place tout de
suite dans le monde ossianique :
La hai'pe de Morven de mon âme est l'emblème...
Il s'agit de la harpe suspendue aux murs du palais, qui
résonnait d'elle-même quand les âmes des morts appro-
chaient. Mais c'est surtout du Lamartine, et souvent duvra i
et du pur Lamartine ;
Ombres de l'avenir, levez-vous pour mon âme !...
Lève-toi ! lève-toi sur les collines sombres,
Biche aux cornes d'argent que poursuivent les ombres !
... Et qu'elle voit d'avance entrer dans cette tour
L'ombre aux traits indécis de son futur amour.
Voici deux vers essentiellemsut lam irtiniens et qui ne
doivent rien à Ossian :
Des rayons vaporeux de ta chaste lumière...
Toute neige est printemps aux rayons de ton âme.
Un poème ossianique de jeunesse 3o5
Il y a ici et là une trace de l'érotisme galant de l'époque ■,
c'est d'ailleurs du pur Ossian, j'entends celui de Smith tra-
duit par Hill :
Sous sa robe d'enfant, qui glisse des épaules,
A peine aperçoit-on deux g-lobes palpitants...
Ce qui est tout à fait de Lamartine aussi, et non d'Ossian,
c'est Tensemble des comparaisons et des images empruntées
à la chasse, à la vie solitaire des campagnes en automne ou
en hiver : la neige, les corneilles, les loups, les feux des
bergers, les vieux manoirs, qui deviennent les tours des
vieux chefs. Enfin n'est ce pas le jeune Lamartine chassant
ou rêvant, gentilhomme campagnard et poète, qui s'esquisse
ici :
Quel est au sein des nuits ce jeune homme, ou ce rêve,
Qui de l'étang glacé suit à grands pas la grève,
Gravit l'âpre colline, une arme dans sa main ?...
M. von Poplaw^sky, qui n'analyse pas ce poème de ma-
nière à en dégager les traits essentiels, a raison d'ailleurs
de conclure en faisant remarquer que dès ce premier essai
« Lamartine se plaît à la forme grandiose d'une exposition
large et détaillée, qui produit un contraste singulier avec
les descriptions serrées et saisissantes d'Ossian ' ». Rien de
plus opposé en effet à la manière de Lamartine que la prose
de Macpherson, même lorsque celle ci touche le plus à la
poésie.
II
C'est en tout cas à la période qui suivit sa rentrée défi-
nitive à la maison paternelle, après les quatre années pas-
sées au collège de Belley (1807), que Lamartine fait lui-
même remonter son initiation définitive à Ossian. Il le lit,
il le sent profondément, il le vit, en attendant de l'imiter.
C'est alors qu'il lut, dit-il,
1. Poplawsky, p. 49.
TOME II 20
3o6 Ossian en France
... les poètes modernes, italiens, allemands, anglais, français,
dont la chair et le sang sont notre sang et notre chair à nous-
mêmes... le Tasse, le Dante, Pétrarque, Shakespeare, Milton,
Chateaubriand... Ossian surtout, ce poète du vague, ce brouil-
lard de l'imagination, cette plainte inarticulée des mers du
Nord, cette écume des grèves, ce gémissement des ombres, ce
roulis des nuages autour des pins tempétueux de lEcosse, ce
Dante septentrional, aussi majestueux, aussi surnaturel que le
Dante de Florence, plus sensible que lui, et qui arrache sou-
vent à ses fantômes des cris plus humains et plus déchirants
que ceux des héros d'Homère \
Ossian rapproché non seulement d'Homère — le paral-
lèle est ancien et usé désormais — mais de Dante ; voilà
du nouveau, et qui ne manque pas d'imprévu. Car on a beau
connaître un peu l'un et l'autre, et se perdre par là-dessus
dans un abîme de réflexions, on ne voit décidément pas
se dessiner beaucoup de traits communs entre les poèmes
de Macpherson ou de Smith et la Divine Comédie. Ils
n'ont guère d'analogue que le sérieux et le sombre, et une
certaine majesté, naturelle ou voulue, du langage. Mais
Lamartine a dû vaguement penser, en écrivant ces lignes,
aux images grandes et hardies, et neuves ou paraissant
telles, que la lecture de l'un et de l'autre faisait surgir de-
vant ses yeux. Et puis, les poètes ne voient pas les livres,
non plus que les paysages, comme ils sont, mais comme
ils les souhaitent ou les rêvent. 11 ne faut pas profiter de
ce jugement jeté en passant pour dire qu'Ossian est supé-
rieur aux yeux de Lamartine à Homère et à Dante ' : je
ne crois pas que le poète eût signé l'expression nette de
cette préférence. Passe encore pour Dante ; mais que dire
d'Ossian comparé à Eschjde ? « C'est TEschyle de nos
temps ténébreux ^ » Celui-là ne s'attend point du tout.
Lamartine, comme Hugo, a souvent des rapprochements
imprévus.
Des souvenirs plus anciens et par conséquent plus auto-
risés, puisque l'auteur n'avait alors que quarante-trois ans,
donnent une liste un peu différente d'auteurs préférés. Ra-
1. Confidences, livre VI, v.
2. Poplawsky, p. 41.
3. Confidences, livre VI, vi.
Les lectures du jeune Lamartine Soj
contant dans ses Destinées de la Poésie l'éveil en son âme
de l'émotion poétique, il dit :
Job, Homère, Virgile, le Tasse, Milton, Rousseau, et sur-
tout Ossian et Paul et Mrffinie, ces livres amis me parlaient
dans la solitude la langue de mon cœur, une langue d'harmo-
nie, d'images, de passion ; je vivais tantôt avec l'un, tantôt
avec l'autre... *■
Remarquons le mot surtout devant les titres des 'deux
ouvrages qui exerçaient en eifet le charme le plus puis-
sant sur son cœur, et certes dans des genres bien différents.
Ossian paraît d'abord voisiner avec le sublime Job (Job ?
il pourrait dire tout l'Ancien Testament : c'est la même
grandeur que La Bruyère attache au nom de Moïse) et avec
l'austère Milton ; une inspiration plus douce, plus féminine,
plus amoureuse réunit le Tasse (il s'agit sûrement des So-
phronie et des Herminie), Rousseau (c'est La Nouvelle Hé-
loïse que le jeune Lamartine relisait avec une passion sans
égale), et l'idylle de Saint-Pierre. Deux goûts très diffé-
rents, le grandiose et le passionné ; mais il y a aussi du
doux, du tendre et du passionné dans Ossian, et c'est
peut-être en lui mieux qu'en tout autre, mieux du moins
qu'en Milton trop peu tendre, qu'en Homère où ne paraît
point la passion, qu'en Virgile trop délicat et mesuré, que
se fait la fusion des deux goûts. Sainte-Beuve, en consta-
tant que Lamartine dit avoir été formé par le Tasse, Saint-
Pierre et Ossian, et en ajoutant : « L'affinité des natures,
la parenté des génies se déclare °- ». semble n'attribuer au
Barde qu'un des deux caractères, et le faire trop élégiaque.
Il offre en réalité les deux extrêmes, beaucoup de larmes
et de cris, beaucoup d'amour tendre, du grandiose et du
passionné, tout ce qu'on aime à seize ans.
Son véritable rival dans l'âme du jeune Lamartine, ce
ne sera bientôt plus la ravissante idylle de Paul et Virgi-
nie, ce ne sera même ni la brûlante Julie, ni le mélanco-
lique René, ce sera le livre même qui doit tant à Ossian :
ce sera Werther, mais Werther vu à travers Ossian,
1. Des Destinées de la, Poésie, 14 février 1834.
2. Causeries du Lundi, I, 25.
3o8 Ossian en France
offrant une répétition plus moderne, mieux orchestrée, plus
proche de l'âme, de ce même thème d'amour et de mélan-
colie :
Tant que je vivrai, je me souviendrai de... tant de soirées
d'automne et d'hiver passées à errer sur les collines, déjà cou-
vertes de brouillard ou de givre, avec Ossian ou W^erlher pour
compagnon ; tantôt assis sur une roche grisâtre, le front dans
mes mains, écoutant, avec un sentiment qui n'a pas de nom,
le souffle aigu et plaintif des bises d'hiver, ou le roulis des
lourds nuages qui se brisaient sur les angles de la montagne... '
Ecoutons encore ces souvenirs plus tardifs, où nous ver-
rons dans quel décor et avec quels sentiments Lamartine
lisait Ossian ; ou, ce qui est aussi intéressant, comment il
voyait à distance les impressions de sa première jeunesse :
C'est Ossian, après le Tasse, qui me révéla ce monde des
images et des sentiments que j'aimai tant depuis à évoquer avec
leurs voix. J'emportais un volume d'Ossian sur les montagnes ;
je le lisais où il avait été inspiré, sous les sapins, dans les nuages,
à travers les brumes d'automne, assis près des déchirures des
torrents, aux frissons des vents du Nord, au bouillonnement
des eaux de neige dans les ravins. Ossian fut l'Homère de mes
premières années : je lui dois une partie de la mélancolie de
mes pinceaux. C'est la tristesse de l'Océan. Je n'essayai que
très rarement de l'imiter ; mais je m'en assimilai involontai-
rement le vague, la rêverie, l'anéantissement dans la contem-
plation, le regard fixé sur des apparitions confuses dans le loin-
tain. C'était pour moi une mer après le naufrage, sur laquelle
flottent, à la lueur de la lune, quelques débris, où l'on entre-
voit quelques figures de jeunes filles élevant leurs bras blancs,
déroulant leurs cheveux humides sur l'écume des vagues ; où
Ton distingue des voix plaintives entrecoupées du mugissement
des flots contre l'écueil. C'est le livre non écrit de la rêverie,
dont les pages sont couvertes de caractères énigmatiques et
flottants, avec lesquels l'imagination fait et défait ses propres
poèmes, comme l'œil rêveur avec les nuées fait et défait ses
paysages '.
1. Des Destinées de la Poésie.
2. Méditations Poétiques, Préface de 1849.
Le paysage intérieur de Lamartine 3o9
Ce qui le séduisait infiniment dans Ossian, plus que dans
VHèloïse ou dans Werther même, c'était ce vague si pré-
cieux et si nouveau pour lui, auquel ni ses études, ni la lecture
d'écrivains antiques ou français ne l'avaient habitué, ce
champ immense ouvert à la rêverie par l'inconsistance même
des personnages, le manque de détails vrais et pittoresques,
et la banalité des sentiments. La pauvreté d'Ossian a fait sa
fortune ; et si nous lisons dans le cœur de Lamartine, grâce
à ses confessions réitérées, nul doute qu'en lisant dans le
cœur de bien d'autres nous n'y eussions fait la même dé-
couverte.
Ainsi s'ébauchait dans son esprit, ainsi se formait devant
les yeux de son àme ce paysage ossianique que nous avons
tant de fois déjà eu occasion de rappeler, et qui fera désor-
mais une partie essentielle de son paysage mtériear, pour
reprendre l'heureuse expression de M. Zyromski ; qui lui don-
nera sa couleur et comme son atmosphère particulière.
Je m'abîmai dans cet océan d'ombres, de sang', de larmes, de
fantômes d'écume, de neige, de brumes, de frimas, et d'images
dont l'immensité, le demi-jour et la tristesse, correspondaient
si bien à la mélancolie grandiose d'une âme de seize ans qui
ouvre ses premiers rayons sur l'infini. Ossian, ses sites et ses
images correspondaient merveilleusement aussi à la nature du
pays de montagnes presque écossaises, à la saison de l'année et
à la mélancolie des sites où je lisais '... C'était la décoration
naturelle et sublime des poèmes d'Ossian que je tenais à la
main. Je les emportais dans mon carnier de chasseur sur les
montagnes, et pendant que les chiens donnaient de la voix dans
les gorges, je les lisais assis sous quelque rocher concave, ne
quittant la page des yeux que pour retrouver à l'horizon, à mes
pieds, les mêmes brouillards, les mêmes nuées, les mêmes plaines
de glaçons ou de nuées que je venais de voir en imagination
dans mon livre ^.
Le tout était de lire Ossian dans un site digne de lui.
De tels sites ne manquaient pas au jeune Chateaubriand,
lorsque quinze à vingt ans plus tôt il s'enivrait d'Ossian
1. Ici, douze lignes de paysage.
2. Confidences, livre VI, vi.
3)0 Ossian en France
pour la première fois : il n'avait qu'à se replonger par la
pensée dans ses landes natales. Milly, terre de vignobles,
Milly sec et pierreux avait besoin d'une profonde trans-
formation, d'un coup de baguette magique pour ressembler
au pays de Morven. Et puis, il fallait choisir l'hiver pour
cette lecture. Lamartine, non content de se plonger dans
le paysage de ^lorven, se confond avec les héros ossia-
niques. N'oublions pas ici que c'est le recueil de Smith qui
enthousiasmait sa jeunesse : certains traits le rappellent.
Combien de fois je sentis mes larmes se congeler au bord
de mes cils î J'étais devenu un des fils du barde, une des
ombres héroïques, amoureuses, plaintives, qui combattent, qui
aiment, qui pleurent ou qui chantent sur la harpe dans les
sombres domaines de Fingal '.
Ouvrons la Correspondance , et nous \ trouverons les
preuves de cet enthousiasme que plus tard le poète s'est
plu tant de fois à évoquer magnifiquement. La première
mention d'Ossian, nous l'avons dit, date des derniers jours
de 1808. Je sais bien qu'on a révoqué en doute l'exactitude
des dates dans cette partie de la Correspondance, Il paraît
que trois lettres datées des 4, 10 et 30 janvier 1808 doivent
être reportées, même mois, même jour, à l'année 1809 '.
Mais je ne vois pas de raison de discuter la date de cette
lettre à Aymon de Virieu. Lamartine vient de lire Ossian,
et « ne sachant que faire » il a « commencé à mettre en vers
un épisode » qui l'a « touché ». Il envoie à son ami son
début : i9 décasyllabes, dont les premiers indiqueront suf-
fisamment et le genre et le style :
Toi qui chantais l'amour et les héros.
Toi d'Ossian la compagne assidue,
Harpe plaintive, en ce triste repos
Ne reste pas plus longtemps suspendue !
Du vent du soir j'entends les sifflements ;
L'obscur brouillard se promène à pas lents ;
Porté vers nous sur des nuages sombres,
J'entends venir le peuple heureux des ombres'...
1. Confidences, livre VI, vi.
2. Lacretelle, p. 192.
3. Correspondance, 1,98.
Enthousiasme pour Ossian 3i i
Le jeune auteur n'est pas ravi de cet essai, qui compte
déjà « une centaine de vers », et ajoute ; « C'est un mau-
vais genre. » Parole prophétique et sensée. Lamartine ne
traduira pas Ossian, ne fera pas de l'Ossian, laissera au Barde
ses héros et ses aventures, et se contentera de développer
au contact de cette poésie neuve les puissances d'évocation
et de sensibilité qui sont en lui.
Deux ans et demi plus tard, mécontent de sa situation et
inquiet de son avenir, il écrit au même Virieu qu'il est
« plongé dans les idées les plus sombres » et qu'il essaie de
se distraire en se « recréant avec quelques auteurs anglais
comme Ossian, Young et Shakespeare ' ». Trinité britanni-
que que nous avons souvent rencontrée au xviii" siècle.
Entre les deux lettres à Virieu se placent des rêves de voyage
au pays de Fingal, qui montrent la place qu'Ossian occu-
pait dans l'imagination de Lamartine en 1809 et 1810. Il
rêve de passer « quelques mois d'hiver dans les montagnes
d'Ecosse, auprès des ombres d'Ossian et de Fingal ' ». Et,
revenant sur cette idée : « Ne visiterons-nous pas, écrit-il h
Virieu, les fils d'Ossian et les pins antiques, témoins de ses
exploits et de ses chants ^ ? » L'enthousiasme dont déborde
la Correspondance ^ en ces années de jeunesse et d'initia-
tion littéraire, pour les auteurs qu'il lit librement, Ossian
et tant d'autres, fait contraste avec la froideur de son lan-
gage quand il parle des tâches qu'il s'impose, son Sal'd^ son
Clovis, tous ces beaux sujets sur lesquels il compte pour
arriver à la réputation et peut-être à la gloire *.
Tous ces chers souvenirs de l'indicible émoi des jeunes
années, Lamartine ne pouvait se contenter de les évoquer
directement dans des préfaces, dans des essais, dans des
récits autobiographiques. Il devait en tirer œuvre d'art, les
faire entrer comme élément dans un poème, et pour cela
les transposer. Il l'a fait dans Jocelyn. Le séminariste a des
élans d'extase rehgieuse dans les ténèbres de la nuit. II ne
peut mieux comparer ce qu'il éprouve dans ces instants
1. Correspondance, I, 292 (24 mars 1811).
2. Ib., I, 122 (1" juin 1809).
3. Ib., I, 259 (10 août 1810).
4. Ib., l, 236, et passini.
3i2 Ossian en France
sublimes qu'à l'émotion où le plongeait naguère la lecture
d'Ossian.
Ossian ! Ossian ! lorsque plus jeune encore
Je rêvais des brouillards et des monts d'inisloro ' ;
Quand, les vers dans le cœur et ta harpe à la main.
Je m'enfonçais l'hiver dans les bois sans chemin,
Que j'écoutais sifller dans la bruyère grise,
Comme l'âme des morts, le souftle de la bise.
Que mes cheveux fouettaient mon front, que les torrents,
Hurlant d'horreur aux bords des goufTres dévorants,
Précipités du ciel sur le rocher qui fume.
Jetaient jusqu'à mon front leurs cris et leur écume ;
Quand les troncs des sapins tremblaient comme un roseau,
Et secouaient leur neige où planait le corbeau.
Et qu'un brouillard glacé, rasant ses pics sauvages,
Comme un lils de Morven me vêtissait d'orages "...
Lamartine n'a eu, pour écrire ce morceau, qu'à laisser
parler sa mémoire. Il j a peu de textes français inspirés
d'Ossian qui soient plus connus que celui-ci et plus signi-
iicatifs. Mais il faut bien se rendre compte que c'est de
rOssian très librement interprété et très poussé de ton, très
romantique en un mot. Il y a peu de neige et de corbeaux
dans Ossian ; les torrents, les gouffres, les pics, n'y sont
pas si terribles. Il y a un poème dont le décor, dont le sen-
timent ressemble étrangement à ce que nous trouvons ici :
c'est le Manfred de Byron. Manfred pourrait dire ce que
dit ici Jocelyn. Et à travers Byron on retrouve peut-être
l'influence du Barde ^ Il y a aussi là-dedans quelque chose
de farouchement biblique, et l'on n'est pas étonné de ren-
contrer Jéhovah quelques vers plus loin.
1. Lamartine avait d'abord écrit, d'une manière plus hardie et qui pré-
sentait un plus beau sens : Je révais les brouillards et les lacs d'Inistore
(Chr. Maréchal, Josselin inédit, p. 23).
2. Jocelyn, 2' époque, février 1793 (au séminaire, la nuit).
3. Sur ce genre de questions qui n'entre pas dans cette étude, je ren-
voie d'une part aux travaux de Wilmsen, de Weigang et de Schnabel,
cités dans la liibliographip de cet ouvrage, et d'autre part à Edm. P^stève,
Byron et le lionianlisine français.
Evocation et allusions 3i3
III
En dehors du poème de jeunesse A Lucy, on ne trouve
dans l'œuvre de Lamartine aucune imitation directe d'Ossian.
Il n'a pas écrit dans le genre ossianique, qu'il a toujours
jugé « un mauvais genre ». Dans son œuvre poétique, il
est question à deux reprises d'Ossian d'une manière un peu
précise : dans le passage de Jocelyn que nous avons rangé
à sa place parmi les témoignages autobiographiques, et au
début d'une Harmonie adressée à Guichard de Bienassis.
Ossian, dit-il, quoique vieux, chantait encore les souvenirs
de son passé. Moi, je vis comme lui dans la mémoire des
heureux jours qui ne sont plus, mais je ne chante plus.
Aujourd'hui cependant, par exception, je viens te rappeler
en vers les heures de notre jeunesse. Tel est à peu près le
sens de la pièce qui commence ainsi :
Quand la voix du passé résonnait dans son âme,
Les regards d'Ossian étincelaient de flamme,
Le vol de sa pensée agitait ses cheveux.
Sa harpe frémissait dans ses' genoux nerveux,
Et ses accents, pareils au murmure des ondes.
Coulaient à flots pressés de ses lèvres fécondes,
Comme un torrent d'hiver qu'on ne peut contenir :
Le vieillard n'était plus que voix et souvenir '...
Ce texte est très curieux, d'abord par un trait que le lec-
teur a remarqué. C'est la première fois, depuis que nous
rencontrons le Barde, que ses regards « étincellent de
flamme » : c'est la première fois qu'il n'est pas aveugle !
II est étrange de voir un ossianiste averti comme Lamartine
rompre, sans s'en rendre compte très probablement, avec
une tradition aussi vénérable et aussi authentique. Guéri de
sa cécité, l'œil plein d'éclairs, les cheveux au vent comme
dans le tableau de Gérard, serrant sa harpe entre ses genoux
nerveux, les paroles s'échappant de ses lèvres comme un
1. Harmonies Poétiques et Religieuses, II, xiv : Souvenirs d'enfance,
ou la vie cachée.
3 14 Ossian en France
torrent d'hiver, notre Ossian acquiert une jeunesse et une
vigueur nouvelle : ce n'est plus le Barde lugubre et lar-
moyant de Morven, c'est l'aède inspiré, c'est le prophète
d'Israël, c'est le poète que rêve Lamartine, c'est le vates,
guide des peuples, cher à Victor Hugo.
On a cru récemment ' voir la source de ce morceau dans
une phrase de La Grange, collègue de Lamartine, et édi-
teur d'un recueil de Pejisées de Jean-Paul. Nous retrouve-
rons cette phrase au chapitre V de ce livre. J'avoue que je
ne vois pas de rapport de ressemblance suffisamment mar-
qué entre les deux textes pour justifier l'hypothèse de cet
emprunt.
Il faut joindre à ces deux textes nettement ossianiques
quelques allusions en nombre fort restreint. Parlant à des
Celtes, il ne peut guère manquer de rappeler Ossian. Dans
son Toast porté dans un banquet yiational des Gallois et
des Bretons à Abergavenmj, dans le pays de Galles % il se
plaît à rappeler les souvenirs du poète légendaire de la race
celtique :
Nos bardes n'ont-ils pas des chants tristes et graves,
Des harpes de Morven vieux retentissement ?
Et plus loin ce sont des détails ossianiques : « Le vent
plaintif du Nord qui siffle sur les mousses... Le chien qui
hurle au bord des flots... » Ces dernières expressions mon-
trent combien les lieux communs de la poésie ossianique
lui sont familiers. Il dit de sa sœur Eugénie qu'elle était
« une apparition d'Ossian dans la splendeur du Midi ^ ». En
parlant d'un vieux château gothique du Maçonnais qu'on
apercevait de Milly, il écrit : « On eût dit un groupe d'Os-
sian, pyramidant sur la sombre noirceur des forêts de sa-
pins *. »
Mais si nous avons rencontré des imitateurs et même
des traducteurs qui au fond n'étaient pas pénétrés d'Ossian
1. F. Baldensperger, Notes sur les sources de deux Harmonies de La-
martine (Revue d'Histoire' littéraire de la France, 1911).
2. Recueillements Poétiques, XIV (Saint-Point, 25 septembre 1838).
3. Nouvelles Confidences, livre I, xii.
4. Mémoires inédits, p. 20.
Influences ossianiques sur la poésie de Lamartine 3i5
et qui n'avaient eu pour ses poèmes qu'une curiosité pas-
sagère, Lamartine otfre l'exemple du contraire. Il n'a pas
directement imité Ossian, mais il s'est constamment res-
souvenu de ses chants. A la simple lecture, ses vers déga-
gent un parfum ossianique, ici plus pénétrant et aisément
reconnaissable, là plus subtil et qui ne se révèle guère qu'à
ceux qui possèdent leur Ossian un peu comme Lamartine
lui-même le possédait. Comme toutes les impressions d'art,
celle-là doit pouvoir se décomposer et s'expliquer par l'étude,
et ce qui n'était qu'un sentiment vague deviendra un juge-
ment motivé. M. von Poplawsky s'est chargé de cette
tâche. Il s'est livré à l'investigation la plus minutieuse de
l'œuvre poétique de Lamartine, pour y découvrir les moin-
dres traces de l'influence d'Ossian. Il a eu constamment
sous«les yeux, pour l'œuvre de Macpherson, la traduction
de Le Tourneur ; pour Tœuvre de Smith, celle de Christian
qu'il a prise, ce qui est acceptable, comme succédané de la
traduction de Hill qu'il n'a pu consulter ; enfin celle de
Baour-Lormian : il admet que Lamartine a connu ces trois
Ossians français. Il a dressé la liste des rapprochements
qu'il a cru devoir établir, et qui sont tantôt des emprunts
plus ou moins conscients, tantôt de simples réminiscences.
Il les a classés chronologiquement, et de leur fréquence plus
ou moins grande il a tiré des conclusions sur l'historique
du rôle d'Ossian dans la poésie de Lamartine. Je ne puis
songer à remettre sous les yeux du lecteur les textes mêmes
qu'a accumulés la diligente enquête de mon prédécesseur :
je me contenterai de citer quelques exemples, de reprendre
et d'examiner ses conclusions.
D'abord, ces rapprochements sont- ils fondés ? Il serait
interminable et fastidieux de revenir ici sur chacun d'eux,
pour examiner si la ressemblance des idées ou des termes
permet d'affirmer l'emprunt ou la réminiscence. On trou-
verait aisément quelques passages que l'historien en quête
de sources ou d'influences doit sagement laisser de côté.
La crénologie qui n'est pas très précise est peu sûre. Par
exemple, si Ossian a dit dans Vlncendie de Tura (cet Os-
sian-là n'est donc pas Macpherson, mais Smith) : « Nous
nous fanons comme l'herbe des montagnes ; nous nous des-
séchons comme le feuillage des chênes... », ce n'est pas une
3'6 Ossian en France
raison pour attribuer une origine ossianique au thème la-
martinien :
Ainsi vont se flétrir dans leurs travaux divers
Ces générations que le temps sème et cueille '...
A supposer que Lamartine eût besoin d'emprunter cette
image, il pouvait la trouver dans Bossuet, et, avant Bossuet,
dans la Bible, où Bossuetl'avait prise — et le révérend Smith
aussi très probablement. Voilà une raison de plus pour que
les images de Lamartine rappellent si souvent les images
bibliques ; je la signale à celui qui écrirait un Lamartine
et la Bible. La poésie hébraïque l'enveloppe de tous côtés,
depuis la Bible de Royaumont qu'il avait épelée sur les
genoux de sa mère, en passant par les grands sermonnaires
qu'il avait étudiés au collège, jusque dans son cher Ossian
où elle reparaissait, à peine modifiée à travers la prose de
l'ancien étudiant en théologie Macpherson ou du ministre
Smith, légèrement retouchée par la plume élégante de Le
Tourneur ou de Hill.
En général, les rapprochements qu on nous propose ne
frappent pas par une corrélation des deux textes aussi évi-
dente qu'on le souhaiterait. En voici quelques-uns choisis
parmi les plus plausibles : on jugera par là des autres.
Et toi, ô Agandecca... si tu es assise sur un nuage, au-dessus
des mâts et des voiles de Loclin, viens me visiter dans mes
songes. Belle, qui me fus si chère, viens l'éjouir mon âme du
doux aspect de ta beauté °...
Je songe à ceux qui ne sont plus :
Douce lumière, es-tu leur âme ?
Peut-être ces mânes heureux
Glissent ainsi sur le bocag-e.
Enveloppé de leur image,
Je crois me sentir plus près d'eux!
Ah! si c'est vous, ombres chéries.
Loin de la foule et loin du bruit,
Revenez ainsi chaque nuit
Vous mêler à mes rêveries '.
1. Nouvelles Méditations, Stances.
2. Finçfal, chant III.
3. Méditations Poétiques, Le Soir.
Influences ossianiqucs sur la poésie de Lamartine 317
Les douces lumières qui entouraient Malvina se sont de
même obscurcies. Mon cœur est semblable à l'astre des nuits,
lorsque sa clarté s'affaiblit de plus en plus... Votre souvenir
porte avec lui une tristesse pleine de charmes '.
De nos jours pâlissants le flambeau se consume :
Il s'éteint par deg^rés au souffle du malheur ;
Ou s'il jette parfois une faible lueur,
C'est quand ton souvenir dans mon sein le rallume ^
Est-ce le fils de Lamor que j'entends, ou bien est-ce son
ombre qui passe devant moi^?
On dirait qu'on entend l'ombre des morts passer *.
Mais quelle voix arrive jusqu'à nous sur les ailes du vent ^ ?
J'entends un bruit lointain, semblable à celui des rochers
tombant dans le désert ^.
J'entends de loin, j'entends comme une voix qui gronde,
Un souffle impétueux fait frissonner les airs,
Comme l'on voit frissonner l'onde,
Quand l'aigle au vol pesant rase le sein des mers '.
Le vent continue de mugir dans les creux des montagnes et
de siffler dansles gazons des rochers*.
Les vents en s'engouffrant sous ces vastes débris
En tirent des soupirs, des hurlements, des cris'.
Il aurait sans doute été plus sage de limiter cette série
de parallèles aux rapprochements qui s'imposent parTétroite
affinité des deux textes, et de se borner pour le reste à
collectionner les passages de Lamartine qui sont ossianiques
par quelque trait, sans prétendre retrouver le passage
1. L'Incendie de Tura.
2. Nouvelles Méditations, Tristesse.
3. La Guerre de Caros.
4. Nouvelles Méditations, Les Préludes.
5. La mort de Gaul.
6. Temora, chant I.
7. Nouvelles Méditations, Les Préludes.
8. Scène d'une nuit d'octobre.
9. Nouvelles Méditations, La Liberté.
3i8 Ossian en France
d'Ossian qui leur ressemble le plus. Car il va sans dire que
le poète n'avait pas les poèmes du Barde sous les yeux :
sa mémoire avait retenu beaucoup de ces expressions et de
ces images qui avaient enchanté sa jeunesse. Presque tous
les textes allégués par l'auteur de cette étude présentent
ce caractère : on peut donc, indépendamment des textes
d'Ossian avec lesquels ils présentent plus ou moins de res-
semblance particulière, les considérer comme une base
valable à l'enquête dont nous donnerons tout à l'heure les
résultats.
Il faut ajouter encore certains traits qui, pour ne pas cons-
tituer des textes susceptibles d'être détachés et étiquetés,
n'en sont pas moins significatifs. Ainsi le nom propre de
Selnia ' ; ainsi une expression aussi caractéristique que
enfant du rocher ^ pour désigner un petit montagnard ; ainsi,
en parlant de la tombe de Napoléon : « Sous trois pas un
enfant le mesure » ; ce sont les propres termes d'Alpin pleu-
rant son fils Morar. Mais il faut insister sur le mot barde,
si fréquent dans Lamartine, et sur le sens qu'il doit à Ossian.
Quelquefois, le mot a encore le sens de « poète inspiré »,
vates : « Les nations n'ont plus ni barde ni prophète \ »
Mais le plus souvent barde remplace poète, quand le vers
l'exige: « le barde voyageur *. » — « Non, sous quelque dra-
peau que le barde se range \.. » ; il désigne même un poète
hollandais ^ Et les oiseaux mêmes deviennent « Orchestre
du Très-Haut, bardes de ses louanges ' ». S'il est un poète
à qui devrait s'appliquer le nom de barde, c'est assurément
Byron, dont le nom évoque pour Lamartine le souvenir
d'Ossian : « Ce fut un second Ossian pour moi, l'Ossian
d'une société plus civilisée, et presque corrompue par l'ex-
cès même de sa civilisation '. »
Disons à ce propos que Lamartine lui-même est parfois
1. La Chute d'un Ange. 3' Vision.
2. Ib.
3. Epitres et Poésies familières, IV : Réponse aux adieux de W'alter
Scott à ses lecteurs (1831).
4. //)., IX : Hommage à l'Académie de Marseille (1832).
5. Poésies politiques, III: Réponse à Némésis(1831).
6. Recueillements Poétiques, VI : A M. Wasp, poète hollandais.
7. Méditations Poétiques : Les Oi^caux (lSi2).
8. Th., L'Homme, à Lord Hyron : Commentaire (1849).
Influences ossianiques sur la poésie de Lamartine 319
comparé à Ossian par ses admirateurs. Le romantique Fon-
taney, en 18i0, silhouette ceux qui disent des vers dans le
salon de Nodier :
Tantôt c'est Lamartine,
C'est ce jeune Ossiaii, chantre mystérieux
Des intimes amours '...
Et un Provençal inconnu l'appelle en 1836 « le Barde
pèlerin » : Julia devient « la fille du Barde » ; et le fou-
gueux Aixois de s'écrier :
Terre d'Erin que baigne un brumeux Océan,
Gesse de nous vanter ton divin Ossian ^..
parce qu'Ossian-Lamartine est plus grand que son lointain
ancêtre.
Cette dépendance générale qui rattache Lamartine au
Barde de Morven, qui fait qu'à son nom, par ime associa-
tion d'idées naturelles, s'associe le nom d'Ossian, montre
qu'on n'a pas épuisé le sujet quand on a dressé un tableau
des rapprochements précis que l'on peut constater. Mais
examinons maintenant les résultats de cette enquête, et les
conclusions qu'on est en droit d'en tirer.
M. von Poplawsky divise la production poétique de La-
martine en quatre périodes ; la première comprenant les
Méditations Poétiques^ la seconde les Nouvelles Méditations,
le Pèlerinage d'HaroId (la. Mort de Socrate ne donne lieu à
aucun rapprochement), le fragment de Sa)7îîiel etles Harmo-
nies ; la troisième, Jocelyn et La Chute d'un Ange\\d, qua-
trième les Recueillements. En groupant les textes recueillis
suivant ces indications, voici le tableau qu'on obtient :
1. A. Fontaney, A Madame N. [Nodier, à propos des soirées de l'Arse-
nal] dans les Annales Romantiques de 1829 ; cité par Eugène Asse, Les
petits Romantiques, p. 19.
2. Ch. Chaubet, Le Barde desSolitudes, mélodie 4»: Le Barde et l'Etran-
gère.— Ce recueil publié en 1844 est, nous dit l'auteur, beaucoup plus an-
cien. La pièce qui parle de Lamartine date probablement du passage du
poète allant en Orient (1832).
320 Ossian en France
Groupes Nombre de textes ossianiques :
I 50
II 45
III 9
IV 5
Toi)
On voit que les premières Méditations, qui n'offrent
comme matière que la cinquième ou la sixième partie de
l'ensemble considéré, présentent à elles seules près de la
moitié du nombre total des passages intéressants. Mais il
est à regretter que les Harmonies, qui appartiennent à une
veine poétique si différente, qui se rattachent à une période
si nouvelle de la vie du poète, n'aient pas été plus nette-
ment séparées des recueils précédents. Voici pour le second
groupe, le plus complexe, les chiffres que l'on obtient, en
négligeant cette fois quelques rapprochements dépourvus
de certitude :
1. Nouvelles Méditations. . . 33
2. Pèlerinage d'Harold ... 3
3. Samuel 1
4. Harmonies 4
On voit que c'est entre les Nouvelles Méditations et les
Harmonies, vers 1824 environ, que se fait la coupure, et
qu'on pourrait dresser le tableau suivant, plus exact et plus
instructif :
I. Avant 1824 {Méditations et Nouvelles Médita-
tions) 83
II. Après 1824 (tout le reste) 22
105
Si l'on tient compte de la quantité très inégale de ma-
tière contenue dans les deux groupes, on obtiendra à peu
près, pour le contenu ossianique des deux périodes, les
chiffres 88 7» pour la première et 12 7» pour la seconde.
Variation de l'influence d'Ossian 32 i
Autrement dit, Lamartine a été sous l'influence directe
d'Ossian pendant la période de composition de ses deux
premiers recueils, de 1816 à 1823 environ. Puis d'autres
goûts l'ont entraîné, un autre idéal s'est ouvert à ses
yeux ; il n'a plus envers le Barde que des dettes certaines
mais beaucoup plus rares. Ossian a été la première voix
qu'ait entendue son âme et dont elle ait aimé à répéter les
accents. Puis à cette nuance de sentiments a succédé une
autre nuance moins grise, moins mélancolique, et moins
romantiquement éperdue. Il y faut voir TefFet de l'âge, il
y faut voir aussi l'effet du changement d'horizon. Le poète
a découvert, pour la seconde fois sans doute, mais a vrai-
ment découvert l'Italie. La première fois qu'il la vit, nous
dit-il, il n'était pas mûr pour la goûter.
Il y avait je ne sais quel contraste blessant entre la sérénité
épanouie de cette race et la mélancolie maladive de mon es-
prit. Ce grand jour m'aveuglait en m'éblouissant. Je regrettais
les brumes d'automne et les ténèbres humides des forêts de
mon pays. L'Ecosse et Ossian me seyaient mieux, que le Tasse
et Sorrente ^
Mais, lors de son second séjour, cette « seconde patrie
de ses yeux et de son cœur » a transformé son paysage in-
térieur. Le vague qu'il aimait devient alors un autre vague :
le vaporeux ossianique cède la place à des vapeurs plus
blondes, plus lumineuses et plus souriantes, et, s'il rêve
toujours d'immensité, c'est maintenant d'une immensité
sereine, radieuse, resplendissante, où l'âme nage dans la joie
et dans la lumière.
L'auteur dont je viens d'analyser les résultats fait d'ail-
leurs remarquer que si, à partir d'un certain moment, « le
souffle de la poésie du Nord cesse presque complètement »,
le souvenir de la personnalité d'Ossian grandit de plus en
plus et prend une place prépondérante dans l'esprit du
poète. Il y a de la justesse dans cette observation; mais il
serait plus exact de la formuler un peu autrement. Tandis
que l'imagination du poète, élargie par le renouvellement
des années et par l'apport de l'expérience, enrichie par de
1. Poésies inédites, p. 145.
TOME II 21
3ii Ossian en France
plus radieuses visions, ne fait plus que rarement appel aux
pâles rêves de Morven, sa mémoire se reporte avec un attrait
puissant au temps de sa jeunesse passionnée et mélanco-
lique. Ossian, pour lui, c'est sa jeunesse. Et c'est en même
temps l'idéal du poète. Les traits particuliers au Barde
disparaissent ou se modifient, nous l'avons vu ; il devient
le poète-type, ce qu'est Homère pour l'antiquité classique,
Virgile pour Dante, Dante pour l'Italie moderne, Shakes-
peare pour le romantisme européen ; il n'offre plus que ces
« délinéations légendaires » qu'on a récemment étudiées
d'un coup d'oeil vaste et précis dans les principales littéra-
tures ' ; il devient l'éponyme de la poésie même.
IV
En somme que doit-il à Ossian ? Rien sans doute de sa
pensée morale, religieuse ou philosophique, et M. Citoleux
a évidemment raison de dire : « Ossian n'influe pas philo-
sophiquement sur Lamartine, sauf d'une manière vague,
en le prédisposant à la rêverie... Supprimez Ossian, l'on
voit bien ce qui manquerait au lyrisme de Lamartine ; on
voit moins bien ce qui manquerait à sa philosophie '. »
Ossian ne l'a pas rendu athée : il l'a séduit malgré son
athéisme. Le côté historique, psychologique, si l'on peut
dire, de la révélation ossianique ne l'a pas non plus inté-
ressé : une vertu si éclairée chez un peuple barbare et très
aacien, l'analogie des mœurs ossianiques avec celles de
certains sauvages actuels, avaient retenu l'attention des
« philosophes » du xviii" siècle ou attiré la curiosité de
Chateaubriand, mais n'exciteront pas la sienne. L'amour
tel qu'il est peint dans Ossian, bien monotone malgré l'ap-
parente diversité de ses nuances, a sans doute charmé le
rêve de sa première jeunesse ; mais il n'a pas donné dans
le genre amoureux ossianique, dans la romance calédo-
nienne. Ses essais en cette direction se rattachent au con-
1. F. Baldensperger, La Littérature {Création. Succès. Durée), p. 268.
2. Marc Citoleux, La Poésie philosophique au XIX» siècle : Lamartine,
p. 104.
Ossian et le paysage de Lamartine 3a3
traire à des modèles français du xviii" siècle ou à des maî-
tres italiens. Reste le paysage, et la nuance particulière
des réflexions ou des rêveries que fait naître un tel paysage.
Ce paysage est un paysage de rêve, et doit sa prise sur
Tâme à son irréalité même. Non que les détails en soient
si extraordinaires. M. Zyromski a diligemment étudié les
éléments ossianiques du paysage intérieur de Lamartine *.
C'est la mer d'abord, puis les rochers, les bruyères, les
étendues désertes ; dans le ciel, les nuages, qui jouent dans
sa poésie un assez grand rôle, la lune surtout, dont il a si
admirablement chanté l'amicale douceur ou l'indicible tris-
tesse. Parfois cette nature est sentie comme un tout, avec
une sorte de panthéisme frénétique ; parfois elle donne
lieu à des rêveries infinies, comme si l'âme voulait s'y
perdre et s'y anéantir. Plus souvent, elle est le thème et
comme l'argument toujours présent des réflexions les plus
graves et les plus mélancoliques. C'est le sentiment profond
de l'instabilité de toutes choses, de la caducité de l'homme
et de tout ce qu'il aima, de la mort et de la destruction
universelle. Le soleil lui-même périra, disait Ossian, et
l'auteur àes Méditations ei de la Chute d\i7i Ange le répète
après lui. Parfois se présente l'idée que l'âme immortelle
viendra visiter les lieux qu'elle aime, comme les ombres
des guerriers contemplent les vivants du sein des nuages.
En examinant de près le premier recueil des Mé-'f^z'/a/ions,
on remarque que les rapprochements les plus notables que
l'on puisse faire avec des textes d'Ossian se décomposent
ainsi ;
Paysage, sentiment de la nature 14
Caducité des choses, mélancolie 12
Immortalité des âmes 6
Expressions diverses et formes de style . . 6
~38
Naturellement, plus on avance dans la carrière poétique
de Lamartine, plus on trouve de notes différentes : le so-
leil domine, le paysage terrestre devient plus doux, plus
1. Zyromski, p. 97 et suiv.
3î4 Ossian en France
varié et plus riant, les vents sont des zéphirs, la mer est
de plus en plus la Méditerranée aux flots lumineux et ca-
ressants. Mais à certaines heures le poète revient au paysage
ossianique. Il a, somme toute, raison de dire :
Ossian est certainement une des palettes où mon imagination
a broyé le plus de couleurs, et qui a laissé le plus de ses teintes
sur les faibles ébauches que j'ai tracées depuis '.
Voilà en effet ce qu'il doit surtout au Barde : des cou-
leurs, et la nuance particulière de ses émotions, c'est-à-
dire la partie la plus spécifique, à certaines heures, de sa
poésie.
« L'enthousiasme de Lamartine pour Ossian, a-t-on dit,
grandit en proportion directe de la distance qui le sépare
de sa jeunesse * ». Il est en effet plus vif dans la Préface
et les Commentaires de l'édition de 1849 que dans Joce/f/n,
et plus vif encore dans le Cours de Littérature, qui est de
1868. Cet enthousiasme, quand son nom se présente sous sa
plume, ne veut pourtant pas dire qu'Ossian soit encore un
de ses livres de chevet. Au contraire, il semble bien que
pendant les trente dernières années de sa vie, Ossian ne
figure plus au premier plan de la pensée de Lamartine. Veut-
il citer des exemples de grands génies oubliés pendant des
siècles, et qui brusquement ont retrouvé la gloire, il nomme
Dante, Milton, Pétrarque (pour sa réputation en France) %et
omet Ossian, qu'on s'attendrait à rencontrer en si bonne com-
pagnie. Les quelques livres dont s'entoure son âge mûr, c'est
la Bible, Homère, Gicéron, Virgile, Pétrarque, Chateaubriand,
Byron et Yhnitation *. Une autre liste est plus brève encore
et plus austère : « Job, Homère, David, sont les trois poètes
de ma prédilection \ » Tout à l'heure Job et Homère ne
1. Confidences, livre VI, vi.
2. Poplawsky, p. 46.
3. lîecneilleinenls Poétiques, Entretien avec le lecteur (1849).
4. Lectures pour tous.
5. Recueillements poétiques, Ib.
Le Cours de Littérature 325
s'avançaient qu'accompagnés du Barde de Morven, malheu-
reux comme le premier, aveugle comme le second.
Mais qu'Ossian ait existé, qu'il ait composé réellement
les poèmes qu'on a donnés sous son nom, cela n'a jamais
fait pour lui aucun doute. La première fois qu'il mentionne
l'opinion opposée, c'est en 1847 ; et avec quel dédain ! « J'ai-
merais autant dire que Salvator Rosa a inventé la nature 1 »
Les tristes embarras où se débattirent ses dernières années
lui permirent de s'expliquer plus à fond sur ce sujet, en
même temps qu'il payait à Ossian une dernière et ample
dette de reconnaissance et d'admiration. Deux Entretiens
de son Cours de Littérature lui sont consacrés '.La date tar-
dive de ce morceau le rend curieux comme anachronisme
et touchant comme souvenir pieux. Il appartient à Lamar-
tine, il est l'aboutissant et l'expression suprême d'une foi
ossianique qui durait depuis soixante ans exactement : à ce
titre, il doit trouver sa place ici, et non pas à l'époque tar-
dive et incroyante qui l'a vu paraître.
Il y a trois éléments à distinguer dans ces 138 pages :
un historique, une série de citations, un jugement. L'histo-
rique de la découverte et de la publication de V Ossian de
Macpherson est tout à fait fantaisiste. Lamartine est fort
âgé, il écrit de mémoire, et peut-être n'a-t-il jamais bien
connu ces détails qu'il brouille et défigure. Macpherson
devient un « gentilhomme écossais » ; il a « composé pen-
dant dix ans » ses chants nationaux « avant de les recueil-
lir et de les rédiger pour ses compatriotes » ; il donne ses
premières productions « en 17G2 » ; Fingal a paru « dix
ans avant les autres poèmes ou chants » du recueil, ce qui
explique que ce poème est « le plus véridique et le plus
soigné » ; d'ailleurs « l'authenticité en était avérée et presque
populaire parmi les vieux bergers de la Calédonie », et
« beaucoup d'ecclésiastiques » en « possédaient des frag-
ments ». Macpherson ne répond aux attaques de Johnson
« que par le dépôt des manuscrits ». Trathal et Dargo sont
donnés comme appartenant à Macpherson au même titre
que Carthon ou Temora. Macpherson « s'est obstiné pen-
dant quarante ans » à son travail. Son « caractère religieux »
1. Cours de Littérature, tome XXV (1868), p. 5-143.
3a6 Ossian en France
plaide en faveur de sa sincérité. L'édition de 1807 est attri-
buée à la même Hi g kl and Society qui a rédigé le Rapport
de 1805, et les conclusions du Rapport sont très sommai-
rement et très inexactement rapportées. Le lecteur n'a qu'à
se rappeler d'une manière générale V Introduction de cet
ouvrage pour apprécier la manière dont Lamartine conte
toute cette histoire ; et le caractère « religieux et probe »
du «gentilhomme écossais» lui paraîtra particulièrement sa-
voureux. L'intérêt de cette apologie n'est pas grand, si l'on
se préoccupe seulement de l'etTet produit : on n'a pas été
demander la vérité sur Ossian à Lamartine vieilli. Mais ce
qu'il écrit là, c'est ce qu'il croit: telle est la façon dont il
voit les faits, dont il les a toujours vus. Rien d'étonnant alors
si l'authenticité lui paraît si certaine. Il cherche directement
à la démontrer d'une manière rigoureuse dans un exposé
de quatre pages, qui est conduit avec énergie et qui ne
manque pas d'habileté. Il pose successivement sept Est-il
prouvé...? comme autant d'étapes très nettes vers la con-
clusion approximative. Les trois premiers points sont en
effet exacts ; à partir du quatrième, on ne peut plus suivre
Lamartine. Comme tant d'autres, il confond les ballades
ossianiques populaires et les compositions de Macpherson
qui leur ont emprunté beaucoup de noms et quelques détails.
Il admet, à plusieurs reprises, que le « traducteur » a pu,
a dû compléter, recoudre, embellir, et même qae certains
chants ont été ajoutés par lui au recueil ossianique ; mais
c'est tout ; et sur des faits aussi imparfaitement connus,
comment le vieux poète aurait-il pu asseoir des conclusions
plus exactes?
Le plus grand nombre de ces pages est consacré à citer
Ossian dans la traduction de Le Tourneur : car c'est pure-
ment et simplement du Le Tourneur que Lamartine donne à
ses lecteurs, du Le Tourneur authentique et non pas revu
par Christian. On peut même préciser : il se sert de l'édition
de 1810, car il cite indifféremment les poèmes de Smith tra-
duits par Hill à côté de ceux de Macpherson, sans compter
que quelques-unes des erreurs que nous avons signalées lui
venaient de la Notice de Ginguené. Content de grossir à si
bon compte son Cours de Littérature, le pauvre grand poète
besogneux puise à pleines mains dans l'ample recueil. Voici
Le Cours de Littérature 327
Fifigal, chant premier, tout entier; du second chant, l'épi-
sode de Deugala et Gaïrbar et celui de Connal et Galvina,
cinq pages sur dix-sept ; le troisième tout entier ; le qua-
trième tout entier ; la première moitié du cinquième : soit
près des deux tiers du poème. Dans l'Entretien suivant, le
146% l'auteur fait défiler devant son lecteur Temora, repré-
senté par deux extraits du premier chant et un extrait du
second, de façon à offrir à peu près le combat et la mort
d'Oscar et l'hymne au soleil du barde Carril ; Crotna, qui
est donné comme l'œuvre de Malvina (parce qu'elle y est
représentée dialoguant avec Ossian) et dont Lamartine cite
la moitié; Berrathon, dont il recopie même le « sujet»
dans Le Tourneur et qu'il cite tout entier, à l'exception d'un
alinéa ; Minvane, tout entier ; Carthon, dont il donne les
premières pages et, sans transition aucune, l'hymne au
soleil, qui en est séparé par quatorze pages dans Le Tour-
neur, ce qui fait une bizarre impression sur le lecteur peu
familier avec Ossian. Puis c'est le tour du recueil de Smith
traduit par Hill, et voici Trathal, représenté par l'épisode
de Sulandona et de la mort de Galmora; Colmul fils de
Daryo, représenté par celui de Suloicha rencontrant le guer-
rier qui aima Roscrana ; Dargo, par l'épisode bien connu
de la mort de Crimoïna, qui remplit la fin du poème. Après
avoir discuté la question de l'authenticité, Lamartine re-
vient à la première série en citant l'épisode « devenu clas-
sique en naissant » de Connal et Crimora, dans Carric-
Thiira, qui cent huit ans plus tôt avait inauguré sous la
plume de Turgot la fortune d'Ossian en France ; et donne
pour finir Les Chants de Sehna tout entiers. C'est là une
véritable anthologie ossianique, qui remplit 118 pages in-
octavo, et dans laquelle tous les genres, tous les tons,
toutes les époques de la production ossianique sont repré-
sentés. On aurait certes pu, en 1868, donner au grand pu-
blic une meilleure et plus favorable impression d'Ossian : il
aurait fallu choisir avec beaucoup de soin les paysages, les
évocations, les élégies les mieux venues, laisser de côté les
passages à prétentions épiques ou de caractère romanesque,
et surtout traduire directement sur l'anglais. Lamartine choi-
sit un peu au hasard (on peut cependant remarquer qu'il
donne les trois hymnes au soleil, celui de Carthon, celui de
328 Ossian en France
Temora, celui de Trathal) et surtout il se borne à copier Le
Tourneur. Aussi ne pouvait-il guère, malgré ses efforts, in-
fuser un sang nouveau à l'ossianisme moribond.
Reste l'appréciation. Nous prévoyons que Lamartine aime
toujours Ossian, et qu'il l'aime toujours pour les mêmes
raisons. Ce dieu de sa jeunesse ne voit pas le vieux poète
déserter ses autels. Fidèle disciple de M°" de Staël, il croit
toujours qu' « il y a deux poésies dans le monde, comme il
y a deux parties du jour. Homère est la poésie de la lu-
mière, Ossian est la poésie de la nuit. » Mais il est poète,
et cette antithèse usée se colore sous sa plume et reprend
une grâce nouvelle pour dire les « crépuscules d'Ossian »,
de ce « nuage flottant de l'archipel des Hébrides ». Il parle
ailleurs du sentiment dominant dans Ossian, de «la mélan-
colie de la gloire ». Mais surtout il insiste sur la révolution
que cette poésie nouvelle « des ombres et du tombeau » a
provoquée dans la littérature. Il parle assez bien de ce grand
mouvement d'enthousiasme pour cette « nouveauté antique»
dont nul plus que lui n'a été touché : il cite Cesarotti,
Gœthe, Byron, Bonaparte, Chateaubriand ; il fait remarquer
que ce goût était partagé par les hommes les plus sérieux
de l'époque, et notamment par des hommes d'action. 11 con-
clut en observant que « la poésie universelle a pris un ac-
cent plus mélancolique et plus pathétique en Europe depuis
l'apparition de ces chants ». Ces conclusions valent mieux
que les prémisses, et Lamartine enthousiaste du Barde,
Lamartine touché profondément de son prestige, a su encore
finir sa longue carrière ossianique en disant le mot juste à
propos de la fortune d'Ossian en Europe.
CHAPITRE IV
La génération des Romantiques
(1816-1835)
I. Alfred de Vigny. Bibliographie. Réminiscences incertaines. Hèléna. et
Oïthona,. Le passage ossianique d'Eloa. Caractère de ce morceau. —
Diverses mentions d'Ossian. La Veillée de Vincennes. Etude de ce
morceau et conclusion.
II. Victor Hugo. Son goût d'adolescent pour le Nord Scandinave. Les
Derniers Bardes. Divers textes. Rapport de ce poèmeàOssian,àGray,
et à Walter Scott. — L'Aigle du Casque. Pourquoi Hugo s'est si rare-
ment inspiré d'Ossian.
ni. Alfred de Musset. Ses sources littéraires. Imitations incertaines.
Ossian et les Romantiques dans les Lettres de Dapuis et Cotonet. La
Coupe et les Lèvres : un ïyrol un peu calédonien. — L'invocation à
l'étoile du soir. Traduction et addition. Intérêt du thème et supé-
riorité de l'adaptation de Musset. Une hypothèse sur l'origine du
morceau.
IV. Autres poètes romantiques. Premier groupe: Soumet, Rességuier, etc..
Charles Loyson : son Allée d'Ossian. Second groupe: Jules Lefèvre:
son Parricide, poème ossiano-scandinave de ton romantique. Eugène
Hugo. Divers. Th.'ophile Gautier. Sainte-Beuve.
V. Poètes contemporains. Les recrues de l'ossianisme. Brizeux. Barbier.
Deux femmes poètes : M""' Tastu et Elisa Mercœur. Les inconnus :
Pellet, Hervier, Picquet, Dusaulchoy. —Deux fidèles: Victoiin Fabre
et Auguste Moufle.
VI. Le théâtre. Les romanciers : Alexandre Dumas ; George Sand ; Bal-
zac. Berlioz. Un groupe ossianisant : Mérimée; J.-J. Ampère.
Lamartine était une exception : nous ne retrouverons chez
aucun de ses contemporains une pareille foi dans le Barde
et une pareille influence de ses poèmes. Mais dans la géné-
ration des Romantiques, plusieurs, et ce sont les plus grands,
ont subi plus ou moins fortement le charme ossianique.
D'autres poètes du même groupe ont au moins lu Ossian
33o Ossian en France
et s'en sont souvenus; et, dans cette période de 1820 à 1830,
nous trouverons bien des marques que ses chants n'ont pas
cessé de séduire l'imagination et de donner des ailes au rêve.
Alfred de Vigny a dû être vivement touché d'Ossian dans
sa jeunesse, et ses écrits gardent de son commerce avec le
Barde de nombreuses et évidentes marques. En ce qui con-
cerne son œuvre poétique, je pourrais me contenter de ren-
voyer à la minutieuse étude de M. Citoleux ', qui énumère
vingt et un passagesoù il croit pouvoir retrouver l'influence
précise de telle situation ou de telle expression. Avant lui,
M, Estève avait déjà noté quelques traits peut-être ossia-
niques dans Hé/étia^.Ce savant voit dans ces réminiscences
le souvenir de Chateaubriand plutôt que l'influence directe
d'Ossian ; et, comme elles sont bien pâles et indécises, je
suis assez porté à lui donner raison. Celles qu'y ajoute
M. Citoleux ne sont guère plus probantes. Vigny a parfai-
tement pu écrire que le sourire d'Héléna brillait à travers
ses larmes « comme à travers la pluie un rayon de soleil »
sans emprunter ce trait à la fille de Dargo, dont les yeux
sont comme deux étoiles « qui brillent au travers d'un nuage
pluvieux ». De semblables ressemblances sont bien incer-
taines, et la lecture d'Héléna ne donne pas une impression
ossianique. Mais, dit M. Citoleux, le fond même du poème
n'est-il pas emprunté à Ossian ? La situation dHéléna n'est-
elle pas celle même d Oithona, qui dans le poème de ce nom
ne veut pas survivre à son déshonneur ? Même délicatesse
de sentiments, même angoisse, même dénouement tragique.
On peut admettre que Vigny s'est souvenu, peut-être in-
consciemment, du thème à'O'ithona, quoique le fait-divers
soit aussi bien byronien qu'ossianique. J'admets aussi que
certain type féminin de grâce délicate et mélancolique, sou-
vent évoqué par Vigny, doit quelque chose à Ossian presque
autant qu'à Shakespeare ou à Byron.
Le même savant trouve dans Le Trappiste^ dans Le Cor,
dans La Neige, dans La Drijade, des réminiscences de dé-
tail qui me paraissent inégalement certaines. Il n'est pas
nécessaire de se rappeler Ossian pour aimer à entendre «des
1. Marc Citoleux, Vigny et l'Angleterre (Feuilles d'Histoire, 1914).
2. A. de Vigny, Iléléna, réimprimé avec une introduction et des notes
par Edmond Estève.
Alfred de Vigny 33 1
histoires du temps passé ». Mais il n'en est pas moins vrai
que vers 1823 Vig-ny connaissait et goûtait la poésie du
Barde ; il n'en faut d'autre preuve que le morceau bien
connu à'Eioa. On y voit comment il se transporte en rêve
dans une contrée abrupte et sauvage, dont les Pyrénées,
qu'il connaît, lui ont donné peut-être la première idée. Ce
paysage grandiose, mais presque abstrait à force d'être sim-
plitîé et réduit à quelques grands aspects élémentaires, c'est
le paysage ossianique. Une scène s'y esquisse, dont presque
tous les traits sont empruntés à Ossian, et où se fondent
d'une manière intéressante l'Ecosse moderne et la Calédo-
nie fabuleuse. Satan apparaît à Eioa comme une figure à
demi-fantastique et sans consistance :
Quelquefois un enfant de la Clyde écumeuse
En bondissant parcourt la montag-ne brumeuse,
Et chasse un daim léger que son cor étonna.
Des g-laciers de l'Arven aux brouillards du Crona...
S'il a vu, dans la nue et ses vagues réseaux,
Passer le plaid léger d'une Ecossaise errante,
Et s'il entend sa voix dans les échos mourante,
Il s'arrête enchanté, car il croit que ses yeux
Viennent d'apercevoir la sœur de ses aïeux,
Qui va faire frémir, ombre encore amoureuse.
Sous ses doigts transparents la harpe vaporeuse :
Il cherche alors comment Ossian la nomma.
Et debout sur son roc, appelle Evir-Coma'.
Sous la Clyde, on reconnaît la Clutha dont les notes de
Le Tourneur donnaient l'équivalent moderne. Les brouil-
lards du Crona sont empruntés à Comala. On a déjà ren-
contré Evir-Choma, épouse de Gaul et mère du petit Ogal,
un des personnages principaux du poème de Smith La
Mort de Gaul, fils de Morni. Ce détail est intéressant, car
il paraît indiquer que Vigny, comme Lamartine, a été initié
à Ossian par Hill plutôt que par Le Tourneur. Le plaid et
l'Ecossaise, il est vrai, rappellent encore plus Walter Scott
qu'Ossian, et détonnent un peu dans le paysage. Il faut
avouer d'ailleurs que ce morceau assez médiocrement
1. Eloa,, chant IL
332 Ossian en France
pensé et écrit est mal placé dans Fdoa^ et qu'il a tout l'air
d'une pièce rapportée. M. Ernest Dupuyle considère comme
un de ces « cartons un peu anciens ' » que Vigny aurait
utilisés en les introduisant après coup dans Eloa. En tout
cas, ce passage antérieur à 1823 suffît à montrer Vigny
tributaire d'Ossian aux débuts encore incertains du roman-
tisme, à la même heure que Victor Hugo et que tant d'au-
tres moins célèbres.
Plus tard, il a continué de l'aimer, de le goûter d'une
manière plus intimé peut-être et plus vraie. On ne peut, je
crois, dire comme l'a fait un connaisseur pourtant très
averti de cette période :« Vigny s'attarda peu dans l'admi-
ration du Barde '. » Pour Sainte-Beuve, les sources de son
imagination sont ; « la Bible, Homère (à travers André
Chénier), Dante peut-être, Milton, Klopstock, Ossian, Tho-
mas Moore ^ » De ces poètes, Ossian est un de ceux qui
restent le plus constamment au premier plan de son ima-
gination et de sa mémoire. Fait-il l'éloge de Chatterton ?
« Il a chanté comme Ossian*. » Exprime-t-il dans un mor-
ceau dédié à Girodet sa conception dune beauté idéale, son
rêve d'un art unique qui réunirait et concentrerait tous les
arts ? il évoque
L'orgueil farouche et noir des héros du nuage,
Et les blondes beautés qui pleui-ent dans l'orage \
A propos de Byron, il pense à Ossian. Il reproche à Lara
d'être « un voile obscur à travers lequel passent quelques
personnages semblables à des ombres rapides ou aux fan-
tômes nébuleux des pays du Nord ° ». Il fallait être un peu
hanté des figures ossianiques pour penser à elles à propos
de Lara. Elles se dressent beaucoup plus tard devant sa
mémoire, lorsqu'il feuillette la traduction de Lacaussade,
dont il vient de recevoir l'hommage. Il évoque dans son
remerciement au traducteur « les belles ombres mélanco-
1. E. Dupuy, Alfred de Vigny, U: Le Rôle littéraire, p. 383.
2. Id., La Jeunesse des Romantiques, p. 329.
3. Portraits contemporains, II, 62.
4. Stella, chapitre XV.
5. Poèmes, éd. F. Baldenspcrger, 1914, p. 341 (morceau paru dans le Mer-
cure du XIX' siècle, ISIb, XI, 191). •
6. Conservateur Littéraire, III, 212 (1820); cité par Estôve, Byron et le
Romantisme français, p. 98.
Alfred de Vigny 333
liques des filles plaintives et des guerriers farouches que le
Premier Consul aimait à donner pour escorte dans les
nuages à ses généraux Desaix et Kléber '■ ». Vigny attribue
à Bonaparte l'idée de Girodet, et dans une phrase qui pré-
cède celle-ci il assimile le travail de Macpherson à celui de
Chatterton. Nous n'irons pas demander au poète l'exactitude
historique.
Mais nous trouverons chez lui une évocation bien puis-
sante et bien poétique, quoique en prose, de ce que la lé-
gende ossianique a de plus original. 11 raconte dans La
Veillée de Viîicennes qu'il entendit un soir un vieil adju-
dant, entouré de sa fille et d'un jeune sous-officier, chanter
au piano. Alors l'officier philosophe et poète se prend à
rêver.
Ce qu'ils chantaient était un de ces chteurs écossais, une de
ces anciennes mélodies des Bardes que chante l'écho sonore des
Orcades. Pour moi, ce chœur mélancolique se levait lentement
et s'évaporait tout à coup, comme les brouillards des montagnes
d'Ossian: ces brouillards qui se forment sur l'écume mousseuse
des torrents de l'Arven, s'épaississent lentement, et semblent se
gonfler et se grossir, en montant, d'une foule innombrable de
fantômes tourmentés et tordus par les vents. Ce sont des guer-
riers qui rêvent toujours, le casque appuyé sur la main, et dont
les larmes et le sang tombent goutte à goutte dans les eaux
noires des rochers; ce sont des beautés pâles, dont les cheveux
s'allongent en arrière, comme les rayons d'une lointaine comète,
et se fondent dans le sein humide de la lune; elles passent vite,
et leurs pieds s'évanouissent dans les plis soyeux de leurs robes
blanches ; elles n'ont pas d'ailes, et volent. Elles volent en te-
nant des harpes, elles volent les yeux baissés et la bouche en-
trouverte avec innocence ; elles jettent un cri en passant, et se
perdent en montant dans la douce lumière qui les appelle. Ce
sont des navires aériens qui semblent se heurter entre des rives
sombres et se plonger dans des flots épais ; les montagnes se
penchent pour les pleurer, et les dogues noirs élèvent leurs têtes
difl'ormes et hurlent lentement en regardant le disque qui
tremble au ciel, tandis que la mer secoue les colonnes blanches
1. Lettre inédite (catalogue Charavay, n" 1194) datée de 1842. Le traduc-
teur n'est pas nommé, et la date est peu certaine, le 2 étant mal formé ;
mais il s'agit certainement de Lacaussade, qui donne sa traduction en
1842. Je dois communication du texte de cette lettre à M.Baldensperger.
334 Ossian en France
des Orcades qui sont rangées comme les tuyaux d'un orgue
immense, et répandent, sur l'Océan une harmonie déchirante et
mille fois prolongée dans la caverne où les vagues sont enfer-
mées'.
Ce passage est très curieux, et mériterait une longue
analyse. C'est de l'Ossian, mais de l'Ossian filtré, épuré,
sublimé par l'imagination d'un vrai poète ; réduit à ce qui
est en lui poésie pure, et dégagé de tout contact avec la
réalité. On se rappelle les savantes reconstitutions pseudo-
historiques de Macpherson et de Blair, les arbres généalo-
giques et les cartes géographiques de Saint-Simon, la bio-
graphie psychologique du Barde que Lamarque traçait d'une
main sûre. Nous sommes ici à l'autre bout de la chaîne.
Rien que des esquisses de rêve et des horizons vagues et
étranges : des guerriers et des vierges qui planent dans les
nuages, des vaisseaux-fantômes, des chiens qui aboient à la
lune, et toute l'immensité des flots qui grondent sur des
rocs inconnus. Puissances combinées de la musique et du
rêve 1 L'âme du poète, libérée des choses d'en bas par la
vertu magique des accords, s'envole, soutenue, guidée par
eux, vers les palais enchantés dont la poésie lui ouvre les
portes. On ne sait trop, à la vérité, quels étaient ces
« chœurs écossais », ces « anciennes mélodies des Bardes »,
qui faisaient rêver le jeune lieutenant. Son rêve semble
s'inspirer par instants du tableau de Gérard ou de celui de
Girodet,dont Vigny connaissait probablement des reproduc-
tions. Mais il a, de plus qu'eux, le paysage que ni l'un ni
l'autre n'ont tenté d'évoquer dans sa mélancolie sauvage,
les rochers et la mer farouche. Le capitaine Renaud, lui
aussi, a fréquemment ces images devant les yeux : il y pense
quand il compare l'amiral Collingwood à « un de ces vieux
dogues d'Ossian qui gardent éternellement les côtes d'An-
gleterre dans les flots et les brouillards ^ ». Nous pouvons
conclure que ce qu'il y a d'essor et de rêve dans la poésie
ossianique n'a pas été sans influer sur l'esprit d'Alfred de
Vigny.
1. Servitude et Grandeur militaires, livre II, ch. IV : Le Concert de
famille.
2. Ib., livre III, ch. VI : Un homme de mer.
Victor Hugo 335
II
Victor Hugo n'a pas été longtemps tributaire d'Ossian,
et tout à l'heure nous chercherons pourquoi. Mais, jeune
écolier, dans sa période d^apprentissage littéraire, lorsque
son précoce talent attendait encore l'inspiration et l'origi-
nalité, il ne pouvait guère manquer de graviter lui aussi
dans l'orbite du Barde. Sa tragédie âCAthélie ou les Scandi-
naves, à laquelle il travaillait à quinze ans, mais qu'il ne
poussa pas plus loin que le second acte ', le montre déjà
tributaire du goût que nous avons constaté, et qui était à
son apogée vers 1817, pour je ne sais quelle Scandinavie
fabuleuse, et qui devait encore plus à Ossian qu'à V Edda.
Si lui-même nous a fourni déjà un mot qui caractérise bien
ce goût littéraire, c'est qu'il se souvenait d'avoir, à quinze
ans, sacrifié à ces autels.
Le 5 juillet 1818 — et non pas en février comme le dit
Victor Hugo raconté — le jeune Victor, qui avait seize ans,
donna lecture de ses Derniers Bardes, composés dans le
courant de juin, à Fun de ces dîners littéraires à deux francs
par tête que ses amis et lui avaient fondés chez Edon, rue
de l'Ancienne Comédie \ Puis le poème parut ; il parut
même quatre fois ^ : dans le Conservateur Littéraire *, dans
les Jeux Floraux % dans le premier recueil du jeune poète %
enfin, beaucoup plus tard, dans Victor Hugo raconté par un
témoin de sa vie \ où il occupe quatorze pages, parmi les
Poèmes de la première jeunesse, entre Raymond d'Ascoli
et Le Télégraphe. La pièce avait disparu du recueil des Odes
dès la seconde édition : l'auteur la jugeait sans doute ce
qu'elle était, un exercice de débutant, indigne de figurer
définitivement dans ses poésies. Elle a été repêchée dans
1. Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, I, 218.
2. Gustave Simon, L'Enfance de V. Hugo, p. 178.
3. Ch. Asselineau, Bibliogniphie roniantufiie, p. 3 ; et surtout Abbé
Pierre Dubois, Bibliographie de V. Hugo, 1914, p. 18 et suiv.
4. Conservateur Littéraire, l, 2gl {mars 1820).
5. Recueil de l'Académie des Jeux Floraux, Toulouse, 1819.
6. Odes et Poésies diverses, par Victor-M. Hugo, 1822.
1. Victor Hugo raconté..., I, 271.
336 Ossian en France
Victor Hugo raconté, et c'est là qu'on peut aujourd'hui
la lire le plus commodément. Mais on ne l'y trouve pas
tout entière, pas plus d'ailleurs que les Odes ne l'avaient
admise sans coupures. Le poème, qui a 298 vers dans le
Conservateur, 243 dans les Jeux Floraux, n'en a plus que
198 dans les Odes,Qi on en retrouve 228 ' dans Victor Hugo
raconté. Nous le lirons dans le texte le plus complet, le
premier, et celui sans doute dont les convives de chez Edon
eurent le régal \
Il est précédé d'un bref sommaire : « L'auteur suppose
que les Bardes, à l'arrivée d'Edouard, roi d'Angleterre, qui
a taillé en pièces tous les guerriers calédoniens, se réunissent
sur les rochers de Trenmor, maudissent l'envahisseur, et
se précipitent dans l'abîme. » Mais, dit aussitôt le lecteur,
c'est le Barde de Gray qu'il nous raconte-là ; c'est le Barde
de Gray mis au pluriel et transporté du pays de Galles en
Calédonie. Ce dernier mot, et le nom de Trenmor, font pen-
ser à Ossian. Y a-t-il eu contamination des deux thèmes?
Oui, et la part d'Ossian se trouve, en somme, plus forte que
celle de Gray. En substituant le massacre des « guerriers
calédoniens» à celui des bardes, dont le dernier survivant,
dans Gray, lance sa malédiction sur le roi cruel, le jeune
Hugo abandonne nettement cette légende pour en inventer
une autre, qui n'est ni aussi vraisemblable ni aussi poétique.
Car il est sans doute très regrettable pour les Calédoniens
que leurs guerriers aient été « taillés en pièces», mais c'est
la chance des armes ; tandis que le massacre des bardes,
âgés la plupart et sans défense, est un acte lâche, odieux,
et contraire au droit des gens.
En réalité, il y a ici une troisième influence, mais vague :
c'est celle de l'Ecosse moderne. On ne peut parler de Wal-
ter Scott romancier, puisque nous sommes en 1817 ou en
1818, mais le jeune poète a dû lire quelque description de
l'Ecosse, ou examiner une carte du pays. Ainsi s'explique
la diversité des couleurs dans ce poème. A côté d'expres-
sions comme : palais des ?iuages, fds d'Ossian, esprits des
1. El non pas 105 comme le dit Edmond Biré {Victor Hugo avant I-'ISO,
p. 151); je ne sais comment peut s'expliquer cette énorme inexactitude.
2. M. l'abbé Pierre Dubois (à l'endroit cité) a donné une étude minu-
tieuse des variantes.
Victor Hugo 337
tempêtes, W y a des noms de lieux qu'on chercherait en vain
dans Ossian : Lomon, Stirling, Lothyan, Cartlane ; il est
question d'Ecosse, de Saxons, de léopards. Et ce qui n'est
ni de l'un ni de l'autre, ce sont les fausses notes : les cyprès,
les lauriers des héros, voilà pour l'antiquité ; Varrêt de
Dieu, les archers, voilà pour le moyen âge. Etonnant mé-
lange, mais combien plus intéressant que le répertoire stric-
tement classique des premières Odes conservées !
Du récit et du tableau qui ouvrent le poème et en forment
la plus grande partie, du récitatif du Chef des bardes, en-
cadré entre deux chœurs de bardes, nous n'avons pas grand
chose à citer, quoiqu'on soit tenté de laisser parler les
seize ans de Victor Hugo. Voici l'apparition des bardes, où
l'influence de Gray est très visible :
Tout à coup, sur un roc dont la lugubre cime
S'incline sur l'armée et menace l'abîme,
Debout, foulant aux pieds les mobiles brouillards,
Agitant leurs robes funèbres,
Aux lueurs de l'éclair qui perce les ténèbi'es,
Apparaissent de grands vieillards.
Et voici le portrait du Chef des bardes, qui ressemble
singulièrement à Ossian :
Les frimas sur son front s'élèvent entassés,
Sa barbe aux flols d'argent descend vers sa ceinture.
Il abandonne aux vents sa longue chevelure.
Et semble un vieux héros des temps déjà passés.
Tout cela est facile, et peu neuf. L'auteur accompagne ses
vers de notes empruntées à Le Tourneur. Un détail peut-
être curieux : Le Tourneur dit dans une note au chant 1 de
Fingal que les dogues et les chevaux des Calédoniens
avaient le don d'apercevoir les fantômes. Victor Hugo garde
les dogues, mais il remplace les chevaux par des aigles : car
l'aigle, plus poétique, est symbole ici de liberté, et plane
« étonné de voir des tyrans ».
Pendant près de soixante ans, pas trace d'Ossian dans
l'immense œuvre poétique de Victor Hugo. Nous savons
338 Ossian en France
qu'il avait à Guernesey la traduction Christian i . Il est très
possible qu'il ait songé à s'inspirer de cette traduction pour
édifier sur les thèmes ossianiques quelque poème de la Lé-
gende des Siècles. Le seul cependant qui doive un trait au
Barde est L'Aigle dit Casque, dont le manuscrit est daté de
1876, mais dont l'idée remonte au moins à 1846 ^En 1846,
on pouvait encore rêver, sinon à la Calédonie d'Ossian,du
moins à une Ecosse où revit son souvenir.
Etre Ajax contre Mars, Fergus contre Fingal K..
Ce Fergus et ce Fingal sont ossianiques tous deux : l'un
est le neveu, l'autre l'oncle ; ils n'ont jamais combattu l'un
contre l'autre. Ce sont dans Hugo des noms, pas autre chose,
et rien dans le développement du poème n'est ossianique.
Pourquoi Hugo, ditférent en cela de Lamartine, a-t-il
été si tôt détaché de toute influence ossianique ? Pour ré-
pondre à cette question, il n'y a guère que des hypothèses,
et chacun peut en présenter d'aussi valables que celles que
j'avance. D'abord un sens pratique et précis de lactualité,
une rare aptitude à suivre de près ou à devancer, mais de
très peu, la mode littéraire, éloignaient Hugo d'un poète
plus que suspect, dont le rôle était joué, et dont les jeunes
générations se détournaient avec indifférence. Et puis, il me
semble que l'atmosphère irréelle et diaphane, les figures
spectrales, la grisaille perpétuelle, ne pouvaient plaire au
visuel, au coloriste qu'était Hugo; comme l'héroïsme vague-
ment sentimental, la mélancolie pessimiste, le Inmento per-
pétuel, s'opposaient à son optimisme robuste, à sa foi dans
la vie, dans le progrès, à ce qu'il y avait même en lui d'un
peu épais ou simpliste à cet égard. Il y a des poètes qui
chantent en mineur et d'autres en majeur. Ossian est le
type des premiers et Victor Hugo des seconds. La harpe
du Barde n'est pas entrée dans son orchestre, et son àme
aux mille voix n'a pas répété la voix de Cona. Même, si
l'on cherche ce qui fait défaut à Hugo pour incarner à lui
seul le romantisme entier, on trouvera qu'il lui a manqué
1. P. Berret, Le Moyen Age dans la Légende des Siècles, p. 315.
2. Ib., p. 330-363.
3. Légende des Siècles, 2" série. 1877 ; édit. définitive, II, 195.
Alfred de Musset 339
ce qu'Ossian donnait à d'autres ; le rêve diaphane, l'idéal à
peine entrevu, les soupirs vagues, les mélancolies infinies
et les désespoirs qu'aucun rayon ne vient éclairer.
III
Alfred de Musset, lui aussi, doit quelque chose au Barde.
Non qu'il l'ait imité, célébré ou cité avec complaisance ;
mais l'étude attentive de ses œuvres y fait reconnaître de
fréquentes réminiscences. Au premier abord, on n'aperçoit
pas Ossian parmi les poètes qui l'inspirent. Peu d écrivains
français ont prêté l'oreille à des voix aussi nombreuses et
aussi diverses. En dressant la liste des maîtres qu'il a écoutés,
on rencontrerait tout d'abord Gœthe et Byron, puis Dante,
le Tasse, Shakespeare, Richardson, Prévost, Rousseau, Al-
fieri, Schiller, Jean-Paul, Hoffmann. Ceux-là, d'autres encore,
il les cite, leur répond, les discute : il nous donne son avis
sur la justesse du mot de Francesca de Rimini ou sur le
charme indéfinissable de Manon. Ossian n'est point de ceux
qui offrent un aliment à son esprit, sur qui s'exerce sa claire
et perçante raison ; mais il a quelc{ue temps nourri son rêve.
Il possédait la traduction de Le Tourneur, et c'est sans
doute par elle qu'il a été touché dans ses jeunes années du
charme d'Ossian. Si, comme il est probable, il a lu aussi
Baour-Lormian, la poésie de celui-ci n'a pas dû beaucoup
l'enchanter, d'après la façon dont il parle de lui à vingt ans :
il voit très justement dans sa manière un dernier effort de
la versification classique : « La Henriade enfanta M. Baour-
Lormian '. »
Un critique qui a étudié avec beaucoup de précision les
sources du théâtre de Musset, avant d'insister comme il
convient sur La Coupe et les Lèvres, a signalé quelques
rencontres de sa poésie et de celle du Barde \ Elles sont un
peu incertaines. Il ne suffit pas que Musset parle de bruyère
et de vent du soir pour qu'il soit, de ce chef, tributaire
1. Œuvres d'Alfred de Musset, IX, 7S : i3< Revue fantastique, 25 avril
1831.
2. L. Lafoscade, Le Théâtre d'Alfred de Musset, p. 58-63.
340 Ossian en France
d'Ossian. « L'on jurerait que la muse du poète, sûre de se
retrouver, s'est un instant laissé envelopper par les nuages
de Macpherson. » 11 ne faudrait pas trop jurer. Je regrette
pour le Barde qu'il n'ait pas inspiré le poétique début de
la Nuit d'Octobre, par exemple, ou tels vers du Saule ou
de Rolla. Par contre, je verrais volontiers une réminiscence
du fameux morceau sur les ruines de Balclutha dans l'in-
vocation de l'Anglais Tiburce au manoir de ses pères :
... Tu gardes le silence,
Vieux séjour des guerriers, autrefois si bruyant ' !
Il faut rappeler aussi que Musset se représente, quand
il a perdu tout son argent aux jeux de Bade, étendu sur un
banc et « rêvant aux héros d'Ossian ^ ». N'y a-t-il pas là
quelque ironie, aussi bien que dans le « crâne ossianique^ »
dont s'enorgueillit le piteux Durand? Ce « crâne ossianique »
est sans doute un crâne où réside le génie, puisqu'il est
« aux lauriers destiné ». Il est difficile de préciser l'intention
du poète dans l'un et l'autre passage.
Musset raille doucement le genre ossianique : il ne renie
pas les poèmes du Barde. On peut s'en convaincre en par-
courant ses œuvres en prose. Il semble féliciter Napoléon
d'avoir porté son Ossian avec lui, même à la Bérésina *. Dans
sa petite guerre contre les Romantiques, il ne nie pas les
beautés d'Ossian : il s'étonne que les Romantiques voient en
lui un maître. Les journaux ont appris à Dupuis et à Cotonet
que << la poésie romantique, tille de l'Allemagne »,a ajouté le
Barde au panthéon littéraire, et que « Ossian et Homère se
donnent la main * ». Point de mal à cela. Mais d'autres —
Musset se laisse aller par négligence ou s'amuse par malice
à confondre les divers sens qu'on a donnés au mot roman-
tisme, et l'on sait s'ils sont nombreux ! — d'autres appellent
romantique le mélange du bouffon et du terrible. Que vient
faire le Barde lugubre de Morven en cette mascarade ?
1. Le Saule, 18.30.
2. Une bonne fortune, décembvc l!S3i.
3. Dupont et Dura/id, juillet 1S3S.
i. OEuvres, IX, 137 : Un mot sur l'Art modei'ne.
5. Ib., IX, 208 : Lettres de Dupuis et Cotonet, l" lettre, 8 seplembre
1836.
Alfred de Musset 341
« D'ailleurs Ossian, votre Homère nouveau, est sérieux d'un
bout à l'autre : il n'y a, ma foi, pas de quoi rire. Pourquoi
Tappelez-vous donc romantique ? Homère est beaucoup plus
romantique que lui >. » Au reste, dire aux romantiques, en
1836, qu'Ossian est leur « Homère nouveau », c'est étran-
gement retarder ; c'est parler comme aurait pu le faire en
1800 un critique de M""« de Staël. 11 n'y a peut-être pas un
romantique de quelque renom qui, en 1836, fît d'Ossian son
Homère. Décidément, les deux habitants de La Ferté-sous-
Jouarre sont mal au courant. C'est abuser également que
d'établir, sous le couvert d'un mot à tout faire, un rapport
quelconque entre le Barde, père de la mélancolie moderne,
et l'armoire d'Heniani ou les facéties des Jeune-France.
Nous arrivons aux deux textes dans lesquels une in-
fluence d'Ossian est aisément discernable : ici une inspira-
tion, là une imitation directe et presque une traduction.
Trois auteurs au moins ^ ont déjà signalé combien certains
traits de La Coupe et les Lèvres rappellent Ossian ; M. La-
foscade Ta fait naturellement avec plus de détail. Il ne se
peut rien de plus ossianique que toute l'apostrophe au Tyrol,
où l'on relève des traits comme amante des nuages, leurs
lacs vaporeux, barde ; un vers qui caractérise admirable-
ment l'emploi du temps des héros de Morven :
On ne fait sous ton ciel que la guerre et l'amour '...
et surtout une allusion au surnaturel ossianique :
0 Frank ! si du séjour des vents et des tempêtes
Ton âme sur ces monts plane et voltige encore *...
Le Tyrol qu'évoque Musset est une sorte de Calédonie
plus moderne et plus colorée, où la grisaille monotone des
guerriers combattant et pleurant dans le brouillard est rem-
placée par des touches plus vives et plus pittoresques : ses
1 Œuvres, IX, 214.
2. L. Lafoscade, Le Théâtre d'A. de Musset, p. 59-63 ; Edm. Estève,
Byron et le Romaatisine français, p. i2i; Jean Giraud, iVo^es sur quelques
sources de La Coupe et les Lèvres d'A. de Musset {Revue Universitaire,
15 février 1912).
3. La Coupe et les Lèvres, juillet et août 1832 : Invocation.
4. Ib., acte IV, se. I.
34» Ossian en France
montagnes sont plus élevées, ses vallées plus riches et plus
ensoleillées : on le sent voisin de l'Italie. Mais il est, comnae
Morven, un pays de rêve, un de ceux qu'a créés l'imagina-
tion d'un poète. Celui-ci a vingt-deux ans; il s'ouvre à la
vie comme au soleil une belle fleur pourprée qui embaume
tout ce qui l'approche. 11 a mis dans son Tyrol une vision
héroïque dans un décor montagneux et grandiose, dont
Ossian a suggéré quelques traits.
On voit combien il serait faux de dire avec Dumas père
que Musset « n'a rien pris... à Ossian excepté une seule
pièce ' ». Et cependant il est vrai que tous les témoignages
d'inspiration ou d'influence que Ton a recueillis ne sont rien
auprès du morceau célèbre, le plus glorieux sans doute de
tous ceux que cite ou indique cette longue étude, et le seul
peut-être qui soit déjà dans le souvenir de tout lecteur de
cet ouvrage. Même l'immense majorité des Français lettrés
de notre temps n'ont guère lu d'Ossian que ces vers de Mus-
set, qui chantent dans leur mémoire depuis le jour heureux
de leur jeunesse où le poète leur fut révélé. Je m'excuse de
reproduire une page aussi connue, mais il serait étrange
qu'une étude sur Ossian en France, qui a dû faire une place
à tant de morceaux médiocres ou mauvais, ne contînt pas
celui-ci.
Pâle étoile du soir, messagère lointaine,
Dont le front sort brillant des voiles du couchant.
De ton palais d'azur, au sein du firmament,
Que regardes-tu dans la plaine?
La tempête s'éloigne, et les vents sont calmés.
La forêt, qui frémit, pleure sur la bruyère;
Le phalène doré, dans sa course légère.
Traverse les prés embaumés.
Que cherches-tu sur la terre endormie ?
Mais déjà vers les monts je te vois t'abaisser;
Tu fuis en souriant, mélancolique amie.
Et ton tremblant regard est pi'ès de s'elFacer.
I']toile qui descends sur la verte colline.
Triste larme d'argent du manteau de la Nuit,
Toi que regarde au loin le pâtre qui chemine,
Tandis que pas à pas son long troupeau le suit, —
1. Alexandre Dumas, Les Morlsvont vite, II, 98.
Alfred de Musset 343
Etoile, où t'en vas-tu dans cette nuit immense?
Cherches-tu sur la rive un lit dans les roseaux?
Où t'en vas-tu si belle, à l'heure du silence.
Tomber comme une perle au sein profond des eaux?
Ah ! si tu dois mourir, bel astre, et si ta tête
Va dans la vaste mer plonger ses blonds cheveux,
Avant de nous quitter, un seul instant arrête; —
Etoile de l'amour, ne descends pas des cieux '!
On sait que ce morceau n'est autre que le début des
Chants de Se/ma, que nous avons rencontré si souvent tra-
duit en prose ou en vers, soit sur l'anglais, soit d'après Le
Tourneur, soit d'après Tallemand de Gœthe. Nous savons
que Musset possédait les deux volumes de Le Tourneur ;
c'est certainement la source de sa traduction ; Werther a. sans
doute aussi contribué à lui faire apprécier ce morceau. Quoi-
que Musset connût suffisamment l'anglais pour lire Ossian
dans le texte, il n^est pas probable qu'il ait eu ce texte en-
tre les mains : sa bibliothèque ne le contenait pas. Dès 1840)
Sainte-Beuve citait dans un de ses articles « la pièce inspi-
rée d'Ossian ^ » ; en réimprimant en volume les Portraits
Contemporains, on a jugé inutile de répéter une page si con-
nue. Au lendemain de la mort du poète, Dumas père la ci-
tait aussi avec éloge : pour lui, elle est « imitée de loin,
souvenir resté dans la tête plutôt que traduction copiée sur
le livre ^ ». Il est difficile pourtant d'admettre, n'en déplaise
au bon Dumas qui tranche ce point avec son assurance ha-
bituelle, que Musset n'ait pas écrit après une lecture toute
récente de Le Tourneur, et peut-être même avec le livre sous
les yeux. Quelques rapprochements, en confirmant que Le
Tourneur est bien la source de Musset, serviront en outre
à établir avec quelle fidélité il suit quelquefois les expres-
sions de son modèle.
L. T. — dont la tête sort brillante des nuages du couchant.
M. — Dont le front sort brillant des voiles du couchant.
L. T. — sur l'azur du firmament.
M. — De ton palais d'azur, au sein du firmament.
1. Le Saule, 1830,
2. Portraits Contemporains, 11,220.
3. Alexandre Dumas, Les Morts vont vite, II, 98.
344 Ossian en France
L. T. — Que regardes-tu dans la plaine ?
M. — Que regardes-tu dans la plaine ?
L. T. — Je te vois t'abaisser en souriant.
M. — Je te vois t'abaisser ; tu fuis en souriant.
L. T. — Ta radieuse chevelure.
M. — ses blonds cheveux.
L'identité de certaines expressions est telle qu'il est dif-
ficile de croire que Musset n'ait pas eu Le Tourneur sous
les yeux. Mais l'examen attentif de ces vers nous amène à
une autre constatation. Ce morceau est composé d'une tra-
duction et d'une imitation très libre. Les douze premiers
vers ne s'éloignent pas plus du texte que ne le font en gé-
néral les traductions en vers. Les douze derniers, beaucoup
plus remarquables et plus poétiques, s'en écartent tout à
fait et introduisent des développements inconnus à Ossian.
On dirait que le génie du poète, après avoir suivi son modèle,
ouvre à l'inspiration ses ailes toutes grandes et le dépasse
brusquement. La note rêveuse et tendrement mélancolique,
qui est la dominante de ce morceau, appartient bien au texte
ossianique ; mais le poète français l'a développée, a su lui
trouver des harmoniques nouvelles, de manière à lui faire
produire un effet incomparablement plus beau. Entre ses
mains seulement, le thème de l'étoile du soir, repris, ampli-
fié, développé par l'adjonction d'images de détail et d'idées
poétiques dune rare beauté, a exprimé tout ce qu'il conte-
nait d'analogue avec certaines des dispositions les plus inti-
mes de notre âme. Sans doute, le début des Chants de
Selma est « aussi profondément mélancolique qu'il est ori-
ginal' » .-mais il fallait lui faire rendre tout ce qu'il contient
de poésie. Werther' lavait révélé au lecteur français ; beau-
coup l'avaient traduit depuis ; il n'a pas cessé de charmer.
C'est qu'il exprime un sentiment bien puissant et bien vrai.
Tant qu'il se lèvera, à l'orient, une petite étoile dont la lueur
timide s'allume, à peine le soleil couché a-t-il empourpré
l'occident ; longtemps la seule étoile du ciel, si chère au
travailleur qui regagne à pied son foyer, si douce aux amou-
1. B. Jullicn, Ilisloire Je la poésie française à l'époque impériale, \,lbs.
Alfred de Musset 345
reuxqueles ombres du crépuscule voilent discrètement avant
que la nuit épaisse les cache ou les sépare ; tant qu'elle sera
le symbole de cette heure ineffable, faite d'apaisement, de
repos et d'espoir, où se glisse le rêve aux cœurs les mieux
fermés ; aussi longtemps on saluera dans Ossian le premier
poète de l'étoile du soir, et dans Musset celui qui a su le
mieux la dire après lui. Ailleurs, ce ne sont que des touches
isolées^ qui parfois émeuvent profondément. Homère appelle
Vesper « le plus bel astre qui s'arrête dans le ciel », -/JXX'.z-oz,
b» cjpxvw rc--.-a'. àjtrjp. Dante a évoqué Lo bel jnaneta ch'ad
amar conforta, q,\. cette heure divine:
Era già l'ora che volge il disio
Ai naviganti, e'ntenerisce il cuore...
Che paja il giorno pianger che si muore
Byron a senti son cœur violent et passionné, ironique et
hautain, sefondre sous les pins de Ravenne à l'heure tendre
du crépuscule, et suivant, imitant Dante qu'il cite, il a dit
lui aussi the heavenliest Iwur of heaven;\\ a senti cette heure
Sink o'er tha earth so beautiful and sofl ..
Soft hour ! which wakes the Avish and melts the heart
Of those Avho sail the seas...
Et Ronsard a chanté « Chère Vesper, lumière dorée De la
belle Vénus Cythérée... Oclaire image de la nuitbrune... »
Mais ces notes isolées n'empêchent pas Ossian, et Musset à
sa suite, d'être les vrais poètes de l'étoile du soir.
Terminons en disant qu'on a fait une étrange supposition
sur l'origine véritable de ce morceau. Emile Montégut s'est
avisé de dire que Musset l'avait tiré, non pas de Le Tour-
neur, non pas même d'Ossian, mais de Fletcher, ledramatiste
anglais' ; il l'admettait d'autant plus facilement qu'il n'avan-
çait pas l'ombre d'une preuve, et qu'il dédaignait même
de donner le nom de la pièce de Fletcher. M. Jean Giraud
a repris l'étude de la question '. Il ne la fait pas avancer en
ce qui concerne Fletcher, dont il fait sur la foi de Montégut
le modèle de Macpherson ; il montre que Musset dérive de
1. Emile Montégut, Nos Morts Coiilemporains, 2' série (1865), p. 9.
2. J. Giraud, Musset et la Poésie du Nord {Revue Germanique, 1911).
346 Ossian en France
Le Tourneur, que M.-J. Chénier et Baour-Lormian en déri-
vent aussi, tandis que Gœthe dans Werther imite directe-
ment Macpherson, Nous savions tout cela. Mais il ajoute que
certaines expressions de Musset, mélancolique amie, la terre
est endormie, paie étoile, peuvent venir du premier mono-
logue de Faust dans la traduction Albert Stapfer. On peut
se rallier à ces conclusions. Mais j'ai voulu vérifier dans
l'ample répertoire de Beaumont et Fletcher si quelque pas-
sage justifiait l'allégation de Montégut. Je n'ai trouvé abso-
lument qu'un hymne de Calis à Vénus, chanté dans le tem-
ple de cette déesse : « 0 divine Star of Heaven... S> ; mais
ici l'étoile Vénus se confond avec la déesse ; elle n'est guère
qualifiée que par les expressions qui conviennent à la déesse
et qui forment une espèce de litanie. Il est possible que ce
morceau lyrique soit de Fletcher seul, mais en tout cas, si
c'est à lui que Montégut a pensé, il justifie bien mal son
assertion.
IV
Il était naturel de rapprocher les grands romantiques, mal-
gré les différences d'âge qui les séparent, puisqu'ils ont tous
plus ou moins subi dans leur jeunesse l'influence d'Ossian.
Parmi les autres poètes de la même époque, il faut distinguer
deux groupes : ceux qui sont de la génération de Lamar-
tine et même plus âgés, Soumet, Guiraud, les Deschamps,
Rességuier, Loyson, etc.. ; ceux qui sont contemporains de
Hugo et qui se rangent volontiers sous son étendard. Les
premiers sont, avec quelques-uns des plus jeunes, les ini-
tiateurs du premier romantisme, celui de 18i2-1825 ; les
seconds ne publient guère avant 1830, et l'on sait assez que
leur romantisme n'a pas grand'chose de commun avec celui
de leurs aînés.
Ces derniers, disciples de M'"^ de Staël et volontiers mé-
lancoliques, n'ossianisent pourtant pas autant qu'on pourrait
le croire. La plupart n'olîrent que peu de traces de la pré-
1. Beaumont and Fletcher, The Mad Lover, acte IV, scène 1.
Divers poètes romantiques 347
sence du Barde dans leur imagination : Ossian est, je crois
bien, absent du recueil de La Muse française. Dans L'Infi-
dèle^ de Soumet \ l'inspiration est toute chrétienne et che-
valeresque. Mais l'anecdote est probablement ossianique :
nous connaissons ces vierges qui s'arment pour combattre
et qui sont par mégarde tuées par leur amant. Soumet et
Guiraud sont deux méridionaux qui ne fréquentent guère
dans Morven. U Hospitalité, de UÎric Guttinguer, se donne
pour Chant gaulois ^ ; mais il y a là un barde solitaire, et
l'ensemble est vaguement ossianique ; d'ailleurs nous ver-
rons Guttinguer, à Rouen, défendre le Barde contre les rail-
leries des classiques. La Glbrvina de Rességuier, tille d'un
vieillard qu'elle endort aux sons de sa harpe, est plus nette-
ment calédonienne :
... Sa voix est unie
Aux sons doux et légers des accords d'Ossian ^
On remarquera que ce nom de Glorvina n'est pas ossiani-
que : le poète l'a très probablement emprunté au roman
de Miss Owenson.
L'inspiration automnale et mélancolique, souvent associée
à des sentiments chrétiens, se développe beaucoup dans notre
poésie à partir de 1820, comme on s'en aperçoit en feuille-
tant un assez grand nombre d'ouvrages ou de recueils. La-
martine y est sans doute pour quelque chose. UAlmanach
des Muses ne fait place à cette inspiration que vers 1822 :
c'est cette année-là qu'il donne le Jeune poète mourant du
romantique Holmondurand :
Car j'ai toujours aimé les beaux mois des tempêtes,
Ce ciel mélancolique et cette longue voix,
Cette voix des autans qui chassent sur nos têtes
Les feuilles éparses des bois *.
1. Almanach des Muses, 1823, p. 175.
2. Ulric Guttinguer, Mélanges poétiques. 2» éd., 1825, p. 98.
3. Jules de Rességuier, Tableaux poétiques, 3* éd., 1828, p. 273 : La
Harpe de Glorvina ; la même que Glorvina, élégie, dans V Almanach des
Muses, 1824, p. 78.
4. Almanach des Muses, 1822, p. 193.
348 Ossian en France
Le poète chante « l'étoile du soir... le nuage qui s'enfuit ».
Il a des accents ossianiques. Mais Charles Loyson, lui, est
nettement épris du Barde. 11 devait mourir à vingt-neuf ans,
le 27 juin 1820, peu après avoir écrit son Hymne à la Lune
et son Allée d'Ossian. 11 chantait « cette tristesse infinie,
Le titre des mortels à l'immortalité ». 11 voyait la lune
Comme un grand bouclier dont l'orbe ensanglanté
S'élève et s'agrandit au haut de la colline '.
Mais surtout L'Allée d Ossian - est un des poèmes les
plus intéressants, à notre point de vue, de cette époque.
Il compte 204 vers libres, dont le cours est interrompu à
cinq reprises par le refrain :
Prends ta harpe mélodieuse,
Que la gloire et l'amour, la douleur anima,
Barde à la voix harmonieuse
0 Barde antique de Selma !
Le poète rêve aux premières heures de la nuit, dans une
allée d'arbres antiques, dont les rayons de la lune percent
par intervalles l'épais feuillage. Il croit voir les fantômes
des vierges et des héros que font revivre les chants du Barde ;
il croit entendre dans le bruissement des feuilles les accents
d'Ossian lui-même, qui lance à cinq reprises, comme un
refrain, sa plainte prophétique :
Murs de Selma, pleurez, et couvrez-vous de deuil !
Emu par des souvenirs mélancoliques et des pressenti-
ments lugubres, car celle qui possède ce parc et qui voulut
que cette allée s'appelât Vallée d'Ossian va mourir avant
l'heure, le poète tente d'expliquer le charme profond que
cette poésie exerce sur les cœurs. Elle le doit à sa tristesse:
Hélas ! l'accent de l'harmonie
N'est que l'écho de nos douleurs.
La joie, aux humains étrangère,
Fait entendre une voix légère,
1. Lycée français, IV, 1 (1820) : Hymne à la Lune, par Ch. Loyson.
2. Ib., III, 49 (1820): L'Allée d'Ossian, élégie, par Gh. Loyson.
« L'Allée d'Ossian » de Charles Loyson 349
Dont peu d'instants après le souvenir se perd ;
La tristesse dans 1 ame a sa source profonde,
Et ses gémissements qui remplissent le monde
Forment de siècle en siècle un éternel concert.
Le caractère dominant du poème, c'est en effet la mélan-
colie romantique prenant pour s'exprimer la forme ossia-
nique. Viens, dit le poète à Ossian,
Viens, tes tristes accents sont pour moi pleins de charmes ;
La lune règne au haut des cieux ;
L'homme s'est retiré : je suis seul, et mes yeux
Demandent à verser des larmes.
Après cette mélodie en mineur, quelques accords vigou-
reusement plaqués :
Ossian, prends ton vol vers la troupe immortelle !
Ne cherchez plus le Barde au séjour des vivants :
Il mêlera sa voix à la voix des tempêtes,
Et passera le soir au-dessus de nos têtes,
Dans le nuage obscur qui fuit au gré des vents.
Le poète rêve à Ossian dans un décor tout moderne : à
côté de Fingal, Oscar, Malvina, Toscar, Minvane, Selma,
Inistore, Témora, voici l'horloge, les créneaux, les vitraux;
et, mêlées à tout cela, quelques périphrases classiques, des
devinettes à la Delille : « du messager céleste le cantique >>
et « le Mentor rustique » ; vous avez deviné qu'il s'agit de
VAngelm et d'un maître d'école. Malgré ces élégances, ce
poème a quelque chose de sincère et de pénétrant qui le
met fort au-dessus de la plupart des poésies d'inspiration
ossianique.
Parmi les poètes du second groupe, plus colorés, plus
bariolés, plus hardiment romantiques, Jules Lefèvre se dis-
tingue particulièrement. Bien qu'il n'ait paru qu'en 1823, son
poème Le Parricide est daté par l'auteur de novembre 1 8''20 ^
On sait la réputation éphémère de ce poème et de ce poète.
On a appelé Le Parricide un poème ossianique' ; à la vérité
il y a là un mélange d'inspiration biblique et d'inspiration
1. Jules Lefèvre, Le Parricide, poème..., 1823.
2. P. Berret, Le Moyen Age dans la Légende des Siècles, p. 320.
35o Ossian en France
ossianique dans une forme encore très classique. Ossian a
inspiré surtout le personnage d'Edgar : de cet Edgar en qui
revivent les héros chantés par le Barde :
Il descendait, dit-on, de ces bardes antiques
Qui chantaient les yeux bleus de leurs vierges celtiques...
De Fingal dans son cœur portant toute la race,
Edgar se lit connaître au sang qu'il répandait.
Ailleurs ce sont des allusions précises, des noms évoca-
teurs :
Et l'on voit à côté d'un casque sans crinière
Le luth de Balclutha gisant dans la poussière...
Il entendait alors la lyre soupirer
Ces sons que Malvina sut jadis en tirer
Quand Ossian disait : Ma fille, voici l'heure... !
Le luth, la lyre, et pas une harpe ! C'est que le poème
n'est ossianique que pour une faible part : il se rattache
plutôt au genre gothique et aussi au genre frénétique. Nous
sommes loin de la sérénité mélancolique du Barde, et l'ins-
piration reste extérieure. Jules Lefèvre essaie de donner
comme arrière-plan à son poème des échappées sur le monde
ossianique, qu'il romantise d'ailleurs de curieuse façon. Les
« yeux bleus des vierges celtiques » viennent de Chateau-
briand, et Ossian n'a jamais dit à Malvina « Ma fdle, voici
l'heure! » sur un ton aussi mystérieux, mélodramatique et
fatal.
Dans une de ses poésies, Lefèvre se souvient encore d'Os-
sian, mais cette fois à travers Walter Scott '. Ce court poème
est daté d'août 1821 ; il est intéressant à cette date comme
exemple de l'influence de Scott venant remplacer celle d'Os-
sian; les deux Ecosses se superposent au détriment de la pre-
mière, qui devient de plus en plus vague et inconsistante, qui
n'est plus rappelée que par quelques accords épars, quelques
notes plaintives et lointaines, à peine perceptibles dans l'har-
monie pleine, chaude, colorée, du successeur d'Ossian aux
bords de la Glyde. On peut cependant admettre que si
1. J. Lefèvre, Le Parricide..., p. 217 : Le Retour, imitation de Walter
Scott.
Divers poètes romantiques 35 i
Lefèvre a imité justement cette pièce de Scott, c'est qu'elle
lui parlait d'Ossian.
Le souvenii' du Barde inspirait mes transports :
Je vivais de ses vers : j'étais celui qu'il chante...
Je ne me souviens plus comment dans mon repos
De Fingal et d'Oscar jévoquais les drapeaux;
De la harpe d'Erin je me croyais le maître...
On rapproche souvent de Lefèvre Boulay-Paty, un peu
plus jeune, qui lui aussi a imité Ossian, nous l'avons vu,
en chantant la gloire de nos armées. Mais celui qui rappelle
le plus l'auteur du Parricide est Eugène Hugo, le frère
infortuné de Victor, qui tout jeune encore, avant de som-
brer dans la folie, avait écrit Le Duel du Précipice \ que
Sainte-Beuve appelle une « poésie soi-disant erse %> . Cette
« poésie » est un morceau en prose de deux pages « traduit,
dit l'auteur, d'un ouvrage peu connu en France, les Exqui-
sitiones philosophicae de Merner (Stockholm, 1805) ». C'est
Un tableau Scandinave, brossé dans le style de Bug Jargal
et de Han d'Islande. Deux guerriers combattent corps à
corps sur un sapin jeté comme un pont au-dessus d'un
abîme. Mais la couleur ossianique y est marquée par les
bardes, où l'on attendrait des scaldes, et par une phrase
comme celle-ci : « L'on aperçut distinctement dans les airs
les fantômes emportés par les vents qui se penchaient sur
les bords des nuages. » Notons que l'auteur connaît les
se«ac/r/e.y ou chanteurs irlandais, qu'il appelle, je ne sais pour-
quoi, sénécions. Dans un article intitulé Du Génie, Eugène
met parmi les plus grands poètes épiques Ossian, qui s'élève
« sur les débris de sa patrie et de ses dieux ^ ».
Au même groupe appartient encore Pétrus Borel, roman-
tique à tous crins. Remarquons la forme que prend sa dé-
claration de iière indépendance :
1. Conservateur Liltéraire, I, 165 (février 1820) : Le Duel du Précipice,
poésie erse, par E... Réimprimé par Ch. Asselineau, Bibliographie Roman-
tique, p. 92.
2. Revue des Deux-Mondes, 1831, III, 251.
3. Conservateur Littéraire, 1, 125 (janvier 1820).
352 Ossian en France
C'est un oiseau, le barde ! il doit rester sauvage...
C'est un oiseau, le barde ! il doit vieillir austère,
Sobre, pauvre, ignoré, farouche, soucieux... i
A peu près comme Ossian. Le même Pétrus Borel place
en Bretagne barde druidique, peuple germaniguejangage
celtique et enfant du Nord\ de manière à olîrir la plus
extraordinaire macédoine ethnographique.
Gérard de Nerval, si profondément romantique qu'il ait
été plus tard, dans son âme plus encore que dans son œuvre,
paraît avoir été peu touché d'Ossian : il a même maudit le
style ossianique ; il est vrai qu'en 1825 Gérard avait dix-sept
ans et était élève au collège Charlemagne :
Fuis surtout, fuis toujours le style romantique...
Que le talent au moins reste national ;
Laissons dans leurs marais les héros de Fingal
Ressusciter encor leurs vieux titres de gloire ;
Mais n'allons pas sur nous leur donner la victoire ;
Français, soyons Français, soyons indépendants... ^
Turquety, lidèle disciple, qui appelle Hugo « barde élo-
quent... rival d'Isaïe et chantre de Cromwell * », voudrait
être transporté « aux vallons de Cona » et rêve des « hau-
teurs d'Inistore ^ » .
En tête de ce groupe de 1830, on s'attend à voir paraître
Théophile Gautier. Faut-il expliquer pourquoi il n'a jamais,
que je sache, ossianisé? Sans doute il s'est plu à refléter
beaucoup d'influences étrangères : il a écouté Bjron, il a
suivi Gœthe, il a imité Heine ; mais il est passé à côté du
Barde sans s'arrêter. En premier lieu, son génie est actuel
et vivant: il se soucie peu du fabuleux et du préhistorique.
Puis il a besoin d'images concrètes, de formes et de cou-
leurs. Ossian est pâle et idéal, sans couleur et presque sans
1. Pétrus Borel, Rapsodies, p. 52 : Heur el malheur, A Pliiladclphe
O'Neddy, poète. L'ouvrage dale de 1831.
2. Ih., p. 76 : Le Vieux Ménétrier breton.
3. Aristide Marie, Gérard de Nerval, p. 30 (vers inédits, collection de
l'auteur).
4. Edouard Turquety, /ïsgHj'sse.s poé/((yues, 1S29, p. 2b: Elle.
5. Ib., p. 79 : Invocation.
Sainte-Beuve 353
forme. La grisaille n'est pas l'alTaire de Gautier. En un mot,
il est extrêmement romantique dans tout ce qui est préci-
sément à l'antipode d'Ossian ; et il n'a pas, du romantisme,
ce qu'Ossian contient au moins en germe, la rêverie vague
et passionnée, le sens des ruines et la mélancolie désespérée.
Sainte-Beuve, un peu plus âgé, est beaucoup plus fami-
lier avec Ossian : il l'a bien lu et le connaît bien. S'il n'était
que le poète de Joseph Delorme et des Consolations, on ne
s'en douterait pas, car rien dans sa muse parisienne, intime,
larmoyante et poitrinaire, rien ne rappelle le Barde et les
vastes horizons de la Calédonie. Mais il suffît de feuilleter
les Lundis et les autres recueils de critique pour s'aper-
cevoir que le nom d'Ossian revient sous sa plume à tout
propos, et lors même qu'on ne l'attendait guère. Les lec-
teurs de cet ouvrage en ont vu, en verront encore des exem-
ples. En voici deux autres. Etudie-t-il, en 1836. Quinet et
ses portraits historiques? « Son Napoléon, dit le critique,
est un peu nuageux de profil : il a quelque chose des héros
d'Ossian \ » Parle-t-il de Charles-Edouard, le Prétendant?
« Tandis que son ombre continuait de planer sur les monts
et les lacs de la nuageuse Ecosse, et que l'héroïque fantôme,
pareil à ceux d'Ossian, ne cessait d'y grandir et d'y régner
à l'état de légende ^.. » Des traits comme ceux-là, et ils
sont nombreux, forcent à se souvenir que Sainte Beuve est
né au début du siècle, au moment de la plus grande vogue
du Barde, et qu'il appartient à la génération qui a vécu et rêvé
Ossian, alors que par tant d'autres traits il est si près de
nous.
Restent les nombreux poètes contemporains que l'on ne
peut ranger précisément parmi les Romantiques, mais qui
appartiennent à la même génération et qui ont avec eux plus
d'un sentiment commun. Beaucoup ont connu, goûté, imité
1. Portraits Contemporains, II, 231.
2. Nouveaux Lundis, V, 397.
354 Ossian en France
plus OU moins Ossian. Leur exemjDle achèvera de nous
montrer que si la mode commence à délaisser les chants du
Barde, ils olîrent encore à plus d'un regard rêveur leurs
palais de songes, à plus d'une émotion leur voix mélanco-
lique. Ossian est entré dans le domaine public. 11 n'est pas
trop nouveau, et il n'est pas encore démodé. 11 n'est pas pro-
prement romantique dans le sens que prend ce mot de plus
en plus nettement à mesure qu'on s'éloigne de la doctrine
de M"'" de Staël ; il n'est du moins ni chrétien ni féodal ; il n'est
ni oriental ni bariolé. Il n'est pas non plus classique, gréco-
romain, mythologique, genre désormais discrédité. Il offre
un terrain neutre où les esprits modérés et prudents pour-
ront prendre leurs ébats poétiques. Il est pratiqué des poètes
qui font aujourd'hui encore quelque figure ; il l'est bien
davantage des talents médiocres.
Casimir Delavigne, comme on s'y attend de reste, n'a
guère ossianisé, même au temps de sa jeunesse. A peine si
Ton peut retrouver un souvenir du paysage ossianique dans
les rochers, les torrents où il situe Milton, qu'il l'ait un peu
Ecossais et montagnard ^Brizeux, le Breton bretonnant, le
chantre des Celtes et de leurs traditions, ou ne connaît pas
Ossian, ou le connaît trop bien et s'en défie. Le fait est que
dans les divers volumes de son œuvre, on trouve beaucoup
de harpes et de bardes, mais rien qui vienne de Morven. Il
est probable toutefois que les vers suivants, qui s'inspirent,
paraît-il, d'un texte d'Elien, doivent quelque chose pour
l'accent et le détail à la poésie ossianique :
Et leurs morts glorieux, ils ne les pleurent pas :
Mais sous les chênes noirs et les rouges bruyères,
Sauvages monuments, ils leur dressent des pierres ;
Et la harpe vibrant, ô bardes, sous vos doigts,
La harpe aux chants d'airain célèbre leurs exploits ^
Auguste Barbier s'est plu h mettre en vers des sujets
empruntés un peu à tous les poètes des pays les plus dif-
férents. Dans ce recueil, qui n'a paru que tout à fait à la
fin de sa vie, et dont aucune pièce n'est datée, on trouve
1. Œuvres de Casimir Delavigne, V, 372 : La Morl de Jacques Delille,
dithyrambe (1814'.
2. Œuvres de Brizeux, 11, 296 : Les Celtes.
Poètes contemporains du Romantisnt\e 355
une Invocation au Soleil, celle de Carthon, 34 vers « tra-
duits librement des poèmes de Macpherson ' ». On y trouve
également un Chant gaélique pendant un massacre des
Bardes « d'après une poésie du temps d'Edouard I" » qui
doit se rattacher à la poésie galloise \ L'un et l'autre sont
bien mauvais. 11 est attristant de voir l'auteur des ïambes
et du Pianto écrire et imprimer des vers comme ceux-ci :
Toi qui roules au ciel, rond et plein de lumières
Gomme le bouclier qu'au bras portaient nos pères...
Sourd aux voix du matin qui te comblaiant d'hommages...
Nous aurons liberté des cœurs et des haleines...
Ou le poète était encore enfant, ou il n'était plus lui-
même quand il écrivait ces choses.
Hippolyte de la Morvonnais a lu et admiré Ossian ; nous
verrons au chapitre suivant comment il l'apprécie. Mais sa
Thébaïde des Grèves ^ ne contient pas de reflets ossianiques,
si ce n'est peut-être le goût de la rêverie au bord de l'Océan.
Il faut faire une place distinguée aux poétesses del'époque.
Mme Amable Tastu, à seize ans, lisait Gessner, Ossian, Ber-
nardin de Saint-Pierre et Chateaubriand * ; ses poésies re-
flètent la sensibilité un peu douceâtre qu'elle a développée
au commerce de ces quatre auteurs. Si elle emprunte à
Moore Le Barde, c'est d'Ossian que vient L'Echo de la
Harpe \ Cette brève et jolie pièce n'est qu'une comparaison
de la
Pauvre harpe du barde, au lambris suspendue,
qui vibre quand les âmes des ancêtres la frôlent ou qu'un
héros va périr, à la harpe secrète que la femme-poète a dans
le cœur, et qu'un mot, un songe, un souvenir fait vibrer
puissamment. C'est encore Ossian qu'évoquent les mots
« barde antique » et « harpe amante des torrents '^ ». Plus
1. Chez les Poètes, par l'auteur des ïambes, p. 19.
2. Ib., p. 21.
3. Hippolyte de la Morvonnais, La Thébaïde des Grèves, 183S.
i. Samte-Ben\e, Portraits contemporains, II, 164.
5. M"» Amable Tastu, Poésies, p. 7 ; et Chansonnier des Grâces, 1827,
p. 184.
6.1b., p. 255 : Les Saisons du Nord.
356 Ossian en France
significatif encore est le Chant du Barde écossais d'Elisa
Mercceur ' : l'inspiration en est molle et rêveuse, la couleur
spectrale. C'est une série d'apparitions qui se déroulent la
nuit aux yeux du Barde : des fantômes qui se succèdent dans
les nuages. Par contre, j'ai cherché en vain Ossian dans
M™' Desbordes- Valmore, dans Elise Moreau, et dans quel-
ques-unes de leurs contemporaines.
Et c'est maintenant l'épais bataillon des poètes oubliés,
parmi lesquels on compte de nombreux adeptes d'Ossian.
Déjà, dire « enfants de la gloire ^ » en parlant de soldats,
c'est utiliser un tour dont le Barde a enrichi la langue fran-
çaise. Citons pour mémoire un Chant de mort d'un Calédo-
nien ^ assez peu particulier à la Calédonie ; un Chant hre-
t07i * d'un Beauchesne qui se croit barde parce que Nodier
l'a appelé ainsi. Donnons une mention à un collégien qui os-
sianise d'après Baour-Lormian ^ ; à un sergent du 36° régi-
ment qui dédie à une Malvina de ses amies une romance
dans laquelle il fait parler la Malvina d'Ossian ^; à l'Aixois
Chaubet, génie ténébreux, quoique méridional, qui ossianise,
nous l'avons vu, en encensant Lamartine '. Mais d'autres
l'ont fait avec plus de persévérance. Pellet, d'Epinal, tantôt
évoque avant Victor Hugo le barde futur qui « touchant sa
harpe aux lieux où fut Lutèce » ne contemplera autour de
lui qu'un désert ' ; tantôt dresse comme type de chantre
inspiré, en face de Pindare, « le barde antique... Qui sau-
vait de l'oubli les braves de Morven ' » ; ou, dans une autre
ode non moins amplement machinée, rappelle à propos de
la mort du maréchal Bessières le rôle d'Ossian qui chantait
les louanges des héros '^ Celui-là se hausse à l'ode pinda-
rique ; un autre provincial, moins ambitieux, se borne à la
l.Elisa Mcrcœur, Poésies, 1827, et OEuvres coinplèles,!, 32. La. pièce est
datée de février 1826.
2. Ed. d'Anglemont, Odes, 1825, p. 26.
3. Almanach des Jinses, 1816, p. 61 : Chant de mort d'un Calédonien, pav
François P.
4. A. de Beaucliesne, Souvenirs poétiques, 1830.
5. A. Legeay, L'Athénée français, 1831, p. 382.
6. Chansonnier des Grâces, 1829, p. 215.
7. Ch. Chaubet, Le Barde des Solitudes, 1844(voir plus haut, chap. III).
8. Mercure, 12 avril 1817 : Ode sur les vicissitudes des Empires.
9. Ih., 26 avril 1817 : De V Inspiration des montagnes, ode.
10. Mercure du A'/.Y» siècle, 1824, p. 407.
Poètes contemporains du Romantisme 35^
romance : la sienne offre un curieux mélange de classique
(Bellone), d'Ossian {Oscar, Lorinar), de troubdidouT (preux
chevalier), et de jargon gothique à la Glotilde de Surville
{promets flamme éternelle ; fais doux serments) \ Autre
mélange : Hervier fait rôder le loup Fenris autour de Tos-
car et d UUin dont il fait le barde de Vercingétorix ; les
larles voisinent avec les Druides et les Bardes ; et de ce
dernier terme l'auteur sait l'origine : hard est le même mot
que bird^ oiseau, parce que les bardes étaient « les oiseaux
des concerts religieux ^ ».Picquet représente un ossianisme
plus pur : il consacre à Oscar, à Malvina, au « roi de l'har-
monie »,à Selma et à ses harpes 32 vers de son Parnasse \
Dusaulchoy commence ses Tombeaux par une invocation à
« l'étoile du couchant » qui reproduit assez librement celle
des Chants de Selma *. Ce poème, qui débute ainsi par de
rOssian, continue par une imitation directe du Cimetière
de Gray.
Nous retrouvons enfin deux poètes que nous avons déjà
rencontrés sur notre chemin. Victorin Fabre fait entendre
une Voix du Barde ^ plutôt écossaise que purement ossia-
nique. Auguste Moufle chante la douleur de Minvane ^ :
c'est un large développement des deux pages de Le Tour-
neur. Ces 82 vers sont riches en couleur locale, en dogues^
en météores, en nuages flottants, quoique les chevreuil^
d'Ossian y deviennent des chevreaux ; ils sont d'ailleurs
assez heureux. Moufle ossianise aussi dans ses romances
vaguement Scandinaves {L'Amant d'Isnel ') ou troubadour
{Mifival *) ou même classiques [La Veillée d'une Amante,
élégie \ dans laquelle il y a une Malvina).
On trouve encore aux environs de 1830 quelques poèmes
où des préoccupations politiques se revêtent en apparence
1. Chansonnier des Grâces, 1816, p. 266 : La çf Loire à Oscar, par P. H. G.
(de Mortagne).
2. E. Hervier, Le siège de Gergovia. ou Les Chants d'nn Barde, 1823.
3. J.-B. Picquet fils. Le Par/iasse, poème en 3 chants, 1828.
4. Dusaulchoy,jVia7Sjpoé/tgî2es, 1825, p.235.
5.i/erc!ire du XIX" siècle, 1824, p. 1.
6. Almanach des i/uses, 1821, p. 34 : Minvane, cliant gallique; et Alma-
nach des Daines, 1822, p. 56.
l.Almanach des Dames, 1822, p. 205.
8. /A., 1823, p 40.
9. Mercure, LXVII, 193 (1816).
358 Ossian en France
d'une forme ossianique. Je dis en apparence, et d'après le
titre seulement : car il n'y a rien qui vienne d'Ossian, si
ce n'est le mot barde, dans des pièces qui chantent Charles X ',
le duc de Bordeaux - ou Casimir Périer \
VI
Le théâtre de cette époque a dépassé depuis longtemps
le stade intermédiaire où Ossian pouvait olîrir quelque inté-
rêt. Dans un drame écossais *, je ne vois d'ossianique que le
personnage d'un vieux barde à barbe blanche. Un mélo-
drame anonyme % dont la scène est aux Hébrides, par ses
bruyères, ses torrents, ses ruines, se ressent certainement
de l'influence de Morven. La tragédie de Brifaut, Ivai\ ou
les Scandinaves \ est ossianique par le cadre et les tableaux
qu'évoquent les personnages. Il faut au moins citer une
pièce nettement dirigée contre le genre ossianique, dit la
préface ', mais si médiocre qu'elle n'a dû faire au Barde
ni affront ni réclame.
Parmi les romanciers contemporains, trois au moins mé-
ritent qu'on s'y arrête. Dumas a dû lire et relire Ossian
dans sa jeunesse, car il se vante d'avoir conservé « cent,
deux cents,' quatre cents vers de Baour-Lormian » dans
sa mémoire, et de les pouvoir réciter infailliblement à l'âge
de soixante ans \ Il reproduit de mémoire, dit-il, le mor-
ceau de l'Etoile du soir, celui de Musset comme celui de
Baour. George Sand, sa contemporaine, a sans doute lu
Ossian dans sa jeunesse solitaire. On ne s'attend guère à
1. J.-L. Vincent, Le dernier Hymne d'un Barde après le baplème de
Clovis, 1825.
2. [Darodes-Lillebonne] Appel an peuple Gaulois par un barde de la
secte des druides sous le règne de Clovis, 1832.
3. Groult de Tourlaville, Larmes d'un Barde sur le fanatisme poli-
ti<[ue, 1832.
4. Ed. Wecken, Le Serment de Wallace, drame, 1846.
5. To7n Wild, 1S28.
6. Œuvres de Charles Brifaut, IV, 479.
7. Dall)an, Le Iiomanli(iue, drame, 1833.
8. Alexandre Dumas, Les Morts vont vite, II, 98 et 100.
George Sand, Balzac. Michclet. Berlioz 359
trouver rien d'ossianique dans son œuvre aux larges flots
purs et calmes : mais elle s'est souvenue une fois du Barde
quand elle a créé le bizarre et fantastique personnage de
Tremnor ', que Sainte-Beuve appelle « un dieu d'Epicure,
baptisé d'un nom d'Ossian ' ». A la vérité, Ossian ne dit
pas Tremno)', mais Trenmor ; et cette différence peut avoir
son intérêt, car c'est Baour qui avait substitué la première
forme à la seconde. On pourrait en conclure peut-être que
c'est dans Baour que la jeune Aurore Dupin a lu Ossian.
Quant à Balzac, il a parlé d'Ossian plusieurs fois ; mais
ces textes, qui sont moins des impressions personnelles
et des réminiscences que des documents précieux pour
l'histoire d'un tournant de la mode littéraire, trouveront
plus utilement leur place au chapitre suivant. Notons seu-
lement qu'à dix-neuf ans, écrivant un Croniwell, et cher-
chant un ton « mélancolique » et « sublime », il écrit à sa
sœur : « Si tu as la fibre ossianique, envoie-moi des cou-
leurs '... » Donc il ne sentait pas cette fibre en lui, et nous
nous en doutions.
Michelet, autant qu'on peut le soupçonner, n'a eu pour
Ossian qu'une passion d'enfant, au temps de sa plus grande
vogue sous l'Empire. A onze ans environ, il a donné son
cœur à Sophie Plateau, une petite voisine; il est jaloux, et
il « nourrit sa jalousie par la lecture d'Ossian * ». N'ou-
blions pas le plus romantique des musiciens, Berlioz, qui se
souvient d'Ossian quand il écrit: «Un soir d'automne, bercé
près d'elle par le vent du Nord sur quelque bruyère sau-
vage \.. » Pour comprendre ce qu'est le spleen, il faut, dit-
il, par une journée sombre d'automne, « écouter, en lisant
Ossian, la fantastique harmonie d'une harpe éolienne balan-
cée au sommet d'un arbre dépouillé de verdure " ». Il com-
pare Shakespeare à Ossian et à Homère '.
Vers la même époque où le Romantisme reconnaissait
1. George Sand, Lélia, 1834.
2. Sainte-Beuve, Portraits contemporains, 1, 501.
3. Correspondance de Balzac, I, 6.
4. J. Michelet, Ma Jeunesse, p. 43.
5. Berlioz, Le Retour à la vie, mélolojue, 183'2 (écrit en 1831), p 11.
6. Id., Mémoires, I, 536.
1. Id., Le Retour à la vie, p. 11.
36o Ossian en France
ainsi en tant de façons sa dette envers Ossian, on rencontre
un groupe intéressant de jeunes amis qui ossianisent avec
conviction aux alentours de 1820 : Mérimée, Ampère, Bas-
tide, Delécluze, Sautelet, Maurice Quay. C'est dans les
poèmes du Barde que Mérimée apprend l'anglais avec son
ami Ampère ; et, par une étrange confusion, l'anglais, le
bon anglais du roi, devient « la langue d'Ossian »pour ces
jeunes enthousiastes '. Ampère d'ailleurs « avait rêvé le
voyage d'Ecosse » dès avant 1820. Faute de pouvoir visi-
ter l'Ecosse, il retrouve dans les Alpes le paysage ossia-
nique. Il écrit à Bastide son enthousiasme, quand, après
avoir passé le Grimsel, il arrive en vue de l'Italie. Est-ce
le Gothard, le Simplon, ou quelque col plus difficile, qui
l'a transporté brusquement dans les brouillards de Morven?
Tout à coup un brouillard épais nous enveloppe et cache les
hautes cimes des glaciers ; on ne voyait plus à dix pas, il fal-
lait avancer au hasard ; un torrent mugissait, invisible. Il y
avait là tout Ossian : l'atmosphère de nuages ; le soleil sans
rayons... -
Dans ce milieu sérieux et sérieusement cultivé, Young
reste toujours en honneur ; Ossian l'accompagne sans le
détrôner.
Il convient de noter à ce propos l'influence qu'ont pu
avoir sur Mérimée les procédés suspects de Macpherson :
directement, car le succès d'Ossian n'a sans doute pas été
étranger à la composition du Théâtre de Clara Gazul et
surtout de La Guzla ; indirectement, car pour ce dernier
ouvrage Mérimée avait suivi le recueil italien de l'abbé
Fortis qui était ami de Cesarotti et enthousiaste d'Ossian'.
Réciproquement, le succès considérable de La Guzla ramène
à Ossian : dans les nombreux articles que la presse con-
sacre à cette poésie inédite et originale, on rencontre cons-
tamment des allusions au Barde et à son succès. « 11
semble, dit l'un d'eux, que la guzla des Slaves sera bien-
1. A. -M. Ampère et J.-J. Ampère, Correspondance et Souvenirs, 1,160:
lettre de J.-J. Ampère à Jules 13astide (Paris, janvier 1820).
2. Il) , I, 182 : Lettre à J. Bastide (Laveno. début d'octobre 1ÎS20).
3. Yovanovitcti, La Guzla de Mérimée.
Ampère et Mérimée 36 1
tôt aussi célèbre que la harpe d'Ossian i. » Et en général'
toutes les fois qu'on découvre — ou qu^on invente — sous
la Restauration quelque poésie de peuple inconnu ou bar-
bare, on la rapproche aussitôt des poèmes ossianiques.
Ainsi La Beaumelle, à propos du S7narra de Nodier ^ La
croyance en Ossian, l'admiration pour ses chants, a aidé au
succès de mystifications comme celles où se plaisaient un
Nodier ou un Mérimée.
1. Le Globe, 11 septembre 1827, cité par Yovanovitch, ib.
2. L'Abeille, 1821, IV, 361.
CHAPITRE V
La critique ossianique et le mouvement romantique
(1815-1830)
I. Intérêt d'Ossian pour la critique de la Restauration. Les disciples de
M°"= de Staël : Bonstetten; Lacretelle; Thiers. L'Essai sur la Littéra-
ture romantique.
II. Ossian et la poésie nationale : Loève-Veimars: Treneuil. Ossian et le
monde celtique: Reynier, Salvcrte. Valeur sentimentale et religieuse :
Richer;La Morvonnais; divers. Ossian et le sentiment religieux.
m. Place d'Ossian dans les cours d- littérature et les encyclopédies.
D'Hautpoul: Boiste; de Brotonne; Aignan.
IV. L'authenticité. Adversaires : Quinet. Partisans, en grande majorité.
V. Villemain et sa leçon sur Ossian. Les faits; les conclusions. Valeur de
son exposé.
VI. La mythologie ossianique intermédiaire entre le classique et le ro-
mantique. Balzac; Ponsard. Quelques témoignages de notoriété. Les
adversaires du romantisme font d'Ossian un élément constitutif de la
poétique nouvelle: nombreux témoignages.
VII. L'influence de Byron et celle d'Ossian. Rapport de ces deux influen-
ces. — Walter Scott. Caractères communs de Scott et d'Ossian. On les
associe. Scott remplace Ossian.
VIII. Limites du succès d'Ossian sous la Restauration. Critiques; poètes.
Le troubadour, le biblique et le classique.
Pendant presque toute la période de la Restauration,
Ossian est à l'ordre du jour de la critique. Non de la criti-
que d'actualité, puisque la peinture, le théâtre, la poésie à
la mode lui font désormais moins de place ; mais de celle
qui étudie le passé ou qui juge les grandes apparitions lit-
téraires. On s'occupe de lui, on l'apprécie, on discute de son
authenticité ; et, chose curieuse, il rencontre moins de ré-
sistances et moins de railleries qu'à l'heure de sa plus grande
Disciples de M'"'' de Staël 363
vogue sous l'Empire. N'étant plus de mode, n'étant plus
soutenu par le caprice du souverain, il redevient plus sym-
pathique à beaucoup. Le groupe des critiques étroitement
classiques qui le raillaient de façon si acerbe a disparu ;
ceux qui les remplacent ont une doctrine moins intransi-
geante et des goûts plus éclectiques. Il entre comme argu-
ment dans les polémiques qui se forment autour du roman-
tisme. Des influences rivales enrayent son action ; d'autres
la fortifient; il est forcé de céder le pas à de puissants con-
currents ; souvent aussi on le délaisse parce, qu'on n'a plus
besoin de lui et qu'on trouve ailleurs ce qu'il avait naguère
apporté de nouveau et de précieux. C'est par l'examen de
ces divers aspects de son influence que nous terminerons
l'étude de cette période de transition.
Pendant qu'on rééditait le Cours de Rhétorique du D' Blair^,
et que reparaissait ainsi le souvenir déjà lointain des pre-
mières publications ossianiques et des enthousiasmes du dé-
but, les critiques, particulièrement ceux qui se rattachent
aux idées de M"° de Staël, considèrent les poèmes du Barde
d'un point de vue plus nouveau et fondent sur eux d'inté-
ressantes réflexions. Bonstetten ^ estime après l'auteur de la
Littérature que « le beau moral est le produit naturel des
régions du Nord ». Il trouve « dans les poèmes d'Ossian...
dans les visions des mystiques de l'Ecosse et de l'Angle-
terre » et dans Kant, le même esprit général, cette « dispo-
sition tantôt à la rêverie, tantôt à la contemplation, féconde
en poésie, en vérités ou en systèmes ^ ». Nous avons déjà
rencontré Ossian apparié à bien des écrivains, et Bonstetten
lui-même, au temps de sa liaison avec M""' de Staël, dans la
première ardeur de son admiration pour le Barde, l'avait
plusieurs fois rapproché d'Homère * ; mais de trouver son
nom joint à celui de Kant, celui-là ne s'attend point du
tout. Le voici une autre fois encadré comme il sied de deux
aveugles pleins de gloire : « Peut-être Homère, Ossian et
1. Hugues Blair, Cours de Rhétorique et de Belles- Lettres Ar^à. P.Pré-
vost, 2° éd., 1821.
2. Ch.-V. de Bonstetten, L'Homme du Midi et l'Homme du Nord, Ge-
nève, 1824.
3. Ib., p. 198-199.
4. Id., Voyage sur la scène des six derniers livres de l'Enéide, an XIII,
p. 10-11 et 13.
364 Ossian en France
Milton n'ont-ils été les premiers des poètes que parce que,
privés de la vue, le souvenir de ce qu'ils avaient vu se trouvait
embelli par leurs regrets'. » L'explication vaut ce qu'elle
vaut ; mais notons le trio glorieux des trois aveugles ins-
pirés, qui s'avancent la main dans la main vers la postérité.
Le livre de Bonstetten,où se reflète mainte opinion, mainte
discussion familière à la société de Coppet, est très intéres-
sant, très pondéré.
M""*^ de Staël garde encore d'autres disciples aussi fidèles.
Pour Lacretelle aîné, Homère est le poète du Midi, Ossian
le poète du Nord. La monotonie qu'on a tant reprochée au
Barde s'explique par « l'infertile âpreté de son climat, l'uni-
formité des idées et des mœurs de son peuple » ; il n'avait
pour lui que « sa propre sublimité S> . Le j eune Adolphe Thiers
admet que « le Midi est le domaine de la tradition ;le Nord
celui de l'originalité » ; deux natures ditférentes, entre les-
quelles l'artiste peut choisir, et qui sont parfaitement repré-
sentées par Homère et par Ossian, tous deux poètes primi-
tifs, « ardents », et qui « ne connaissent pas encore les
règles ».La différence entre leNordet le Midi, c'est qu'après
Homère les poètes du Midi se sont constitué des règles et y
ont obéi, tandis que ceux du Nord sont toujours restés li-
bres de tout frein. Et cependant, ces règles seraient bien
plus nécessaires aux seconds qu'aux premiers! Ossian d'ail-
leurs n'approche pas d'Homère «pas plus qu'une île sauvage
de l'Océan ne peut être comparée à la Grèce fortunée». Mais,
dira-t-on, si Ossian n est autre que Macpherson ? D'abord
« cela n'est pas croyable » ; ensuite, quand cela serait, « cet
auteur n'en serait pas moins un génie des temps primitifs,
qui, dépouillant et les habitudes et les souvenirs de la ci-
vilisation, vivant au milieu des rochers, des frimas et des
orages, retrouvant l'antique simplicité dans les habitants
des montagnes, aurait rêvé l'histoire d'anciens héros, et
chanté leurs exploits, leurs vertus, leurs douleurs, comme
eût fait un poète, leur parent, leur ami, leur contemporain ^ ».
Bref, Ossianou Macpherson restent pour Thiers, comme pour
1. Ch.-V. de Bonstetten, L'Homme du Xord..., p. 60.
2. La Minei-vc française, III, 69 (août 1818).
3. L'Album, 10 et 20 septembre 1822: Des litlérulures classitiue et ro-
mantique, par A. Thiers, p. 33, 69, 71.
Disciples de M'a" de Staël 365
M""' de Staël qu'il ne cite pas, mais qu'il suit de près, le
type de la poésie du Nord.
C'est aux mêmes doctrines que se rattache, plus explici-
tement encore, l'auteur anonyme d'un remarquable Essai
sur la Littérature romantique. Il consacre huit pages à
Ossian '. Plus qu'aucun de ses contemporains, il attache une
importance décisive à la révélation des poèmes ossianiques.
« C'est presque de leur publication que date la distinction
des deux écoles, classique et romantique ; et ce Nestor des
poètes de l'Occident, après en avoir... fondé la littérature,
est aussi le premier qui dans les temps modernes l'ait re-
mise en honneur. » Ainsi Ossian est deux fois le père de
la littérature moderne, par ses chants — ceci est une opinion
particulière à M"^ de Staël — et par la révélation qui en a été
faite au monde qui les avait oubliés — ceci est la forme exa-
gérée d'un fait d'histoire littéraire européenne. Favorable à
l'authenticité, l'auteur ne méconnaît pourtant pas les libertés
de Macpherson, qu'il explique à sa manière. Ce qu il ajoute
est plus important : « Ossian semble placé par le caractère
de ses poésies en dehors de toute littérature connue... Un
rapport plus intime unit chez lui le monde des sens avec
les impressions de l'âme. » Autrement dit, il est le pre-
mier chez qui le paysage occupe une telle place; bien plus,
il est le premier romantique. Tout ce qui dans son œuvre
appartient à la nature est grand, est neuf, tandis que les
combats sont chez lui plutôt indiqués que racontés.
C'est dans ses émotions et dans ses souvenirs que s'est réfugié
tout son talent. L'activité de la vie s'affaiblit dans ses vers,
comme les couleurs des objets s'effacent sous le ciel vaporeux
des Hébrides... Il y a dans cette peinture vague de l'exislence
un attrait mélancolique propre à la poésie d'Ossian; aussi l'a-t-on
toujours placé, quant à l'expression d'un tel sentiment, à la
tête de cette école moderne qui a été regardée comme faisant de
lui le caractère exclusif de ses écrits.
Ce disciple direct de M'"'' de Staël pénètre plus profondé-
ment qu'elle dans le caractère propre des poèmes ossia-
niques et la raison de leur succès.
1. Essuisur la Littérature Romantique, 1825, p. 80-88. L'ouvrage a été,
dit l'auteur, commencé en 1820, et ï Avant-Propos est daté de juillet 1824.
366 Ossian en France
II
D'autres précisent davantage, et voient dans Ossian le
reflet d'un pays et d'une civilisation. Loève-Veimars signale
la « teinte mélancolique » commune au pays et au poète,
et donne ce dernier comme preuve de sa théorie des ballades
primitives, origine de toute poésie dans tous les peuples.
Au Nord, au Midi, «l'épopée naît des mêmes sources» qui
donnent Ossian et les Niebelungen '. Et c'est peut-être une
des idées les plus intelligentes qui aient été émises à pro-
pos d'Ossian. Un nommé Treneuil est encore mieux informé
des sources irlandaises d'Ossian : il parle de l'Irlandais
Oisin, de Fin « prince de Leinster » ; il a lu les Mémoires
historiques de \\^alker, mais il croit néanmoins à l'authen-
ticité écossaise de « ces chants funèbres que les échos de
Morven ont après tant de siècles répétés ^ ».
La poésie ossianique fournit d'autre part des documents
à ceux qui s'intéressent à l'histoire et à l'état social des
Celtes. Reynier par exemple, qui a du bon sens, se moque
également de la celtomanie de Pelloutier et de la scytho-
manie de Pinkerton, qui en haine de Macpherson ne veut
voir de Celtes nulle part, et tendrait à les rayer de la liste
des nations. Il tire d'Ossian des indications sur l'état moral
et les croyances religieuses de ses contemporains : il cite
ses poésies, par exemple, pour l'avoir « familiarisé avec les
âmes errantes dans les airs'». Un critique, qui signe D...,
en rendant compte de son livre *, développe davantage les
considérations tirées d'Ossian : tout le tableau enchan-
teur de cette religion qui « secondait la poHtique » et
du « bonheur futur, récompense de la valeur » qu'elle
offrait aux héros ; de la poésie destinée « à échauffer les
âmes » ; des Bardes, « à la fois guerriers et poètes » ; de
1. Ballades, Légendes el Chants populaires de l'Angleterre et de l'Ecosse,
publiés par Loève-Veiniars, 1825 : Introduction, p. 2 et 21.
2. J. Treneuil, Poèmes Élégiaques, 1824, p. 117-122.
3. L. Reynier, De l'Économie publique el rurale des Celles, des Ger-
mains, etc. Genève, 1818.
i. Bibliothèque universelle... Genève, X, 24 (1819).
Ossian et le monde celtique 367
l'amour, qui dans leurs chants « n'osait paraître que pour
offrir une récompense aux héros » ; tout cela c'est de lOs-
sian. On rêve, d'après les chants du Barde, un état social,
politique, religieux et moral qui aurait été, non seulement
celui des Calédoniens, mais celui de tous les Celtes. De même
Eusèbe Salverte prend Ossian pour base de son enquête
sur les noms d'hommes et de lieux, en ce qui concerne le
monde celtique '.Si nous connaissons mal les noms gaulois,
« plus heureux ont été les guerriers d'Erin et de Morven »
connus par les chants d'Ossian, où l'auteur admire « une
haute poésie, une sensibilité touchante, une noble élévation».
D'après Le Tourneur, Smith et Hill, les noms ossianiques
sont tous individuels, tous significatifs. On saisit bien ici le
prix inestimable d'Ossian. Il est le seul témoin du passé
celtique : il supplée à ces monuments de la langue gauloise
qui font complètement défaut ; il est le poète, l'historien,
le philosophe et le pontife de sa race. « Les poèmes d'Os-
sian sont pour les mœurs des nations erses ce qu'est l'Ecri-
ture pour celles des peuples asiatiques \ » 11 donne la clef
du monde celtique. Six lignes où figurent Lamor, Connal
et Galvina expliquent les peulven ou pierres levées de la
Bretagne. « Le barde armoricain, sur ses collines, trouvait
de toutes parts, comme Ossian, les tombeaux couverts de
mousse qui lui rappelaient les héros des temps passés.» No-
tre Bretagne serait pareille à la Calédonie, n'était que « sa
fraîche verdure » contraste avec « cette Calédonie sévère,
que ses bardes ont peinte avec des couleurs si sombres ».
Il y a près de Clisson « une grotte à laquelle on a donné
le nom d'Ossian », et Richer de Nantes l'a visitée 3.
Ossian n'est pas moins apprécié au point de vue senti-
mental et moral que pour sa beauté d'art ou son intérêt
historique. Les partisans eux-mêmes des anciens genres es-
timent qu'il offre aux modernes les plus émouvants chefs-
d'œuvre du genre descriptif. Le même Richer de Nantes,
1. Eusèbe Salvei-te,£ssat... sur les noms d'hommes, de peuples et de lieux,
1824, 1, 118-123 : Celtes et Calédoniens. Cette partie de son travail avait
déjà paru dans la Bibliothèque Universelle de Genève, VIII, 236 (1818).
2. Ed. Richer, Voyage pittoresque dans le département de la Loire-
Inférieure, 1823, lettre VI, p. 45.
3. Ib., lettre II, p. 60 ; lettre III, p. 33.
368 Ossian en France
dans une dissertation très curieuse, passe en revue tout ce
que ce genre a produit de plus illustre d'Homère à Lamar-
tine. Aucun des anciens ne le satisfait pleinement : Homère
« peint avec vérité, mais sans toucher l'àme profondément.
Le spectacle de la nature y est une source inépuisable
d'images pleines de grandeur ; mais ce qui pense en nous
ne trouve pas toujours là de relations directes. » Idée et
style, c'est d'un disciple de M'"" de Staël. Virgile manque
de « ces idées qui s'élancent au delà de la vie » ; et en gé-
néral jamais les anciens* n'ont su trouver... cette voix qui
s'adresse à ce qu'il y a de plus secret dans le cœur du poète».
Gessner « a le défaut de retracer des images qui ne sont
plus dans nos mœurs ». Il paraît qu'Ossian n'encourt pas
ce reproche. « Voilà le type du genre descriptif, dans les
premiers âges du monde. » Suit un éloge de son naturel et
de sa vérité, éloge qui avait été fait bien souvent au
xviii" siècle. Les détracteurs de ces chants les accusent de
conduire au romanesque. Mais Richer leur répond: « Si ce
sont là des romans, ils ne sont pas dangereux'. »
C'est aussi le sentiment d'Hippolyte de la Morvonnais,
qui en 182i, à Rennes, se montre plus occupé à lire Ossian
qu'à faire son droit \ La préface de son Pharamond, qui
date de 1832, est une étude de la poésie considérée comme
l'amie vivante et agissante de l'homme. L'auteur distingue
la poésie sympathique et... l'autre. Les monuments de la
première seront la Bible, Rousseau, Bernardin de Saint-
Pierre, Shakespeare et Ossian. « Ne point parler d'Ossian
quand on parle de la poésie sympathique, serait impardon-
nable '. »
Qu'Ossian parle au cœur, cela semble évident à beaucoup ;
tout au plus pourrait-on reconnaître que le charme en est
trop romanesque, comme l'admettait Richer tout à l'heure,
ou dire avec Lefebvre-Cauchy dans une phrase qu'il serait
dommage de ne point citer :
1. Ed. Richer, Voyage pittoresque dans le département de la Loire-
Inférieure: Du genre descriptif (sert de préface à l'ouvrage), p. 7, 8,24,^6.
2. Abbé E. Fleury, Hippolyte de la Morvonnais, 1911.
3. Id., Ilipiiolyte de la Morvonnais, OEuvres choisies, p. 83. Cette Pré-
face était inédile avant les solides et féconds travaux de M. l'abbé Fleury.
Ossian et le sentiment religieux 369
Cette lecture a un charme inexprimable, mais dangereux pour
ceux que les tourments de la sensibilité, des passions profondes
ou de longs malheurs ont conduits à la mélancolie '.
Ce caractère sentimental est le seul sans doute qui per-
mette de rapprocher Ossian de Jean-Paul, comme le fait le
vicomte de la Grange ^ De même on trouve en général que
les sentiments qu'il inspire ont quelque chose de religieux;
à condition d'entendre ce mot dans un sens suffisamment
vague, celui qu'on a dans l'esprit quand on avance que la
longueur des nuits dans les pays du Nord est propre à ins-
pirer à l'homme un sentiment religieux^. On rencontre plus
rarement l'opinion opposée, celle de Fontanes, qui reproche
à Ossian de manquer de religion. Voici un texte où elle
s'exprime avec quelque netteté :
La poésie d'Ossian est celle de l'imagination, je dirai presque
des sens, qu'elle ébi'anle avec violence ; mais elle n'est point celle
du cœur, que trop souvent elle laisse froid, parce qu'elle est pri-
vée de ces sentiments religieux, qui en consolant l'homme sur la
terre, élèvent et agrandissent ses destinées *.
« En consolant l'homme » : voilà en effet ce qu'Ossian
ne fait pas. Il offre d'amples, de profondes ou de mysté-
rieuses résonnances à tous les accents du regret, de l'an-
goisse et du désespoir ; mais du fond de ces abîmes ne s'élève
aucune voix qui dise à l'homme d'avoir confiance, d'espérer
et d'agir. Il y a dans toute âme une voix qui dit non et
une autre qui dit oui; le no?i seul trouve en lui de l'écho.
C'est peut-être le premier pas d'un esprit religieux que de
douter de la vie, d'en apercevoir le néant, et de se reposer
dans l'idée de la mort; mais ceux pour qui ce pas n'est
point le dernier, ceux qui veulent dépasser cette funèbre et
stérile mélancolie, ceux-là s'évaderont d'Ossian comme on
oublie une longue nuit pleine de cauchemars et d'angoisses,
quand le matin doré entre par la fenêtre avec le chant
joyeux des oiseaux.
1. Biographie Universelle [Michaud], 1822, article Ossian.
2. Pensées de Jean-Paul, 1829. p. 10.
3. Gyprien Anot Elégies Rhéinoises, 1825, p. 177.
4. J. Treneuil, Poèmes Élégiaques, 1824, p. 122.
3^0 Ossian en France
III
Rien ne vaut l'examen d'un cours classique de littérature
ou d'un dictionnaire pour marquer là place que tient un
écrivain dans l'opinion moyenne d'une époque. Plus que
l'avis des princes de la critique, le modeste ouvrage de
M""^ d'Hautpoul est un témoignage de l'importance qu'on
attribue à Ossian au commencement de la Restauration.
Cette romancière et poète publie son Cours en 1815 et de
nouveau en 1821. Ossian y tient une place importante Ml
commence la série intitulée Littérature étrangère. On trouve
dans ce chapitre, après des considérations préliminaires, la
légende d'Ossian, le résumé et des extraits de quelques-uns
de ses poèmes, et quelques détails sur leur publication. Les
« jeunes personnes » à qui était destiné l'ouvrage y appre-
naient que Macpherson « n'a trouvé que des lambeaux
épars, qu'il a réunis avec art, et dont il a étendu les su-
jets ». Sur la légende d'Ossian, sur le bardisme, son apogée
et sa décadence, l'auteur s'inspire de Le Tourneur qu'elle
enjolive en estropiant quelques noms propres. Pour donner
à ses jeunes lectrices de beaux échantillons de la poésie os-
sianique, elle choisit le chant III de Fingal: l'épisode de la
mort d'Agandecca touchera ces tendres cœurs.
Un autre tient à laver le Barde de l'affront que lui a fait
le lyrique Lebrun. Boiste lui consacre trois énormes pages ^
Il cite d'abord, comme Marmontel, deux passages étendus ;
la lamentation d'Ossian et la plainte de Colma. Mais il
abrège, et s'en vante ; il change même « cette prose mar-
montélique et traductrice », comme il dit en son jargon. Il
approuve « l'ossianique de Lormian, dont le nom, par un
singulier hasard, a du rapport avec la nomologie des Bar-
des ». Ce lexicographe mal avisé prend nomologie pour
onomastique, et veut dire sans doute que Lormian com-
mence comme Lorma et finit comme Ossian ; et cela importe
peu du reste. Mais surtout il déplore l'attitude de « notre
1. Comtesse d'Hautpoul, Cours de Littérature ancienne cl moderne
l'usage des jeunes demoiselles, 1815 et 1821, II, 51-62.
2. P.-C.-V. Boiste, Dictionnaire des Belles-Lettres, 182i, art. Lyruiuc.
Encyclopédies et Dictionnaires 371
Lebrun-Pindare ». Il compte sur « le bon goût, le bon sens,
et même le bon cœur » de ses lecteurs : il les invite à blâ-
mer ces « plaisanteries » sur Ossian « parfois aussi beau
qu'Homère, et plus naturel encore ». Et après avoir rap-
pelé les strophes méchantes de Lebrun : « Est-ce là le ton
de Tode? » D'ailleurs « Homère j aurait chanté s'il fût né
dans les brouillards de la Calédonie ». Ces fantômes ne
sont pas les produits de l'imagination du poète : c'est la na-
ture même du pays, qui crée « avec la lumière et les om-
bres, des fantômes réels, pour ainsi dire », Et il s'appuie
sur le témoignage d'un voyageur, de Charles Nodier ; d'ail-
leurs « tous les voyageurs nous attestent ce prodige en-
chanteur » dont « les monts nébuleux et fantasmagoriques
de l'Ecosse » sont le théâtre. De même pour les < bardes
des deux sexes » que l'Ecosse possède encore en grand nom-
bre. Pour conclure, il n'y a pas d' « images plus colossa-
les» que dans Homère, Milton, Dante, « Ossian et ses monts
nébuleux ». Voilà les quatre vrais Ujriques. Il y a là tout
au moins un effort intéressant pour expliquer Ossian par
son pays, avec plus de précision que ne le faisait Bonstet-
ten, pour le montrer résultant de ses monts et de ses brouil-
lards : et le bon Boiste joint Marmontel et Nodier, le critique
ancien et le voyageur moderne, d'assez curieuse façon,
La plupart des encyclopédies ou dictionnaires historiques
fontau Barde une place d'honneur. Le Dictionnaire àe Lad-
vocat ne lui consacre, il est vrai, qu'une demi-colonne où
il y a autant d'erreurs que de lignes, et qui reste un peu
banale dans sa foi ossianique *. La même année, celui de
Feller, après avoir copié purement et simplement l'article
du Dictionnaire àe. Caen, qui datait de 1779, ajoute quelques
lignes curieuses'. 11 approuve Millot d'avoir publié les poé-
sies des troubadours, mais il estime que les poèmes des
bardes sont bien plus dignes de la lumière : car, dit l'abbé
de Feller ou l'un de ses collaborateurs, « les troubadours,
poètes licencieux et méprisables, ne chantaient que des
amours romanesques, et dévouaient pour l'ordinaire au vice
les travaux d'une muse barbare ; les bardes, plus sages et
1. Nouveau Dictionnaire historique... par Ladvocat. Nouv, éd., 1822.
2, Dictionna' ■ istorique, par l'abbé de Feller. Nouv. éd., Lyon, 1822.
37a Ossian en France
plus nobles, célébraient les exploits de leurs guerriers et
les victoires de leur nation, » Pauvres troubadours ! Il y a
là un essai de réaction, dans un milieu catholique, contre
la vogue d'une poésie surtout amoureuse ; et c'est le Barde
athée de Morven qui en bénéficie ; comme si l'amour ne
venait pas à toutes les pages, dans les poèmes ossianiques,
reposer agréablement des « exploits des guerriers » !
L'article de Lefebvre-Cauchy, dans la Biographie Utiiver-
selle ', n'a aucune valeur critique, et répète des lieux com-
muns sur la beauté morale des héros et la perfection des
poèmes. En ce qui concerne la légende d'Ossian, il se borne
à résumer Le Tourneur. Pour la question de l'authenticité,
il suit Giiigaené, et conclut d'une manière nettement favo-
rable. On sait l'importance de la Biographie Universelle.
Moins répandu, le volumineux /?(?'/;e^7of;'e littéraire anonyme
que publie Castel de Courval consacre quinze pages à Os-
sian \ La Notice est signée De Bretonne. Elle rappelle, avec
des inexactitudes, la légende ossianique et la publication
des poèmes. L'auteur se lance ensuite dans un parallèle
entre Homère et Ossian ; parallèle le plus rigoureux et le
plus poussé que nous ayons encore rencontré : cécité, gé-
nie, origine de la poésie de leurs pays, mystère qui plane
sur leur berceau et sur leur tombe, enfin doute sur l'authen-
ticité de leurs poèmes. Quoique le critique soit favorable à
celle d'Ossian, il estime que cette question n'a aucune im-
portance, et nous avons déjà rencontré cette attitude. Ce-
lui-ci va jusqu'à dire que Virgile, « dont l'existence n'est
pourtant pas contestée »,ne l'intéresse que comme auteur
et non comme homma : Virgile, c'est un livre pour lui, un
volume et les quelques milliers de vers qu'il contient, et
tout ce que l'âme y trouve et y puise, et non l'ami de Mé-
cène et d'Horace. Ossian sera de môme un volume, une cer-
taine masse de prose anglaise ou française, qui vaut ce qu'elle
vaut, abstraction faite de l'auteur. J'insiste à dessein sur
cette manière de voir, dont l'intérêt dépasse infiniment Bro-
tonne et son Bêpcrloirc. Nulle part, mieux qu'à l'occasion
d'Ossian, ne peuvent s'affronter les deux opinions opposées.
1, Biographie Universelle [Michaud], 1822, article Ossian.
2, Répertoire de lu Litlémture ancienne el moderne, 1825, XX, 46i.
L'authenticité 3y3
Si le livre vaut comme expression de l'écrivain, et, par lécri-
vain, de son temps, un pastiche ne vaut rien, ou ne vaut
que comme document sur le pasticheur, document faussé
d'avance et qu il faudra n'utiliser qu'avec prudence. Si le
livre vaut pour le plaisir ou l'émotion qu'on y trouve, on
lira Rowley ou Clara Gazul sans se préoccuper de Chatter-
ton ou de Mérimée.
Les dernières pages qu'ait écrites Aignan ont été consa-
crées à Ossian '. Après Saint-Simon, après tant d'autres,
il idéalise le rôle des bardes : il voit en eux des philosophes,
dont la doctrine religieuse a heureusement remplacé « les
rites sanguinaires et les dogmes intolérants » des Druides
ou des prêtres d'Odin ;il les félicite de n'avoir eu ni temple
ni autels, et d'avoir surtout honoré la gloire des ancêtres
dont ils voyaient les ombres passer dans les nuages. « Il y
a des paradis moins bien imaginés que celui-là. » Par cette
épigramme qui le termine, comme par l'hypothèse que ce
culte des ancêtres serait venu aux Calédoniens des Chinois,
l'article d'Aignan respire l'esprit de Voltaire. Mais revenons
à Ossian. Il a sa place à côté d'Homère, de Dante et de
Milton, parmi « les grands interprètes des mouvements de
l'âme et des affections du cœur ». Et l'auteur admire « sa
musique unicorde, sa poésie vaporeuse, ses hautes et fortes
images ». Tout cela, c'est la tradition du xviii' siècle, reprise
par un contemporain des premiers romantiques.
IV
Il semble que sous la Restauration ce soit encore un para-
doxe que de révoquer en doute de manière formelle l'au-
thenticité d'Ossian.Il y a bien quelques sceptiques • le baron
d'Eckstein, par exemple, qui prend congé des lecteurs de
son Catholique sur un jugement concis et assez heureuse-
ment formulé : Ossian n'est « qu'un pâle reflet de la poésie
irlandaise » que Macpherson « a amplifiée et altérée dans
1. Encyclopédie Moderne, 1S24, art. Bard s. f/article a été réédité sépa-
l'ément, après la mort d'Aignan.
3^4 Ossian en France
le goût sentimental de son époque ' ». Eckstein avait pro-
bablement été mis en défiance par des Irlandais. Edgar Qui-
net n'a trouvé son scepticisme qu'en lui-même, et la façon
dont il a été amené à douter d'Ossian est fort intéressante.
Elevé par ses parents dans le culte des idées libérales, de
modèles tels que Shakespeare, Gœthe, Schiller, et de M"" de
Staël, il se heurte dès ses premiers pas dans la littérature
à l'incompréhension totale qui est si commune au début de
la Restauration. Ceux qu'il fréquente trouvent « ridicules »
tous ces maîtres qu'il vénère ; on lui dit : « Je ne comprends
pas. » Alors il va dans les bois, dans la solitude, relire ses
chers livres méconnus, que les oiseaux du ciel comprennent
peut-être. Son éducation a fait de lui un barbare, et c'est
ce qu'il y a de barbare dans ces écrivains qui lui plaît :
C'est peut être à cette barbarie prolongée que je dois de n'avoir
jamais été dupe des grands pastiches d'Ossian, dont tout le
monde se disait engoué sur la foi de Napoléon, car c'était son
poète. Un de mes camarades s'appelait Oscar. Je n'eus pas de
repos que je n'eusse lu les plaintes d'Ossian sur Oscar. Elles ne
répondirent pas à cette nature première que j'avais conservée
en moi. Fingal, Malvina, Carril me laissèrent froid : il me sem-
blait toujours que j'étais capable de beaucoup plus de vraie sau-
vagerie qu'ils ne l'étaient eux-mêmes"
Mais la plupart des critiques que nous avons rencontrés
sont plus ou moins hardiment affirmatifs. A peine Reynier
fait-il une concession en admettant qu' « une partie au moins
de ces chants est antique, tandis que le reste a pu être
imité ou étendu par Macpherson ». Penser ainsi, c'est, selon
lui, prendre le juste milieu entre « un pyrrhonisme exces-
sif » et « une crédulité excessive ' ». De Brotonne aiTectait
rindilTérence, ce qui est une autre manière de prendre le
juste milieu. Aignan,Lacretelle,Thiers, Loève-Veimars,Sal-
verte, sont favorables. Bonstetten fonde l'authenticité d'Os-
sian sur la « littérature islandaise » ; car « l'on retrouve
1. Le Cutholique, XVI, 905 (1829): .1 mes lecteurs.
2. Œuvres d'Edgar Quinet, X: Histoire de mes Idées, p. 185.
3. L. Reynier, De l'Economie publique et rurale des Celtes, des Ger-
mains..., p. 221.
Villemain 375
dans l'histoire du Nord les héros d'Ossian avec mille détails
qui ne sont point dans les poèmes' ». Singulier raisonne-
ment, on le voit. Dorion s'appuie sur le témoignage des
voyageurs qui « comprennent difficilement », après avoir
visité les Ecossais, qu'on « ait pu contester la transmission
des poésies de leurs bardes ^ ». La Bibliothèque Univer-
selle croit que le texte de 1807 « nous a révélé Ossian dans
sa langue native ^ ». La Revue Encyclopédique n^en doute
pas davantage, et loue Sinclair d'avoir été « le principal
coopérateur » de ce « magnifique travail * ».
Mais tout l'effort critique de la Restauration, toutes les
tentatives de l'époque pour juger Ossian et pour compren-
dre l'influence qu'il a exercée, sont sans valeur au prix de
l'exposé magistral de Villemain. Celui-là était né historien
des lettres : il avait la curiosité qui va aux sources, l'intel-
ligence qui pèse les documents et qui les juge, le tact qui
perçoit les différences et qui dose les ressemblances, le sens
délicat des mouvements généraux des sentiments et des at-
mosphères morales. Il se fit connaître par des éloges aca-
démiques : il obtint des succès éclatants par un enseigne-
ment que son temps voulait spirituel, éloquent, nourri
d'idées générales et d'aperçus immédiatement saisissables
à tous les auditeurs. Nous avons maintenant une autre con-
ception de cet enseignement, et nous appellerions plutôt
conférences ces brillantes leçons de la Sorbonne, où le
jeune professeur retenait sous le charme un auditoire nom-
breux et passionné. Appelons-les comme nous voudrons,
mais reconnaissons qu'il y avait dans cet esprit autre chose
que de la frivolité, et dans cette éloquence autre chose que
de la rhétorique. La leçon sur Ossian le montre. Elle fait
1. Ch.-V. de Bonstetten, Voyage sur la scène des six derniers livres
de l'Enéide, p. 11.
2. Dorion, Poésies lyriques et bucoliques, 1825, p. 226.
3. Bibliothèque Universelle..., Genève, 1823, p. 70.
4. Revue Encyclopédique, XIX, 27 (1823).
376 Ossian en France
le plus grand honneur et à l'intelligence, au sens historique
de Villemain, et au soin de son information. Je crois avoir
lu une bonne partie de ce qui a été écrit en France au
xix» siècle sur ce sujet : je n'ai pas souvent rencontré un
exposé aussi exact, aussi délicat, aussi pondéré, et en somme
a;ussi juste. Joignons-y le retentissement qu'avait en ce
temps-là le cours de la Sorbonne, sa publication d'abord en
leçons séparées, puis en volume, la diffusion bien connue
de l'ouvrage et l'autorité du critique : autant de raisons
pour insister un peu sur cette leçon.
Elle fut faite le 20 mai 1828, et la rédaction en occupe
38 pages '. Le cours, cette année-là, portait sur le xviii" siè-
cle : et sous ce titre, le professeur, par une synthèse qui
était singulièrement en avance sur son temps, entendait le
xviii' siècle européen, représenté surtout, il est vrai, par les
trois nations dont il pouvait directement étudier les ouvra-
ges, l'Angleterre, la France et l'Italie. Il passait et repas-
sait la Manche et les Alpes à la suite des grands mouvements
de pensée et de sentiment qu'il s'attachait à faire revivre.
C'est à ce titre qu'Ossian l'intéresse et retient son attention.
Au moment même où l'esprit français, raisonneur et scepti-
que, pénétrait si profondément la pensée et le style des
Robertson, des Hume, des Gibbon, voici une influence de
sens et de valeur contraires : une « résurrection de la bar-
barie primitive » qui, partie de l'Ecosse, atteint et pénètre
la France. A la vérité, sur l'influence même des poèmes
ossianiques, Villemain est bref : il se contente de rappeler
« celte vogue, pour ainsi dire populaire, qui s'attachait en-
core il y a quelques années aux réminiscences des poèmes
d'Ossian ». Témoignage précieux d'un contemporain, quia
vu cette influence se prolonger et qui la voit décroître ; té-
moignage dont nous avons plus haut commenté les termes.
D'où vient ce succès ? Il a pour cause permanente une cer-
taine valeur morale. Ossian « respire une sorte de généro-
sité sublime, une élévation, une pureté singulière du senti-
ment ». Il « domine les esprits par un enthousiasme à la
fois grave et puéril », auquel un « faux air de barbarie »
donne plus de saveur. Autrement dit, c'est le poète d'un
1. Villemain, Tableau du XVIII' siècle, 111, 3.
Villemain 3yj
idéal de vertu, de pureté, de grandeur qui est chimérique,
étant idéal, mais qui n'est pas vain, et qui n'est pas com-
plètement ridicule. Passant plus loin aux causes historiques
du succès d'Ossian, Villemain en aperçoit deux principales.
L'une est dans le cadre de ces poèmes, dans le paysage
ossianique, le « coloris », avec sa monotonie qui renforce
l'impression produite, qui empêche l'esprit de se distraire
ou de se disperser. L'autre réside dans l'âme du xviii° siè-
cle finissant : c'est « cette vue mélancolique de la vie, cette
émotion vague remplaçant le culte positif ». Le Barde mé-
lancolique, le Barde sans foi et sans culte, a plu à ce siècle;
il a plu encore davantage aux premières années du siècle
suivant, lorsqu'après les commotions révolutionnaires les
yeux n'apercevaient sous le ciel vide que des ruines et des
tombeaux.
Mais la plus grande partie de la leçon est consacrée au
problème qui en 1828 intéressait^ passionnait les auditeurs,
dont la plupart connaissaient les poèmes et n'avaient pas
besoin qu'on leur en présentât les beautés ni qu'on leur en
racontât les sujets. Villemain montre la première nouvelle
de la révélation ossianique se propageant à travers l'Europe :
ce barde du ii° siècle (c'est m'' qu'il fallait dire) complète-
ment inconnu jusqu'alors, découvert, annoncé au monde ;
Macpherson, ses publications, son succès dû en grande par-
tie « à l'emploi nouveau de la prose poétique » — Villemain
n'a « pas vu cette idée exprimée dans tout ce débat»; elle
l'a pourtant été, et nous l'avons signalée en son lieu —
les émules de Macpherson, Smith, Hill (il s'agit de Thomas
Ford Hill ') qui n'a publié qu'une « poésie triviale, lourde,
plate » — c'est possible, mais authentique ou à peu près ;
c'est ce que Villemain oublie d'ajouter. Puis la controverse,
l'enquête et le Rapport de 1805, avec le portrait d'Ossian
que le professeur montre à son auditoire [Rires, ajoute à
cet endroit le texte imprimé), et enfin les conclusions du
Rapport.
Pour son compte, Villemain conserve « de grands, de
1. Et non pas, comme l'a cru M"° Tedeschi (p. 39), de Hill pseudonyme
de Griffet-Labaume et David de Saint-Georges, que Villemain aurait pris
pour un écrivain anglais. Villemain ne commet pas de si fortes bévues.
378 Ossian en France
légitimes doutes ». Cette expression est destinée peut-être
à ne pas irriter ou chagriner les ossianisles convaincus qui
peuvent l'écouter, car ce sont bien plus que des doutes. Il
croit que le texte de 1807 a été retraduit sur l'anglais de
Macpherson. Il montre celui-ci et les anciens Gaëls dans
le même rapport que Chateaubriand et les sauvages de
l'Amérique. Il fait ressortir l'invraisemblance de cette
« monotonie artificielle », de « ce dernier degré de correc-
tion sauvage ». Il cite les deux apostrophes au soleil, celle
du Car thon de Macpherson et celle du Trathal de Smith :
« Il est évident, dit-il, que ces deux morceaux sont deux
fabrications modernes faites sur un fond inculte et an-
tique », et que les auteurs ont commencé par relire leur
Milton. Il analyse l'histoire de Gaul et de Morni, dans
Lathynon, et y trouve « une gageure de générosité, une
enchère d'héroïsme, bien éloignée de la rudesse des mœurs
primitives ». Laissons cette expression de « mœurs primi-
tives » qui n'offre plus de sens à des esprits d'aujourd'hui ;
et, au lieu d'accabler Villemain sous le poids de nos savan-
tes ignorances, rendons-lui justice en rapprochant ce qu'il
dit là de ce qu'avait dit La Harpe sur le même sujet. La
Harpe aussi avait cité Gaul et Morni, et remarqué que leur
délicatesse est plus pure que celle de Nisus et d'Euryale.
Mais cette supériorité, ce progrès moral sur Virgile n'avaient
pas paru suspects à l'auteur du Lycée. Entre les deux leçons
publiques sur Ossian, il n'y a guère qu'une quarantaine
d'années ; entre les deux professeurs, une différence d'âge
de cinquante-et-un ans : mais il y a un abîme entre les
deux conceptions. Comme on peut s'y attendre d'après ces
travaux d'approche, les conclusions de Villemain sont très
voisines de celles qui seront adoptées par des critiques plus
minutieusement documentés. « Très jeune, Macpherson
publie un premier ouvrage... Il ne réussit pas .. Il reprend
alors une partie des images qu'il avait jetées dans son
poème ; il les développe plus librement dans une prose
élégante et nombreuse ; il les mêle à quelques fragments
de vieux chants gaéliques dont il s'inspire ; et, plus hardi
sous un nom étranger, il prodigue les couleurs et les arti-
fices du langage, rendus plus piquants par une rudesse
apparente. » Sur certains points, on ne peut mieux dire ;
Villemain 379
et l'on a vu dans notre Introduction que plusieurs des
termes de Villemain n'ont été que confirmés par les tra-
vaux récents de l'érudition.
Enfin, un avantage et un mérite de Villemain, c'est qu'il
lit Ossian en anglais, comme le faisait Chateaubriand.
Mérite facile ; mais combien l'ont eu alors, et combien
depuis ? « Ce n'est pas d'après le pathos uniforme de Le
Tourneur qu'il faut juger les poèmes d'Ossian : le texte
anglais a bien plus d'éclat et d'énergie. » Plus de charme
surtout et de poésie, pourrait-on ajouter. Le lecteur de
cet ouvrage sait déjà à quoi s'en tenir sur ce point, et donne
pleinement raison à Villemain. C'est sur le texte de Mac-
pherson qu'il traduit Carthon, sur celui de Smith qu'il tra-
duit Trathal ; comparé à celui de Le Tourneur ou de Hill,
son travail est beaucoup plus simple et plus serré.
Les idées de Villemain ressemblent beaucoup à celles de
Chateaubriand vieilli ; il est possible qu'ils aient causé
d'Ossian. Son exposé relu aujourd'hui nous paraît, ce qu'il
est forcément, un peu rapide, péremptoire et simplifié. Mais,
comme je l'ai indiqué, il constitue un grand progrès dans
l'appréciation du phénomène ossianique. Il ne mérite nul-
lement la critique amère du Genevois Pictet, un de ces
hommes qui d'avance estiment faux tout ce qui est élo-
quent : « Il est impossible de discuter plus élégamment sur
une question, sans en posséder même les premiers élé-
ments '. » Nous allons, dans la dernière partie de notre
étude, rencontrer Pictet et son article ; contentons-nous de
dire ici que c'est lui qui est mal informé, et non 1' « élé-
gant » Villemain.
VI
Le passage du merveilleux ossianique de l'Empire au mer-
veilleux chrétien de la Restauration est très bien marqué
par Balzac. Lorsque le baron du Châtelet veut railler les
vers du jeune Lucien de Rubempré, qui charment tout Angou-
lême, il dit ;
1. Bibliothèque Universelle..., Genève, 1854, p. 141.
38o Ossi;in en France
Autrefois nousdonnions dansles brumes ossianiques. C'étaient
des Malvina, des Fingal, des apparitions nuageuses... Aujour-
d'hui cette friperie poétique est remplacée par Jéhova, par les
sistres, par les anges, par les plumes de séraphins *...
C'est le Lamartine de certaines Méditations, c est le Hugo
de certaines Odes, c'est même parfois le Vigny d' Eloa, c'est
toute cette poésie pieuse sans ardeur, biblique sans grandeur
et sans couleur, dont les motifs et les ornements semblent
empruntés au quartier Saint-Sulpice. Dans Le Père Goriot,
dont l'action se passe en 1819, Balzac fait une autre allusion
à la décadence de l'ossianisme à cette époque, non plus cette
fois dans le langage des poètes, mais dans celui des dandies:
Cheval de pur sang, femme de race, ces locutions commen-
çaient à remplacer les anges du ciel, les figures ossianiques,
toute l'ancienne mythologie amoureuse repoussée par le dan-
dysme 2.
Les deux indications coïncident au moins sur un point.
Ponsard avait, jeune encore, assisté au triomphe du roman-
tisme qu'il devait contribuer à déloger de certaines de ses
positions. 11 montre les « fantômes » ossianiques « qui avaient
détrôné les néréides et les dryades, vaincus à leur tour par
les sylphes et les gnomes, les sorciers et le sabbat ». Les
cinq derniers mots ont été supprimés de son discours pro-
noncé et imprimé, sur la demande deCrémieux, son lecteur
officiel, que les trouvait sans doute malsonnants ; mais ils
se lisent sur son manuscrit '. Pour lui, comme pour Balzac,
la fantasmagorie ossianiquea donc occupé le stade intermé-
diaire entre la mythologie classique et le surnaturel moyenâ-
geux de beaucoup de romantiques.
En recueillant les passages qu'Ossian a inspirés à quelques
poètes, nous avons trouvé des preuves qu'il avait charmé
leur jeunesse. Lamartine a lu Hill et l'édition Dentu ; Hugo
avait Christian à Guernesey; Musset possédait Le Tourneur.
1. Balzac, Les Illusions perdues {1831-18S9), I, 298.
2. Id., Le Père Goriot, 1834, p. 32.
3. Bibliothèque de Vienne (Isère). Manuscrits, série 26, n" 3.
Classicisme, ossianisme et romantisme 38 1
Pour beaucoup, nous savons bien qu'ils ont lu les poèmes
du Barde, sans pouvoir préciser davantage. Le chevalier de
Sobiratz Yiil'Ossian de Cesarotti '. Philarète Ghasles, bien
revenu d'Ossian quand il écrit ces lignes, se souvient pour-
tant « avec quelles délices » il goûtait « le plaisir furtif »
de lire ses poèmes « dans le jardin paternel » quand « la
vie farouche de Robinson, d'Ossian, de Rousseau » l'enchan-
tait ^ Ossian, fruit défendu, n'en avait que plus de saveur.
Eugénie de Guérin a dû le lire aussi dans sa solitude du
Cayla : sa bibliothèque personnelle fait une place au Barde,
à côté de Shakespeare, de Sterne, de Scott et de Manzoni^
Il faut limiter à la période impériale, et encore avec beau-
coup de réserves, l'assertion que l'on a émise en ces termes .*
« Pour la littérature naissante du xix° siècle, Ossian est un
classique ''. » Pour le groupe de M™"" de Staël et de ses disci-
ples, il était en effet une manière de classique, le classique
des romantiques. Mais de bonne heure cette attitude devient
plus rare. On s'aperçoit que si Ossian ne ressemble pas
beaucoup à Homère, parce que le monde ancien dans lequel
Homère a trouvé les sujets de ses tableaux ne ressemble
point à celui d'Ossian ^, et pour bien d'autres raisons évi-
dentes ; si sa gloire est moins solide, et son existence même
plus douteuse ; il ressemble encore bien moins à Shakes-
peare et à Schiller, ces dieux du romantisme. « M""" de Staël
dit que le romantique est la littérature du Nord ; comme si
la différence entre Ossian et Schiller n'était pas aussi grande
qu'entre celui-ci et Racine" ! » C'est le bon sens même. Alors
que va devenir Ossian ?
Voici ce qui lui arrive. A mesure que le romantisme gran-
dissant se développe et s'organise, à mesure que les ten-
dances si diverses qu'il portait en germe s'épanouissent dis-
tinctement, il lâche de plus en plus Ossian. On ne le trouve
cité dans aucune des professions de foi littéraires de l'école,
1. Le Portefeuille de la Comtesse d'Albany, p. 440 : Lettre du Cheva-
lier de Sobiratz, 13 octobre 1819.
2. Revue des Deux-Mondes, 1844, VI, 783.
3. l^ugénie de Guérin, Journal et Lettres, p. 430.
4. Potez, L'Elégie en France avant le Romantisme, p. 306.
5. Retourné, Délassements Poétiques (1825), p. 150.
6. Ch. Durand, Soirées Littéraires, 1828, II, 270.
382 Ossian en France
ni dans Nos Doctrines de Guiraud, ni dans la Pi'f'face de
Cromwell, ni dans celle des ii/z/r/ci de Deschamps. Les chefs
et les troupes s'entendent, semble-t-il, pour le désavouer
par leur silence. Par contre, les ennemis du romantisme
ne manquent guère de le citer pour identifier avec la sienne
la cause qu'ils attaquent. Se moquer d'Ossian est une des
manières principales de battre en brèche la nouvelle école
qui prétend s'élever sur les ruines du classicisme. Les cri-
tiques détournent les jeunes poètes de « se plonger dans
les vapeurs de la poésie ossianique ' » ; raillent celui qui
les engagerait « à élancer leur imagination dans le ciel ora-
geux d'Odin » — toujours cette même confusion, et il s'agit
bien d'Ossian, puisqu'il s'agit de Cesarotti — « à ne voir, à
ne chercher que nuages, précipices et torrents^». On con-
seille à Casimir Delavigne de ne pas se laisser aller à des
« lieux communs rêveurs » qui sembleraient < un bagage
importé de la Calédonie ^ ». Nisard prédit à Lamartine le
sort de tous les poètes qui n'ont su que « captiver un mo-
ment l'imagination contemporaine », et non plaire à la rai-
son permanente, et qui sont tombés après une période de
gloire, comme Ronsard, Delille et Ossian *.
Ceux qui, malgré de si bons conseils, s'enrôlent dans
l'armée des envahisseurs, la critique conservatrice ne dis-
tingue pas en eux ce qui vient d'outre-Rhin ou d'outre-
Manche, de lossianisme dont souvent ils sont exempts, et
du mauvais style qui résulte de toutes ces influences com-
binées. Certains, paraît-il, appelaient composition ossiani-
que « tout ouvrage justement décrié par la couleur uni-
forme du style, le vide des pensées, l'expression fausse des
sentiments, et l'abus du genre descriptif ^ ». Un classique
qui veut se moquer des romantiques, pour le faire avec plus
d'esprit, prend le langage de ses adversaires et feint de dire
aux classiques :
1. Journal des Débats, 26 avril 1816 ; et Diissault, \ntuiles Lilléraires,
IV, 566.
2. Bihliolhèque Universelle..., Genève, 1816, p. 2il.
3. Gaiidois, Les Romantiques, satire, 1830 (composée en 1828), p. 23.
4. D. Nisard, M. de Lamartine en 1837 ilîevue de Paris, 1838, p. 32).
5. Saint-Ferréol, Ossian, Chants GalHiiues, 1825, p. xiii.
Classicisme, ossianisme et romantisme 383
Vous préféreriez, je parie, les chansons du Caveau aux accents
échappés de la grotte du barde ou du scalde, la fumée d'un vin
de Champagne aux vapeurs du ciel ossianique... Vous pourrez
avoir des Panthéons, mais point de llèches gothiques dans les
airs ; des Racine, des Voltaire, mais point de Shakespeare,
point d'Ossian ' .
Le Panthéon, Racine et Voltaire d'un côté ; les cathé-
drales, Shakespeare et Ossian de l'autre ; voilà qui est net,
au moins : ossianisme et romantisme sont identifiés. Ils le
sont également par l'académicien Viennet quand il veut
donner une idée du monde que peint la nouvelle école :
C'est un monde idéal qu'on voit dans les nuages...
C'est la voix du désert et la voix du torrent,
Ou le roi des tilleuls, ou le fantôme errant
Qui, le soir, au vallon vient siffler et se plaindre '...
par un chansonnier qui se moque de la Muse Romantique :
Elle eut pour berceau des brouillards...
On n'offrit jamais à ses yeux
Que des tempêtes, des orages,
Des torrents, des rochers affreux,
Et des spectres dans des nuages '.,.
ou par un critique qui écrit :
Pour composer ses tableaux... le Romantique met à contri-
bution tous les objets de la nature inanimée, les frimas, les
tempêtes, le sifflement des vents... et la forêt sombre et la grotte
obscure... le brouillard, la lune, le soleil*...
C'est le paysage de Morven. De même encore cet autre
qui fonce avec fureur sur le genre romantique, cette « cons-
1. Mercure, juin 1816 : A MM. les rédacteurs du Mercure... {Lettre
signée Herman), p. 72 et 73.
2. Viennet, Epilre aux Muses sur les Romantiques (1824); et dans VAl-
manach des Dames, 1825, p. 33.
3. Chansonnier des Grâces, 1826, p. 85 : La Muse Romantique, par
J. Blondeau, de Gommercy.
4. Leclère, Lettre sur les Principes de la Littérature et des Arts, 1822,
p. 10.
384 Ossian en France
piration contre la littérature » ; qui fait du genre mélan-
colique < le synonyme de romantique » et qui s'écrie :
« Quelle distance de l'Iliade aux poèmes d'Ossian, de Klop-
stock et de Schiller ' ! » Que sont les Romantiques ? des
« chantres des nuits et des bruyères^ » ou des « chantres de
l'ancienne Calédonie ' ». Un de leurs adversaires regrette
Gessner, et, sans nommer Ossian, blâme les paysages plus
hardis qu'on a préférés à ceux du Théocrite de Zurich *.
Pour voir jusqu'à quel point l'ossianisme est considéré
comme partie essentielle du romantisme, j'entends par les
adversaires de celui-ci, il suffit de lire la longue et intéres-
sante satire de Gandois. S'il reproche aux jeunes romanti-
ques leurs airs mièvres et leurs attitudes fatales auprès des
dames, il les appelle des « Ossians de boudoir ». Comme le
Barde, ils cultivent « le plaisir des larmes ». Gandois les
avertit des périls que courent les vierges qu'ils font errer
dans les bois au clair de lune. La rêverie ossiano-romanti-
que est aussi dangereuse à la vertu des filles que la gaîté
gauloise :
Voulez-vous rester sage? ou Minvane, ou Toinette,
Avec le bien-aimé, soit Pierrot, soit Oscar,
N'allez pas plus au bois, solitaire ou seulette,
Exhaler la prière au tombeau du vieillard,
Que dénicher le merle, ou cueillir la noisette ^
Ossian eut également sa place dans les doctes discussions
qui remplirent en 18i4 plusieurs séances de l'Académie de
Rouen, et qui mirent aux prises classiques et romantiques.
Le champion des classiques, après avoir allégué en faveur
de sa thèse l'exemple de M.-J. Chénier et de Lemercier,
continue en parlant du « genre ossianique i^ » ; il cite pour
écraser ce genre l'ode de Lebrun, et l'on aperçoit aisément
que ses opinions littéraires se ressentent de son attache-
1. Œuvres de jlf-c/'Oigr/i;, 1826, III, p. xv(Discours préliminaire).
2. Came, Les Romantiques et les Classiques, ode, 1829.
3. Joseph Bard, Lettre... sur l'Ecole Romantique..., lS'25,p. 1.
4. Eug. Maréchal, Discours en vers sur le genre romantique, lS-26.
5. Gandois, Les Romantiques, satire, 1830 composéeenl828),p. 11.
6. Du Classique et du Romantique, Rouen, 1826, p. 204 : Discours de
M. Licquet (28 mai 1824).
Ossian et Byron 385
ment au roi légitime et de sa haine contre l'usurpateur.
Ulric Guttinguer, qui lui répond, fait la part de la politique
dans l'aversion du vieux Lebrun pour le Barde. « Je n'aime
pas, dit-il, Ossian beaucoup plus que mon confrère. » Mais,
comme il est poète et romantique, il lance à son tour quel-
ques vers contre la mythologie froide et surannée '.
VII
Dans son remarquable ouvrage sur Byron et le Roman-
tisme français, M. Estève admet à peu près que Byron a
hérité auprès des poètes de la vogue d'Ossian : « Depuis
la Révolution française, un besoin d'innovation tourmentait
la littérature. Ossian n'a pas suffi à le satisfaire ; là où le
fils de Fingal a échoué, Byron triomphe, et le grand œuvre
est accompli 2. » La vérité est, je crois, que les deux mou-
vements ont souvent coïncidé, et se sont renforcés l'un
l'autre. La vague qui portait Ossian s'est grossie de la vague
qui portait Byron, et celle-ci a gagné d'autant en ampleur
et en élan. Tous deux représentent aux yeux des novateurs
le poète de génie opposé au poète d'art, la libre inspiration
du Nord opposée aux règles compassées des modèles fran-
çais, le grand vent orageux et vivifiant du large op[iosé au
zéphir tiède et fade qui caresse mollement les plates-bandes
classiques. Le mot barde leur convient à tous deux : Byron
est le « Barde Anglo-Saxon » opposé aux « Muses de la
Seine ^ » ; mieux encore, il est « l'Ossian moderne * ». Dans
une Imitation libre de Lord Byron \ on trouve tout un
décor ossianique, le rivage de Lora, le barde aux cheveux
blancs. . . Comme il est question également de ménestrel, eic. . .,
on observe dans ce poème d'un inconnu la transition, par
1. Da Classique et du Romantique, Rouen, 1826, p. 233.
2. Edm. Esiève, Byron et le Romantisme français, p. 140.
3. Alexandre d'Oppen, dans le Mercure du XIX" siècle, XXIII, 193; cité
par Estève, p. 167.
4. Viennet, Le Sièçje de Damas, poème en 5 chants, 1S25, p. xix (Pré-
face) ; cité par Estève, p. 138.
5. R. Trédos, Loisirs poétiques, 1828, p. 109: Oscar d'Alva, poème élé-
giaque, imitation libre de Lord Byron [empruntée aux Hours of Iclsness],
TOME II 25
386 Ossian en France
Byron, d'Ossian au genre troubadour et «preux chevalier ».
Ce ne serait pas le seul document de ce genre que rencon-
trerait celui qui voudrait étudier de plus près cette question.
Le poème de Damas-Hinard sur la mort de Byron est tout
à fait caractéristique de la rencontre Ossian-Byron. Le poète
est reçu dans les cieux par les Bardes et par Homère :
Les Bardes cependant, pour recevoir leur frère,
Font entendre un chant triomphal;
A la voix d'Ossian s'unit la voix d'Homère;
Mais bientôt seul le chantre de Fingal...
. Il chante huit vers en l'honneur de Byron ; Homère en
chante ensuite quatorze. Puis vient un étrange dialogue entre
les deux aveugles, dialogue qui commence ainsi :
Ossian
Pourquoi méprisais-tu notre ciel poétique,
0 Byron, et les bois et les monts écossais ?
Pourquoi délaissais-tu notre sol héroïque
Pour affronter ici de turbulents succès?
Homère
Barde, il obéissait à son cœur magnanime :
Rends au jeune Byron tes chants et ton estime...
D'ailleurs que lui faisaient les monts Calédoniens ?
Le mont sacré ne s'élève qu'en Grèce '...
Heureusement que Miltiade se trouve là fort à propos pour
mettre d'accord les deux susceptibles vieillards.
On a tenté de faire dépendre plus directement d'Ossian
et de Byron, Lamartine, Vigny, Musset ; tandis que Millevoye,
Chênedollé, Soumet Hugo, Quinet se rattacheraient aux Alle-
mands*. Tout cela est un peu sommaire, et demanderait à être
vu d'un peu plus près. Du moins Lamartine est-il tributaire
à la fois d'Ossian et de Byron ; Musset davantage du second ;
Vigny de tous les deux. Byron « voulant parler à l'Europe^
avait parlé la langue de l'Europe' » ; de là son succès ; il en
1. Damas-Hinard, Chants sur Lord Byron, 1824, p. 27.
2. W. Reymond, Corneille, Shakespeare et Gœthe, p. 152.
3. Joseph Texte, Etudes de Littérature Européenne, p. 193.
Ossiaa et Waltcr Scott 387
est de même d'Ossian. Tous deux ont réussi; tous deux
ont été, chacun à son tour et parfois ensemble, des voix eu-
ropéennes. Il faut, pour arriver à ce degré de succès et d'in-
fluence, avoir dépouillé les caractères trop locaux et trop
nationaux ; il faut avoir réduit au minimum la couche iso-
lante qui empêche toujours le lecteur de pénétrer parfaite-
ment un écrivain étranger. D'autre part, on retrouvait dans
Byron beaucoup de ce qui avait tant séduit dans le Barde,
certains aspects de la nature sauvage et d'autant plus belle :
Nature fairest in her features unld^\ le grandiose, le senti-
mental, la mélancolie.
Une autre vague ample et puissante se dessine, grossit,
accourt, envahit le monde littéraire français : elle ne vient
pas des bords de l'Angleterre, mais des rochers plus loin-
tains de l'Ecosse. Walter Scott est traduit dès 1816; et, en
1819, on a déjà fait connaître au lecteur français sept de ses
romans. Mais le grand succès commence vers 18i0 avecla
traduction Defauconpret, et dure — j'entends le succès de
mode, l'engouement, la passion — jusque bien après 1830 ^
Un contemporain place dès 18i7 l'apogée de Scott en France^ ;
entendons plutôt, le début du grand succès. Il a donc coïn-
cidé avec celui de Byron, mais avec une dizaine d'années de
retard; il coïncide aussi avec les dernières années du succès
plus ténu désormais et plus discret d'Ossian. Bien plus que
Byron, Scott offrait des points communs avec le Barde de
Morven. Ecossais comme lui (Lowlands ou Highlands, le
lecteur français moyen n'y voyait pas grande différence), il
évoquait comme lui des souvenirs héroïques, des paysages
nationaux ; il chantait en vers, puis contait en prose Le
donne, i cavalier, Varme, gli amori, thèmes éternels des
belles épopées qui amusent et qui enchantent. Mais il les
plaçait dans « ces paysages mélancoliques de rochers, de
marais et de sapins déjà chers à Ossian * ». On retrouvait
chez lui quelques noms que les chants du Barde avaient popu-
larisés, d'autres qui ressemblaient aux siens. C'était « un
1. Ghilde Harold, 11, 37.
2. L. Maigron, Le Roman historique à l'époque romantique.
3. A. de Pontmartin, Mes Mémoires, II, 4.
4. P. Berret, Le Moyen Age dane la Légende des Siècles, p. 35
388 Ossian en France
autre Ossian, moins lointain et moins poétique ' ». 11 est
avec lui la cause de ce « singulier engouement pour tout ce
qui touchait l'Ecosse * », que l'on a remarqué pendant les
trente premières années du siècle, et qui explique le nombre
relativement grand des voyageurs français dans ce pays alors
assez éloigné. Pendant que Thomas Moore popularisait l'Ir-
lande, Scott réveillait après Ossian «la harpe kimrique».
Alfred Michiels, qui a vu la fin de cette époque, attribue au
souvenir combiné d'Ossian et de « Jedediah Cleisbotham »
cette émotion qui saisit dès qu'on pense à ce pays, et que
« les pâles sommets des Highlands se dessinent dans notre
imagination' ».
Walter Scott est d'ailleurs souvent nommé avec Byron.
Avec lui, il est l'un des principaux guides de la révolution
romantique, du moins dans sa dernière période, celle des
réalisations et des nouveautés en tout genre. Jules Janin, né
en 1804, cite Scott, Byron et Lamartine comme les maîtres
de sa jeunesse *. L'universitaire Artaud, en 1824, estime
que la régénération de la littérature doit se faire par Byron
et Scott \ Les défenseurs du Romantisme les rapprochent
constamment \ On peut admettre avec M. Maigron que
le premier a exalté la sensibilité, tandis que le second a sur-
tout enrichi l'imagination \ En tout cas, Scott est nommé
lorsque Ossian ne l'est plus. On ne peut guère dire, si l'on
serre les choses de près, que « dès les premières lueurs du
Romantisme, les traductions d'Ossian et deW. Scott avaient
mis à la fois l'Ecosse et le moyen âge à la mode...'» Comme
révélateur de l'Ecosse, le second vient bien après le pre-
mier; et son moyen âge est bien différent de celui d'Ossian.
11 est son successeur et son héritier. Sa fortune a été plus
brillante, parce qu'il était dans tout l'éclat de sa nouveauté
à une époque où le romantisme était déjà formé et avait
beaucoup à gagner en se l'assimilant; de plus, il était aussi
1. Maigron,Cp. 149.
2. Fr. Mercey, Scolia, 1842, II, 14.
3. A. MichieU, Histoiredes idées littéraires en France, iii XIX' siècle, I,3"4.
4. Maigron, p. 146.
5. Artaud, Etudes sur la Littérature, 1824.
6. |A. Paris] Apoloçjie de l'Ecole Romantique, 1824.
7. Maigron, p. 154-155.
8. Berrct, p. 349.
Ossian et Walter Scott 389
riche de substance poétique, pittoresque, colorée, que le
pâle Ossian était vide de contenu.
Les contemporains se sont plu à rapprocher les deux
Ecossais, Tancien et le nouveau. Sans doute il s'adresse à
l'auteur de Fingal, celui qui écrit : « J'ai froid de tes brouil-
lards ! » ou « De ton ciel orageux j'admire le spectacle ! »
et qui évoque « les montagnards et les bords de la Clyde * »?
Détrompez-vous : il parle à l'auteur de Waverley. Lamar-
tine se souvient bien plus d'Ossian que de Scott, quand il
écrit à ce dernier ;
... Comme dans les pins de ta Calédonie,
La brise des vieux jours est pleine 4!harmonie *.
Un hôte du « barde Ecossais », im pèlerin respectueux
des lieux qu'a consacrés le génie, Amédée Pichot, tout «en
cheminant sur les bords de l'Esk», compose le 9 août 1822
des « Stances adressées à Sir Walter Scott ». En voici
quelques vers ;
De l'Homère Calédonien
Ces lieux ont plaint la sublime tristesse.
De l'ancien Barde dernier bien,
La harpe ici charmait sa fille et sa vieillesse...
Elle retrouve enfin ses magiques accents,
Cette harpe à Morven si chère. . ^
Il est difficile de pousser plus loin le sentiment de la con-
tinuité entre Ossian et Scott.
Même le succès de ce dernier pouvait servir encore la
gloire d'Ossian Le Laij of the last Minstrel est traduit sous
le titre de : Le Poème du Dernier Barde *. On y voit un
malheureux successeur du glorieux fils de Fingal : « Le
Barde était infirme et vieux... Ses joues flétries et ses che-
veux blanchis... » C'est Ossian, moins la noblesse et la ma-
jesté. Surtout l'on pouvait lire dans U Antiquaire ^ une vive
1. Cordellier-Delanoue, Epitre à Sir Walter Scott, 1826, p. 11.
2. Recueillements Poétiques : Réponse aux adieux de Sir Walter Scott
à ses lecteurs 1831 .
3. A. Pichot, Voyarje historique et liliéraire en Angleterre et en Ecosse,
1825, III, 421.
4. Bibliothèque Universelle, Genève, 1820, p. 200.
5. OEavres de Walter Scott : L'Antiquaire, p- 297-300.
390 Ossian en France
et amusante discussion sur l'authenticité d'Ossian. Le vieil
Oldbuck n'y croit pas ; son neveu le capitaine Mac-Intyre
en est l'ardent défenseur. Pour convaincre son oncle, il lui
récite dans le texte gaélique le poème bien connu de La
C/iasse de Fingal, tel que le récitait le barde Mac-Alpin.
Oldbuck lui fait placidement observer qu'il n'y a pas un mot
de cela dans Macpherson.
Il est probable que le succès de Scott contribua d'autre
part à repousser Ossian dans l'oubli. Augustin Thierry,
voulant montrer l'intérêt de l'histoire de l'Ecosse, s'appuie
constamment sur Walter Scott et ne dit pas un mot d'Os-
sian'. Un roman gallois ou breton, qui se passe dans l'île de
Mona, et qui s'intitule Le Barde \ imite d'assez près Scott
et ignore Ossian. Il est vrai que le héros de cet ouvrage
plus que médiocre est un barde chrétien, et que sa harpe
est celle de David. Les témoignages du succès, de 1 estime,
de l'amour qu'on porte à l'auteur à'Ivanhoe abondent au
moment de sa mort et dans la période qui suit ; ces témoi-
gnages signés de noms autorisés, Lacretelle,Mézières, Eu-
gène Sue, sont muets sur Ossian : l'Ecosse n'est plus pour
eux que la terre de Walter Scott.
VIII
Malgré tant de circonstances favorables, Ossian ne s'im-
pose pas complètement ; et, pas plus au temps du roman-
tisme qu'à l'heure de sa plus grande vogue sous Napoléon,
il n'est un des maîtres incontestés qui se représentent inévi-
tablement à l'esprit en certaines occurrences. Les uns, comme
Botidoux ^ ou Terrasson *, parlent longuement des Celtes, avec
ou sans mélange de Scandinaves, et ne pensent pas à s'ap-
puyer sur le témoignage d'Ossian. Cyprien Desmarais trouve
moyen de parler pendant 150 pages du genre romantique
et de ses origines, sans nommer Ossian et sans faire allusion
1. Armand Garrel, /îésumé de l'histoire de l'Ecosse, 1825 : Introduction,
par Augustin Thierry.
2. Ch. Durand, Le Burde, 1824.
3. Le Déisl de Bolidoux, Des Celles... 1817.
4. H. Terrasson, L'Enfer, suivi de... poésies diverses, 1817.
Limites du succès d'Ossian Spi
à ses poèmes, même à propos de M"' de Staël ^ Rien d'os-
sianique dans Les Druides de Vérand \ ni dans Tarticle
d'Augustin Thierry sur la poésie nationale irlandaise % ni
dans celui du baron d'Eckstein sur les bardes *, ni dans
telle ballade écossaise % ni dans tel mélodrame d'apparence
calédonienne ^
Ceux des poètes qui puisent leurs inspirations à des
sources étrangères ne sont pas tous tributaires d'Ossian. En
dehors de Byron et de Scott, on imite Gray, Young, Her-
vey, comme Faber ', Dusaulchoy ', Philpin\ Halévy ", qui
imite ou traduit vingt poètes étrangers dillerents, n'a pas
de place pour Ossian dans cette riche collection, pas plus
que pour Byron d'ailleurs. On continue à imiter Gessner,
comme Dusausoir '^ ou Dusaulchoy ; on descend jusqu'à
Schiller comme les mêmes et comme Pévrieu, un méri-
dional germanophile qui traduit aussi Klopstock, Bùrger
et Gœthe ^^ ; on remonte jusqu'à VEdda ou aux poésies groën-
landaises '^; on côtoie Ossian, on lui emprunte vignettes ou
frontispices, comme Polonius, dont le recueil ", d'ailleurs
fort intéressant, ne lui doit rien au fond. Mais il reste, sinon
inconnu — à cette date ce serait invraisemblable — du moins
peu utile à un bon nombre de poètes, les plus médiocres il
est vrai ou les plus timides. Il n'est pas toujours allégué
non plus comme argument ou comme exemple dans la po-
lémique des classiques et des romantiques. Jay *%Brifaut",
Etienne'", Artaud '*,le passent sous silence. Un autre, passant
l.Gyprien Desmarais, ^ssai sur ies Classiques et les Romantiques, 182i.
2. Vérand, Les Druides, tragédie, 1823.
3. Censeur Européen, 24 novembre 1819.
4. Le Catholique, XVI, 701-719.
5. La Guirlande des Dames, 1815, p. 50.
6. Frédéric et Després, La Grotte de Fingal, 1815.
7. Henry Faber, Recueil de Poésies, 1826.
8. J. Dusaulchoy, les Nuits Poétiques, 1825.
9. A. Philpin, Veillées Poétiques, 1823.
10. Léon Halévy, Poésies Européennes, 1828.
11. Dusausoir, Opuscules en vers, 1817.
12. J.-B. Pévrieu, Etudes Poétiques, 18 27.
13. Th. Ggrlier, Voyages Poétiques, 1830.
14. J. Polonius, Poésies, 1827.
15. Jay, La Conversion d'un Romantique..., 1830.
16. OEuvres de Ch. Brifaut, 1858.
17. Œuvres de C.-G. Etienne, V, 290-299 ; Du Classique et du Roman-
tique (avril 1824-août 1825).
18. Artaud, Etudes sur la Littérature, 1863 (écrit vers 1823-1824).
392 Ossian en France
en revue les origines étrangères du romantisme à l'heure
des plus vives discussions auxquelles donne lieu la nouvelle
école, étudie Scott, Byron, mais ne cite Ossian qu'à propos
de Chateaubriand '.A mesure que les années se succèdent,
les chansons et les satires contre les Romantiques donnent
moins de plate à Ossian, mais s'attaquent de préférence au
genre troubadour. On peut citer comme type deux chansons
de 1827 ^ dont la seconde est curieuse pour le passage du
troubadour au romantique, et deux chansons de 1830', dont
l'une proclame la chute définitive du genre troubadour, alors
que le volume où elle paraît, et même les suivants, en offrent
encore d'assez beaux échantillons. C'est le Troubadour qui
exprime la mélancolie : il est jeune; il est beau ; ses larmes
sont plus touchantes au cœur des dames que celles du vieux
Barde aveugle : ■
Les yeux en pleurs, un jeune troubadour
Chantait un hymne à la mélancolie '.
Et elles s'empressent de le consoler '. C'est lui qui ex-
prime certaines angoisses patriotiques en 1814 \ Ossian, on
le voit, a en lui un rival dangereux. Même ceux qui culti-
vent la romance, et qui font allusion au « respect dont la
Calédonie honore le Barde des combats' » ne lui empruntent
pas leurs sujets, mais vont se fournir dans Gessner et don-
nent dans le genre troubadour. Gessner et Young se réim-
priment presque chaque année jusqu'en 1835 et 1836. Le
débit en dut être énorme comparé à celui d'Ossian.
Ceux qui laissent également Ossian de côté, ce sont les
philosophes et les esprits positifs. Dans la Bibliothèque
Etrangère d'Aignan % il y a des monuments poétiques de
1. [A. Paris] Apologie de l'Ecole Homanli(iue, 1824.
2. Chansonnier des Grâces, 1827, p. 129 : Le Romanticiue, par J. Petit,
de Genève ; p. 239 : l'Agonie Romantique, par H.-L. Guérin.
3. Ib., 1830, p. 51: Béranqer n'est pas Romantique, par Eug. Lambert;
p. 305 : Guerre aux troubadours, par J.-A. de Gourbillon.
4. La Guirlande des D.nnes, 1815, p. 9 : Le Troubadour, par M""" Desroches.
5. /jb.,1820, p. 65: Le Troubadour consolé, par M"" Armandine Joliveau.
6. G. L [allemant]: Chant gaulois du V» siècle, dédié au\ Français du
XIX», 1814.
7. Louis Bonnet, Veillées poétiques, \S23, p. 87.
8. Aignan, Bibliothèque Etrangère d'Histoire el de Littérature, 1823.
Limites du succès d'Ossian 3^3
tous les pays, même tamouls ou javanais; on y trouve même
le Ménestrel de Beattie ', qui fait au Barde une sorte de con-
currence sur son propre terrain. La Mmerye Française donne
peu de poésie. Ce sont, dans un camp opposé, les catho-
liques, les ultras, par réaction contre l'ossianisme napoléo-
nien ou contre l'athéisme ossianique. La Bible est restau-
rée dans ses droits de grande inspiratrice, et c'est tant pis
pour Ossian. C'est le cas, plus ou moins, pour le royaliste
Montferrier % pour Laserrie le sépulcral^, pour Boissière *,
à qui Chateaubriand doit avoir été expliqué par un frère
delà Doctrine, pour Salibert % qui reprend, la Bible en main,
le thème de l'Antigone Scandinave, et pour beaucoup d'au-
tres. Certains enfin jouent alternativement de la harpe de
David et de la lyre de Pindare : autrement dit, ils sont ou
bibliques ou classiques ; mais ils laissent la harpe du Barde
aux murs de Selma. Je citerai Marcellus ^ et Bignan ', dont
l'œuvre abondante et variée reste étroitement classique.
Malgré ces réserves, et d'autres qu'on pourrait aisément
ajouter, il reste acquis que la Restauration a conservé à Os-
sian une place très honorable. De Lamartine au plus insi-
pide versificateur, de Villemain au plus obscur folliculaire,
on le rencontre à chaque instant, soit comme source d'ins-
piration, soit comme document. Il ne figure plus au théâtre,
dans la musique, dans la peinture, dans la poésie officielle
ou de circonstance ; mais on le traduit en vers, on le discute,
et, ce qui est plus, il inspire à certaines heures presque tous
les grands poètes de ce temps. Par eux, comme auparavant
par Chateaubriand, ce qu'il apportait de nouveau et de fé-
cond est entré dans la poésie française. Ainsi réduit à ce
qu'il avait d'essentiel, il n'en joue qu'un rôle plus important,
quoique discret, avant de sombrer peu d'années après dans
l'indifférence et dans l'oubli.
1. Aignan, Bibliothèque Étraiir/ère... ,111, 401.
2.Lafontde Montferrier, Les Récréations du cœur et de l'esprit, poésies,
1817.
3. Laserrie, Dithyrambes, ou petites Elégies, 1816.
4. P.-V. Boissière, Les A(/es de l'Homme, poème, 1819.
5. Salibert, La Piété fUia'le, poème, 1814.
6. Comte de Marcellus, Odes sacrées, Idylles et Poésies, 1825.
7. Œuvres poétiques de Bignan, 1846.
LIVRE CINQUIEME
LE DECLIN
(Après 1835)
CHAPITRE PREMIER
Les dernières traductions en prose
(1842)
I. Tentatives pour traduire Tensemble du corpus ossianique vers le
milieu du siècle. H. Taunayet sa traduction inédite en vers. La grande
traduction annoncée par Saint-Geniès.
II. Christian. Son Étude critique et ses sources. Contenu du volume.
Comment il arrange Le Tourneur. Sondages. Conclusion. Comment
il arrange Hill. Quelques exemples. Conclusion sur la valeur de son
travail.
111. Lacaussade. Son Introduction. L'influence ossianique sur le siècle.
Nouveauté et mérites de sa traduction. Son style.
Avec le second tiers du siècle se prononce nettement la
décadence de l'ossianisme. Nous examinerons plus loin en
détail par quelles méthodes on peut suivre cette décadence
et quels ordres de témoignages on peut enregistrer pour la
constater avec précision. Il faut commencer par étudier les
derniers traducteurs, qui se présentent au seuil même de
la période que nous abordons. En effet, par un contraste
singulier, l'heure même où Ossian commence à exercer
beaucoup moins d'action sur les imaginations est celle que
choisissent de nouveaux traducteurs pour essayer de ré-
pandre davantage la connaissance de ses poèmes. Est-ce une
réaction voulue contre un oubli contre lequel ils désirent
protester ? Rien ne permet de l'affirmer. Je croirais plutôt
à une erreur d'optique. Ces ossianistes fervents ne voient
pas que la faveur du Barde décroît rapidement autour
d'eux. Ils s'adressent à un public qui passe, indifférent, et
398 Ossian en France
sur qui leur œuvre n'a que peu d'action. Néanmoins il faut
s'arrêter à ces dernières traductions, qui ferment le cycle
ouvert par Turgot en 1760. Elles montrent qu'au moins
dans certains groupes littéraires, on croyait encore à Ossian.
Elles ont pu prolong^er un peu son influence ;du moins elles
ont permis de le lire dans des éditions plus nouvelles, et à
cet égard elles ne sont pas sans rapports avec les études cri-
tiques qui seront analysées dans un des chapitres suivants.
Avant d'examiner les deux grandes traductions en prose
de cette période, disons un mot d'une traduction en vers
qui est restée inédite, mais que nous pouvons connaître en
partie grâce au livre d'O'Sullivan que nous étudierons plus
loin. Hippolyte Taunay, bibliothécaire à la Bibliothèque
Sainte-Geneviève, avait voulu, comme jadis Baour-Lormian,
traduire la Jérusalem du Tasse ; et comme lui également,
il avait voulu traduire en vers Ossian. Sa traduction a dû
être écrite aux environs de 1850 ou peu après cette date'.
Il ne l'a pas publiée ; et nous ne la connaissons que parce
qu'elle a fourni à O'Sullivan, qui était son ami, la plupart
des morceaux ossianiques dont il orne son grand ouvrage ;
un petit nombre seulement sont empruntés à Baour. Nous
pouvons ainsi lire 17 fragments de la traduction Taunay,
formant un total de 404 vers, à côté de 6 fragments de
Baour-Lormian, formant un total de 250 vers.
La versification de Taunay est plus libre et plus hardie
que celle du classique Baour-Lormian : il pratique, mais
avec discrétion, le rejet, l'inversion, la césure mobile. Il a
plus de couleur et plus de mouvement. Mais son harmonie
est moins fluide et agréable. Comme traducteur, s'il rend
certains détails que néglige son prédécesseur, il cultive un
peu trop l'amplilication, et certains morceaux développent
extrêmement ce qui n'était qu'indiqué dans le texte. Ainsi
dans l'hymne au matin que chante le barde Carril à la fin
du second chant de Temora. L'anglais de Macpherson ex-
prime d'une manière sobre, et d'autant plus efficace, l'idée
que le soleil devrait se lasser d'éclairer les batailles sanglantes
des hommes:... Terrible is thij beauty^son of heaven, ivhen
1. M. Victor Taunay, son (ils, malgré les recherches qu'il a bien voulu
entreprendre sur ma demande, n'a pu retrouver dans les papiers de son
père le manuscrit de celte traduction.
Taunay. Saint-Geniès 399
death is descending on thy locks; lohen thou rollestthtj va-
pours before thee, over the blasted host... How long shalt
thou rise on ivar, and roii, a bloody shield^ through hea-
ven ?.. Taunay prolonge ce thème en un développement
lyrique qui est de son invention :
Tu périras alors, malgré ta majesté,
Dépouillé sans retour de puissance et de gloire,
Soleil, tu garderas ton enveloppe noire
Pendant l'éternité !
Entre Baour-Lormian et lui, le romantisme a passé, et
cela se voit. Mais quand il suit le texte, il le suit de plus
près que son prédécesseur.
Taunay n'a peut-être pas achevé son œuvre, et n'aurait
guère pu la publier ; du moins elle serait venue bien tard.
Les autres traductions que voit paraître le milieu du siècle
sont en prose. On veut maintenant des travaux plus exacts ;
on prétend lire toutes les grandes œuvres qui forment le
patrimoine intellectuel de l'humanité dans des traductions
qui les donnent le moins déformées possible par la fantaisie
de l'interprète ou les exigences du style. La Collection Ni-
sard, la Collection Orientale, d'autres encore veulent satis-
faire à ce besoin. Ossian traduit en prose, et édité dans un
format commode et à bon marché, pourra prendre place
dans toutes les bibliothèques.
La première tentative en ce genre n'a pas abouti. A une
date incertaine, mais que l'on peut situer au début de la
monarchie de juillet, Saint-Geniès, l'auteur de ce Balder
dont nous avons constaté les affinités ossianiques, lance le
prospectus d'une traduction nouvelle d'Ossian '. Nouvelle
et complète, dit le titre. Le prospectus annonce en effet un
travail différent de celui de Le Tourneur, où non seulement
on trouvera « toutes les poésies gaéliques du Barde de Mor-
ven », mais encore où le texte sera pour la première fois
respecté. Le Tourneur a « abrégé des morceaux importants,
supprimé des pages entières... » Ces accusations, on l'a vu,
sont un peu exagérées. De plus, cet ouvrage, qui aura 400 pa-
1. Ossian, traduction nouvelle et complète, par M. de Saint-Geniès (au-
teur de Balder, poème Scandinave, etc.). Prospectus s. d.
400 Ossian en France
ges petit in-folio, sera un ouvrage de luxe. «11 n'existe point
d'édition de luxe de ces poèmes, point d'Ossian de biblio-
thèque. » Celui-ci sera magnifiquement imprimé, puisqu'il
coûtera 125 francs sans estampes, et 200 francs avec 37 estam-
pes en noir. Le titre annonce même qu'il y aura une édi-
tion avec les estampes peintes, sans dire le prix, sans doute
fort élevé, qu'elle atteindra. Malheureusement, ce beau mo-
nument, le plus glorieux qui eûtjamais été élevé à la gloire
d'Ossian, n'a pu sortir de terre. Faute de souscripteurs très
probablement, ou pour toute autre raison, il n'a rien paru
de l'édition annoncée : le prospectus seul en subsiste.
II
La seule traduction française d'Ossian qui existe aujour-
d'hui en librairie est celle de Christian '. Ce dernier, de
son vrai nom Christian Pitois, publiait en cette même année
1842, et chez le même éditeur, une édition des .V?/?7v d'Young
qui ne faisait que reproduire la traduction de Le Tourneur,
et qui le reconnaissait : il n'y avait absolument de nouveau
que le fade et prétentieux Essai sur le Jobisme ( Job-Young-
René) par lequel s'ouvre le volume. Son Ossian ne se pré-
sente pas tout à fait de la même façon. Le nom de Le
Tourneur n'y paraît pas, et l'ouvrage peut à la rigueur
passer pour nouveau. Il est intéressant de l'examiner et de
dire au lecteur ce qu'est exactement cette traduction, la
seule qui puisse satisfaire les rares curiosités qui valent
encore de nos jours des lecteurs français au Barde démodé.
Il faut croire d'ailleurs que, sinon la sympathie, du moins
le besoin d'information ou une curiosité intelligente ont fait
demander assez souvent le volume, car on a procédé régu-
lièrement à de nouveaux tirages. J'en compte une demi-
douzaine depuis soixante-dix ans. La première édition est
delS'i2, chez La vigne ; elle est assez rare. A partir de 1856,
1. Ossian, Barde du iji" siècle : Poèmes Gasliriucs. rccuoillis par Mac-
Pherson. Traduction revue sur la dernière édition anglaise, et précédée
de Reclierclies critiques sur Ossian cl les Calédoniens, par P. Christian.
Paris, Lavigne, 1842, in-12 de xxiii-478 p.
Christian 401
l'ouvrage se rencontre beaucoup plus fréquemment : la
maison Hachette, qui l'a acquis, en a rajeuni la forme exté-
rieure et a su lui assurer une plus ample diffusion.
Dès le titre, le lecteur est invité à concevoir une assez
haute idée de l'ouvrage ; mais, sil n'est pas tout à fait
neuf aux choses ossianiques, il entre en défiance. Ce titre
reproduit visiblement celui de l'édition Dentu de 1810. Mais
pourquoi n'avoir inscrit sur la couverture que le nom de
Macpherson, quand le volume contient aussi tous les poèmes
de Smith? Les Recherches critiques qu'on nous promet fe-
ront peut-être honneur à la science de P. Christian ; nous
allons voir où il les a prises. Enfin, une traduction « revue
sur la dernière édition anglaise » va-t-elle nous offrir du
nouveau ? Examinons tout cela d'un peu près.
h' Etude critique sur Ossian qui ouvre le volume a pour
base, dans sa première partie, le Discours prélmiinaire de
Le Tourneur, qui lui-même résumait les Dissertations de
Macpherson et de Blair. Christian se contente (p. i-xiv)
de copier Le Tourneur, bien qu'il ne le cite pas parmi ceux
qui lui ont « prêté leurs lumières ». Parfois il le résume,
ou supprime une citation de Mallet, peut-être démodé, ou
une anecdote par trop invraisemblable. 11 le complète par
d'autres détails sur l'histoire et les mœurs des Calédoniens,
qui sont empruntés sans critique à Macpherson ou à Blair.
C'est le roman ossianique dans toute sa naïveté, et présenté
avec ce même appareil d'érudition qui pouvait en imposer
en 176:2 1763, mais qu'il est assez plaisant de voir déployer
comme neuf en 1842, et même — dernier tirage — en 1910.
La seconde partie de V Etude (p. xiv-xxin) est consacrée
à l'histoire de la controverse ossianique et à la solution du
problème. L'auteur suit ici Ginguené, en le complétant par
quelques emprunts à Cesarotti. 11 explique de son mieux
la conduite de Macpherson, et termine par un bref éloge
des poèmes ossianiques, éloge dont la dernière phrase est
textuellement empruntée à la Préface de la traduction de
Hill de 1795.
Ces détails sur le monde ossianique, l'origine et la pu-
blication des poèmes, datent donc entièrement du xviii° siècle
et des premières années du xix°, malgré, ici et là, un léger
rajeunissement de la forme. Il n'est donc pas étonnant qu'ils
402 Ossian en France
donnent d'étranges idées au lecteur non initié qui achète ce
dernier Ossian dans la dernière édition. Il y verra des dé-
tails sur Y ordre des bardes, la classe des druides, etc... ; il y
apprendra que Mûri était « une académie dans la province
d'Ulster ». Il n'y trouvera d'exact que le récit des pre-
mières polémiques autour de l'authenticité jusqu'en 1810
environ ; encore est-ce un résumé assez superficiel et légè-
rement tendancieux.
La traduction s'accompagne de sommaires et de notes
explicatives qui sont en grande partie empruntées à Le
Tourneur, qui les empruntait lui-même aux premières édi-
tions de Macpherson; l'édition anglaise courante a conservé
les sommaires, mais n'a plus qu'un petit nombre de notes.
Cette partie du volume est aujourd'hui vieille de cent cin-
quante ans. Cette antiquité explique le caractère naïvement
laudatifde certaines notes :«Cet épisode est bien amené»;
l'histoire d'Orla « ranime l'action et réveille l'attention du
lecteur ». Elle explique aussi le style sensible et tendre de
ces notes. A la fin, on trouve une longue liste de noms
propres ossianiques expliqués : c'est la liste de Le Tour-
neur complétée par celle de Hill.
Le corps du volume comprend la traduction de 39 poèmes.
En tête, les 25 poèmes donnés par Le Tourneur, dans le
même ordre, sauf Têmora et le Combat d'Oscar et de Der-
mid, qui sont intervertis. Les titres sont souvent changés ;
Christian a voulu les donner plus complets et plus clairs.
On a remarqué en effet au cours de notre étude que, si l'on
n'est pas — et qui l'est aujourd'hui? — versé dans les poèmes
ossianiques, il est difficile de se rappeler, les désinences
étant semblables, que Croma est un lieu, Lora un fleuve,
Sel ma une ville, Inistona une île, tandis que Oïthona, Co-
mala, Dar-thula sont des héroïnes, que Berrathon est un
pays et-Carthon un héros, etc. Christian dit La Délivrance
de Carrictura, L'Enlèvement d'Oithona, La Guerre de
Croma, Nina de Berrathoti, Les Plaintes de Minvane... Puis
viennent les 14 poèmes de Hill, dans leur ordre. Macpher-
son fournit donc 310 pages de ce volume, et Smith 155 ;
deux tiers et un tiers. On voit que le contenu de cette nou-
velle édition est exactement celui de la réédition Dentu de
1810, qu'elle reproduit d'une manière plus populaire et
Christian 4o3
plus accessible. Que sera maintenant la traduction ? Ici il
faut entrer dans quelques détails.
A en croire l'auteur lui-même, il s'est servi de la tra-
duction de Le Tourneur, qu'il juge « fidèle, mais trop sou-
vent monotone, et presque toujours incolore » ; il l'a revue
et améliorée d'après l'édition gaélique-latine de 1807. Et les
poèmes de Smith ? Il n'en dit rien ; sur quel texte les a-t-il
revus, ceux-là ? Admettons que pour les uns et les autres^
il s'est tout simplement servi d'un texte anglais, ce qui est
infiniment probable : car si Christian avait réellement con-
sulté le texte latin de Macfarlan, il se serait vu forcé de
s'écarter complètement de la version de Le Tourneur, et sa
traduction eût été un travail nouveau, mais qui n'a jamais
été tenté en français, tandis qu'il a été fait plusieurs fois
en allemand. Le Tourneur et Hill sont donc la base du tra-
vail de Christian. Jusqu'à quel point est-il conforme à ses
modèles, et a-t-il réalisé sur eux quelques progrès ? Celui
qui achète aujourd'hui VOssia/i de la librairie Hachette lit-il
du Le Tourneur, ou quelque chose de dilférent, et peut-
être quelque chose de mieux ? Tâchons de répondre à cette
question avec précision.
Une première statistique portant sur deux poèmes, comp-
tant ensemble près de quatre mille mots, nous permet de
constater que le nombre des mots est très légèrement su-
périeur dans Christian : pour 100 mots anglais. Le Tourneur
en emploie 108,46 et Christian 109,77. 11 y a donc un léger
allongement. Le nombre des phrases augmente d'une ma-
nière plus sensible : pour trois poèmes différents des pre-
miers, et représentant près de huit cents phrases. Le Tour-
neur en emploie G3,70 et Christian 07,97 pour 100 phrases
anglaises. C'est l'indice d'un assouplissement du style, d'un
certain rajeunissement par plus de vivacité.
Passant de ces indications générales à des sondages précis,
étudions quatre passages en comparant mot à mot les deux
traductions. Nous en détacherons les éléments d'un parallèle
que le rapprochement avec le texte anglais rendra plus ins-
tructif :
L — Fingal, chant I (début). Christian a beaucoup re-
manié Le Tourneur, mais sans se montrer plus fidèle que lui .
404
Ossian en France
Le Toarnear
Près des murs de Tura, Cu-
chullin était assis auprès d'un
arbre au tremblant feuillage.
Sa lance était appuyée contre
un rocher revêtu de mousse ;
son bouclier reposait près de
lui sur le gazon. Il rêvait au
puissant Cairbar, héros qu'il
avait tué dans le combat, lors-
que Moran, chargé de veiller
sur rOcéan, revient annoncer
sa découverte. Lève-toi, Cu-
chullin, lève-toi, dit le jeune
guerrier. Je vois les vaisseaux
de Swaran : Cuchullin, l'en-
nemi est nombreux. La mer
sombre roule avec les ondes
une foule de héros.
Christian
Cuchullin se reposait près
des murs de Tura, sous un
arbre au tremblant feuillage,
à l'abri d'une roche tapissée
de bruyère fleurie. Sa pique
et son bouclier étaient jetés
auprès de lui sur le gazon.
Il rêvait en silence au guerrier
Cairbar, qu'il avait tué dans le
combat, lorsque Moran, chargé
de surveiller l'Océan, reparaît
plein de trouble. Lève-toi, Cu-
chullin, lève-toi, dit le jeune
homme. Voici les vaisseaux de
Swaran Cuchullin, l'ennemi
est immense. La mer sombre
roule avec ses vagues une foule
de héros.
II. — Dar-thula. Le nouveau traducteur développe un
peu pour donner plus de clarté, rajeunit légèrement, et ba-
nalise.
Je touchai ma harpe de-
vant le roi : les sons étaient
sourds et plaintifs. « Penchez-
vous du sein de vos nuages,
ombres de mes pères ; écartez
de vous la terreur et les feux
qui vous environnent, et rece-
vez le héros qui expire à cette
heure, soit qu'il vienne d'une
terre éloignée, soit qu'il sorte
du sein des mers. Préparez sa
robe de brouillard, et sa lance
de nuages. Placez à son côté
un météore à demi éteint sous
la forme de son épée ; et qu'il
s'offre toujours sous des traits
aimables, alin que sa vue puisse
réjouir ses amis. »
Je touchai ma harpe devant
le roi ; mais les sons qu'elle
rendait étaient sourds et plain-
tifs : « Penchez-vous au bord
de vos nuages, ombres de mes
pères. Ecartez de vous la ter-
reur et les feux qui vous en-
tourent, et recevez le héros qui
expire à cette heure, soit qu'il
vienne d'une terre éloignée,
soit qu'ilsorte du seindesmers.
Préparez sa robe de brume, sa
lance de nuages. Placez pour
glaive à son côté un météore à
demi éteint, et qu'il prenne au
milieu de vous une place ho-
norée ; afin que son ombre
vienne avec jjoie visiter ses
amis. »
Christian
4o5
III. — Fingal et l'Esprit de Loda dans Carric-Thura.
La lune cachait sa face rou-
geâtre dans les nuages de l'O-
rient ; tout à coup fond de la
montagne un vent impétueux :
il portait l'Esprit de Loda. Le
fantôme vient se placer sur sa
pierre. La terreur et les feux
l'environnent. Il agite sa lance
énorme. Ses yeux semblent des
flammes sur sa face ténébreuse ;
et sa voix est comme le roule-
ment lointain du tonnerre. —
Fils delà nuit, appelle tes vents,
et fuis loin de moi ! Pourquoi
m'apparais-tu avec tes armes
fantastiques ? Crois tu m'ef-
frayer par ta forme gigantes-
que ? Sombre esprit de Loda,
quelle force a ton bouclier de
nuages, et le météore qui te
sert d'épée ?Les vents les rou-
lent dans l'espace, et tu t'éva-
nouis avec eux. Appelle tes
vents et fuis loin de moi, faible
enfant de la nuit !
La lune se voilait lentement
sous les nuages de l'Orient.
Tout à coup fond de la mon-
tagne un vent impétueux : il
portait l'Esprit de Loda. Le
fantôme se dresse sur sa pierre
funèbre. La terreur et les mé-
téores delà nuit l'environnent.
Il agite sa lance ;ses yeux per-
cent comme des flammes som-
bres sa face ténébreuse, et sa
voix murmure comme un écho
lointain du tonnerre. — Fils de
lanuit, remonte sur ton nuage,
et fuis loin de moi. Pourquoi
me menacer de tes armes fan-
tastiques ? Crois-tu m'eff'rayer
par ta forme gigantesque ?
Sombre Esprit de Loda, quelle
force a ton bouclier de nuages,
et le météore qui te sert de
glaive ? Vaine illusion, dont les
vents se jouent dans l'espace,
vapeur du tombeau, remonte
sur ton nuage, fuis loin de moi,
faible enfant des ténèbres !
Ici, le premier ayant allongé {in his terrors devient la
terreur et les feux), le second enchérit pour plus de clarté
{la terreur et les météores de la nuit) ;le premier ayant tra-
duit his dust// spear par sa lance énortne, le second sup-
prime l'épithète inexacte sans la rectifier.
Ces trois sondages, à les étudier isolément, présentent
quelques différences ; mais en les rapprochant on peut né-
gliger ces différences et arriver à des conclusions d'en-
semble. Christian veut rajeunir Le Tourneur; mais son tra-
vail a le résultat contraire à celui qu'il annonçait dans les
premières lignes de sa Notice. Il rend la traduction encore
plus molle et monotone ; il la dépouille du peu de relief et
de couleur qu'elle gardait encore. On trouve Le Tourneur
jj,o6 Ossian en France
presque littéral quand on vient de lire Christian. Il veut ar-
ranger, polir, et il énerve ; il veut être agréable, et il n'est
que banal. Une recherche constante de la clarté n'aboutit
qu'à un à-peu près fort clair en effet, mais fort éloigné du
texte. On ne peut donc pas dire qu'il « reproduit la traduc-
tion de Le Tourneur ' », ni même qu'il n'en dilfere que par
« quelques variantes insignifiantes ' >» . Mais les différences
qu'un examen plus attentif nous a permis de constater ne
sont presque jamais des améliorations.
Il en est de même dans les 14 poèmes suivants, où Chris-
tian cette fois a suivi la traduction de Hill. La ressemblance
est toutefois plus grande ; assez pour qu'il soit peu utile de
reproduire parallèlement les deux textes comme je viens de
le faire. J'ai collationné six de ces poèmes, Gaul, Dargo,
Cathiila, Derjnid, Manos et Diithoiia. Voici les principales
constatations faites au cours de ce collationnement. Chris-
tian supprime quelquefois une phrase entière. Souvent il
abrège; parfois, mais plus rarement, il allonge en voulant
rendre la phrase plus claire. Le plus souvent il efface l'ex-
pression originale et caractéristique. Rarement il remplace
un mot vague et impropre par un mot précis et mieux
trouvé. Voici quelques exemples :
Hill Christian
La nuit rèyne dans sa ma- La nuit, t/ans une majesté si-
iesté silencieuse; elle déploie lencieuse, étend ses voiles sur
son noir manteau sur le vallon. le vallon Le chasseur c/or/ sur
La bruyère enveloppe le chas- les bruyères. Son chien fidèle
seur endormi. Son chien au ala tête appuyée sur son i^enou.
poil fauve a la tête appuyée sur II poursuit en songe les hôtes de
son genou. Il poursuit en songe la montagne, et sa joie Téveille
les //7s de la montagne, et sa à demi. Dors, jouis de ton re-
joie l'éveille à demi. Dors, jouis pos, jeune chasseur...
de ton repos, jeune amant des
fatigues de la chasse...
La nuit seretiraswr lesailes La nuit se retira... Liqueur
de lagaîté. ..Liqueuv enivrante. réjouissante.
1. W. Thomas, Le poète Edward Young, p. 530.
2. Th. von Poplawsky, L'influence d'Ossian sur l'œuvre de Lamartine,
p. 25,
Lacaussade 407
... et le mugissement des ... ei\es \enis furieux déchi-
vents était dans nos voiles. raiea^ nos voiles.
... et lui dit de moduler les ... et en tira de tendres ac-
accords les plus tendres. cords.
Chef de V aquatique Siglas... Chef des rivages deSiglas...
Les fils de la chasse... Les chasseurs...
Ici le nouveau traducteur suit de plus près son modèle,
mais il pousse à l'extrême le parti-pris de rajeunir Ossian,
Les tours idiomatiques disparaissent; des images sont effa-
cées; des membres de phrase sont supprimés. Celui qui ne
connaît Ossian que par Christian ne peut même se douter
du style particulier aux poèmes ossianiques, et commun à
Macpherson et à Smith. Il n'a plus devant les yeux qu'une
reproduction eiracée d'une paraphrase déjà bien décolorée.
L'étude de cette traduction provoque donc une complète
déception. Il y avait mieux à faire en 1842, après le roman-
tisme, au moment où l'intérêt se porte vers le particulier,
le coloré, l'exotique. On pouvait s'attendre à une traduction
vraiment nouvelle, personnelle et vivante, et l'on trouve
une médiocre entreprise de librairie, faite sans soin, sans
âme et sans talent.
III
La même année paraissait une autre traduction, bien
plus intéressante à tous égards, mais bien moins complète
que celle de Christian. Lacaussade ' n'avait compris dans
son travail que Y Ossian primitif, celui de Macpherson, d'après
le texte de l'édition définitive de 1773. Sa traduction com-
prend donc ving't-deux poèmes, les mêmes et dans le même
ordre que dans l'édition anglaise courante. Lacaussade date
son Avertissement de décembre 1841 ; le volume parut en
1842. Il s'ouvrait par un Avertissement de 41 pages, inti-
tulé De l'Authenticité des Poésies (C Ossian. Le nouveau
traducteur pose la question, en montre la difficulté, retrace
la biographie de Macpherson, dont il embellit beaucoup trop
1. Ossian. Œuvres complètes, traduction nouvelle... par Auguste La-
caussade (de l'île Bourbon). Paris, Delloye, 1842, in-12 de xli-369 p.
4o8 Ossian en Ftance
le caractère et les procédés, et qu'il appelle pour conclure
« plutôt un poétique compilateur qu'un traducteur fidèle » ;
résume enfin la controverse ossianique, surtout d'après la
notice de Sinclair. Cette partie de son travail n'est pas irré-
prochable : c'est ainsi qu'il attribue aux Fragments de 1760
l'inspiration du Barde de Gray,ce qui est évidemment faux,
et pour cause ; ou qu'il prête à John Smith l'aveu ([ue dans
la rédaction de ses chants ossianiques il a « usé de la plus
grande liberté », alors que Smith dit précisément le con-
traire. Lacaussade d'ailleurs, sur le fond même du débat,
se décide prudemment, « pour ne pas compromettre son
jugement », à « rester dans les réserves du doute ». Il passe
ensuite à l'éloge d'Ossian : « un poète de premier ordre,
j'ai presque dit un de ces poètes mères dont parle Chateau-
briand, qui alimentent à eux seuls plusieurs siècles de
poésie ». 11 reprend le vieux parallèle d'Homère et du Barde
de Morven ;« ce dernier est la personnification de l'ancienne
poésie du Nord ». Encore un disciple de M°" de Staël. Il
insiste surtout sur l'influence profonde d'Ossian sur la poé-
sie contemporaine. Cette influence, qui est descendue de
Napoléon et de Gœthe« jusqu'au foyer calme des familles»,
où elle se manifeste par « les noms mélodieux d'Oscar et
de Malvina », s'exerce surtout sur « la Muse moderne ».
Oui, poursuit-il, « sa grande ombre rêveuse domine toute
la poésie de notre siècle. C'est la même forme avec ses
images hardies, c'est le même esprit, grave et contemplatif.
Qu'on étudie avec soin les compositions des plus grands
noms de cette époque et, à quelques exceptions près, on
verra dans le courant de l'œuvre se dessiner la veine ossia-
nique... On dirait ces longues nappes souterraines qu'on est
sûr de rencontrer dans le sein de la terre, de quelque point
qu'on le sonde. » En lisant ces lignes, on est tenté de croire
que Lacaussade lui-même a dû subir profondément dans sa
poésie l'influence qu'il constate ici. Rien de moins vrai :
l'auteur très distingué de Poèmes et Paijsayes et des Epaves
ne s'est souvenu dans ses vers que de l'île tropicale qui
l'avait vu naître et des clairs paysages de la France , pas
de brouillards, pas de vague tristesse dans sa poésie lim-
pide et colorée. On a cru voir^ un souffle ossianique dans sa
1. A. Tedeschi, Ossian... en France, p. 122.
Lacaussade 409
Rêverie^ lunaire et stellaire. C'est à la rigueur possible;
mais à une telle distance Tinfluence directe est difficile à
affirmer.
Sa traduction tranche nettement avec tout ce que nous
avons vu jusqu'ici en ce genre. Lacaussade appartient à une
génération qui commence à avoir le sens, le goût et le res-
pect de l'exact et du littéral, en fait de style ; du pittoresque
et du coloré, même de Texotique et du barbare, en fait de
mœurs et de tableaux. 11 proclame dès son Avertissement
qu'il a entendu donner « une version plutôt fidèle qu'élé-
gante » et faire de son travail « la copie littérale du texte»,
au risque « de heurter notre langue et quelquefois même
d'en blesser les susceptibilités grammaticales». Il reproche
à Le Tourneur « d'avoir trop francisé cette muse âpre et
inculte du Nord, et d'avoir trop sacrifié au goût de son épo-
que la beauté native du texte et son éclat sauvage >>.
Ces principes, il les applique avec un zèle courageux.
Dans l'onomastique d'abord : il respecte les noms ossiani-
ques, et ne les déforme pas pour les rendre plus agréables
à l'oreille : il reproduit exactement la graphie de Macpher-
son. Dans la langue ensuite : il dit comme l'anglais : « Tor-
cul-Torno aux cheveux âgés » ; on pourrait citer vingt ex-
pressions analogues.il se flatte d'avoir osé le premier «pour
rendre les épithètes doubles de l'anglais » des constructions
comme la fille aux seins blancs de la neige, la vierge aux
blanches mains de la tristesse, le fils aux yeux bleus de
Sémo. II dit la force hérissée d I-thorno pour désigner (il
l'indique en note) un sanglier, et rend ainsi en français un
genre d'expressions que très probablement Macpherson
avait emprunté à Homère. Même il cherche visiblement à
souligner les particularités du style ossiano-macphersonien:
il emploie à tout propos l'inversion, l'ellipse, les alliances
de mots, les anglicismes. Surtout il prétend respecter le
rythme tout spécial de cette prose, « cette mesure continue
qui fait le charme des poésies du Barde, et qu'on ne sau-
rait mieux comparer qu'au bruit monotone et prolongé des
vagues ». Pour rendre cette « diction balancée », il faut
d'abord être exact à la ponctuation, que Le Tourneur, et à
1. A. Lacaussade, Les Epaves, 1861.
410
Ossian en France
sa suite Christian, bouleversent à chaque instant ; il faut sa-
voir user de Tinversion ; il faut grouper les mots de ma-
nière à otTrir le même rythme dans l'ensemble. Voici un
passage' qui permettra de saisir l'avantage qu'il olîre à cet
égard sur son contemporain.
« Where art thou, son of the king ? » said dark-haired Duth-
maruno. « Where hast thou failed, young beam of Selma? He
returns net from the bosom of night ! Morning is spread on
U-Thoruo.In his mist is the sun on his hill. Warriors,lift the
shields in my présence. He must notfall,like a fire fromhcaven,
whose place is not niarked on the ground. — He cornes, like an
eagle, from the skirt of his squally wind ! In his hand are the
spoils of foes. King of Selma, our soûls weie sad ! »
« Near us are the foes, Duth-maruno. They come forward,
like waves, in mist, when their foamy tops are seen, at times,
above the low-sailing vapour. The traveller shrinks on his jour-
ney ; he knows not whither to fly. No trembling travellers are
we !.,. »
Christian
Où es-tu, Fingal? s'écriait
Dumarunno. Où es-tu tombé,
noble rejeton de Selma? Déjà
le matin est de retour, tu ne
reviens pas, et pourtant le so-
leil commence à percer les va-
peurs qui couvrent les collines
d'Uthorno. — Amis, prenez vos
boucliers, suivez-moi ! Car il
ne sera point dit que Fingal
ait fui comme ces feux égarés
du ciel qui ne laissent sur la
terre aucun vestige de leur
chute. — Mais je l'aperçois, il
revient, rapide comme l'aigle
qui fend les vents; je vois dans
ses mains les dépouilles de nos
ennemis. Salut, roi de Selma,
ta longue absence nous attris-
tait.
Lacaiissade
Où es-tu, fils du roi ? disait
Duth-Maruno aux cheveux
noirs ; où es-tu tombé, jeune
rayon de Selma ? Il ne revient
pas du sein de la nuit! Le ma-
tin s'étend sur U-Thorno; dans
son brouillard le soleil est sur
la colline. Guerriers, levez vos
boucliers devant moi ! Il ne tom-
bera pas comme le feu du ciel,
dont la chute ne laisse point de
traces sur la terre ! — Mais il
vient, tel que l'aigle qui vient du
tourbillon des vents. Dans sa
main sont les dépouilles de l'en-
nemi. Roi de Selma, nos âmes
étaient tristes !
— Les ennemis sont près de
nous, Duth-Maruno ; ils s'avan-
cent comme les vagues au mi-
I. Calh-Loda, chant II, début.
Lacaussade 41 1
— Dumarunno, les ennemis lieu du brouillai'd, quand leurs
ne sont pas loin; ils s'avancent têtes écumantes se montrent
comme les vagues de la mer au-dessus des lourdes et llot-
qu'on voit bondir au milieu du tantes vapeurs. Le voyageur
brouillard, et lever de temps suspend sa course ; il ne sait
en temps leurs têtes écumantes où fuir. Mais nous ne sommes
au-dessus de l'épaisse et lourde point de tremblants voya-
vapeur. A l'aspect de la tour- geurs !...
mente, le voyageur tremble et
ne sait où chercher un asile.
Nous ne sommes pas des voya-
geurs tremblants !...
Surtout il est exact en ce sens qu'il comprend, en géné-
ral, et sait rendre le sens de son texte. Il évite quantité
des contre-sens de Le Tourneur perpétués par Christian.
(A boar) rolled on his lifled spear n'est plus traduit « rou-
lait sous les coups de sa lance» mais« s'élançait sur sa lance
levée ». Je relève toutefois un endroit, et il y en a sans
doute d'autres, où il est passé par négligence à côté du sens
que son prédécesseur avait aperçu. Macpherson avait écrit:
My hand forgets to herid the boi&. Le Tourneur traduisait:
« Ma main oublie à bander l'arc » ; Lacaussade met : « Ma
main oublie de... » ce qui est un pur non-sens dans ce pas-
sage (il s'agit d'un guerrier affaibli par l'âge). Enfin il tra-
duit tout, et ne supprime pas à chaque instant, comme ses
prédécesseurs, des épithètes, des compléments, des membres
de phrase. J'emprunte à Berrallion quelques passages signi-
ficatifs à cet égard :
... Ma voix est comme le dernier murmure de la bise quand
elle abandonne les bois. Mais Ossian ne sera pas longtemps seul.
Il voit le brouillard qui doit recevoir son ombre... Conduis, fils
d'Alpin, conduis le vieillard dans ses bois. Les vents commen-
cent à s élever ; la vague sombre du lac retentit. N'est-il pas un
arbre qui sur Mora s'incline avec ses branches nues ? Fils d'Al-
pin, il s'incline sous le vent qui frémit. Ma harpe est suspendue
à une branche flétrie ; le son des cordes en est plein de tristesse.
Est-ce le vent qui te touche, ô harpe ! ou est-ce quelque ombre
qui passe ? C'est la main de Malvina. Apporte-moi la harpe, fils
d'Alpin. Un autre chant va s'élever ; mon âme s'envolera avec
ses sons, et mes pères les entendront dans leur salle aérienne...
412 Ossian en France
Un vieux chêne se penche sur le torrent, il soupire avec toute
sa mousse. Les genêts flétris sifflent auprès, et se mêlent, en se
balançant, aux blancs cheveux d'Ossian. Frappe la harpe et com-
mence les chants. Approchez, avec toutes vos ailes, ô brises !...
Il est un murmure sur la bruyère : les vents orageux s'apaisent !
J'entends la voix de Fingal... «Viens, Ossian, viens, me dit-il...
Nous avons passé comme des flammes qui ont brillé leur temps.
Notre départ a été glorieux. Quoique les champs de nos batailles
soient sombres et silencieux , notre nom vit dans les quatre
pierres grises. La voix d'Ossian a été entendue dans Selma... »
Je viens, je viens, ô roi des hommes ! La vie d'Ossian s'éva-
nouit : Je vais bientôt disparaître de Cona... Je m'endormirai
près de la pierre de Mora,et les vents, sifflant dans mes cheveux
gris, ne m'éveilleront plus...
En résumé, la traduction de Lacaussade constituait un
effort très intéressant et un très sérieux progrès dans la
vulgarisation intelligente de VOssian anglais. Sainte-Beuve
avait raison de nommer Lacaussade « l'auteur d'une très
bonne traduction d'Ossian'». Il esta regretter qu'elle n'ait
pas été plus connue. Elle paraît avoir eu un débit médiocre.
Je ne la rencontre que trois fois sur environ 250 catalogues
postérieurs à son apparition.
1. Causeries du Lundi, V, 395.
CHAPITRE II
Les voyages au pays d'Ossian
(1810-1912)
I. Méthodes propres à enregistrer le déclin d'Ossian. But de cette en-
quête. Pèlerins et touristes. Une exception : Simond.
II. Première période (1815-1830). Lezeverne. Ch. Nodier : un enthou-
siaste, converti par le voyage d'Ecosse. Les brouillards des Hautes-
Terres et les fantômes ossianiques. Necker de Saussure : un esprit
positif. Son résumé de la question ossianique. Adolphe Blanqui.
Ducos.
III. Deuxième période (1830-1850). Buzonnière.Ossian et W. Scott. Custine:
un pèlerin passionné et un peintre du paysage calédonien. Panckoucke:
un convaincu. D'Hardiviller. Mercey. Un Guide pittoresque. Les pre-
miers Joanne et Baedeker. Le Magasin Pittoresque.
IV. Troisième période (1850-1912). Un fidèle enthousiaste : Dousseau.
Quelques adeptes: Enault ; l'abbé Poisson ; M. -A. de Bovet; A. Ba-
raudon. Attitude de la majorité. Ironie. Allusions. Ignorance complète
d'Ossian. Preuves caractéristiques de cette ignorance. Interprétation
du paysage des Hautes-Terres.
En achevant l'histoire d'Ossian en France par l'étude
de la période de déclin qui commence alors pour se prolon-
ger jusqu'à nos jours, il convient d'appliquer les méthodes
les plus propres à mesurer avec quelque exactitude ce dé-
clin, à la fois dans l'imagination et dans le style. Une pre-
mière méthode nous sera fournie par l'examen du plus
grand nombre possible de voyages en Ecosse racontés par
des Français au xix° siècle. Cet examen permet, mieux
peut-être qu'aucune autre investigation, de suivre pas à pas
la décadence d'Ossian dans les imaginations, la diminution
de son prestige sur les âmes, l'oubli croissant où ses poèmes
vont se plonger.
414 Ossian en France
Nous avons déjà consulté à leur date les voyageurs qui
ont visité l'Ecosse au xVTir siècle. Des raisons politiques
interrompent les communications pendant presque toute
la durée du régime impérial. Mais nous trouvons, à partir
de 1820, une série longue et ininterrompue de témoignages
dont la plupart ont une certaine valeur pour l'histoire de
l'ossianisme en France. Nombreux, très nombreux sont les
voyageurs qui entreprennent, pleins de zèle et de curio-
sité, le pèlerinage d'Ecosse; qui repassent aux mêmes lieux,
qui expriment à peu près les mêmes surprises, les mêmes
admirations, d'une manière qui paraît spontanée d'ailleurs,
et le plus souvent sans connaître les relations de leurs pré-
décesseurs. Nous les entendrons successivement, éloquents
dans leurs épanchements ossianiques, plus éloquents dans
leur silence.
Ces voyageurs sont très divers de rang social, de culture,
de goûts. 11 y a parmi eux quelques gens de lettres, dont
le plus remarquable est Charles Nodier ; il y a des des-
cripteurs de profession pour itinéraires et pour guides ; il
y a quelques curieux de sciences ou d'économie politique ;
il y a surtout des touristes qui publient leurs notes de voyage
et qui se tirent plus ou moins brillamment de leur rôle
improvisé d'écrivain. De ces derniers le témoignage est le
plus précieux : car, n'étant inféodés à aucune école litté-
raire, ils représentent assez bien l'opinion moyenne de la
bourgeoisie instruite ou même un peu lettrée en fait d'Os-
sian et d ossianisme. Les uns, âmes poétiques et rêveuses,
se laissent aller au charme du souvenir, et revivent Ossian
sans le discuter ; les autres, esprits positifs et critiques, se
donnent la tâche de vérifier sur place l'authenticité des
poèmes, enregistrent les témoignages, et tirent leurs con-
clusions. Ossian est pour les uns une voix de l'âme, et pour
les autres un problème. Mais, hymnes ou enquêtes, ces
voyages nous permettront de suivre à peu près la destinée
et le crédit du Barde et de sa poésie. Nous le verrons rem-
plir de sa présence et de sa voix les monts sacrés qui lui
doivent la gloire ; puis pâlir peu à peu, s'éloigner, devenir
un nom qu'il convient de rappeler plutôt qu'une image
familière, s'évanoviir de plus en plus, et disparaître enfin
du souvenir et du laniï'asfe des vovasreurs.
Pèlerins et touristes 41 5
Beaucoup de ceux que nous allons passer en revue n'ont
sans doute pas lu tous les poèmes d'Ossian ; plusieurs, qui
le citent, le connaissent et le vénèrent comme un nom qui
symbolise le passé glorieux d'un ancien peuple ; et les noms
aussi de ses héros, ceux surtout des lieux où ils aiment,
combattent et meurent, voilà ce qu'on répète volontiers.
Fingal, Oscar, Malvina ; Selma, Dunlathmon, Cromla ; ces
noms rappellent des souvenirs qui deviennent de moins en
moins précis à mesure que l'on avance dans le xix° siècle,
mais ils restent encore évocateurs d'un passé de gloire
et de mélancolie, alors même que le contenu des poèmes
ossianiques s'est effacé de la plupart des mémoires. Plus
que les personnages, les lieux gardent longtemps leur
attrait : il flotte sur les rochers, sur les monts dénudés, sur
les lacs paisibles, sur les Avalions solitaires des Hautes-Terres,
une atmosphère de poésie que le souvenir d'Ossian a formée.
A défaut de monuments de pierre ou de marbre, l'imagi-
nation trouve le sentiment des ruines dans tout ce paysage
qu'Ossian a révélé à l'Europe ; et ce n'est que plus tard que
les Hautes-Terres exercent sur le voyageur leur séduction
propre, sans qu'aucune réminiscence ossianique vienne la
colorer, la préciser, l'animer.
11 faut, il est vrai, mettre à part le premier voyage qui
se rencontre au xix^ siècle, parce qu'il constitue une excep-
tion *. Simond ignore Ossian. 11 voit Dumbarton, il voit
les lacs d'Ecosse et leur « mélancolique grandeur », sans
prononcer même le nom du Barde. Le « lieu consacré »
pour lui, ce n'est pas Selma, c'est le théâtre de la Dame
du Lac de Scott. Ce Français est donc extrêmement au
courant en se passionnant pour ce poème, qui est de 1810 ;
à moins que ses impressions n'aient été rajeunies quelques
années plus tard lors de la publication de son Voyage. Mais
comment échappe-t-il à la prise du Barde ? Tout simple-
ment parce qu'il revient directement d'Amérique, où il a
passé vingt ans. Il a probablement qoitté la France fort
jeune, et il ignore tout de la grande vogue ossianique qui
y règne depuis une dizaine d'années. Ajoutons au reste
1. [Simond] Voyage d'un Français en Anç/leterre vendant les années
1S10 et'lêll, 1816.
4i6 Ossian en France
qu'en dehors de Scott, ce Simond paraît peu partisan des
nouveautés : c'est un pur classique.
Il
La série des voyageurs ossianistes recommence avec un
prisonnier de guerre qui, à peine sorti des pontons anglais,
chante l'Ecosse et les souvenirs qu'elle lui a laissés. Leze-
verne estime que ce beau pays est trop peu connu, et que
la poésie ossianique en particulier, même après Baour-Lor-
mian, peut encore tenter la poésie française. Il cite en en-
tier VHyjniie au Soleil de Baour-Lormian, « morceau plein
d'images sublimes ». Cette poésie est un fruit naturel du
pays : les Ecossais laborieux chantent encore les poèmes
d'Ossian : hommes et femmes, ils redisent avec leurs « har-
pes frémissantes » les chants « du Barde aimé des cieux ».
Car ce voyageur, à qui la dure loi de la guerre a fait con-
naître et aimer la patrie d'Ossian, est un poète. Il aime à
rêver aux lieux où « Ossian médita ses sublimes accords »:
Mystérieux génie ! On dit que sur ces bords
Le jour tu reparais porté sur un nuage...
Que sur l'aile des nuits ton âme fugitive
Rejoint de Malvina l'âme errante et plaintive '.
Plein d'enthousiasme pour ces grands souvenirs, le captif
se plaît à « visiter de Alorven les lieux sombres » et à « évo-
quer les ombres d'Oscar et de Fingal ». Il y a là les pre-
miers indices d'une interprétation de la fantasmagorie ossia-
nique par les aspects du ciel écossais. Nous allons la retrouver
bien plus explicite avec Charles Nodier.
Nous avons quitté Nodier vers la fin de l'Empire, après
l'avoir vu payer de bon cœur un ample tribut à la mode, à
la passion ossianique. Nous le retrouvons au premier rang
des voyageurs écrivains qui ont parlé de l'Ecosse à leurs
lecteurs. Nous savonsparquelques témoignages épars, comme
1. De Lezeverne, Les Plaisirs d'un Prisonnier en Ecosse, poème, 181S,
p. ", 20, 35, etc.
Charles Nodier 417
celui de Saint-Geniès, que son récit de voyage ' a été apprécié :
et il méritait de l'être, car il est amusant et vivant. Qu'il soit
entièrement véritable, c'est une autre affaire : il y a dans
Nodier un perpétuel mystificateur ; il romance son voyage
comme il romançait jadis l'histoire ; il le rêve autant qu'il
le fait. Et dans ce roman ou dans ce rêve qui se présente
avec l'aspect sérieux de la réalité, Ossian joueun très grand
rôle.
Dès qu'il touche le sol de l'Ecosse, Nodier se sent saisir
du transport ossianique ;
Caledoniam! Caledoniam! Que de souvenirs, que d'impres-
sions ! Ici tout est naturel, grand, sublime, tout porte le carac-
tère de l'antiquité solennelle et inaltérable.
Est-ce à Walter Scott que ce prestige est dû? Sans doute,
le pèlerin français salue en passant « le brillant Ossian de
l'époque moderne »; mais il ne s'attarde pas aup'rès de lui;
son cœur l'appelle plus loin, plus haut, vers ces lacs « qui
sont toujours les lacs noirs dOssian » ; vers « les bruyères
de Cona » où le retient un « prestige ravissant » ; vers la
« montagne de Fingal»,Z)^^n-F«o/^ qui « conserve quelques
vestiges de l'ancien campement de ce héros ». C'est là, c'est
dans cette contrée peuplée de souvenirs et qui de loin a si
longtemps enchanté ses rêves, que Nodier se sent reprendre
avec émotion par le charme ossianique. A Dumbarton, ces
sentiments l'envahissent avec une force particulière :
Quand je pensais que cet te rivière était la Clutha, cette mon-
tagne le Balclulha. d'Ossian ;... que c'était là qu'avait régné
Carthon et soupiré l'aimable fdlede Cathmol ;... quand je voyais
s'ouvrir devant moi l'empire poétique des bardes calédoniens
dont Balclulha est rilion ; j'aurais eu peine à me défendre de
quelque retour de mon enthousiasme de vingt ans.
Cette épopée ossianique à laquelle il croit entièrement,
sincèrement, en poète, elle revit sous ses pas :
J'étais heureux jusqu'au délire de retrouver dans mon cœur
tout le charme et toute la puissance de mes premières illusions,
1. Cliarles Nodier, Promenade de Dieppe aux montagnes d'Ecosse, 1821.
TOME II '21
41 8 Ossian en France
et d'en pouvoir jouir au bord des lacsdeFingal . .. car c'est bien
là que Fingal a régné, et que fleurit la milice héroïque des
demi-dieux d'Ossian... Je pouvais m'imaginer... parmi ces ro-
chers austères, dans ces tristes solitudes... que nulle voix n'y
avait retenti que la mienne, depuis que les chants de Selma
avaient cessé.
Puissance du souvenir et du rêve ! Les images, les mots
du texte anglais revivent pour lui, des expressions favorites
reviennent sur ses lèvres qui les ont jadis tant de fois répé-
tées, pour qui elles ont été une révélation de la poésie. Cette
vallée encaissée qu'il parcourt, c'est « Conas sileiit valc...
Les ombres d'Oscar et de Malvina étaient absentes, et l'on
distinguait à peine the roaring stream. » Quelle émotion l'a
saisi « sous les sapins de Balva », quand son guide, du
haut des monts d'Argyle, lui a dit « Voilà Morven ! » Et
ces précieux et chers souvenirs naissent en foule et accou-
rent de tous les points de l'horizon, car « on ne fait presque
pas un mille dans la montagne d'Ecosse sans trouver une
des salles d'Ossian, une des grottes de Fingal, la trace de
leur passage ou la place de leurs tombeaux ». Les habitants
vivent enveloppés et comme bercés de ces grands souvenirs.
Aux bords du Loch Lomond, le voyageur retrouve « les
noms d'Ossian, de Fingal, d'Oscar, qui sont parvenus avec
la mémoire de leurs faits et de leurs chants à tous les habi-
tants de ce rivage ». Sur leLochKattrine, la batelière chante
à Nodier « un chant gallique » qui sans doute parle d'eux.
Cette femme s'appelle Mannah ; c'est la Mohia d'Ossian ;
descendante des vieux Gaëls,elle montre sa sympathie pour
le voyageur, descendant des anciens Gaulois, « d'une ma-
nière aussi ingénieuse que touchante : gallique [gaëlich)^
me dit-elle en appuyant sa main sur mon épaule ; gallique,
ajouta-t-elle en la reportant sur son cœur. Cette idée d'une
parenté primitive expliquée par un nom me toucha jus(|u'aux
larmes. »
Tout cela convertit Nodier, car il prétend qu'il en avait
besoin ; il apportait en Ecosse l'opinion que Macpherson
était le plus hardi des faussaires,* erreur, dit-il, que j'avais
fait valoir d'une manière assez spécieuse dans une brochure
oubliée ». 11 fait allusion à l'opinion que nous avons retrou-
Necker de Saussure 419
vée dans ses Essais de litlérature légale. 11 repartira con-
vaincu qu'au contraire Macpherson n'a fait que rejoindre et
recoudre, comme l'ont fait sans doute Homère et Esope; et
cela « importe peu ». Ce qui importe, c'est que ces chants
ossianiques ont existé, et se sont conservés dans les mémoi-
res depuis quinze cents ans.
Enfin, ce qui est personnel à Nodier, c'est son explica-
cation physique de la croyance calédonienne aux ombres des
morts. 11 a observé sur le Loch Lomond les effets de lu-
mière qui ont créé la « mythologie des nuages ». Dans
l'Ayrshire, c'est plus frappant encore : « Toutes les ombres
des aïeux traînaient de montagne en montagne leurs vête-
ments à longs plis... troupe immense et pressée où l'on dis-
tinguait à peine... le casque aux ailes d'aigle de quelque
guerrier. » Ailleurs, ce sont des nuages qui reflètent les cou-
leurs et paraissent vivants. La conclusion, c'est que « la
mythologie d'Ossian est nécessairement fondée sur des vrai-
semblances physiques, comme toutes les mythologies ».
Celui-là est un poète, un rêveur, toujours aux confins
du possible et du réel, et son passé littéraire l'incline à
l'indulgence pour ce qui sent la fraude agréable et l'érudi-
tion suspecte. Mais voici un autre voyageur qui n'offre avec
lui que des contrastes. Necker de Saussure est Genevois ;
il est méthodique et scrupuleux ; il s'intéresse plus aux
réalités qu'aux apparences, plus aux certitudes qu'aux rêves.
Ses voyages en Ecosse ont rempli une partie des années
1806 à 1808 ; il les publie en même temps que Nodier le
sien '. Ses trois volumes écrasent sous leur poids la modeste
Promenade du sentimental rêveur. Son ample récit exact,
circonstancié, utile, donne peu de place aux ornements et
aux aspirations romantiques. Il est fort préoccupé d'Ossian,
mais non pas, comme Nodier, pour rêver à Malvina devant
les nuages : il collectionne les faits relatifs à la tradition
ossianique dans les Hautes-Terres, et les expose sans les
enjoliver. Ce sérieux Necker de Saussure agit presque comme
s'il était chargé de procéder à une enquête. A Dalmaly, il
fait visite au forgeron Mac-Nab, qui possède des manus-
crits des poèmes ; mais ces documents ont été envoyés à
1. L.-A. Necker de Saussure, Voyage en Ecosse et aux lies Hébride»,
1821.
420 Ossian en France
\a H/'/h/and Societf/ d'Edimbourg pour les besoins de l'en-
quête qu'elle terminait juste à ce moment. A Balaphaitrich,
chez M, Campbell, « un paysan, successeur des anciens
Bardes, récite ou plutôt chante des heures entières des
poèmes gaéliques ». Au même lieu, dans une cabane, un
vieillard récite un fragment de poème gaélique, que M. Mac-
GoU traduit en anglais. « Je reconnus aisément que le sujet
de ce morceau était la mort d'Oscar, telle qu'elle a été
publiée par Macpherson dans le premier livre de Temora.
Je remarquai en particulier le touchant épisode des deux
chiens, Bran et Luath, pleurant aux pieds du héros qui vient
d'expirer. » Dans l'île de Rum, un vieillard « nous divertit
beaucoup en chantant force chansons gaéliques » ; de même
les marins en voguant vers Staffa, vers cette fameuse grotte
de Fingal qui est « bien nommée du père d'Ossian » parce
qu'on « y rattache dans ces îles tout ce qui est grandiose
ou fabuleux ' ». La conclusion de ces témoignages diffé-
rents se dégage avec netteté : la poésie ossianique est la
poésie nationale des Hautes-Terres.
Mais Necker de Saussure ne s'en tient pas là. Il consacre
une grande partie de ses trois volumes à des dissertations
en règle, à de véritables traités consacrés, l'un à la langue
gaélique, le second à l^ authenticité des poèmes d'Os^ian^
le troisième à la poésie et la musique gaéliques \ Nous
n'insisterons ni sur la première de ces études, purement lin-
guistique, et qui aboutit à cette conclusion que l'Ecosse con-
serve plus de traces de l'origine orientale de sa langue que
les autres pays de l'Europe ; ni sur la troisième, qui donne
de longs détails sur la musique gaélique, explique la dif-
férence entre le clairseach^ qui est la harpe, et le cruth (la
rotte)(i{n\ est « une espèce de guitare ou de violon informe »,
et passe en revue les poèmes d'Ossian au point de vue de
leur métrique probable et de leur harmonie. Il faut s'arrê-
ter un peu plus sur le chapitre de près de cent pages con-
sacré à l'authenticité ^. Ici l'auteur se fait historien du dé-
bat, et c'est un historien scrupuleux, assez complet, et
généralement exact. Avant ces dernières années, il était
1. Tous ces passages sont empruntés au tome I, p. 240 à 473.
2. 4' partie, chap. 111, IV et V.
3. Tome III, 341-438.
Adolphe Blanqui 4» i
difficile de rien lire, au moins en français, d'aussi juste et
d'aussi précis sur la fameuse querelle. Impossible de résu-
mer ce bon résumé ; on voudra bien se reporter à mon In-
troduction pour se rappeler les faits. Je ne puis qu'indiquer
les détails intéressants que fournit l'auteur sur la Prière
d'Ossian et ses succédanés, sur la poésie ossianique d'Ir-
lande, l'excellent résumé qu'il donne de Laing. Ici je m'ar-
rête dans ces éloges: l'auteur, quand il écrivait ce chapitre,
ne connaissait pas encore l'édition de 1807, et les nouveaux
problèmes qu'elle posait. Il en est resté au Rapport de 1805,
qui d'après lui rend les deux thèses extrêmes également
insoutenables. Ses conclusions sont tout à fait prudentes,
mais plutôt favorables à une demi-authenticité.
Un ouvrage aussi considérable, signé d'un nom double-
ment illustre, rempli d'une érudition aussi agréable et aussi
sûre, pouvait contribuer à garder à Ossian l'attention du
public instruit. Le jeune Adolphe Blanqui ne paraît pour-
tant pas l'avoir lu quand il écrit son Voyage \ Mais il a
très probablement lu celui de Nodier. C'est là qu'il a sans
doute pris l'idée que la mythologie des anciens Ecossais leur
était suggérée par leurs nuages. « Rien n'agit plus singu-
lièrement sur les âmes que l'aspect sans cesse varié des at-
mosphères de l'Ecosse... Peut-être devons-nous aux brouil-
lards de la Glyde les beaux chants d'Ossian et les célestes
figures de ses vierges, créées par le génie de Girodet. »
Comme Nodier, le jeune voyageur a l'imagination facile-
ment attendrie. Il s'émeut en pensant que Napoléon aurait
pu être enfermé au château de Dumbarton, et que « le
vent d'Irlande lui aurait apporté les grandes images des en-
fants d'Ossian ». Il rêve, comme Nodier, devant « le Bal-
clutha d Ossian, d'où peut-être les âmes des héros s'élan-
çaient dans le sein des nuages ». Il aime « cet Elysée de la
Calédonie », et le préfère à ceux des anciens, au Styx, à la
barque de Caron.Il aime « ces harpes, ces vierges, ces doux
balancements au milieu des nuages, ce soleil d'automne qui
les éclaire, et jusqu'au frémissement du vent qui les agite... »
C'est de l'Ossian sans doute aussi, ces « airs chéris des mon-
tagnards » que jouent des jeunes filles dans une maison où
1. Adolphe Blanqui, Voyage d'un jeune Fra'içaisen Angleterre et en
Ecosse, pendant l'automne de 18-23, 1824.
42i Ossian en France
il est reçu en ami, ces « chants tristes et lents » qui « pa-
raissent empreints d'une langueur voisine de la monoto-
nie ' ».Le futur économiste n'a que vingt-cinq ans ; il a fait
son voyage au mois de novembre 182;i: novembre, triste
et mélancolique automne du Nord, pâles rayons du dernier
soleil, moment vraiment ossianique.
On peut s'étonner du peu de place que tient le paysage
ossianique et Ossian lui-même dans le Voyage d'Amédée
Pichot, si important à d'auti-es égards. 11 se contente de
nommer Macpherson « inventant un Homère celte*». C'est
que Pichot est surtout attiré en Ecosse par W. Scott: nous
l'avons vu rattacher celui ci à Ossian dont il serait le des-
cendant littéraire : il y a une étrange contradiction entre
ces deux attitudes. Ducos connaît mieux l'Ecosse, il l'a par-
courue deux fois, en 1814 et en 182G. A Dalnacardoch,les
nuages le font penser aux combats d'Ossian : il développe
cette idée, que le paysage céleste des Hautes-Terres a donné
naissance à la mythologie ossianique et, en revanche, l'évo-
que nécessairement. Il cite entièrement la plainte de Colma.
Il consacre trois pages et demie à Ossian ".
HI
De 1830 à 1850, l'influence ossianique est encore très
visible. Voici par exemple Buzonnière % voyageur systéma-
tique, et moins poète que spéculateur. Il va voir l'Ecosse
pour écrire la relation de son voyage, et son voyage se lira
peut-être parce que « l'enthousiasme qu'excita l'apparition
des poésies ossianiques et le succès qu'ont obtenu plus tard
les romans de Walter Scott » ont jeté de l'intérêt sur ce
pays. Il a confectionné un Itinéraire, et il a mis dans ses
Souvenirs le superflu de ses impressions. Il a lu, il apprécie
1. Blanqui, Voyaçje..., p. 199-204.
2. Amédée Pichot, Voyage historique et littéraire en Angleterre et en
Ecosse, 1825. II, 273.
3. [Ducos] Itinéraire et souvenirs d'Angleterre et d'Ecosse, 1834, III,
144.
4. L. de Buzonnière, Le Touriste Ecossais... \>récédé de Souvenirs d'un
Voyage en Ecosse, 1830.
Ducos. Buzonnière. Custine 4^3
diversement ses prédécesseurs, Faujas de Saint-Fond, Si-
mond, Nodier, Pichot,Necker de Saussure. Il écritenlSSO;
il est déjà bien moins qu'eux touché d'Ossian. Cependant
il a remarqué, le long des rives du Teith, l'importance des
nuages dans le paysage. Il a longuement admiré leurs formes
et leurs couleurs. « Alors, si la voix du Barde se fût mêlée
aux accords de sa lyre, j'aurais vu comme lui les armées
célestes se déployer dans les nuages... Il faut pénétrer au
sein de ces montagnes... pour bien compremlre le génie de
la poésie, de la mythologie, de la langue ossianique. » Lui
aussi a probablement puisé cette idée dans Nodier.
Ce voyageur peu connu est intéressant surtout en ce qu'il
offre un exemple du renforcement d'Ossian par Scott. Il cite
alternativement Fingal et La Dame du Lac. Même paysage,
ou à peu près ; mêmes sentiments. II y a donc des esprits,
vers 1830, à qui Scott n'a pas désappris Ossian, et qui sont
sensibles surtout à ce que les deux poètes ont de commun.
Ce qu'ils ont de commun, c'est notamment un certain genre
de paysage romantique que Buzonnière trouve parfaitement
réalisé à Roslin par exemple, et dont à ce propos il énu-
mère les caractères.
La même année paraît le Voyage de Charles de Custine *,
l'un des pèlerins les plus convaincus et les plus enthou-
siastes que l'Ecosse ait vus passer au cours de ce siècle. Ce
n'est pas lui qui oubliera Ossian pour Scott, ou qui les
confondra dans une même admiration. II appelle Scott « le
Rossini de la littérature » ; il lui reproche de ne pas parler
assez à l'âme; il le juge plutôt décorateur que peintre: ses
tableaux manquent de perspective. Il lui préfère hautement
Ossian. C'est avec respect qu'il pénètre dans ces Hautes-
Terres « dont le nom seul inspire une sorte de terreur poé-
tique ». Dès ses premiers pas, il rencontre un habitant qui
va vendre ses moutons ; ils viennent, dit l'homme, de Mor-
ven. « Quoi! des rochers de Morven ! Jugez de mon admi-
ration 111 Si je n'avais craint de passer pour fou, je les
aurais tous embrassés... Ils m'ont fait sentir la puissance
des noms. » Il salue avec émotion, près du Loch Kattrine,
le cimetière d'Ossian ; la chute de la Clyde, Cora-Linn,
1. De Custine, Mémoires et Voyages, 1830.
424 Ossian en France
« du château de Cora, chanté par Ossian» ; et sur le chemin
de Callender, le tombeau d'Ossia?i, « qui n'est, ajoute-t-il,
qu'un peu de terre ornée d'un nom poétique ».I1 remarque
qu' « en Ecosse, les ruines disent plus qu'ailleurs » ; sans
doute parce que la poésie ossianique est essentiellement
une poésie des ruines. « On ne peut oublier un instant que
c'est la patrie d'Ossian qu'on parcourt. » Hélas! pourquoi
faut-il que les « derniers enfants d'Ossian » soient de vul-
gaires laboureurs ? « Je ne suis pas venu dans la terre
d'Ossian pour la voir labourer. y> Encore moins est-on
charmé d'apercevoir une manufacture de coton, qui « n'a
rien d'ossianique ». De telles fausses notes sont rares. Ce
qui frappe ce pèlerin passionné, c'est le caractère mysté-
rieux, fatal, horrible dans sa sauvage grandeur, de ce dé-
sert peuplé de souvenirs. Dans un morceau poétique assez
heureux, il trace un tableau d'ensemble de la Galédonie
telle qu'il la voit à travers les chants du Barde.
Mais le souvenir de ses héros est-il encore vivant dans le
pays ? Un berger qu'il interroge ne le comprend pas, et
poursuit sa route en chantant d'un air triste «une chanson
qui disait peut-être les exploits de Fingal ou les amours de
Malvina». Le voyageur se fait traduire les chants « gaëlics»
d'un ménestrel « successeur d'Ossian »,et les imite en vers
français : six stances ossianiques. Mais lisait qu'Ossian n'a
guère cours chez les Ecossais. « Craindraient-ils de donner
des souvenirs à leurs bruyères et des charmes à leurs so-
litudes ? » Combien plus avisés et plus poétiques, pourrait-il
ajouter, les habitants de Clarens qui ont voulu avoir le
Bosquet de Julie 1 Macpherson a peut-être « défiguré »
d'anciens poèmes ; il n'a rien inventé. D'ailleurs, qu'im-
porte ? « L'Homère du Nord a pour jamais confondu son
nom avec celui de la contrée qu'il a chantée ; son esprit y
demeure, tout y est rempli de son souvenir... Il a rendu
cette terre essentiellement poétique, ou, ce qui est la même
chose, ossianique \ »
Panckoucke ' est moins explicite et moins enthousiaste ;
mais il appartient encore à la génération des voyageurs ossia-
1. De Gustine, Mémoires et Voyages, p. 245,265, 274, 301, 323, 333-383.
2. C.-L.-F. Panckoucke, L'Ile de Slaffa et sa grotte basaltique, 1831.
Panckoucke. D'Hardiviller 425
nistes. Non seulement maints détails le forcent à se rappeler
le Barde : Stafîa, « le palais gigantesque d'Ossian », le ba-
teau à vapeur la Fille de Morven sur lequel il descend la
Clyde ;mais les Hébrides, qu'il visite, lui paraissent évoquer
invariablement, par tous leurs aspects, le poète qui les a
révélées à l'Europe. Panckoucke a ceci de particulier qu'il
est plus ou moins artiste, et qu'il voit surtout Ossian à tra-
vers la peinture ossianique de l'Empire. Il connaît d'autant
mieux le « tableau magique » de Gérard que celui-ci lui a
« permis de le copier » ; il ^e plaît à en rappeler les détails
à ses compagnons de voyage. Il leur rappelle aussi la grande
toile de Girodet. Dans tel coin rocheux, au bord de la mer,
il lui semble voir Ossian « absorbé dans son improvisation».
Il le revit dans sa propre imagination et à travers celle des
artistes qu'il a inspirés. 11 faudrait citer cette page tout
entière. Et, absorbé dans ses souvenirs, il montre moins de
perspicacité que Custine.Il croit « qu'il n'y a personne dans
ces îles qui ne sache par cœur quelques-uns des hymnes du
Barde de la Calédonie » ; que « les noms d'Ossian et de ces
héros des sombres nuages charment toujours leurs oreilles ;
ce sont là leurs ancêtres, ce sont encore les Dieux du pays ».
Comme tant d'autres, Panckoucke ne fait pas son admi-
ration tributaire de son opinion sur l'authenticité. Il faut se
laisser prendre à Ossian comme à Homère, quoique l'un et
l'autre « soient probablement des noms supposés, mis en tête
de ces beaux poèmes dus au génie de plusieurs hommes » ;
il faut « se faire illusion et croire au vieux barde écossais »
quoiqu'il soit certain « que Macpherson mérite une grande
part de nos éloges ».
Le légitimiste d'Hardiviller ' est surtout intéressé par le
souvenir de Charles-Edouard, dont la destinée lui rappelle
celle de Henri V, seul roi de son cœur fidèle. Chose curieuse,
il ignore Walter Scott. Par contre, il est encore un peu sous
le charme d'Ossian : il parle de vieilles poésies calédoniennes,
d'un mauvais tableau représentant le vieil Ossian, de la
grotte qui porte le nom du Barde, « antre un peu façonné »
qui le laisse incrédule. Mais le Barde n'est responsable ni
du tableau ni de la grotte : le voyageur trouve qu' « Ossian
1. D'Hardiviller, Souvenirs des Highlands (1S32), 1835,
426 Ossian en France
seul eût pu dignement célébrer la beauté de ces lieux ».
On ne trouve rien dans l'ouvrage d'ailleurs prétentieux
et vide de Hennequin ', pour la bonne raison qu'il néglige
les Hautes-Terres. Mais d'autres se cantonnent systémati-
quement dans l'exploration de cette région, comme Mer-
cey, qui publie ses voyages en 1838 et en 18'i2'. Son Sco-
t'ia est peut être le meilleur de tous les ouvrages que nous
passons en revue. Il ne manque pas de saluer Dumbarton,
« le Balclutha d'Ossian, l'Ilion des Bardes ». A ce nom
de Balclutha, une foule de souvenirs se dressent devant le
voyageur : « C'était là que combattait Fingal, que régnait
Carthon, que soupirait la blonde tîUe de Cathmor \ » Dum-
barton-Balclutha a été pour beaucoup d'autres l'occasion de
se laisser aller au charme des souvenirs ossianiques. Notons
en passant que ces termes sont les termes mêmes dont
s'était servi Nodier, et qu ils n'en sont pas plus exacts pour
cela. Jamais Carthon n'a régné à Balclutha : Carthon dans
Ossian meurt à la fleur de l'âge. Il n'avait d'ailleurs que
trois ans quand Balclutha fut prise et incendiée. Ce détail
montre que Mercey, comme Nodier, a surtout retenu des
noms d'hommes ou de lieux, qu'il arrange un peu au hasard.
Insérons ici à leur date quelques descriptions géographi-
ques qui font une large place à Ossian. Le plus sérieux -de
ces ouvrages est un guide qui veut renseigner le touriste * ; il
ne manque pas de lui signaler les principales curiosités ossia-
niques du pays : ainsi, dans « le château de DunoUy qu'ha-
bita Ossian » on peut voir « l'énorme pilier de clach-na-can,
ou le pilier du chien, où l'on croit que Fingal attachait habi-
tuellement son fameux chien Bran». Ainsi Glencoe, « val-
lée sauvage et romantique, célèbre pour avoir, à ce qu'on
présume, donné le jour à Ossian ». Ainsi, d'après Faujas
de Saint-Fond, les « hymnes du Barde de la Calédonie »
que tout le monde aux Hébrides sait par cœur « depuis
l'adolescent jusqu'au vieillard ». On voit que si, comme l'in-
1. V. Hennequin, Voyage philosophique en Angleterre et en Ecosse,
1836.
2. Frédéric Mercey, Souvenirs d'Ecosse : le Duché d'Argyle et l'île de
Mull (Revue des Deux-Mondes, 15 juillet 1838). — Scotia, 1842.
3. Id., Scolia, II, 158.
4. Guide pittoresque du voyageur en Ecosse, 1838.
Mercey. Guides divers. Dousseau 427
dique Vlntroduction du volume, le goût de l'Ecosse est
en 1838 dû surtout au succès de Walter Scott, Ossian n'est
pas encore rejeté complètement dans l'ombre par son jeune
rival. Un autre ' enreg'istre la biographie traditionnelle du
Barde, « génie extraordinaire,dont les œuvresdevaient immor-
taliser l'Ecosse » ; il résume ses poèmes, mais il est clair que
tout cela est légende pour lui ; légende nationale, adoptée par
un peuple, mais légende tout de même. La première édi-
tion du guide Joanne, en 1852, est moins explicite. Il j est
question des bardes et de leurs chants, du tableau ossia-
nique dans YOssiatts Hall du duc d'Atholl, de la Tombe
d' Ossian " ; mais tout cela peut être aussi apocryphe et fa-
buleux que la Brèche de Roland. Son concurrent, Baede-
ker ^ ne fait que mentionner la grotte de Fingalk Staffa et
la grotte d' Ossian dans les Hautes-Terres. Si ces deux fa-
meuses collections avaient été entreprises vingt ans plus tôt,
il est infiniment probable qu'elles eussent donné à Ossian
une place importante, et cette place, il l'eût gardée à tra-
vers bien des éditions successives. Ainsi le Magasin Pitto-
resque, qui a été feuilleté avec tant d'intérêt par des lecteurs
de tout âge au milieu et dans la seconde moitié du siècle,
met sous l'invocation d'Ossian le lac de Glencoe. Ses poèmes
« semblent avoir été inspirés par le spectacle de ce lieu sau-
vage » ; et « tout y est plein de noms qu'on retrouve dans
les poésies ossianiques * ».
IV
Les voyages en Ecosse deviennent de plus en plus nom-
breux dans la seconde moitié du siècle, mais Ossian s'y fait
de plus en plus rare. Sans doute il se rencontre encore
quelques fidèles pour retrouver la trace du Barde dans les
lieux qu'il a chantés. Voici une de ces âmes qui ont foi en
1. Galibert et Pelle, Angleterre, Ecosse et Irlande, 1844.
2. Ad. Joanne, Itinéraire descriptif et historique de l'Ecosse, 1852,
p. 370-389.
3. Iv. Baedeker, Londres et l'Ecosse, 1875.
4. Magasin Pittoresque, V, 380 (1837) : Lacs d'Ecosse.
4^8 Ossian en France
Ossian.qui écoutent sa plainte mélancolique, et qui lui sont
reconnaissantes d'avoir donné une forme à leurs rêves ou à
leurs deuils. Dousseau a visité les Hautes-Terres en 18i9,
1841 et ISoS. Il écrit son livre sur Ossian * dans un âge
probablement assez avancé, et, comme Lamartine, il refuse
de brûler ce que jeune il adora. Son ouvrage commence par
une apostrophe aux monts, aux lacs, aux landes de la Calé-
donie ; cette apostrophe est d'un enthousiaste, mais non
point d'un naïf, encore moins d'un sot. L'auteur y donne la
note humoristique et même railleuse. Puis il reprend le ton
grave pour s'adresser au Barde :
Ossian, barde vénérable, chantre sublime, Homère du Mor-
ven ! cher Ossian, tu lésais, souvent je me suis assis à ton foyer...
Tu sais avec quelle studieuse sollicitude je me suis enquis de toi
et des tiens, avec quelle émotion j'ai entendu répéter les chants
de la muse à la fois si fière et si tendre... Aux lieux même où
tu pleurais ton Oscar. ..j'ai retrouvé des larmes pour ma Clara,
mon unique enfant, elle aussi moissonnée à la fleur de l'âge...
Depuis que ma fille n'est plus, je trouve un nouveau charme à
ta muse mélancolique.
Ainsi, un siècle auparavant, plus d'un père en deuil avait
entendu la voix d'Young pleurer son enfant. Et pour Dous-
seau comme pour Nodier, les héros et les vierges ossia-
niques peuplent encore de leurs fières ou gracieuses
silhouettes les vallées et les monts de Morven. « Souvent
j'ai cru les apercevoir dans leurs palais aériens, dans leurs
romantiques vallons...; le sombre Gaïrbar... menaçait Der-
mid ; la modeste Evirallin rougissait à ma vue. . » Le livre
comprend une description des Hautes-Terres vues du Ben-
Nevis, une histoire de l'Ecosse jusqu'au xviii" siècle, un
exposé assez exact de la question ossianique, une disserta-
tion sur les poèmes d'Ossian avec un essai de catalogue
résumé, un cadre général, et l'analyse de trois de ces poèmes:
Cath-Loda^ Fingai et Temora,ç\xà sont racontés chant par-
chant. On voit que cet auteur est un ossianiste à la fois
très fervent et très informé. 11 semble avoir lu Ossian dans
le texte anglais, et c'est pour cela sans doute qu'il reste sen-
sible à un charme qui pour tant d'autres s'est dissipé.
1. A. Dousseau, Ossjan, son siècle el sa patrie, 1862.
Derniers voyageurs ossianistes 429
Quelques autres, sans atteindre cet enthousiasme et sans
développer aussi amplement les raisons de leur culte, font à
Ossian une place importante dans leurs impressions d'Ecosse.
Enault est complètement tributaire de Walter Scott, qu'il
cite à chaque instant. Cependant il nomme Ossian à plu-
sieurs reprises. « Moi, dit-il, je ne lis [ici] qu'Ossian. » Il
trouve un interlocuteur qui le sait par cœur ; et il insère
dans son récit l'apostrophe au soleil de Carthon \ Cet enthou-
siasme subit et momentané paraît suspect de la part d'un
voyageur aussi prétentieux et faussement spirituel. Le tra-
ducteur de Werther devait, il est vrai, être prévenu passa-
blement en faveur d'Ossian. L'abbé Poisson est plus grave,
comme il sied à son habit. Il paraît connaître et aimer Os -
sian : « Nous touchions au pays qu'Ossian a chanté. Le
Barde avait de l'Homère... » Suit un petit parallèle, fait déjà
vingt fois depuis cent-trente-cinq ans, entre les deux aveugles.
L'abbé, presque seul, identifie Morveni, en face de l'île de
Mull, et le Morven ossianique. A ce propos, il insiste un
peu sur le Barde. « Les magnifiques chants d Ossian ont
cette tristesse pensive... » Et, pour le prouver, il cite un
passage de Cathula : « On croit lire Job... », et deux longs
morceaux des Chants de Selma ^ C'est peut-être la der-
nière fois que ces pages jadis célèbres ont paru en français,
exception faite pour les traductions de Werther. Les der-
nières éditions du guide Joanne nomment encore, à propos
de Kingussie, Macpherson « le traducteur d'Ossian », et
remarquent que « le pays est plein de souvenirs d'Ossian :
Selma, la capitale deFingal, etc.. ' » L'attitude de M'"" Marie-
Anne de Bovet est intéressante à noter *. Après avoir ra-
conté quelques épisodes des poèmes ossianiques : « Ne dites
pas que ce sont des fables ! » continue-t-elle, et, après avoir
résumé la controverse ; « Que me fait tout cela ?... L'ima-
gination, qui veut être dupée, cherche dans les ravins...
sur les grèves... les traces évanouies de Selma... » Et l'au-
teur poursuit en rappelant le sujet des Chants de Selma,
1. L. Enault, Angleterre, Ecosse, Friande, 1859, p. 227.
2. Abbé Poisson, Angleterre, Ecosse, Irlande, 1895, p. 150 et 161.
3. Guides Joanne: Angleterre, Ecosse, Irlande, 1908, p. 149 et 155.
4. Marie- Anne de Bovet, L'Ecosse, Souvenirs et impressions de voyage,
1898.
43o Ossian en France
en évoquant les bardes, etc... Tout récemment encore un
Voi/age eti Ecosse iaissiiih Ossian une large et honorable place.
M. Baraudon ' retrace la vie de Fingal, loue sa vertu en
191^ comme on le faisait en 176i, insiste sur Ossian et les
cu/dées, croit en somme aux poèmes ossianiques, constate
avec regret qu' « on les lit peu » quoique « ils renferment
des beautés de premier ordre », les rapproche d'Homère
et de la poésie biblique, consacre en somme au Barde
cinq pages qui témoignent, sinon d'une connaissance bien
sûre de son œuvre, du moins d'une réelle et sincère sympa-
thie.
Hors ces exceptions, la plupart des témoignages nous
font constater une décadence assez brusque, vers le milieu
du siècle, de l'influence et même de la renommée d'Ossian.
Nos voyageurs ne valent pas, en général, ceux qui les ont
précédés dans l'exploration du même pays : gentilshommes
chasseurs, touristes désœuvrés, publicistes aux gages de
grands éditeurs parisiens, littérateurs en quête de copie,
ils n'ont ni le talent d'un Nodier, ni la solidité d'un Saus-
sure, ni la culture littéraire d'un Amédée Pichot. Ceux qui
parlent d'Ossian à propos des Hautes-Terres, car il en est
encore, offrent le plus souvent le type des voyageurs français
d'autrefois, de ceux qui regrettaient le boulevard, qui po-
saient pour la galerie, quelle qu'elle fût, et qui cherchaient
surtout à placer des bons mots et à faire de l'esprit. Hs
font de leur mieux les plaisants ou les agréables, raillent
les mœurs écossaises, les autres touristes qui ont le malheur
de ne pas leur ressembler, et les souvenirs vrais ou faux de
la contrée. On montre à l'un d'eux la grotte </' Ossian : « Oui !
s'écrie-t-il, la grotte d'Ossian existe réellement * ! » Pour
lui, ce nom est purement fictif. Pour un des plus récents,
l'Ecosse n'est que le pays de Scott ; on y montre bien le
tombeau de Fingal, mais on le montre aussi en Irlande ^ !
Un autre, non moins spirituel *, cite bien Ossian une fois,
mais le paysage caractéristique des Hautes-Terres, dont il
note complaisamment l'impression grise et mélancoliijue,
1. Alfred Baraudon, i'n Ecosse, 1912.
2. Ch. de Boigne, Dans les Highlunds, 1852.
3. H. de Noussanne, Ecosse, 1912, p. 88.
4. F. Narjoux, En Angleterre, 1886.
Voyages récents 43 i
n'éveille en lui aucune association d'idées ossianique. Un
autre recommande l'excursion de Staffa et d'Iona « à tous
ceux qui ont entendu parler d'Ossian et de Cuchullin ' ».
Il a parcouru « ces lacs classiques, chantés par les Bardes » ;
mais ses termes mêmes font voir que le monde ossianique
est pour lui un monde poétique dont il ne nie pas l'exis-
tence réelle et l'intérêt, mais dans lequel il n'a jamais péné-
tré. C'est avoir au moins quelque teinture d'Ossian que de
parler, à propos d'Edimbourg, de « la splendeur ossianique
des nuits calédoniennes * ». Un autre compare l'Ecosse à
un paysage de Corot « dont le charme réside dans l'indéci-
sion des aspects ». Il estime la brume « nécessaire à cette
nature froide et sévère ». On attendait ici un ressouvenir
de la poésie ossianique. Mais le voyageur est trop averti
pour se laisser glisser sur cette pente. A propos de Belleville-
House, l'ancienne résidence de Macpherson, il aborde la
question ossianique, et la traite en deux pages, de manière
à régler son compte au « véritable Ossian, qui n'est autre
que Macpherson lui-même ' ».
Le plus grand nombre de nos voyageurs, à partir de 1860,
paraît ignorer complètement l'existence supposée et le nom
même du Barde. Déjà en 185:}, un touriste * qui décrit lon-
guement les Hautes-Terres, qui parle à chaque instant de
Walter Scott, même là où Scott n'a rien à faire, ne men-
tionne pas une fois Ossian et très certainement ignore jus-
qu'à son nom. Comme lui, le vieux Boucher de Perthes est
« hanté par le souvenir de Walter Scott ^ », mais non par
celui du Barde. M. Firmin Roz '^ parle de la littérature gaé-
lique de l'Irlande d'une part, et de la poésie des Hautes-
Terres d'autre part, sans la moindre allusion, soit au légen-
daire Oisin, soit à l'Ossian macphersonien. Rarement
omission fut plus significative. Même abstention dans les
voyages de P. Toutain ', qui visite le pays d'Ossian, d'Her-
1. Vérax, A travers l'Angleterre et l'Ecosse, 1888.
2. Comte Gustave Dillon, Impressions d'Ecosse, 190i.
3. Comte L. Lafond, L'Ecosse jadis et aujourd'hui, 1887, p. 97 et p. 11.
4. A. de Colombel, L'Angleterre et l'Ecosse à vol d'oiseau, 1853.
5. Boucher de Perthes, Voyage en Angleterre, Ecosse et Irlande en
■1860, 1868.
6. Firmin Roz, Sous la Couronne d'Angleterre, 1905.
7. P. Toutain, Dans les Highlands, 1879.
432 Ossian en France
meline i, qui passe à Dumbarton, de Chabot % de Villars^
C'est la fin. Depuis longtemps Ossian n'est plus connu
de la plupart des Français qui visitent l'Ecosse. S'ils avaient
lu ses poèmes, si apocryphe que fût pour eux l'ouvrage de
Macpherson, ils seraient frappés de leur rapport avec le
paysage des Hautes-Terres. Shairp estimait que « si Ton
se trouve seul sur les bruyères désolées de Rannoch » et
si l'on cherche « un langage pour exprimer les sentiments
qui pèsent sur le cœur », on ne le trouvera ni dans Scott,
ni dans Wordsworth, mais « dans la voix de Cona,et dans
elle seule. Il y a quelque chose — continue-t-il — dans l'es-
sence même des Hautes Terres qui... ne se trouve que dans
la poésie ossianique * » ; celle-ci, née dans ces montagnes,
est faite de la même substance qu'elles. Shairp croit à l'au-
thenticité ; sans y croire, nos touristes, s'ils avaient emporté
un petit Ossian de poche et possédé une connaissance même
limitée de la langue anglaise, eussent certainement été
frappés de cette profonde et intime ressemblance. Encore
une preuve de ce fait, que l'oubli d'Ossian par la raison
qu'il n'est pas authentique, ou simplement par le change-
ment du goût public, s'il prive la poésie d'une note, prive
aussi un aspect de la nature delà voix qui l'a le mieux exprimé.
1. Ch. Hermeline, A travers l'Europe, 1893.
2. Comte de Chabot, Noies de voyage, 1901.
3. P. Villars, L'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande (1885).
4. Principal Sliairp, Aspects of Poetry, p. 284.
CHAPITRE III
Derniers échos poétiques
1. Remarque préliminaire. Leconte de Lisle : Le Barde de Temrah. Ses
sources : La Villemarqué. Motifs et détails ossianiques. Le Massacre de
Mona. Analogie intime.
II. Quelques réminiscences isolées. Baudouin. Jacques Fernand. Quellien.
Calligé et son Ossian. La cantate Fingal pour le prix de Rome. Le
Fervaal de M. Vincent d'Indy.
Les voyages en Ecosse nous ont fourni une première mé-
thode pour constater le déclin du goût pour Ossian et de
la connaissance des poèmes ossianiques. Une seconde mé-
thode se présente à l'esprit. Elle consisterait à examiner
le plus grand nombre possible d'ouvrages poétiques posté-
rieurs au romantisme, afin de discerner, de doser les quan-
tités décroissantes d'ossianisme qu'ils renferment. Mais pour
rappliquer avec rigueur, il faudrait dépouiller un nombre
énorme de volumes publiés au cours d'une trentaine d'an-
nées, et le résultat serait peu intéressant. Car, autant que
j'ai cru m'en apercevoir au cours d'une enquête forcément
très incomplète, l'élément ossianique disparaît très vite de
la poésie chez les derniers romantiques et leurs successeurs.
Après 1830, on ne trouve plus guère d'ossianistes nouveaux.
Or, des traces trop rares ne prouvent rien. Il faut des témoi-
gnages en assez grand nombre pour que les courants se des-
sinent et que le hasard s'élimine dans la mesure du possible.
Aussi me contenterai-je, après avoir fait une place au plus
grand poète de la génération nouvelle, de noter quelques
survivances isolées.
434 Ossian en France
Victor Hugo dans sa Légende des Siècles n'avait rien
emprunté au cycle ossianique, ni en général aux mythes
celtiques. Leconte de Liste, dont l'œuvre présente avec cette
partie de l'œuvre du maître un si frappant parallélisme,
s'est au contraire, dans un de ses poèmes, inspiré à la fois de
la légende ossianique authentique et de l'esprit qui anime
les chants du Barde, tels que Macpherson les a composés.
Je veux parler du Barde de Temrah, qui n'est pas un des
chefs-d'œuvre du poète, mais qui a quelque splendeur fa-
rouche et sombre '. On se rappelle le sujet. Dans « la ver-
doyante Erinn » un étranger qui a quelque chose de divin,
un être visiblement envoyé de Dieu, apporte une foi nou-
velle : c'est le christianisme. Il va trouver, pour le conver-
tir, au fond des palais en ruine de Temrah, un vieux barde,
dernier représentant des croyances antiques. L'homme des
anciens jours résiste à ses efforts pour le persuader, et enfin,
dans l'espoir de rejoindre au ciel ses aïeux les glorieux Finns,
il se tue.
L'origine du poème est évidemment la légende que nous
avons rencontrée bien souvent, l'Entretien des Vieillards
entre Ossian et saint Patrick. M. Vianey - a trouvé la source
où Leconte de Lisle a puisé : c'est l'ouvrage de La Ville-
marqué, récemment paru lors de la composition du lîarde
de Temrah. L'auteur de la Légende Celtique rapportait en
effet cette tradition et donnait la traduction de la ballade
irlandaise \ Mais le poète n'a voulu traiter que l'arrivée du
saint et son entretien avec le vieux Barde ; il a laissé le
reste, c'est-à-dire la chasse de Fingal ; on peut regretter
quil n'ait pas conté cette jolie légende. D'autre part, même
dans l'entretien avec le Barde, le poète n'a qu'ébauché l'in-
téressante discussion dans laquelle le saint affirme que l'en-
fer a reçu les Finns, ce qui excite les protestations indignées
du dernier survivant de ces vaillants. C'est certainement
La Villemarqué qui a inspiré à Leconte de Lisle certains
détails qu'il ne trouvait que là :1e corps lalouê (p. 40), le
chef couronné de plumes (p. 7;}), le char du saint traîné par
1. Poèmes Barbares, 1862 : Le Barde de Tenu ah.
2. J. Vianey, Les sources de Leconte de Lisle, p. 200-210.
3. Hersart de la Villemarqué, La Légende Celtique en Irlande, en Ca.m-
brie et en Bretagne, 1859, p. 95-98.
Leconte de Lisie 435
deux buffles d'une blancheur éclatante (p. 49), la forme du
nom de Temrah, le palais, résideace des Fijins héroïques
(p. 96). C'est probablement là aussi qu'il a pris le thème de
la lamentation du vieux barde.
Mais M. Vianey, qui ne prononce pas le nom d'Ossian
à propos de cette question, admet implicitement que le poète
ne s'est inspiré que du livre de La Villemarqué, et ne doit
rien aux poèmes ossiano-macphersoniens. Comment se fait-
il donc qu'il ait écarté le nom d'Ossian ou Oisin, alors que
ce nom était répété à chaque instant dans le texte sur le-
quel il se fondait ? Qu'il Tait remplacé par celui de Mur-
doc h, qu'il est allé prendre ailleurs ? C'est très certaine-
ment une suppression volontaire. Ossian est suspect ; les
procédés de Macpherson ont été plus ou moins percés à
jour ; et Leconte de Lisle ne veut admettre qu'une anti-
quité authentique, Ossian est démodé et presque ridicule ;
son nom dans le recueil que le poète élabore ferait un effet
de déjà vu et de dessus de pendule. Gardons la légende, qui
est belle, et effaçons systématiquement le nom d'Ossian.
Comment se fait-il d'autre part que certains passages de ce
poème portent une marque évidente de l'influence plus ou
moins directe des poèmes ossianiques ? Nos contemporains
les plus lettrés ne lisent plus les chants du Barde ; ils ne
les connaissent la plupart du temps que par ouï-dire et très
vaguement, comme il est aisé de s'en assurer par les con-
versations qu'on peut avoir au cours de la préparation d'un
travail comme celui-ci : rien d'étonnant si les marques de
l'influence ossianique leur échappent, tandis qu'elles frap-
pent l'œil de celui qu'un long commerce a rendu familier
avec V Ossian de Macpherson ou de Smith. Leconte de Lisle
était, nous dit M. Vianey lui-même i, grand amateur de
"Walter Scott et de l'Ecosse : il est au moins vraisemblable
qu'au temps de sa jeunesse, à Rennes ou à Paris, dans les
milieux lettrés ou poétiques qu'il fréquentait, il a connu, il
a lu Ossian. Lacaussade, son compatriote, l'avait traduit
avec enthousiasme, et avec une exactitude qui dut plaire à
l'auteur des Poèmes Barbares. Enfin, si Leconte de Lisle
a connu la Légende Celtique de; La Villemarqué, qui est
1. J. Vianey, Les sources de Leconte de Lisle, p. 217.
4^6 Ossian en France
de 1859, pourquoi n'aurait-il pas connu l'Irlande de O'Sul-
livan, qui est de 1858, ouvrage autrement riche, poétique,
suggestif ? La ballade de la Chasse de Fingal s'y trouve
également tout au long, version anglaise et traduction fran-
çaise.
L'aspect traditionnel du Barde est le même partout : c'est
Le chanteur de Temrah, Murdoc'h aux longs cheveux.
Plus personnelle est son attitude, et l'on remarquera le
glaive et la harpe convenables à Ossian, chantre et guerrier;
la harpe traditionnelle, qui vibre d'elle-même au souffle
du vent :
Sa barbe et ses cheveux couvrent sa face austère.
Muet, les bras croisés, il suit avec ardeur,
Les yeux caves et grands ouverts, un sombre rêve,
Et courbe son dos large, où saillit la maigreur.
Sur ses genoux velus étincelle un long glaive ;
Une harpe de pierre est debout à l'écart
D'où le vent, par instants, tire une plainte brève.
L'évocation faite, par le barde, de la splendeur passée
de Temrah est absolument dans le ton de l'Ossian macpher-
sonien :
0 palais de Temrah, séjour des Finns célèbres,
Dit-il. où flamboyaient les feux hospitaliers,
Maintenant lieu désert hanté d'oiseaux funèbres !
Salles où s'agitait la foule des guerriers,
Que de fois j'ai versé dans leurs cœurs héroïques
Les chants mâles du Barde à vos murs familiers!
Et voici le classique morceau de la désolation de Balclu-
tha, si remarqué jadis, avec les mêmes détails, et beaucoup
d'autres que le poète a ajoutés :
Le lichen mord déjà le granit entassé,
Et l'herbe épaisse croit dans les fentes des dalles,
Et la ronce vivace entre au mur crevassé.
Leconte de Lisie 437
Les piliers et les fûts qui soutenaient les salles,
Epars ou confondus, ont entravé les cours,
En croulant sous le faix des poutres colossales.
Les reptiles surpris rampent sous les épines;
L'orfraie et le hibou sortent en gémissant,
Funèbre vision, des cavités voisines.
Rien de tout cela dans le texte de la Légende Celtique,
Et où Leconte de Lisle a-t-il pris, si ce n'est dans VOsnan
de Macpherson, la croyance que les âmes des héros siègent
dans les nuages et qu'elles s'y livrent à leurs occupations
préférées?
Viens ! les âmes des Finns, à l'opprobre échappées,
Dans la salle aux piliers de nuages brûlants
Siègent, la coupe au poing, de pourpre et d'or drapées.
Le glaive qui les fit illustres bat leurs flancs ;
Elles rêvent de gloire aux fiers accents du Barde...
0 chefs! j'ai trop vécu. Quand l'aube renaîtra,
Je vous aurai rejoints dans la nue éternelle,
Et, comme en mes beaux jours, ma harpe chantera.
Je veux bien que dans ce palais de nuages, plus somptueux
et mieux décoré que les nuées grisâtres où errent les ombres
des guerriers ossianiques, il y ait aussi un ressouvenir du
Walhalla et comme une contamination de Scandinavie. Le
phénomène était constant à propos d'Ossian. En tout cas
cela ne vient pas de La Villemarqué. Le curieux, c'est que
Leconte de Lisle n'a justement pas développé un passage
de la ballade authentique tellement analogue à VOssian
macphersonien qu'il paraît faire partie de ce dernier : « Le
Barde... avait cru entendre résonner près de lui le bouclier
de son père, et la voix de Fion gémir dans le vent de la
nuit. »
Ma conclusion sera que la principale source du poète a
été La Villemarqué, comme l'a très bien vu M. Vianey,
mais que Leconte de Lisle avait lu Ossian, qu'il s'en est
souvenu en écrivant son poème, et qu'il doit peut-être aussi
la connaissance de la légende à V Irlande de O'Sullivan.
^38 Ossian en France
Il faut mentionner encore Le Massacre de Mo?ia ', long
poème celtique dont la couleur générale est plutôt gauloise
(evhages, houx, penn-baz), mais qui doit peut-être au sou-
venir d'Ossian des passages comme celui-ci :
Et vous, chanteurs anciens, chefs des harpes bardiquea,
Qu'au pays de l'Eté, sur les monts fatidiques,
LeB clans qui ne sont plus ont écoutés souvent
Livrer votre harmonie au vol joyeux du vent!...
Leconte de Lisle est, comme Ossian, le poète des charmes
évanouis, des grandeurs qui ne sont plus ; il évoque, comme
lui, la splendeur des cités mortes et la beauté radieuse des
temps ou des pays lointains. Son domaine, ce n'est ni le
présent ni l'avenir : c'est un passé fait tout entier de rêve
et d'illusion. Maudisseur implacable des croyances, des joies,
des soucis de l'heure, il est, comme le Barde, figé dans un
regret et une plainte éternelle. Il y a entre Ossian et lui
plus qu'une rencontre de hasard : il y a une sympathie et
comme une ressemblance intime.
II
On peut rapporter à la même époque un poème inédit que
cite le répertoire littéraire de Staatî, à qui l'auteur l'avait
communiqué. Ce Chant du Nord mélange curieusement
les éléments Scandinaves (scaldes, Odin, rennes, hydromel)
et ossianiques (brouillards, nuages qui sont des fantômes,
« là-haut de grandes ombres»,, etc..) D'ailleurs le Barde y
est expressément nommé, et son père aussi :
Heureux l'enfant du Nord, g-uerrier, chasseur et barde.
Disciple favori du vieux maître Océan !
Dans sa main indomptée aujourd'hui seul il garde
Le glaive de Fingal et le luth d'Ossian -.
1. Poèmes Barbares, 1862 : Le Massacre de Mona.
2. A. Baudouin, C/ian< du Nord, dans StaafT, La Littérature française...
III, 607 (1S69-1870).
Derniers poèmes ossianiques 439
Ce disciple attardé est du moins raisonnable. En voici un
qui ne l'est guère. Les titres seuls de Jacques Fernand' ont
quelque chose d'inquiétant. Le chant IV de ses Comolations
poétiques a pour sommaire : Le.y nuages ! Formes et aspects
divers! Ossian! Les Messagers du co'ur ! Mirages ! [V auteur
fait un emploi excessif du point d'exclamation). Le § II
est consacré au Barde ;
0 sublime Ossian! tes héros vaporeux,
Redoutables guerriers, ou charmants amoureux,
Apparaissent debout, au milieu des nuages,
Sombres et menaçants comme les noirs orages!
Et pendant dix-huit vers le poète dépeint les occupations
de ces héros; il finit par évoquer la « haute stature » de
Fingal, que le « chant solennel » de son fils a rendu « po-
pulaire, immortel ».
Deux poèmes de circonstance rappellent encore Ossian.
L'un ne contient qu'une réminiscence générale, et son cel-
tisme n'est pas purement ossianique ^ ; les idées, les images
et, autant qu'on peut deviner la mélodie des paroles bre-
tonnes, la poésie, en ont beaucoup de charme. L'autre est
tout à fait sous la dépendance du Barde ^; c'est une ample
machine lyrique de 200 vers, où rien ne rappelle la reine
d'Angleterre à laquelle le poème est adressé, où rien n'est
d'actualité. C'est évidemment l'épanchement d'un esprit
poétique plein de la lecture d'Ossian, qu'il connaît par la
traduction Christian. Comme dans les poèmes, c'est Ossian
lui-même qui chante ; parmi un grand nombre de noms ossia-
niques, Malvina, Comala, Agandecca, Vinvéla, Oscar, Tren-
mor, et parmi les inévitables météores, s'expriment quelques
pensées philosophiques, empreintes de la pure mélancolie
propre aux chants du Barde.
A la même époque, Ossian faisait les honneurs des can-
tates du prix de Rome. L'auteur du poème que l'Institut
1. Œuvres de Jacques Fernand... Tome V, 1873 («envoyé à l'édileur en
1871 »), p. 288.
2. Quellien, Bardit lu sur la tombe de Brizeux..., 9 septembre 1888.
3. Alph. Galligé, Ossian, ode, 1885.
440 Ossian en France
proposait aux candidats avait choisi Fingal pour son héros'.
M. Hillemacher, qui obtint le premier grand prix, et M.Marty ,
qui obtint le second grand prix, tous deux élèves de Mas-
senet, s'inspirèrent donc de cette cantate à trois person-
nages. C'est à peu près le sujet du poème de Comala (que,
je ne sais pourquoi, l'auteur écrit Comalha). Comala croit
avoir perdu son amant Fingal dont le traître Hidallan lui
annonce faussement la mort, et meurt de joie en le retrou-
vant. La poésie est fort ossianique, et le paysage est même
assez poussé :
L'ombre tombant des monts s'étend sur les bruyères ;
De tremblantes lueurs errent dans les clairières ;
La première étoile luit...
Et partout Tremmor, le Carron, les spectres de Lodas
(pour la rirtie) :
Les fantômes hagards, sur le bord des nuages,
Avancent leurs pâles visages...
Et des harpes, et des bardes, et Morven, et Selma, et
lapostrophe inévitable :
Déchaînez-vous, vents de l'automne,
Eclatez, orages amassés...
Il y a dans cette reprise d'un thème qu'on aurait cru ou-
blié quelque habileté harmonieuse.
Nous avons déjà écouté le Werther de Massenet. Le Fer-
mai de M. Vincent d'Indy - semble répéter à distance un
écho de certains thèmes ossianiques qui lui ont peut-être
été transmis par la Velléda de Chateaubriand. Son Arfagard,
le dernier des druides, représente une civilisation et des
croyances qui meurent ; il a ses bardes, et il règne dans
l'œuvre un ton celtique qui relève de l'ossianisme. Rien
d'analogue dans la Velléda de M. Lenepveu ', vaguement
gauloise, et très peu colorée.
1. Ch. Darcours, Finçial, poème dramatique, 1880.
2 Fervaal, action musicale, paroles et musique de Vincent d'Indy, 1895.
3. Lenepveu, Velléda, opéra (paroles de Ghallemel et Chantepie , 1888-
CHAPITRE IV
j ugements rétrospecti f s
sur Ossian et l'ossianisme
I. But et plan de ce chapitre. — Les celtomanes. La Villemarqué. — Renan
et la poésie des races celtiques. Analogie du celtisme d'après Renan
et de l'ossianisme. La mélancolie de Firdousi et celle d'Ossian. — Les
celtisants. D'Arbois de Jubainville et divers.
II. Les ossianistes intéressés. Saint-Geniès. Lacaussade. Dousseau. —
L'Irlande deO' Sullivan. Jugement d'un Irlandais sur Ossian. Les frag-
ments cités : La Chasse de Fingal.
III. Etudes et jugements divers. — Première période (1830-1870). Etudes
consacrées spécialement à Ossian : Ampère, du Méril, Eichhoff ; le
grand travail d'Ad. Pictet ; Ph. Chasles. Jugements favorables : Pon-
sard à l'Académie. Le celtisme dans la littérature française ; Michiels ;
Staaff. Opinions indécises. Jugements défavorables : Quinet ; quel-
ques Revues ; H. Rigault; Taine.
IV. Deuxième période (1870-1914). La critique universitaire: Paul Albert ;
Angellier. Les articles des Revues et des journaux. L. Etienne. Arvède
Barine. Henry Roujon. Quelques études littéraires. Quelques glanes
récentes.
V. Les encyclopédies et les dictionnaires, de la Biographie Universelle k
la Grande Encyclopédie. — Les Histoires de la littérature. — Les mots
dérivés d'Ossian dans les grands dictionnaires de la langue française-
Mieux que les trop rares réminiscences qu'après 1830
offrent les nouvelles générations poétiques, l'étude des tra-
vaux historiques ou critiques qui d'une manière quelconque
traitent d'Ossian nous fournira une méthode de plus pour
constater le déclin de la fortune du Barde en France, et
pour en apprécier la rapidité. Passant en revue d'abord les
rêveries des celtomanes, les travaux des celtisants, les apo-
logies intéressées de ceux qui ont traduit Ossian ou lui ont
voué un culte pour des raisons particulières, nous arrive-
442 Ossian en France
rons ensuite aux études diverses qui Tont pour objet ou le
citent avec quelque détail. Nous répartirons ces travaux en
deux périodes, avant et après 1870. Nous terminerons par
l'examen des ouvrages de référence ou d'étude où l'on p3ut
encore rencontrer le nom d'Ossian. Nous verrons ainsi la
ruine de l'authenticité entraîner avec elle la ruine de la
poésie ossianique comme source d'émotion ou même d'in-
térêt ; et, à la base de ces historiques et de ces jugements,
nous constaterons une ignorance presque universelle du
texte même des chants attribués au Barde.
Les celtomanes foisonnent depuis le milieu du siècle ; je
dis les celtomanes, et non les celtisants. L'un d'eux va dans
son lyrisme jusqu'à composer des hymnes à la lune que
devaient chanter les Druides, les Bardes : mais il ignore
Ossian '. Un autre le cite comme preuve que la poésie jouait
un grand rôle dans les fêtes et dans le culte rendu aux hé-
ros '. Un autre, qui place la Né/.jta de V Odyssée chez les
Celtes, admire « les poèmes fameux par lesquels les Talie-
sin, les Ossian ont maintenu si haut le caractère de la na-
tion ' ». Un disciple de Bouché et de Cailleux, dans un livre
tout récent, destiné à collaborer au mouvement de renais-
sance celtique, se montre fervent d'Ossian : « Oui, ce Barde
a existé, ce n'est point un mythe. » Mais il n'est pas l'au-
teur de tout ce que Macpherson a publié sous son nom *.
Un autre apôtre du « réveil celtique » croit encore que
l'on peut retrouver « ce qui reste des chants du iils de Fin-
gai, disjecti memhra poetœ », dans les textes publiés « à
Edimbourg 5». L'auteur confond les deux Highland Societies
et leurs travaux. Nous ne trouvions pas au début du siè-
cle une telle ignorance de la question chez qui se mêlait
d'en parler. Ossian manque cependant dans l'ouvrage qui
explique l'origine commune des Celtes par l'Atlantide de
Platon".
1. J.-B. Bouché, Druides et Celteà, 1848.
2. David de Saint-Georges, Histoire des Druides, 1845.
3. Th. Cailleux, Origine celtique de la civilisation de tous les peuples,
1878.
4. Ernest Bosc, Bélisamaou l'Occultisme celtique, 1910.
5. Gh. de Gaulle, Les Celles au XIX' siècle : le réveil de la race, nou-
velle édition, 1903.
6. H. Hirmenech, Les Celtes et les monuments celtiques, 1906.
Renan 443
Il faut placer à côté de ces enthousiastes un peu rêveurs
Hersart de la Villemarqué, qui a passé sa vie à donner aux
poèmes ossianiques des pendants bretons i. De sources lo-
cales il a tiré des poèmes nationaux, d'une manière que je
n'ai aucune compétence pour apprécier, mais qui le fait
considérer par certains celtisants comme une espèce de Mac-
pherson français. Il a parlé aussi de poésie galloise ; il ren-
contrait à chaque instant Ossian sur son chemin ; il a tra-
duit l'Entretien légendaire duvieux Barde avec saint Patrick,
mais V Ossian de Macpherson et de Smith n'est pas nommé,
je crois, dans ses ouvrages.
Un autre Breton plus illustre doit retenir quelque temps
notre attention. Celte de Bretagne, fier de sa race et de sa
patrie, dont il parle fréquemment, avec une dilection ten-
dre ; trop fin et trop bien informé du mouvement de l'éru-
dition pour ne pas apercevoir à peu près la vérité sur la
question ossianique, Renan n'avait pourtant aucune raison
d'étudier Ossian en lui-même. Il n'a même laissé aucun té-
moignage explicite de l'effet que les poèmes du Barde avaient
produit sur lui. Mais qu'il les ait lus dans ses années de
formation intellectuelle, ses Cahiers de jeunesse suffisent
à le montrer. Au séminaire, à vingt-trois ans, les études
bibliques qu'il poursuit avec passion l'amènent à s'intéres-
ser très vivement à tout ce qui est poésie primitive, ou à
tout ce qui se donne pour tel. « Toutes ses poésies primi-
tives se ressemblent... Ossian, nos troubadours, les chants
primitifs hébreux sont lyriques'. » Un autre jour, il parle
avec enthousiasme de « la littérature primitive », telle qu'on
la trouve dans « Ossian, Homère, les poètes vraiment ins-
pirés, transportés par l'idéal, pour qui tout cela n'était pas
jeu et feinte '... » On devine que le jeune clerc n'a que mé-
pris pour les littératures modernes. Ossian est pour lui, comme
pour Diderot, Grimm et Suard quatre-vingt-cinq ans aupa-
ravant, le type du vates inspiré, du seul poète digne de ce
1. Th. Hersart de la Villemarqué, Barznz-Breiz, Chants populaires de
la Bretagne, 1845. Poèmes des Bardes. bretons du VI' siècle, 1850. Poè-
mes bretons du Moyen Age, 1879. La Légende celtique en Irlande, en
Cambrie et en Bretagne, 1859.
2. Renan, Cahiers de jeunesse, p. 124.
3. Ib., p. 307.
444 Ossian en France
nom. Mais la grande différence, c'est que Renan, à de cer-
tains jours, obéit à un besoin tout nouveau d'information
et de critique. L'esprit du siècle a traversé les murs du sémi-
naire, et son propre génie l'incline à l'investigation histo-
rique. Il se pose la question de l'authenticité en des termes
sur lesquels nous allons revenir: <-< Pour admirer il faut savoir
si ceci est expressif du vrai, et pour cela il faut savoir de
qui c'est '. » Ses lectures ossianiques ne se bornent pas d'ail-
leurs au recueil de Macpherson complété peut-être par celui
de Smith : car il cite la conversation du Barde avec saint Pa-
trice '. Comment a-t-il connu cette légende ? Ni Vlrlande
de O'Sullivan ni la Légende Celtique de La Villemarqué
n'avaient encore paru. Renan pouvait lire une version de cet
Entretien soit dans des textes anglais (mais comment se les
serait-il procurés, et lisait-il alors cette langue?) soit dans la
Décade, où. Labaume l'avait traduit (mais la Décade philo-
sophique avait-elle pénétré dans le séminaire?)
Quelques années plus tard, Renan mettait encore les « chants
héroïques de l'Ecosse » à côté de ceux des Scandinaves, des
Niebe'lungen et d'Homère % mais ici il suivait Fauriel. Sur-
tout Ossian lui sert d'exemple pour avancer un paradoxe
bien connu sur la vraie admiration littéraire, qui ne peut
être qu'historique. « Si les chants ossianiques de Macpher-
son étaient authentiques, il faudrait les placer à côté d'Ho-
mère. Du moment qu'il est constaté qu'ils sont d'un poète
du xviii" siècle, ils n'ont plus qu'une valeur très médiocre*.»
Ce n'est pas le seul paradoxe que contiennent ces pages d'es-
thétique, écrites avec tant de hardiesse et de verve, bouil-
lonnantes de jeunesse et de sève, mais un peu aventureuses
parfois. Ce n'est pas ici le lieu de discuter à fond cette théo-
rie, qui refuse à l'œuvre d'art toute autre valeur que celle
de document : le sujet est immense, et la seule bibliographie
des livres ou des articles qui l'ont examiné présenterait déjà
d'intimidantes proportions. Je me borne à remarquer que la
thèse du jeune Renan est directement opposée à celle que
nous avons rencontrée sous la plume de certains critiques
1. Renan, Cahiers de jeunesse, p. 356.
2. Ib., p. 145.
3. Kenan, L'Avenir de la Science (1!548), p. 265.
4. 7ib.,p. 190.
Renan 445
qui prétendaient se laisser aller au charme intrinsèque de
l'œuvre : à leur impressionnisme radical, comme au dogma-
tisme absolu des rhéteurs, s'oppose son historicisme intran-
sigeant. Nulle part, mieux que sur le terrain ossianique,ne
s'affrontent les théories ou les principes les plus généraux
de l'histoire littéraire et de l'esthétique.
J*ai hâte d'arriver au fameux article sur La Poésie des
Races celtiques ', où Ossian n'est nommé qu'une fois (tou-
jours à propos de son entretien avec Patrick), mais où l'au-
teur s'inspire continuellement d'une conception du génie
celtique qui ne serait pas autre s'il avait été enfermé sa vie
durant en tête à tête avec Y Ossian de Macpherson. Le pay-
sage d'abord : il ne prétend décrire que la Bretagne bre-
tonnante ; mais peindrait-on sous d'autres traits la Calédo-
Un vent froid, plein de vag-ue et de tristesse, s'élève et trans-
porte l'âme vers d'autres pensées... ; la bruyère étend au loin
sa teinte uniforme... ; une mer presque toujours sombre forme
à l'horizon un cercle d'éternels gémissements.
Voici maintenant les sentiments moraux et leur pureté
caractéristique, cette délicatesse et cette fleur de vertu qui
a excité tant de fois dans Ossian l'admiration enthousiaste
des uns et la raillerie sceptique des autres.
Ce qui frappe au premier coup d'œil dans les compositions
idéales des races celtiques, surtout quand on les compare à cel-
les des races germaniques, c'est l'extrême douceur des mœurs
qu'on y respire... un profond sentiment de la justice... un grand
besoin de dévouement, une exquise courtoisie .. Le héros kym-
rique semble dominé par des habitudes générales de bienveil-
lance et une vive sympathie pour les êtres faibles.
C'est Fingal, c'est Gaul et son fidèle Morni, c'est Oscar;
et le contraste qu'indique Renan avec les rudes barbares
germains était déjà marqué par tous ceux qui, quatre-vingt-
dix ans avant lui, opposaient la noble conduite du vertueux
Fingal aux rauques colères de Régner Lodbrog et des guer-
1. Revue des Deux-Mondes, 1" février 1854.
44^ Ossian en France
riers deVEdda. Voici enfin la mélancolie ossianique, l'atti-
tude habituelle de tristesse et de regret, le regard jeté sur
toutes les profondeurs de l'âme :
... Ils pleurent plusde défaites qu'ils ne chantent de victoires...
Jamais on n'a savouré aussi longuement ces voluptés solitaires
de la conscience, ces réminiscences poétiques où se croisent à
la fois toutes les sensations de la vie, si vagues, si profondes, si
pénétrantes, que pour peu qu'elles vinssent à se prolonger, on
en mourrait, sans pouvoir dire si c'est d'amertume ou de dou-
ceur.
Langage délicieux et véritablement enchanteur, où tous
les anciens lecteurs d'Ossian auraient reconnu l'impression
que leur faisaient les chants du Barde, et cette douceur
énervante et cette saveur d'arrière-saison qu'aucun poète
jamais ne leur avait fait goûter avant lui. Et lui-même,Re-
nan, quand il s'attendrit sur cette race dispersée, étoulTée
sous des civilisations plus vigoureuses, quand il évoque ses
grandeurs passées et en partie légendaires, et quand il dé-
plore la disparition future des derniers restes du génie cel-
tique, quand il répète les paroles de Patrick à Ossian :« Les
héros que tu pleures sont morts ; peuvent-ils renaître ? »
ne rappelle-t-il pas en quelque façon l'attitude pensive et
recueillie du Barde ; ne chante-t-il pas lui aussi le chant fu-
nèbre d'une race et de tout un monde glorieux ?
Il est possible également que Renan ait pensé à Ossian
lorsqu'il déruiissait les caractères de l'épopée '. Les légen-
des ossianiques de l'Irlande ou de l'Ecosse offrent on effet
un bel exemple de ces épopées qui se sont, suivant son
expression, « arrêtées en chemin ». Le critique constate chez
Firdousi certaine tonalité générale et certains sentiments
qui le rapprochent singulièrement du Barde de Morven.
Cette ressemblance entre le grand poète persan et l'Ossian
macphersonien est surprenante en effet, et ne peut manquer
de frapper quiconque lit la grande traduction de Jules Mohl,
pour peu que les passages les plus importants et le ton
général des poèmes ossianiques soient restés dans sa mé-
1. Henan, My/am/es d'histoire et de voi/açfes, p. 137: J^e Scliali A'a-
me/i (1877).
Les celtisants 44,7
moire. Nous avons déjà cité Firdousi au début de cet ou-
vrage, à propos de Carthofi. Renan note sa « notion mélan-
colique de la destinée humaine », sa « réflexion âpre et
résignée » ; il cite cette phrase qui rappelle, ajoutons-le, de
façon saisissante, un mot bien connu de Pindare : « Le
monde n'est qu'un rêve qui passe. » Sans s'attarder à cons-
tater à quel point ce sentiment est commun à Homère, à
Hésiode, à Pindare, à Simonide, et à tant d'autres venus
après eux, Renan dit seulement que Firdousi offre la même
poésie que celle des races celtiques, parce qu'il est indo-
européen. Ce caractère commun devait frapper celui qui
faisait des livres sémitiques son étude habituelle. Il nous
explique la ressemblance que nous constatons. Firdousi n'a
pas connu le légendaire Ossian, et n'a pas été connu de
Macpherson. Mais celui-ci, qui savait ses classiques, et qui
était homme, a trouvé des accents semblables par l'affinité
des âmes et des races à ceux de l'auteur du Livre des Rois.
On s'attarderait volontiers à écouter ce penseur et ce
poète. Il nous a ramenés chemin faisant du groupe des cel-
tomanes chimériques à celui des celtisants savants et pré-
cis. Ceux-ci rencontrent souvent Ossian sur leur chemin.
Inutile de dire qu'ils le considèrent sous un jour tout diffé-
rent, mais qui pourrait, si leurs travaux étaient plus connus
du grand public, ramener sur lui l'attention. D'Arbois de
Jubainville, qui s'est, comme on l'a vu, beaucoup occupé du
cycle ossianique, a éprouvé le besoin, au cours de ses sa-
vants travaux, de refaire l'histoire du succès d'Ossian en
Europe ', A vrai dire, il a un peu l'air de découvrir Tossia-
nisme. Il va jusqu'à citer entièrement le passage de Wer-
ther, y compris le morceau des Chants de Sehna, dans la
traduction de Pierre Leroux, C'était, on l'avouera, noircir
des pages pour peu d'utilité. M. Dottin, en rappelant les
trois cj'cles héroïques irlandais, se borne à citer Fingal et
Ossian ^ JM. Boivin cite l'entretien célèbre de saint Patrick
avec, non pas Ossian cette fois, mais le druide Dublak^ Ce
druide s'informe : « Où iront demeurer Finn et le grand
1. D'Arbois de Jubainville, Cours de Littérature Celtique, V, p. xviii-
XXVII.
2. G. Dottin, La Religion des Celtes, 1904, p. 8.
3. L. Boivin, La. Bretagne et l'âme celtique, 1898, p. 51.
44^ Ossian en France
Ossian? — En enfer! » Telle est la réponse charitable de
l'homme du nouveau Dieu.
II
En dehors des celtomanes et des celtisanls, nombreux
sont ceux pour qui la voix de Gona ne s'est pas éteinte.
Mettons d'abord à part les jugements de ceux qui ont
des raisons particulières de s'intéresser à Ossian, ou dont
Tadmiration s'associe à une incurable naïveté. Saint-Ge-
niès,qui prépare une grande traduction qui n'a jamais paru,
croit à Ossian d'une foi totale et candide. 11 le considère
encore comme l'égal d'Homère et de Dante, comme « un de
ces noms éternels qui ont traversé tous les siècles en
triomphe ». Il constate que « son succès n'a point été altéré
par les révolutions survenues dans notre littérature et par
la lutte des classiques et des romantiques... Ossian, si bien
apprécié du temps que le classique dominait, est réclamé
par la poésie romantique dont le Nord de l'Europe est le
berceau ». Sa conception de 1'* Homère du Nord » est en-
core plus large que celle de M"" de Staël, à laquelle il se
rattache. Pour lui, le succès d'Ossian est immense, absolu,
légitime : il ne mentionne même pas les réserves des scep-
tiques. Nous avons vu Lacaussade saluer en Ossian un
des génies mères de l'humanité, et lui attribuer les carac-
tères nouveaux de la poésie au xix° siècle. Dousseau, qui
fait le voyage d'Ecosse pour fortifier et nourrir son admi-
ration, est encore plus naïf. Ses éloges d'Ossian offrent une
litanie de perfections. En fait de religion, le barde est supé-
rieur à Moïse, à Homère, à Mahomet. Pour la conformité
aux lois de l'épopée, il rendrait des points à Homère, et
Aristote eût pu le donner pour modèle. Homère parle mieux
« et surtout plus longtemps » ; Virgile est « plus habile,
plus harmonieux » ; mais ce n'est qu'un « laborieux arran-
geur ». Ossian, supérieur à tous deux, « ressent plus pro-
fondément » que le premier, et « l'emporte » sur le second
« par les sens et parle cœur ». On voit que Dousseau s'ins-
pire de Blair directement ou indirectement. Et, pour finir,
L' « Irlande » de O'Sullivan 449
cette fîère proclamation qu'aurait signée Lamartine : « Nous
ne doutons pas plus d'Ossian que de Corneille. » 11 y a
juste un siècle qu'Ossian a fait son apparition en France,
et l'on voit qu'il a encore de chauds, d'enthousiastes par-
tisans.
Il faut ranger dans la même catégorie nettement apolo-
gétique celui de tous les ouvrages publiés en France vers
le milieu du siècle où Ossian tient la plus grande place : Je
veux parler de V Irlande de O'Sullivan. Ce professeur d'anglais
dans divers collèges de Paris, bien connu par ses éditions
classiques et par diverses autres publications, paraît avoir
possédé, à en juger par cet important ouvrage, avec un
esprit vif et facile, une singulière incapacité à composer et
à organiser. Son Irlande ' est le désordre même, comme
on va le voir ; et cependant c'est un livre intéressant, riche
de textes et de détails curieux. Et ce livre a joui d'une assez
large diffusion : on le trouve dans les bibliothèques de pro-
vince ; il figure dans de nombreux catalogues de collections
particulières, et la qualité universitaire de son auteur lui a
ouvert les bibliothèques de nos lycées où on le rencontre
fréquemment. Impossible de le feuilleter quelque temps
sans se trouver replongé dans le monde ossianique.
L'ouvrage se rattache au grand mouvement irlandais du
commencement du siècle. 11 est destiné à faire mieux con-
naître l'Irlande, et particulièrement sa littérature nationale.
Il comprend : un Précis de l'histoire d'Irlande ; un Essai sur
les antiquités et la littérature irlandaise — qui est la confu-
sion même,et qui abonde en idées bizarres, comme celle de voir
du vieil irlandais dans le discours carthaginois du Pœnulus
de Pkute ; on sait d'ailleurs que le celtique a la spécialité
de susciter les rêveries linguistiques les plus étranges — ;
enfin un appendice de 240 pages, sorte de recueil de Poésies
des Bardes. Dans ces trois parties, Ossian joue un rôle im-
portant. L'Irlandais O'Sullivan sait à quoi s'en tenir sur
l'authenticité de « ces brillantes fables qui, sous le nom em-
prunté d'Ossian, ont pendant si longtemps ébloui et trompé
l'univers ». Il a reconnu dans le Barde, avec tous ses com-
patriotes, le légendaire et national Oisin de l'Irlande. No-
1. D. O'Sullivan, Irlande, Poésies des Bardes, légendes, etc.. 1853.
TOMB II ')Q
4^0 Ossian en France
tons en passant que, plus avisé que plusieurs celtisants,
O'Sullivan reconnaît que « les montagnards du Nord de
l'Ecosse finirent par sapproprier les héros et les chants
irlandais ». Ailleurs cependant, pour vanter le mérite de
FOisin irlandais, O'Sullivan cite l'autorité de Blair et trans-
crit ces phrases sentencieuses et cicéroniennes dans lesquelles
le grave docteur portait aux nues les sentiments et l'art de
VOssian de Macpherson. L'auteur, qui a l'enthousiasme un
peu confus et un peu diffus, fait flèche de tout bois : il mé-
lange d'une manière déconcertante le traditionnel et le sup-
posé. Et cependant son recueil a un double avantage.
D'abord on a pu lire par lui un morceau de poésie irlan-
daise qui complétait curieusement la légende et la figure
d Ossian. Il donne La Chasse de Fingal dans une double
traduction, l'une en vers anglais, et l'autre en prose fran-
çaise. Les strophes anglaises, du mètre traditionnel de la
ballade, suivent de très près le rythme du gaélique, dont
cinquante strophes sont données à titre d'exemple. Le lecteur
français, surtout s'il lisait un peu l'anglais, pouvait retrou-
ver dans ces pages, mieux que nulle part ailleurs, l'impres-
sion des ballades originales que Macpherson avait si habi-
lement exploitées et si dédaigneusement raillées. Il y décou-
vrait, à travers la traduction « littérale » de Miss Brooke,
le rythme vigoureux, bien scandé et martial, dont la prose
de Macpherson avait retenu quelques caractères ; il y retrou-
vait tel tour familier au lecteur d'Ossian : Patrick of the
placid mien ; et l'accent de mélancolie, et le deuil au sou-
venir des gloires qui ne sont plus.
D'autre part, O'Sullivan citait une quantité considérable
de passages de VOssian de Macpherson, qui prenaient ainsi
plus de valeur rapprochés des textes irlandais anciens, et
éclairés par ce rapprochement. Le nombre de ces morceaux
est de 20 : ils comprennent 65i vers français et forment
comme une anthologie ossianique dispersée à travers 500 pages
du volume. Ces morceaux sont pour un tiers de Baour-Lor-
mian, pour deux tiers ils sont empruntés à la version iné-
dite d'Hippolyte Taunay dont nous avons parlé dans le cha-
pitre premier de ce livre.
Études historiques et critiques
III
Le milieu du siècle est particulièrement riche en études
plus ou moins approfondies sur la question ossianique et
sur les poèmes eux-mêmes. La plupart, sensibles à ce qui
fait l'originalité du Barde, admettent qu'il y a un fond vrai
dans ces poèmes, et que Macpherson n'a pas tout inventé
dans les sentiments comme dans l'action. Ampère raconte
la fraude de Macpherson ; « mais, ajoute-t-il, les matériaux
existaient ' ». Il n'a inventé ni le fond ni les mœurs. Tout
ce qu'Ampère ajoute des caractères propres de cette poésie,
et qui la distinguent de toutes les autres poésies primitives
(absence de religion, manque de détails sur la vie maté-
rielle, etc..) suppose qu'en somme, pour lui, VOssian qu'il
lit est d'Ossian. De même Edélestand du Méril ^ 11 exa-
mine la légende du combat du père et du fils et les prin-
cipales formes qu'elle a reçues dans plusieurs littératures.
A propos de Carthotr, il traite dans une note de 400 lignes
la question ossianique. Il n'admet pas que le texte de 1807
ait été retraduit sur l'anglais. Cette dissertation épisodique
est un mélange assez curieux de faits précis et de raisonne-
ments a priori. L'auteur ne croit pas qu'on puisse soute-
nir sérieusement l'authenticité, mais il ne nie pas la valeur
des chants attribués au Barde. Même opinion sous la plume
d'Eichhofî^ ; après avoir fait la part du travail de Macpher-
son, il affirme que « celte élaboration si habile n'autorise
nullement la critique à nier l'existence du barde, ni celle
des chants traditionnels recueillis par l'interprète anglais».
Beaucoup plus important est le travail d'Adolphe Pictet.
Dans deux longs articles * il examinait la question sous
toutes ses faces. Bien informé autant qu'on pouvait l'être
de son temps, sérieux, précis, solide, il faisait un grand
1. J.-J. Ampère, Les Bardes chez les Gaulois et chez les autres nations
celtiques (Revue des Deux-Mondes, 15 août 1836).
2. Edélestand du Méril, Histoire de la Poésie Scandinave, 1839, p. 428.
3. Eichhotr, Tableau de la Littérature du Nord au moyen âge, IS53, p. 102.
4. Adolphe Pictet, Les Poèmes ossianiques (Bibliothèque Universelle,
Genève, octobre et novembre 1854).
45l Ossian en France
efîort pour dire en toute sincérité le dernier mot sur la
question. Nul doute que ces pages n'aient exercé une
grande influence sur le public éclairé qui lisait l'importante
Revue de Genève. Après avoir rappelé la grandeur éton-
nante du fait de la révélation d'Ossian et de son succès,
résumé les querelles qui s'élevèrent, et caractérisé les par-
tis principaux, il estime que le moment est venu d'évoquer
l'alfaire à nouveau. On a trouvé, dit-il, un diamant, et cha-
cun l'admire; mais la moitié de ceux qui l'examinent pré-
tend qu'il est faux. En matière de goût littéraire, qui sera
le joaillier ? 11 faut appliquer une méthode critique. Ossian
même n'était plus qu'un nom au temps de Macpherson :
aucun poème conservé ne remontait au delà du xnr ou
xiV siècle ; voilà qui est entendu. Pour le reste, on a dis-
cuté dans le vide jusqu'à présent, faute d'avoir trouvé le
nœud de la question, qui est celui-ci. Le texte gaélique de
1807 peut-il avoir été fabriqué après coup sur l'anglais de
Macpherson ? Le critique va — et c'est là son tort — accor-
der la plus grande confiance à ce texte ; il l'examine dans le
plus grand détail, il en traduit en français de nombreux
passages (probablement d'après le latin de Macfarlan) ; il
le compare avec l'anglais de Macpherson en se plaçant suc-
cessivement au point de vue du sens (c'est Macpherson
qui a transformé le sens du texte, et non l'inverse), des
épithèteset des images (l'aiTaiblissement, l'énervement sont
toujours du côté de l'anglais), des embellissements de dé-
tail (c'est l'anglais qui renchérit sur le gaélique), de la ver-
sification, où abondent les allitérations (qu'il était impos-
sible de multiplier à ce point dans une traduction faite sur
l'anglais). Partout, l'indépendance du texte de 1807 et son
caractère d'original par rapport à l'anglais lui paraissent
chose démontrée. L'auteur continue en essayant de recons-
tituer ce qu'ont pu être les matériaux de Macpherson et
quelle a dû être la nature de son travail. Je citerai sa ré-
futation de l'un des arguments les plus saisissants contre
l'authenticité. Jamais, dit-on, des héros barbares n'ont des
sentiments raffinés et chevaleresques comme ceux que
Macpherson prête aux guerriers du m" siècle. Très juste,
dit Pictet; mais vous oubliez qu'avant de se trouver entre
ses mains, ces poèmes qui circulaient depuis tant de siècles
Études historiques et critiques 453
s'étaient profondément transformés ; c'est le moyen âge,
la fin surtout de cette période, qui a inséré partout cette
minutieuse courtoisie et cette sentimentalité idéaliste. La
conclusion de l'auteur est malheureusement trop favo-
rable à Macpherson, parce qu'il n'a examiné qu'un côté
de la question ; c'est ce qui le rend, nous l'avons vu, si
aigrement discourtois et injuste pour Villemain. D'après
lui, Macpherson a travaillé avec sans-façon et très librement
sur des poèmes dont le texte de 1807 nous offre une ré-
daction partielle. L'essentiel de ce qu'on admire en lui
est ancien : « On ne peut que plaindre les dissidents : ils
se sont privés d'une grande source de jouissances. »
La thèse opposée est surtout défendue par Philarète
Chasles. Je ne sais si en 1850 il pouvait dire avec raison :
« Beaucoup de personnes en France sont encore persuadées...
qu'il a existé un certain barde sublime appelé Ossian ', »
Pour combattre cette erreur, il lance un article de vingt
pages ' où il raille « Ossian le poète keltique et Macpherson
son inventeur ». Non seulement dans la partie historique
de cet exposé toutes les dates sont fausses, mais il est diffi-
cile d'accumuler plus d'erreurs énormes en peu de pages :
quelques-unes méritent le nom de mensonges, car l'auteur
sait parfaitement qu'il invente ce qu'il dit, et que le naïf
lecteur de la Revue le croira parce qu'il le supposera informé
et consciencieux. Ce n'est rien de raconter que Macpherson
a composé « une tragédie kelte avec chœurs » (et il ne con-
fond pas avec le Caractacus de Mason, puisqu'il cite cette
pièce) ; mais que penser du petit garçon qu'on paya « pour
apprendre par cœur la traduction gaélique de quelques frag-
ments » ? Chasles a inventé le florianisme de Macpherson,
et il tient beaucoup à cette idée ; il le compare aussi à Gess-
ner, à Crébillon lils et à Dorât ; il croit qu'il avait lu les
romans de chevalerie du comte de Tressan, ce qui explique
sans doute sa « poésie d'écran » et « le parfum musqué de
ses sauvages déserts ». Cet article marque le point extrême
de l'anti-ossianisme non scientifique et de l'inexactitude
1. Ph. Chasles, Etudes sur la liltérature et les mœurs en Angleterre
(1850 , p. 6.
2. Id., Les Pseudonymes anglais au XV IH'- siècle {Revue des Deux
Mondes, l" juin 1844 .
454 Ossian en France
brillante et spirituelle — ou qui veut l'être. Une seule phrase
est à retenir : « On écrirait un livre, et un livre plein d'in-
térêt, sur l'influence qu'il a exercée en Europe. »
Ainsi tous ceux qui étudient sérieusement la question,
sauf un bel esprit aussi présomptueux qu'ignorant, gardent
quelque sympathie pour la poésie d'Ossian, Remarquons
toutefois que leurs études sont écrites avant 1800. 11 en est
différemment des hommes de lettres qui ont occasion, pen-
dant la même période, de juger Ossian et d'apprécier les
raisons de son succès. Egalement mal informés de la ques-
tion ossianique, ils ne peuvent que laisser parler leur goût
personnel : et ce goût est tantôt favorable et tantôt défa-
vorable au Barde, Certains, qui écrivent entre 1830 et 1850,
aiment encore Ossian, ou tout au moins gardent le sentiment
de l'intérêt qu'il a offert à leurs prédécesseurs. D'autres
n'ont pour lui que mépris et risée.
Théry, par exemple, dont l'ouvrage est un plaidoyer pour
la littérature idéaliste, paraît sentir encore profondément
« ces graves et pénétrantes poésies » aux « inspirations si
neuves, si introuvables pour les hommes d'aujourd'hui ' ».
Bignan est sympathique à « ce caractère de mystérieuse
mélancolie ' ». Duquesnel trouve dans l'Hymne au Soleil,
qu'il cite, « une force et un sentiment poétique admira-
bles ' ». Xavier Marmier n'a pas, que je sache, traité d Os-
sian : mais il devait le goûter, puisque Antoine de Latour
lui offre un Ossian anglais avec ces mots : « En mémoire
de mon père et du sien * ».Un nommé Alfred de Bougy,né
en 1810, cite Ossian entre Homère et Wace comme ayant su
joindre 1 harmonie des instruments à celle des vers \ Un
sourd-muet considère les poèmes du Barde comme devant
contribuer à l'éducation morale de ses frères déshérités. Le
jeune sourd-muet lira Ossian et Paul et Virgifiie,etj trouvera
« les compagnons chéris et sympathiques de son isolement ° ».
1. A. -F. Théry, De l'Esprit et de la Critique /i^era/res, 1832, 1,344-345.
2. A.Bignan, Essai sur l'influence morale de la poésie, 1838. p. 103 (note).
3. Am. Duquesnel, Histoire des Lettres au Moyen Açje, 1842, IV, 98.
4. Bibliothèque de Pontarlier, fonds X. Marmier, N. 41.
5. Cité par Slaaff, La Littérature française..., III, 85.
6. P. Pélissier, Choix de Poésies d'un sourd-muet ; discours prononcé
en langage mimique à la distribution des prix de l'institut national des
Sourds-muets, le 11 août 1846.
Ponsard 455
Dans une occasion plus importante, une voix plus auto-
risée faisait entendre l'expression motivée de la même sym-
pathie. En 185(3, François Ponsard vint occuper à l'Aca-
démie française le fauteuil de Baour-Lormian. Il lui fallait
faire l'éloge de son prédécesseur, « matière infertile et petite»;
non que Baour n'eût beaucoup écrit, on la vu : mais que
restait-il en 1856 de la renommée de ses beaux jours ? et
Ponsard sûrement avait peu pratiqué ses œuvres. 11 se rat-
trapa sur Ossian, qui remplit une grande partie de son dis-
cours '. 11 suppose, je ne sais pourquoi, que Baour jeune
« poursuivait parmi les nuages du Cromla les fantômes des
guerriers et des vierges gaéliques » ; et, dès qu'il arrive
dans la carrière du Toulousain aux Poésies Galliques, il se
donne carrière sur ce sujet. Après avoir rappelé élégamment
la vogue d'Ossian sous le Consulat et l'Empire, apprécié le
talent de Baour comme traducteur et comme poète, Ponsard
arrive à la question ossianique et l'aborde résolument. Ses
arguments, est il besoin de le dire ? sont des arguments de
poète, de vagues considérations historiques, des analogies,
des raisons de sentiment, « l'instinct ». Sa conclusion, c'est :
< Pour moi, je crois à Ossian. » Ces paroles, il les a barrées
sur l'épreuve de son discours, craignant sans doute de
heurter l'opinion de certains membres de la Compagnie.
Il s'était pourtant souvenu que Villemain l'écoutait : « Je
sais que je vais contre les doutes d'un éminent critique
devant l'autorité duquel je m'incline en toutes choses. » Ou
peut-être a-t-il craint le ridicule d'une croyance aussi dé-
modée. Comme sa conclusion avait été décapitée par scru-
pule ou par timidité, de même son argumentation avait été
amputée par les corrections de Crémieux, qui à plusieurs
reprises, trouvant sans doute qu'il s'attardait trop dans
Morven, avait mis en marge : « C'est très lent. » Toutes ces
modifications et ces suppressions font que le Discours, tel
qu'il fut prononcé et qu'il a été imprimé, n'apprend pas
grand'chose des véritables sentiments de Ponsard sur Ossian.
On saisit au contraire, sur le premier manuscrit et sur
l'épreuve % l'impression toute vivante encore d'un enthou-
1. Ponsard, Discours de réception... (4 décembre 1856).
2. M. l'abbé Bouvier, de Vienne (Isère), a bien voulu se charger pour moi
de la collation du manuscrit de Ponsard, des corrections de Crémieux,
456 Ossian en France
siasme et surtout d'une foi en la révélation ossianique, qui
sont remarquables à cette date et chez un poète considéré
comme un des principaux artisans de la réaction du « bon
sens » après le romantisme.
N'accordons pas beaucoup d'importance à la mention que
fait du Barde un magistrat provincial, adversaire de la théo-
rie de M"" de Staël, parce que, dit-il, c'est Rousseau qui est
« le père de la mélancolie », et il n'était pourtant pas ori-
ginaire des « rives glacées de la patrie d'Ossian ' » ; et ve-
nons à ceux qui défendent le Barde comme le représentant
par excellence de la tradition celtique, à laquelle la littéra-
ture française doit se rattacher. Alfred Michiels a besoin de
lui pour étayer l'idée fondamentale de son livre '. Celui-ci
est de tendance romantique et anti-classique ; il fonde le
romantisme sur le celtisme de la France retrouvant ses ori-
gines nationales etfacées par trois siècles de culture gréco-
romaine. L'idée est intéressante, sinon exacte, et elle aurait
encore une belle carrière à fournir si quelqu'un des défen-
seurs de la tradition nationale française voulait l'embellir
de son éloquence ; malheureusement ceux-là se sont posés
en adversaires du romantisme. L'ouvrage d'Alfred Michiels
n'est pas un guide sûr, loin de là, mais il reste fort inté-
ressant à lire. L'auteur semble ignorer que Le Tourneur a
traduit Ossian ; mais il nomme ce dernier à plusieurs re-
prises ; il le cite à propos des alignements de Carnac ; il
explique l'enthousiasme de la France pour le Barde à l'époque
révolutionnaire, par ce fait que « la Révolution française
porte évidemment un caractère celtique ». Cette thèse est
également celle de Staàff, dont l'utile recueil a révélé à des
adolescents, qui sont depuis longtemps des hommes, bien
des pages de la littérature française qui leur seraient sans
doute restées toujours inconnues. Il fait de Chateaubriand
un « disciple direct d'Ossian », probablement par sa Bre-
tagne natale; Lamartine et tous ceux qui se sont inspirés
cl des épreuves corrigées par l'.iuleur, qui se trouvent à la Bibliothèque
de cette ville (Mss. n°' 26. â°).
1. Pédezert, De la Tristesxe dans la littérature moderne (Recueil de la
Société des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Tarn-et-Garonnc, 1868-
1869, p. 33).
2. A Michiels, Histoire des idées littéraires en France au XFX' siècle,
1863.
Historiens de la littérature ^5j
de la « mélancolie orageuse » d'Ossian n'ont rien apporté
d'essentiellement nouveau : ils n'ont fait qu'accentuer le ca-
ractère celtique que retrouvait la littérature. « Ainsi la tra-
dition celtique se continue dans la tradition française. >>
Quant à Macpherson, il faut se garder d'exagérer son rôle,
car« il ne fit qu'insérer quelques paroles de sensiblerie dans
les chants du vieux Barde celte ». Une preuve entre autres
que « le fond des poèmes ossianiques n'est nullement ima-
giné » (elle n'avait, je crois, pas été encore apportée au
débat), c'est la comparaison avec les poésies galloises d'Ovvea
Jones :
Le vieux Lywarch, retiré dans sa hutte au bord de la mer,
et pleurant ses fils morts sur le champ de bataille, tandis que le
vent souffle lugubrement dans la bruyère et fait tourbillonner
les feuilles rouges des ormes et des chênes, parle exactement
comme Ossian ',
Quelques-uns parlent assez longuement d'Ossian, sans
qu'on puisse discerner si ses poèmes sont encore pour eux
de la poésie vivante, ou s'ils appartiennent désormais à la
littérature du passé. Ainsi Bernard Jullien,dont l'ouvrage %
en général sérieux, exact, précis, citant les textes en note,
discutant serré, vraiment moderne d'allures, a dû bien éton-
ner et passablement ennuyer ses lecteurs de ISi't. Il cite
généralement d'après Baour-Lormian, ce qui était indiqué
étant donné l'objet de son livre, mais il connaît le texte an-
glais et sait s'en servir. Il n'est pas assez perspicace ou pas
assez informé pour analyser les divers sentiments qui trou-
vaient un écho dans les chants du Barde ; son sujet pour-
tant, en l'invitant à prendre Ossian en bloc aux environs
de 1800 sans s'inquiéter de ses origines, et à n'étudier son
influence en France que pendant son époque glorieuse, ou-
vrait devant lui une carrière assez facile. De même Thaïes
Bernard dont le sujet semblait exiger qu'il se prononçât sur
les mérites du Barde ^ Il se contente de restituer Oisin à
l'Irlande ; il connaît le poème du « Pays de l'éternelle jeu-
1. Staaff, La Liltér.iture française..., 1869-1870, IH, 286.
2. B. JuUien, Histoire de la poésie française à l'époque impériale, 1844,
I, 152-160.
3. Tiialès Bernard, Histoire de la poésie, 1864. p. 586-591.
458 Ossian en France
nesse >>, qu'il appelle un paradis irlandais, et à propos du
succès d'Ossian nomme Joukovski et donne la traduction
du poème enthousiaste d'Alexandre Petôfi, Homère et
Ossiari.
Si Ossian conserve des sympathies, il ne manque pas de
détracteurs. C'est ne pas le goûter que l'omettre systéma-
tiquement, comme De Courson, qui trouve moyen de ne pas
même le nommer en traitant des mœurs des Calédoniens ;
s'il cite les bardes, c'est d'après les vers de Lucain '. On ne
peut guère admettre qu'en 1843 une telle omission ne soit
pas voulue. De même Quinet, qui nous a raconté lui-même
pourquoi il n'a jamais été ossianiste, en citant des poésies
épiques de toutes les nations, ignore Ossian '. Ailleurs, il
est vrai, il le cite comme type de poésie primitive ^. Un
autre assimile dédaigneusement les chants du Barde aux
« essais barbares » des poètes anglo-saxons *. Amédée Pi-
chot consacre des pages railleuses aux « fictions héroïques
deMacpherson » et à sa « mj'thologie pseudo-calédonienne* ».
L'Ecosse, pour lui, c'estScott etc'estBurns. L'un et l'autre,
bien colorés, bien vivants, repoussent brutalement le Barde
nuageux dans l'ombre d'où il n'aurait jamais dû sortir. La
Revue des Deux-Mondes ne lui est pas plus clémente. Allan
Cunningham, en retraçant l'histoire de la littérature an-
glaise, avait eu l'occasion de nommer Ossian « où l'on re-
connaît le caractère bien senti des anciens chants celtiques " ».
Une note de la rédaction remet les choses au point :
Il est aujourd'hui reconnu que Macpherson, homme de taleut,
s'est mis à la place d'Ossian, le barde d'Eriu, et que les chauts
primitifs de l'Ecosse et de l'Irlande n'ont rien du caractère em-
phatique et sombre, vaporeux et monotone, que Macpherson
leur a prêté.
1. Aurélien de Courson, Histoire des origines et des institutions... de la,
Gaule... et de la Bretagne, 1843.
2. Eigar Quinet, De la Poésie épique {Revue des Deux-Mondes, !•' jan-
vier 1836).
3. Œuvres d'Edgar Quinet, IX: Histoire de la Poésie.
4. Revue Britannique, XXXIV. 432 (1833 .
5. Ib , XXVII, 181-201 (1834): Les Superstitions poétiques de l'Ecosse.
6. Histoire biographique et critique de la littérature anglaise depuis
cinquante ans, par Allan Cunningham {Revue des Deux-Mondes, 1833, IV,
298).
Taine 4^9
Ces épithètes sont expressives : Ossian n'est pas du goût
de Buloz, que ce soit lui ou un de ses lieutenants qui ait
écrit la note.
11 n'est pas non plus du goût d'Hippolyte Rigault, à en
juger par le ton de son article sur Baour-Lormian '. Son
opinion est probablement celle de la jeunesse universitaire
et lettrée dont il faisait partie. Le jugement de Rigault n'a
pas d'autre importance : bel esprit de collège, penseur pour
distributions des prix, Rigault est le type de l'élégant criti-
que de ce temps-là, qui tient avant tout à faire de l'esprit,
souvent à faux, et qui pirouette sur tous les sujets.
Il faut attribuer avant tout la même valeur de docu-
ment à la page bien connue de Taine, si supérieur à Rigault
que soit à tous égards l'auteur de la Littérature anglaise^
Il est singulièrement bref sur toute la poésie entre Pope
et Burns, à laquelle il ne consacre que dix pages. Muet sur
le mouvement archaïsant de cette période féconde, il ne
mentionne ni Percy et ses Reliques, ni Chatterton ; toute-
fois il fait une place à Ossian '. Après avoir dit l'essentiel
sur les travaux de Macpherson,il cherche à expliquer le suc-
cès européen de la poésie ossianique par la nature même de
ce « pastiche des mœurs primitives, point trop vraies, car
l'extrême crudité des barbares eût choqué, mais cependant
assez bien conservées ou imitées pour faire contraste avec
la civilisation moderne, et persuader au public qu'il contem-
plait la pure nature » ; et par la forme aussi sous laquelle
elle se présentait : « un style passionné, coloré, qui atfecte
d'être abrupt, et qui pourtant est poli, capable de charmer
un disciple de Rousseau par sa chaleur et son élégance. »
Malgré ces derniers mots, n'oublions pas qu'il s'agit de
littérature anglaise. Il me paraît certain que cette page de
Taine doit beaucoup à Villemain. Elle ne constitue pas en
tout cas un effort personnel et nouveau pour mieux péné-
trer et mieux interpréter Ossian. L'auteur reste extérieur
au Barde, craint surtout d'être dupe, et se contente de no-
ter rapidement, en historien, l'effet produit.
1. Journal des Débats, 25 janvier 1855, et Œuvres de H. Rigault, 1859^
1, 186-202.
2. H. Taine, Histoire de la Littérature anglaise, 1865, IV, 226-227.
4^0 Ossian en France
IV
Les principaux témoignages qui se rencontrent dans la
dernière partie du xix» siècle et au début du xx" accusent une
dilTérence marquée, selon que l'on s'adresse à l'histoire des
idées écrite par les universitaires ou aux aperçus plus bril-
lants que solides des Revues et des journaux ; à la réserve
toutefois de telles exceptions que nous constaterons au pas-
sage. Ossian ne paraît plus exercer d'action vivante et di-
recte sur aucun de ces témoins, sauf un seul ; mais ils sont
plus ou moins consciencieux et habiles dans l'art de ressen-
tir par la sympathie ce que tant d'autres ont senti jadis.
La critique universitaire ne brille pas d'un éclat bien
franc entre les mains de Demogeot, qui raconte fort inexac-
tement les faits, qui connaît, on ne sait comment, la poésie
populaire que Macpherson a supplantée, et qui la déclare
« lourde, plate, triviale ' ». Elle brille encore moins dans
celles de Gustave Merlet. Celui-ci, qui parle longuement de
Baour-Lormian et de l'ossianisme, paraît, chose incroyable,
n'avoir même pas lu son auteur \ Où a-t-il vu « les crânes
humains où se buvaient la bière et l'hydromel dans le
palais de Selma »? Confusion initiale avec certains mythes
Scandinaves, et l'imagination fertile de l'écrivain a fait le
reste. Où a-t-il vu « le ciel sombre et muet dont l'unique
soleil est léclair de la foudre, et d'où les divinités ne parlent
que par la voix des tempêtes »? Et V Hymne au Soleil de
Baour, si admiré et souvent cité dans les recueils mêmes
que Merlet a dû consulter ? On sait, de plus, qu'il n'y a
pas de « divinités » dans Ossian. Mais qu'on relise cette
phrase à haute voix, l'harmonie et le nombre en sont par-
faits, et c'est apparemment tout ce qu'il fallait.
Par contre, Paul Albert avait fait, avant de parler d'Os-
sian à son auditoire du Collège de France, une étude sé-
l.-J. Demogeot, Histoire des Littératures étrangères. Littératures sep-
tentrionales, 1880, 5* éd., 1910, p. 152.
2. G. Merlet, Tableau de la Littérature française {ISOO-1815), I (1877),
p. 425-435.
Historiens récents de la littérature 461
rieuse de la question '. On relève dans son historique plu-
sieurs exagérations ou assertions douteuses, et que notre
exposé a rectifiées chemin faisant. Après avoir résumé de
façon très vive et très heureuse la vogue d'Ossian dans la
poésie et les arts, il essaie de donner une idée de ses poèmes.
Il les traite comme une chose qui appartient tout à fait au
passé, et ne semble pas admettre que certains éléments en
soient encore vivants. Après avoir traduit sur le texte an-
glais deux pages, dont il fait constater le vide, il remarque
— et cela fait honneur à sa perspicacité — un seul épisode
qui ait conservé « quelque couleur » ; il le croit originaire,
je ne sais pourquoi, de quelque « ballade Scandinave » :
c'est celui de Deugala dans Fingal (chant II). Il trouve que
Deugala ressemble « à une Frédégonde ou à une Walky-
rie ». On le voit, tout cela est de l'histoire, et même de
l'archéologie. La lecture d'Ossian dans le texte anglais n'a
pas suffi à Paul Albert pour ressentir de nouveau quelque
charme poétique et quelque émotion secrète de l'âme.
Plus récemment, Joseph Texte, qui connaissait sans doute
Ossian directement et dans l'anglais de Macpherson, ne pa-
raît cependant pas en avoir reçu la moindre impression per-
sonnelle. On consulte volontiers son chapitre sur Ossian ^,
qui a le tort de renvoyer le lecteur uniquement au travail
de Clerk et à celui de B. Saunders, deux sources beaucoup
trop favorables à Macpherson. M. Mornet caractérise briè-
vement et avec exactitude la part des poèmes ossianiques
dans l'expansion de certaines tendances nouvelles \ M. Zy-
romski, à propos de la contribution du Barde à la formation
du « paysage intérieur» de Lamartine, évoque avec quelque
détail les caractères les plus saillants des poèmes ossia-
niques, et paraît en avoir reçu la directe et profonde im-
pression *. Mais il y a au moins un de ces historiens des
lettres qui a su dire sur les poèmes ossianiques le mot qu'il
fallait ; c'est qu'Angellier possédait, avec l'âme d'un poète,
1. P. Albert, La Littérature française au XIX* siècle, I, 95-107 (Cours
de 1878 1879).
2. J. Texte, J.-J. Rousseau et les origines du cosmopolitisme littéraire,
1895, p. 384-402.
3. D. Mornet, Le Romantisme en France au XVIII' siècle, 1912, p. 118.
4. Zyromski, Lamartine poète lyrique, 1896, p. 85-111.
462 Ossian en France
la méthode rigoureuse de l'érudit. Racontant la jeunesse de
Robert Burns, il dit que le futur poète lisait Ossian, « haute
et noble source de poésie, où passe, quoi qu'on en ait dit,
un souffle aussi puissant que les vents orageux * ». Celui-
là lisait les poèmes en anglais, et son témoignage s'en res-
sent. M. Lanson a bien voulu me faire remarquer à ce pro-
pos combien Angellier était préparé à goûter Ossian par son
propre sentiment poétique de la nature, tel qu'il se révèle
dans ses tableaux du Boulonnais, avec ses nuages bas et son
ciel changeant. Peut-être se souvenaient-ils de ce témoignage
plein d'autorité, ceux qui ont inscrit un certain nombre des
poèmes d'Ossian au programme de l'agrégation d'anglais, à
diverses reprises en ces dernières années. Maîtres et élèves,
combien alors les ont lus pour la première fois !
Pendant cette période, les Revues et les journaux ne font
plus que de loin en loin place au souvenir du Barde. Et leurs
contributions, qui marquent une totale inditTérence person-
nelle à la poésie ossianique, prouvent de plus une ignorance
du sujet étonnante, et qui ne leur permet même pas de ra-
conter correctement à leurs lecteurs l'histoire de l'influence
d'Ossian. En général, le côté anecdotique de la falsification
de Macpherson est le seul qui les intéresse. Des poèmes eux-
mêmes il est à peine question: aucune étude de ces textes,
aucune analyse des sentiments qui s'y rencontrent, aucun
eiîort pour chercher les causes de ce prodigieux succès
dans l'âme même que Macpherson — ou Smith, qui a bien
sa petite importance, et que l'on ignore totalement — a su
infuser à son Ossian artificiel. Au lieu de s'informer, le plus
superficiellement du monde, dans Ginguené, dans Ville-
main, dans B. Saunders, il était bien plus utile de feuille-
ter VOssian anglais de Tauchnitz et de réfléchir une demi-
heure. Aucun ne paraît s'en être avisé.
Voici par exemple le compte rendu que consacre Louis
Etienne au grand ouvrage d'Archibald Clerk ". Il faut voir
comme le critique se tire d'alTaire à bon marché, bâclant ces
deux pages et demie selon la formule des spirituels chroni-
queurs : beaucoup d'aisance et pas mal d'esprit sur une to-
1. Aug. Angellier, Robert Burns, 1892, I, 59.
2. Revue des Deux-Mondes, l" août 1873.
Arvède Barine. Henry Roujon 463
taie ignorance. C'est, paraît-il, ce qui plaît — ou plaisait —
au grand public. Le collaborateur de la Revue des Deux-
Mondes ne connaît pas un mot de la question ; prend les
Highlands pour les habitants de l'Ecosse ; regarde de haut
ceux qui pouvaient encore aimer la poésie ossianique ; « 11
en est peut être encore... » et en somme se moque du pauvre
Clerk au lieu de le réfuter, comme c'était son droit et même
son devoir; seulement, l'article eût été plus difficile à écrire.
On s'attend à mieux sans doute de la part d'un écrivain
aussi distingué qu'Arvède Barine, et l'on cite couramment
ses deux articles du Journal des Débats ^ Ils ont été écrits
à l'occasion du livre de Bailey Saunders, et, pour ce qui con-
cerne Macpherson, ses publications et la question de l'au-
thenticité, à peu près uniquement d'après cet ouvrage. Elle
l'a cependant bien vite ou bien mal lu, à en juger par deux
ou trois détails importants qu'elle rapporte fort inexacte-
ment, sur la mission de Macpherson, l'origine de sa fortune,
l'accueil fait à ses poèmes en Angleterre. Elle exagère le
rôle de Home et diminue celui de Blair. L'intérêt de cette
étude, d'ailleurs assez étendue, en général consciencieuse,
discrètement spirituelle et de ton assez juste, réside surtout
dans le résumé qu'on y trouve de l'ossianisme français. Mais
que tout cela reste donc vague et superficiel ! Et qu'on ai-
merait mieux savoir de cet intelligent critique ce qu'est en
somme Ossian, à quelles qualités intimes il a dû son éton-
nant succès, et non pas comment il a été composé et accré-
dité! Gomment un écrivain aussi délicat a-t-il pu croire que
l'intérêt anecdotique était seul en jeu, comme s'il s'agissait
d'une farce sans conséquence ?
Hier encore, un article brillant et spirituel venait évoquer
la splendeur disparue du Barde. A propos de la lecture
publique de M.Henry Lemonnier dont il a été question au
sujet de Girodet, Henry Roujon consacrait une chronique
à un pèlerinage Aux Ruines d'Ossian \ Ses sources sont
B. Saunders, A. Tedeschi et Arvède Barine. Il faut lire ce vif
et amusant résumé de la question ossianique pour voir, pre-
mièrement, combien l'auteur a d'esprit ; deuxièmement, com-
1. Arvède Barine, Hors de France : Les Poésies d'Ossian {Journal des
Débats, 13 et 27 novembre 1894).
2. Figaro, 29 octobre 1913.
464 Ossian en France
bien il est loin d'examiner la question sous son véritable
jour ; troisièmement, combien, faute de se replonger, ne fût-ce
que peu de temps, dans l'étude directe des poèmes attri-
bués au Barde, on est devenu incapable de se représenter
le genre d'intérêt qu'ils ont offert, la nature de l'émotion
qu'ils ont excitée. Le premier point n'a pas besoin d'être
démontré. Pour ce qui est du second, le chroniqueur ignore
évidemment l'existence même du cycle ossianique de la lé-
gende irlandaise. Pour lui, Macpherson est un faussaire et
un mystificateur achevé : sujets, noms, il a tout inventé.
Ceux qui auront pris la peine de lire V Introduction de cet
ouvrage auront vu qu'il n'en est pas tout à fait ainsi. Enfin,
il est un peu trop commode et un peu trop simple d'attri-
buer le succès d'Ossian, en France par exemple, à je ne
sais quel caprice incompréhensible de la mode, attirée par
des noms sonores et un décor impressionnant. Ni Turgot,
ni M"° de Staël, ne se sont contentés de roucouler les noms
de Malvina et d'Agandecca qui paraissent si ridicules au
spirituel chroniqueur. D'autres et de plus fortes raisons les
intéressaient à Ossian. Etceux même que le sentiment seul
attachait aux chants du Barde, Diderot, Chateaubriand, La-
martine, y trouvaient certain charme intime et profond que
les pages qui précèdent ont peut-être contribué à dégager.
Certains critiques trouvent aisément ridicules tous les sen-
timents qui ne sont pas ou qui ne sont plus les leurs. 11 est
plus difficile sans doute, mais il est peut-être plus coura-
geux, et il est à coup sûr plus juste, d'essayer de com-
prendre avant de juger. On se trouverait alors moins loin
de ces manières de sentir et de penser qu'on ne se le figu-
rait d'abord : en descendant au fond de soi-même, on y
apercevrait des instincts identiques sous la différence de
l'expression et du style ; on cultiverait alors ce bien pré-
cieux, la sympathie. On n'écrirait pas, par exemple : « Le
prodige... n'est pas que l'ossianisme ait péri, mais qu'il ait
pu naître et bouleverser plusieurs générations. » On ne di-
rait pas : « Aujourd'hui, quelqu'un qui s'aviserait de lire
Fingal ou Tétnora, ou même La mort de C u t h ni ii fi, donne-
rait à sa famille de sombres angoisses.» Persuadé qu'il n'y
a pas de prodige en histoire, on chercherait à expliquer, et
pour expliquer à comprendre, et pour comprendre à con-
Dernières traces de notoriété 465
naître, qui amènerait à sentir, et peut-être à aimer.
Au même genre que l'étude historique d'Arvède Barine
et le brillant résumé de Henry Roujon appartient le cha-
pitre que M. Augustin Thierry consacre à Ossian dans ses
Mystifications littéraires '. Lui aussi se sert surtout de B.
Saunders. Le plan de son ouvrage ne comporte pas l'étude
morale et littéraire de l'ossianisme : on ne peut donc lui
reprocher d'avoir passé sous silence les vraies raisons du
succès du Barde en France. Cet exposé agréable, qui amplifie
parfois avec quelque imagination les données fournies par
l'auteur anglais, ne renferme aucune allusion qui permette
de croire que l'auteur a commencé par lire Ossian. On ne
doit pas s'attendre non plus à trouver la confidence d'im-
pressions personnelles dans l'article de M. Raoul Rosières ",
dont nous avons discuté certaines conclusions ; ni dans la
très attachante lecture de M. Henry Lemonnier \ que ses
études sur le tableau de Girodet ont invité à lire Ossian
pour la première fois, et qui — je me permets de rappor-
ter ici ses propres paroles — a trouvé dans les poèmes
du Barde, même à travers la version infidèle de Le Tour-
neur, de la grandeur, du charme, une vraie poésie qu'il
n'y aurait jamais soupçonnée. L'auteur d'une Littérature
j)ortugaise rapproche Ossian et Homère de Camoëns comme
poètes de la mer*. Un autre lui donne une place parmi les
grands poètes de l'humanité, et lui consacre deux pa^es un
peu générales et vagues \ Des curieux s'inquiètent de 1 ori-
gine véritable de ses poèmes et du fameux manuscrit de
Douai, sansqu'on apporte à leurs doutes aucune réponse satis-
faisante ^ Un journaliste normalien le prend pour type du
genre de poètes opposé à ce que fut Victor Hugo. Celui-ci,
régulier et ponctuel dans son travail, n'était pas du tout « un
barde fatal et frénétique, un type dans le genre d'Ossian' ».
1. Augustin Thierry, Les çfrandes Mijstificalions littéraires, 1911, p. 1-2^.
2. Revue Bleue, septembre 1883, et Recherches sur la poésie contempo-
raine, 1896, p. 103-105.
3. Henry Lemonnier. Girodet et les Héros d'Ossian, 1913.
4. A. Loisaau, Histoire de la Littérature portugaise, 1886, p. 219.
5. Augustin Cabat, Les Porteurs du Flambeau, 1911, p. 160-162.
6. Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, XXVI, 488 et 678 (1892) ;
XXVII, 220 (1893).
7. Gustave Téry dans Le Journal du 17 octobre 1911.
TOME II 30
466 Ossian en France
Le rédacteur d'un Guide, vantant la «Suisse Normande»,
écrit : « Ossian eût aimé nos rocs, nos sapins à l'âpre mé-
lodie \.. »
Nous avons vu Renan justifier l'oubli où est tombé Ossian
par la découverte de l'inauthenticité, la seule valeur de
l'œuvre littéraire étant une valeur bistorique. Cette idée est
reprise par M. Anatole France, qui se sert de l'exemple du
Barde pour montrer à quoi tient l'estime des bommes :
« Ossian semblait l'égal d'Homère quand on le croyait an-
cien. On le méprise depuis qu'on sait que c'est Macpher-
son \ » Ainsi présentée, l'idée paraît la boutade d'un scep-
ticisme ironique. Elle reprend sa valeur entre les mains de
deux autres auteurs. M. Charles Lalo approuve Renan d'avoir
donné le cas d'Ossian comme exemple d'une loi nécessaire :
« L'idée de son authenticité, c'est-à-dire d'une production
spontanée par un milieu primitif, est partie constitutive de
la beauté d'Ossian. Qu'on enlève cet élément, et l'essentiel de
la beauté disparaîtra. Quoi de plus juste ^? » — J'avoue, pour
ma part, ne croire guère aux productions spontanées, même
dans les milieux primitifs. Quel Pasteur viendra nous dé-
livrer de la génération spontanée en littérature ? — M. Paul
Stapfer * suit et approuve Renan et M. Lalo. L'auteur de
plusieurs études fines et délicates sur la destinée des livres
et les vicissitudes de la renommée littéraire ne pouvait
manquer de réfléchir sur le cas d'Ossian. Son aventure, dit-
il, « vint un jour révéler aux gens de lettres abasourdis à
quel point la beauté poétique est chose relative ». Etait-ce
une raison pour ne l'admirer plus ? « Oui, c'était une rai-
son; mais il a fallu du temps pour le comprendre. » Cette
chute soudaine « est une chose parfaitement raisonnable et
juste » ; elle démontre que « le beau n'est pas une qualité
purement intérieure à l'œuvre qu on admire, et capable par
conséquent de subsister dans l'isolement de cette œuvre
considérée en soi ». Le beau est l'expression d'un rapport.
« Pour qu'Ossian soit beau, il faut qu'il soit authentique,
c'est-à-dire spontané, c'est-à-dire primitif. »
1. Guide du Touriste dans le Calvados, p. 117.
2. Anatole France, Le Jardin d'Epicure, p. 224.
3. Ch. Lalo. Introduclion à l'Esthétique, 1912, p. 231-232.
4. PaulSlapfer, Dernières variations sur mes vieux thèmes, 191i, p. Hsv.
L'article est daté de décembre 1912.
Dictionnaires et Encyclopédies 467
Il est enfin assez instructif, et c'est par là que se termi-
nera tout naturellement cette longue enquête, d'examiner
d'une part ce que savent d'Ossian les principaux dictionnaires
ou encyclopédies en vogue au cours du xix° siècle, d'autre
part ce que disent de son influence en France quelques-uns
des traités ou manuels d'histoire littéraire les plus accrédités.
On verra ainsi la critique, encore attentive au début, deve-
nir du dédain, de l'insouciance, de l'oubli, accompagnés sou-
vent d'une remarquable ignorance ; et la ruine de l'authen-
ticité entraîner avec elle la chute complète, non seulement
de toute admiration, mais de tout intérêt, et même de toute
curiosité. Il est évident que ni les faiseurs d'articles de dic-
tionnaires, ni les auteurs demanuels n'ont pensé, les premiers
par une hâte bien naturelle, les seconds parce que cette cu-
riosité eût semblé dépasser le cadre qu'ils s'étaient tracé,
a retrouver, par la lecture même superficielle des poèmes
ossianiques,une partie au moins des impressions ou des sen-
timents que ces poèmes avaient fait naître.
On peut faire commencer la série à la Biographie Univer-
selle de Michaud ^,où Lefebvre-Cauchy donne un article de
pur style poncif: « belle et sensible Malvina... Il mourut
chargé d'infortunes et d'années... » et plein d'erreurs: trois
en une phrase. Le même article est reproduit presque iden-
tiquement dans l'édition in-4.Nous sommes encore dans la
période de l'admiration pleine et sans réserves. Même note
dans V Encyclopédie des gens du Monde, qui a des termes
pompeux et enthousiastes ^ Une note intermédiaire est don-
née par Philarète Ghasles, que nous avons vu déjà ennemi
du Barde. Dans deux articles différents % qui abondent en
erreurs et en contradictions, il se montre froid sur le mérite
de ces poèmes, tout en racontant avec un détail incroyable
1. Biographie universelle... 1822, article Ossiaii.
2. Encyclopédie des gens du monde, 18i3. Article signé L. S.
3. Dictionnaire de la. Conversation et de la lecture, ISil. Encyclopédie
du XrX' siècle, 1859-1860 ; 4« éd., 1876.
468 Ossian en France
ce que j'ai appelé le roman ossianique. Il sait le mariage
d'Ossian, les victoires de Fingal, « ce prince aussi beau que
sage et vaillant ».I1 a visiblement l'intention de beurterles
derniers partisans d'Ossian, mais il ne leur montre pas que
leur admiration soit sans fondement. La Nouvelle Biogra-
phie Didot ' marque un progrès très appréciable. L'auteur
de l'article caractérise, mieux peut-être qu'on ne l'a fait au-
paravant ni depuis, certaines causes profondes du succès du
Barde, et ne paraît pas être insensible à sa poésie. Bachelet
et Dezobry * n'offrent rien de tel, et leur seconde édition ^
ajoute d'énormes erreurs. Grégoire* compte, de ces dernières,
à peu près autant que de lignes. Elles viennent souvent de
l'article de Michaud. L'ancien Douillet ' offrait les mêmes:
l'un des deux articles avait copié tout ce qui était faux dans
l'autre. La dernière édition offre un grand progrès \ Dantès'
n'offre guèrequ'une bibliographie, où il y a des erreurs. Des-
cubes" en a moins, mais qui sont de taille. Tous ces compi-
lateurs ne donnent d'ailleurs qu'un historique de la genèse
de\'0!<sia)i de Macphersonet quelques détails sur son succès.
Le travail de Vapereau' est tout ditîérent. Il s'est sérieuse-
ment informé, et son longarticleestplein de vues justes. Il y a
là d'excellentes appréciations sur le vrai caractère des poèmes,
sur leurs « neuves et saisissantes beautés » qu'il faut se gar-
der de « rabaisser, comme on l'a fait depuis, au rang des
déclamations emphatiques et creuses», car « ses descriptions
monotones ont un charme qui dispose à la rêverie, et son
style grandiose élève et agite l'esprit». Il semble que Vape-
reau soit un des derniers qui aient su lire et goûter Ossian.
Larousse '"consacre 280 lignes à Ossian lui-même et au genre
ossianique ; mais selon son habitude il fait de larges em-
prunts, notamment à Villemain, à Voltaire, et insiste davan-
1. Nouvelle Biographie générale, 1860.
2. Dictionnaire général des lettres..., 1863.
3. Dictioniinire général de biographie et d'histoire... 1889. L'article Os-
sian est de M. Darsy; l'article Macpherson et de GefTroy.
4. Dictionnaire Encyclopédique d'histoire, de biographie..., 1874.
5. Dictionnaire Universel d'histoire et de géographie, 1845.
6. fd., 33° éd., 1908.
7. Dictionnaire biographique et bibliographique, 1875.
8. Nouveau Dictionnaire d'histoire, de géographie... 1889.
9. Dictionnaire Universel des littératures, i' éd., 1870.
10. Grand Dictionnaire Universel du XIX' siècle.
Manuels d'histoire littéraire 469
tage sur le succèsen France. 11 y a une énorme différence entre
un article comme celui-là et l'étude remarquable que M. Dou-
ady a donnée à la Grande Encyclopédie \ historique très
sérieux et remarquablement complet des origines des poè-
mes, de leur publication et de leur succès. Mais cet histo-
rique ne contient pas, ce semble, le reflet d'une impression
personnelle.
On ne trouve pas non plus les marques d'une connais-
sance directe dans la plupart des ouvrages d'histoire litté-
raire, soit qu'ils mentionnent en passant l'influence du Barde,
soit qu'ils n'y fassent aucune allusion. On croirait difficile-
ment que les auteurs de V Histoire de la Littérature Fran-
çaise ^ n'ont trouvé nulle part l'occasion de signaler le suc-
cès d'Ossian. Fr. Loliée ' fait l'éloge du mérite de Macpherson,
et explique ainsi en partie son succès, mais ne dit pas qu'une
part de ces mérites ait pu survivre à la ruine de l'authen-
ticité. Les auteurs de manuels classiques d'histoire de la
littérature française, MM. Lanson, Doumic, Pellissier,Lin-
tilhac, Herriot, Grenier, Des Granges, Abry, Audic et
Crouzet, ou ne citent pas même le nom d'Ossian, ou lui
consacrent des lignes suffisantes et justes, mais qui ne lais-
sent deviner aucun goût, aucun jugement personnel. Les
ouvrages classiques d'Histoire littéraire anglaise, d'ailleurs
peu consultés aujourd'hui de la masse des non-spécialistes
par suite de l'orientation nouvelle des études de langues
vivantes, donnant de leur côté, et cela se comprend, peu
de place à Ossian, il résulte de tout cela que l'élève, l'étu-
diant, le curieux n'est nulle part sollicité à connaître, si peu
que ce soit, ces poèmes qui firent jadis tant de bruit dans
le monde.
Du moins le Barde survit-il encore dans quelques mots
français dont il a été la souche. Le mot ossianique, qui est
entré dans l'usage, semble-t-il, peu après Le Tourneur, et
qui a été fort employé sous l'Empire, est admis par le Dic-
tionnaire de l'Académie en 1835 : « A la manière des poèmes
de Macpherson. Sttjle ossianique.» En 1878 l'article est re-
1. La Grande Encyclopédie, article Ossian.
2. Histoire de la Langue et de la Littérature françaises (Petit de JuUe-
ville), 1896-1899.
3. Fr. Loliée, Histoire des Littératures comparées, 2' éd. (1900), p. 100.
47° Ossian en France
pris avec des exemples nouveaux : « Poésies ossianiques,
genre ossianiqiie. »
Le mot figure également dans Littré et dans Hatzfeld,
Darmesteter et Thomas. Le récent Dictionnaire analogique
de P. Boissière fait place à plusieurs mots de la même
famille : « Ossiafiique, ossianiser, ossianisme, ossinniste» ;
ce dernier est adjectif ou substantif à volonté. L'influence
d'Ossian aboutit à un enrichissement du vocabulaire, mais
du vocabulaire de Thistoire littéraire seulement : car Ossian
et l'ossianisme n'évoquant plus aucune idée distincte pour
la majorité des Français même cultivés, ces mots dérivés
ne seront pas employés, comme shakespearien, corné-
lien, etc., pour marquer des nuances permanentes de l'art
ou de la sensibilité.
Le mot ossianesque, que j'ai vu quelquefois essayer en
ces dernières années, sans doute par analogie avec dantes-
que et autres adjectifs venus de l'italien, n'est admis à ma
connaissance dans aucun dictionnaire, et ne doit pas l'être,
car il n'a été accrédité à aucune époque du succès d'Ossian
en France.
CONCLUSION
On ne doit pas s'attendre à trouver ici résumée l'histoire
de l'ossianisme français, ni répétées les conclusions parti-
culières que j'ai été amené à formuler à propos de chaque
époque ou de chaque question. Je me contenterai d exposer
quelques réflexions générales qui se dégagent de ces re-
cherches. Sur plusieurs points d'ailleurs, je n'ai fait qu'ap-
puyer de preuves plus nombreuses et plus circonstanciées
ce que tout le monde savait déjà. Sur d'autres, les faits que
j'ai rassemblés invitent à modifier quelques idées reçues, et
surtout à ajouter quelques vues nouvelles.
On représente communément le succès d'Ossian en France
comme dû uniquement à ce qu'il apportait de nouveau à
l'imagination et à la rêverie. En réalité, si ce succès a été
si étendu, si prolongé, et auprès de lecteurs si divers, c'est
qu'Ossian intéressait à la fois ou tour à tour des facultés dif-
férentes de l'esprit. Les premiers qui l'ont découvert y ont
vu un document littéraire de premier ordre sur le langage
et la poésie des peuples primitifs. Presque en même temps,
on le considérait comme un monument historique précieux
de la civilisation des Celtes et des anciens habitants de l'Eu-
rope du Nord : cette idée persiste pendant environ soixante
ans. Pendant le même laps de temps à peu près, il est cons-
tamment admiré pour la beauté morale de ses héros et de
leurs actions : à une époque où l'on parlait beaucoup de la
vertu, on en trouvait dans ses chants les plus parfaits mo-
dèles. Reste l'aspect sentimental, celui que l'on a seul fait
ressortir jusqu'ici. Ossian, qui intéressait les esprits par les
raisons que je viens de résumer, touche en effet les âmes
par son paysage grandiose et triste, par la place qu'y oc-
cupent les ruines, par la grâce de ses peintures, par le pathé-
tique de ses sentiments, par la mélancolie de ses réflexions.
472 Ossian en France
Vertueux comme Richardson ou Rousseau, il est funèbre
comme Young et idyllique comme Gessner. Il exprime à la
fois les tendances sentimentales les plus diverses, tempérées
Tune par l'autre et influant l'une sur l'autre : de sorte que
son succès est dû en partie à cette combinaison nouvelle,
en partie à l'évidente nouveauté du paysage et du style.
Il faut donc élargir sensiblement l'idée qu'on se fait de
l'ossianisme français. Les poèmes attribués au Barde de
Morven ont ofl"ert successivement ou à la fois un document
littéraire, un monument historique, un idéal moral, des ta-
bleaux qui séduisent l'imagination ou qui émeuvent la sen-
sibilité. Ces deux derniers caractères ne doivent pas faire
oublier les trois premiers. Par ceux-ci Ossian appartient à
rhistoire des idées, comme par les autres, plus connus jus-
qu'ici, à l'histoire des sentiments et de leur expression lit-
téraire.
Il faut également prolonger dans le temps cette influence
si X'ariée. Trop souvent on limite l'ossianisme français à la
brève période de la mode ossianique sous le Consulat et
l'Empire et à une influence un peu plus durable sur quel-
ques écrivains. En réalité, le genre ossianique a fourni des
sources aux poètes pendant un demi-siècle environ, de 1780
à 1830 ;les poèmesdu Barde avaient dès avant cette époque
intéressé des esprits distingués, et ont continué quelque
temps après à offrir un refuge à certains rêves. Il faut donc
distinguer la mode ossianique de l'ossianisme. Celui-ci
commence, coïncidence remarquable, en même temps que
le succès d' Young et celui de Gessner ; il est plus lent à
s'établir, il passe plus tard par son maximum, et emprunte
à une circonstance purement fortuite, le goût personnel de
Napoléon, un éclat éphémère que n'ont jamais connu les
influences rivales. Il constitue avec ces dernières et plus
qu'elles un des éléments importants du préromantisme. Il
sert puissamment la réaction contre le classique gréco-romain
en olTrant un autre modèle de classique, un classique du
Nord : c'est comme tel qu'il a été goûté par beaucoup d'es-
prits timides. D'autre part, il renforce et grossit divers
courants partiels dans lesquels le romantisme s'essayait sans
trouver sa voie : le troubadour, le gothique, le frénétique.
Surtout il donnait une forme particulière, et par suite pro-
Conclusion 4^3
visoire, à certains éléments généraux du romantisme : le
paysage sombre et grandiose, la mélancolie des tombeaux
et des ruines, le pathétique de la destinée humaine. Cer-
taines modes littéraires qui ont commencé par lui être pa-
rallèles, et qui lui ont survécu, le byronisme, le goût pour
Walter Scott, ont repris quelques-uns de ses traits.
On peut donc conclure sur ce second point, que l'ossia-
nisme, qui satisfaisait les tendances les plus variées, et
même parfois les plus contraires, a été une longue étape du
goût français entre le classicisme et le romantisme ; et son
apogée a été favorisé à cet égard par l'anarchie complète
où se trouvait le goût au début du siècle, entre le classique
expirant et le romantique à peine aperçu.
Pourquoi ces poèmes, après avoir été si généralement
appréciés, ont-ils cessé de plaire et même d'être lus? D'abord,
par la ruine de Tauthenticité absolue, qui entraînait for-
cément la ruine de tout intérêt documentaire, historique
ou moral. Quoiqu'il y ait eu de tout temps des sceptiques,
et qu'on rencontre très tard des fidèles, on peut dire néan-
moins que cette ruine est consommée entre 1830 et 1860.
Mais si elle explique qu'on ait abandonné Ossian comme
document, elle n'explique pas qu'on l'ait dédaigné comme
source d'émotion et de poésie. Ici deux raisons nouvelles
interviennent. La première est générale : l'ossianisme était
une mode littéraire, qui ne donnait qu'une forme passagère
à des sentiments durables ou même éternels, et une mode
très limitée dans ses ressources, très peu variée dans son
expression. Ainsi ont paru successivement le pétrarquisme,
le précieux, le goût de Young ou de Gessner, et de nos jours
le tolstoïsme et le nietzschéisme. Comme eux, il devait périr,
après une existence brillante et brève ; comme eux, après avoir
exprimé d'une manière heureuse et frappante certains sen-
timents vagues ou obscurs auparavant, il devait disparaître,
sa tâche une fois accomplie, qui était d'en enrichir le patri-
moine sentimental de l'Europe pensante,
La seconde raison est particulière. On pourrait aimer
Macpherson ou Smith comme on aimait Ossian, et il devrait
être au fond assez indifférent que tel paysage, tel sentiment
ait été évoqué par un vieux barde aveugle il y a quinze
siècles, ou par un jeune précepteur ou un ministre il y a
474
Ossian en France
cinquante ans, si ridée,rimage ou l'expression nous charment.
Cependant il n'en est rien, au moins chez la plupart. C'est
sans doute qu'il entrait dans cette sympathie une grande
part d'imagination. La légende qui les enveloppait donnait
à ces sentiments et à ces descriptions une séduction qui les
transformait : le jour cru de la vérité, en dissipant ce nimbe
poétique, sembla leur enlever toute beauté. Rappelons-nous
cependant que plusieurs, Chateaubriand, Nodier, Boissonade,
ont témoigné fermement que pour être complètement dé-
trompés sur l'origine de ces chants, ils n'en restaient pas
moins profondément sensibles à leur charme.
Mais pourquoi les générations suivantes n'ont-elles pas
goûté les poèmes ossianiques ? Ayant ignoré l'illusion pre-
mière, elles devaient ignorer aussi la déception. La vérité
est qu'elles ne les ont pas lus. Plus connu de nom et tout
de même plus cité que Young et Gessner, Ossian est relé-
gué comme eux parmi les vieilleries, défroques ridicules d'un
passé qui n'est pas tout à fait assez lointain pour redeve-
nir sympathique. Ceux qui s'avisent de feuilleter ses poèmes
ne les voient le plus souvent qu'à travers le français de
Le Tourneur-Hill-Christian, très Louis XVI et démodé au
suprême degré. Les lire d ailleurs, ce serait, semble-t-il, se
montrer dupe d'une fraude que l'on croit complètement
dévoilée ; ce serait se couvrir de ridicule. Très rares sont
ceux qui ont échappé à cette crainte, qui ont voulu et qui
ont pu lire en anglais quelques pages de Macpherson, par
curiosité et sans parti pris d'aucune sorte; quant à Smith,
je crois bien que pas un Français ne s'est avisé de remonter
au texte, assez difficile d'ailleurs à rencontrer. Il se peut
que l'avenir réserve à Ossian, non pas certes un regain de
faveur, mais une curiosité plus studieuse et plus sympa-
thique ; l'auteur de ce livre voudrait avoir contribué à l'éclai-
rer et à la dirig'er.
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
Cette Bibliographie ne comprend, à peu d'exceptions près,
que les ouvrages ou collections auxquels les notes d'Ossian
en France, d'une manière souvent abrégée mais, je l'espère,
suffisamment claire, ont renvoyé le lecteur. Il va sans dire
que j'ai eu entre les mains un nombre bien plus considé-
rable de volumes, dont beaucoup, sans donner lieu à des
références précises, ont influé sur les vues que présentent
certains chapitres. Elle ne comprend pas plusieurs ouvrages
que la controverse ossianique a fait naître en Grande-Bre-
tagne et dont les titres sont donnés dans Y Introduction. Se.
n'y ai pas fait entrer à titre individuel les nombreuses
pièces de vers, romances, imitations, que contiennent les
collections ou les périodiques cités, ce qui eût été l'étendre à
l'excès en reproduisant inutilement les notes de mon livre.
On n'y trouvera pas non plus les 640 catalogues de biblio-
thèques privées que j'ai examinés pour y chercher Ossian,
ni les registres d'état-civil ou de baptêmes que j'ai consultés
à Reims et à Fontainebleau, ni les manuscrits de pièces de
théâtre conservés aux Archives Nationales (dossiers de la
Censure), ni les inventaires divers et catalogues spéciaux
de la Bibliothèque Nationale (imprimés et estampes) et de
celle de l'Opéra.
Au sujet de la très simple classification que j'ai adoptée,
on remarquera que la première section correspond en gé-
néral à V Introduction, mais intéresse aussi presque toutes
les périodes de l'ossianisme français. La deuxième, la troi-
sième et la quatrième (textes et traductions) sont les seules
où la description bibliographique complète des ouvrages soit
donnée ; ils y sont rangés, pour des raisons d'évidence, par
ordre chronologique et non alphabétique comme dans les
autres sections. La démarcation entre la cinquième {Ou-
47^ Ossian en France
vrages divers) et la neuvième {Etudes historiques et cri-
tiques) est sur certains points forcément arbitraire : beau-
coup de textes du xix" siècle constituent en effet, à la fois
des documents originaux qui sont la matière même de l'his-
toire de Tossianisme français, et des sources d'information
historique sur quelques-uns des faits considérés. J'ai réparti
ces ouvrages suivant le caractère qui dominait en chacun
d'eux ; mais il sera toujours utile, pour le xix" siècle, de
compléter la première liste par la seconde.
Lorsque le lieu d'impression n'est pas indiqué, il faut
sous-entendre : Paris.
I. La légende ossianique et l'Ossian de Macpherson.
Alemanni(Vittore), Un ftlosofo délie lellere[Melchior Cesarolli).
Parle prima. Turin-Rome, 1894, in- 8.
Arbois (D') de Jubainville, Les Celtes depuis les temps les plus
anciens jusquW l'an iOO avant notre ère, 1904, in-12.
— Le Char de guerre en Irlande et la mort de Cùchu-
lainn, s. d., in-8.
— Cours de Littérature celtique, in-8; tome I : Litroduc-
tion à V étude de la Littérature celtique, 1883 ; t. II :
Le cycle mythologique irlandais et la mythologie cel~
tique, 1884 ; t. V : L'Epopée celtique en Irlande, 1892 ;
t. VI : La Civilisation des Celtes et celle de l'épopée
homérique, 1899.
— Esquisse de la mythologie irlandaise [Revue Archéolo-
gique, 1878).
— Essai d'un Catalogue de la littérature épique de l'Ir-
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Ossian, The Poems of — , in the original Gaelic, with a literal
translation into Latin, by the late Robert Macfarlan,
together with a Dissertation on the Aulhenticity of
the Poems, by Sir John Sinclair, and a Translation
from the Italian of the Abbé Cesarotti's Dissertation
on the Controversy respecting the Authenticity of Os-
sian, with notes, and a supplemental Essay by John
^Ic Arthur. Published under the sanction of the High-
land Society of London. Londres, 1807, 3 vol. gr,
in-8.
Ossian, The Poems of — ,in the original Gaelic, with a literary
transcription into English and a Dissertation on the
Authenticity... together with the English translation by
Mac-Pherson, by the Rev. Archibald Glerk. Edim-
bourg, 1870, 2 vol. gr. in-8.
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II. Textes anglais, traductions allemande et italienne y
d'après lesquels Ossian a été traduit ou imité en France
[par ordre chronologique).
The London Chronicle, or, Universal Evening Post, Londres,
in-4, année 1760, t. IL
Fragments of Ancient Poetry, collected in the Highlands of
Scotland, and translated froni the Galic or Erse lan-
guage. Edimbourg, 1760, in-12, 70 p.
Fingal, an Ancient Epie Poem,in six books ; together with sev-
eral other Poems, composed by Ossian, the son of Fin-
gal ; translated from the Galic language by James Mac-
pherson- Londres, T. Becket et P. -A. De Hondt, 1762,
in-4, 270 p.
Temora, an Ancient Epie Poem, in eight books; together with
several other Poems, composed by Ossian, the son of
Fingal ; translated from the Galic language by James
482 Ossian en France
Macpherson. Londres, ï. Becket et P. -A. De Ilondt,
1763, in-4, XXXIV-247 p.
— Ici., Dublin, Leathly et Wilson, 1763, in-8,280 p.
The Works of Ossian, ihe son of Fingal, in two volumes; Irans-
lated from the Galic language by James Macpl'erson.
Third édition. Londres, T. Becket et P.-A. Dehondt,
1765, 2 vol. in-8, 450 et 455 p.
— 7c/., Fourth édition, 1773, 2 vol in-8.
Nombreuses éditions postérieures, en Angleterre et sur lo con-
tinent, qui offrent le même texte que la quatrième édi-
tion.
The Poeins of Ossian, translated by James Macpherson, esq.,
with Dissertations on the yEra and Poems of Ossian,
and Dr Blairs Critical Dissertation. Leipzig (ïauch-
nitz Collection of British Authors, vol. 116), 1847, in-
12, 382 p.
DieLeiden desjungen Werfhers. Leipzig, Weygand, 1774, in-12.
Nombreuses rééditions du même ouvrage.
Poésie di Ossian, antico poeta celtico. ultimamente scoperte, e
tradotte in prosa inglese da Jacopo Macpherson, e da
quella trasportate in verso italiano dall' abate Mel-
chior Gesarotti, con varie annotazioni de' due tradut-
tori. Bassano, J795, 3 vol. in-12.
John Smith, Galic AntiquiLies; consisting of a Histoiy of the
Druids, particularly of those of Caledonia, a Disserta-
tion on the Authenticity of the Poems of Ossian, and
a Collection of ancient Poems, translated from the Ga-
lic of Ullin, Ossian, Orran, etc. Edimbourg, 1780, in-
4, VIII-352 p.
IIL — Traductions en prose (jjar ordre chronologique).
Journal Etranger. Paris, in-8 : septembre 1760, janvier et dé-
cembre 1761, janvier, février, avril, juillet et septembre
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Grimm, Diderot, Raynal, Meister, etc .., Correspondance litté-
raire, philosophique et critique, p. p. M. Tourneux,
1877-1882, 16 vol in-8 : IV, 494 (décembre 1761).
Carlhon, poème, traduit de l'anglais. Londres, 1762, in-12, 50 p.
Gazette Littéraire de V Europe. Paris, in-8 : l^'' octobre 1764,
P"^ août 1765.
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duites, concernant la Philosophie, la Littérature et les
Arts. Paris, Lacombe, 1768-1769, 4 vol. in-8.
— Id , Paris. Le Jay, 1770.
— Id., Paris, Déterville, an XIl-1804.
Choix de Contes et de Poésies Erses, traduits de l'anglais. Ams-
terdam et Paris, 1772, 2 vol. in-12, 246 et 197 p. :
tome IL
Témora, poème épique en VIII chants, composé en langue erse
ou gallique par Ossian. lils de Fingal, traduit d'après
l'édition anglaise de Macpherson par M. le Marquis
de Saint-Simon. Amsterdam, Ghanguyon, 1774, in-8,
252 p.
Journal Anglais. Paris, in-8: II, 35 (15 février 1776).
Ossian, fils de Fingal, barde du m' siècle, Poesj'es Galliques, tra-
duites sur l'anglais de M. Macpherson par M. Le Tour-
neur. Paris, Musier fils, 1777, 2 vol. in-8, lxxx-309
et 300 p.
Poésies Helvéliennes, par M. B*** [Bridel]. Lausanne, 1782, in-
8 ; Discours préliminaire.
[Le Prévost d'Exmes] Trésor de Littérature étrangère. Paris,
1784, 2 vol. in-8: tome IL
[Restif de la Bretonne] Les Veillées du Marais, ou Histoire du
grand prince Oribeau,roi de Mommonie, au pays d'E-
vinland, et de la vertueuse princesse Oribelle,de Lagé-
nie ; tirée des anciennes annales irlandaises, et récem-
ment translatée en français, par Nichols-Donneraill. du
comté de Korke, descendant de l'auteur. A Waterford,
capitale de Mommonie, 1785, 2 vol. in-8, 496 et 556 p.
Nouvelle Bibliothèque des Bomans. Paris, in-12 : janvier 1786,
tome IL
Le Jardin Anglais, ou Variétés, tant originales que traduites,
par feu M. Le Tourneur ; précédées d'une notice sur
sa vie et ses ouvrages, avec son portrait. Londres et
Paris, Leroy, 1788, 2 vol. in-8 : tome I.
Poèmes d'Ossian et de quelques autres Bardes, pour servir de
suite à YOssian de Letorneur [sic). Paris, Gueffier et
Massot, an III, 3 vol. pet. in-18 avec gravures, l77,
1.55 et 173 p.
Les Poèmes d'Ossian, Orran, Ullin et d'Ardar, ou Les Délas-
sements des âmes sensibles dans les beautés de la Na-
ture. Traduction nouvelle de l'anglais, par Hill. Paris,
Fr. Dufart, an IV ou 1796, 3 vol. identiques aux pré-
cédents.
484 Ossian en France
Ossian... Poésies G;j//ff/ues, traduites par Le Tourneur et David
de Saint-Georges. Paris, Dufart, an \'I-1798, 7 vol.
in-l8.
Ossian... Poésies Galliques, traduites par Le Tourneur. Paris,
an VII- 1799, 2 voL in-8.
Ossian... Poésies Galliques^ traduites sur l'anglais de Macpher-
son,par Le Tourneur. Nouvelle édition, augmentée des
Poèmes d'Ossian et de quelques autres Bardes, traduits
sur l'anglais de J. Smith, pour s^ervir de suite à l'Os-
sian de Le Tourneur, et précédée d'une Notice sur
l'état actuel de la question relative à l'authenticité des
poèmes d'Ossian, par M. Ginguené, membre de l'Insti-
tut de France. Paris, Dentu, 1810, 2 vol. in-8 ornés d'un
frontispice et quatre gravures, 38-xLvni-429 et 553 p.
Ossian, traduction nouvelle et complète par M. de Saint-Geniès
(auteur de Balder, poème Scandinave, etc.), ornée
d'un grand nombre d'estampes en noir ou peintes,
dont les poèmes d'Ossian ont fourni tous les sujets.
Prospectus. Pai'is, s. d., in-8.
Ossian, Œuvres complètes, iraduciion nouvelle, précédée d'une
Notice sur l'authenticité des poèmes d'Ossian, par Au-
guste Lacaussade (de l'île Bourbon). Paris, Delloye,
1842, in-12, xli-369 p.
Ossian, barde du ni" siècle. Poèmes Gaéliques, recueillis par
James Macpherson. Traduction revue sur la dernière
édition anglaise, et précédée de Recherches critiques
sur Ossian et les Calédoniens, par P. Christian. Paris,
Lavigne, 1842, in-12, xxni-4S0 p. Réédité chez Ha-
chette, 1856, 1867. . 1905, 1910-
OSullivan (D.), Irlande; Poésies des Bardes, Légendes, Balla-
des, Chants populaires ; précédés d'un Essai sur ses
antiquités et sa littérature- Paris, 1853, in-8.
Chateaubriand, Œuvres complètes. Paris, Garnier, 1859-1861,
12 vol. in-8 : tome III.
Lamartine, Cours familier de Littérature. Paris, 1856-1868,
28 vol. in-8: tome XXV (1868).
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Les Délassements Poe<tV/ues, par M***[Samuel-Elisée de Bridel].
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et en prose lus dans les séances du Lycée des Étran-
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Journal des il/uses. Paris, 1797-1799, in-8: tomes I et IL
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Paris, 1798, in-18.
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Paris, P. Didot l'aîné, an IX, in-18, 264 p.
— Id., Nouvelle édition corrigée et augmentée, an XII-
1804, in- 12, 288 p.
— Id., Nouvelle édition, Louis Janet, 1818, in-18, 4 gra-
vures, xx-301 p.
— Poésies Galliques , suivies des Veillées Poétiques, Paris,
Gayet, 1827. in-8, 2 gravures, XVII 429 p.
Traductions et imitations de quelques poésies d'Ossian, ancien
poète celte, par Charles [d']Arbaud-Jouques. Paris,
Pougens, an IX-1801, in-8, 53 p.
Catheluïna, ou les Amis Rivaux, poème imité d'Ossian et mis
en vers français d'après la traduction en prose de Le
Tourneur, par le général D[espinoy]. Paris, Dentu,
anIX-180t, in-8, xiv-31 p.
Dorion, Chant de Sulmala, an IX.
Nouvel Almanach des Muses. Paris, in-18 : 1802.
Traduction libre en vers des Chants de Selma d'Ossian, suivie
du Danger des Règles dans les Arts, poème, et de
48b Ossian en France
quelques autres poésies, par J.-J. Taillasson. Paris,
Barrau, an X, in-8, 38 p
M.-J. Ghénier, Œuvres. Paris, 1825, 8 vol. in-8 : tome III.
Ducis (J.-F.), OËuvres, Paris, 18-26, 3 vol. in-8: tome III.
Fontanes, OEuvres, Faris, 1839, 2 vol. in-8 : tome I.
Mercure de France, Paris, in-8: 1804, 1813.
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Le Village Abandonné , poème d'Olivier Goldsmith ; Les chants
de Selina et Oithona. poèmes d'Ossian, traduits en vers
français par P. -A. L[ebrun des Charmettes]. Paris, De-
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Ampère (André-Marie) et Jean-Jacques Ampère, Correspondance
et Souvenirs (1805-1864), recueillis par M""" H. G.
1875, 2 vol. in-12.
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Anot (Cyprien), Elégies Rhémoises, suivies de Fragments dra-
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Andrieux (Fr.-G.-J.-St.), OEuvres, 1818-1823, 4 vol. in-8.
Anglemont (Edouard d'), Odes, 1825, in-12.
Arago (J.J, Aux jeunes poètes de l'époque, 1824, in-8.
Arkwright, Lettres de Charlotte à Caroline son amie pendant
sa liaison avec Werther, traduites de l'anglais, 1786,
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Arlequin au Muséum, 1806, in-8.
Arlincourt (vicomte d'), Charlemaqne oa la Caroléide, poème
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Armand-Charlemagne, Poésies fugitives, an IX, in-16.
Arnaud, Discours prononcés A l'Académie française le lundi
13 mai 1771 à la réception de M. l'abbé — , in-4.
Arnault (A.-V.), Le Chant d^Ossian, cantate, musique de Méhul
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— Oscar, fils d'Ossian, tragédie en 5 actes, an IV, in-8.
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Arnault (Lucien), OEuvres dramatiques, 1865, 3 vol. in-8.
Arnould (Edmond), Essais de Théorie et d'Histoire littéraire,
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Artaud, Essai littéraire sur le génie poétique au XLX" siècle,
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Ballanche, Fragments, 1819, in-18.
— OEuvres, 1833, 4 vol. in-18.
— Du Sentiment considéré dans ses rapports avec la lit-
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Perdues, 1839, in-8.
Baour-Lormian (P.-M.-L.), Canon d'alarme, 1829, in-8.
— Cendres {Aux) de Napoléon, 1840, in-8.
— - Chant d'Hymen [1810], in-8.
— Chant funèbre, exécuté. ..le 3\ [sjc] janvier 1817, pour
l'anniversaire delà mort de Louis XV^I, 1817, in-8.
— Le Classique et le Romantique, dialogue, 1825, in-8.
— Encore un mot, seconde satire, pour faire suite à la
première satire du même auteur : Le Classique et le
Romantique, 1826, in-8.
— Epître au Roi et Ode sur le mariage de Mgr le Duc
de Berry, 1816, in-8.
— Les Fêtes de l'Hymen, suivies du Chant Nuptial, ISIO,
in-8.
— Jérusalem (La) Délivrée en vers français, an R'^-1796,
2 vol. in-8.
— Mon premier mot, 1797, in-18.
— Mon second mot, an VI, in-8.
— Les Nouveaux Martyrs, satire, 1829, in-8.
— Ode sur la Naissance du Roi de Rome [1811], in-4.
— Recueil de Poésies diverses, Bordeaux, an XI -1803,
in-8.
— Le Rétahlissemenl du Culte, poème, an X-1802, in-8.
— Le Retour à la Religion, poème, suivi du Sacre de
Charles X, 1825, in-'8.
— Les Trois Mots, satires, an VIII, in-S.
— Veillées poétiques et morales, 4*' éd., 1819, in-12.
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servir de supplément et de preuves à l'Introduction à
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Malo (Chai-les), L' Antigone Scandinave, scène lyrique imitée
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Méhul, Ulhal, opéra en un acte et en vers, imité d'Ossian, pa-
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Bibliographie 5oi
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sat de Mairobert, Moufle d'Angerville, etc.] Lon-
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Moufle (Auguste), Poésies diverses, 1818, in-18.
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Napoléon inconnu. Papiers inédits (1786-1793), p. p. Frédéric
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Napoléon I®"", Correspondance, p. p. ordre de l'Empereur Na-
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— Œuvres, 1832, 8 vol. in-8.
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— OEuvres complètes, p. p. Aimé-Martin, 1818, 12 vol.
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5o6 Ossian en France
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Abeille (L") française [Edmond Gordier], an II sv., in-8.
Académie Celtique [Mémoires de /'), 1807 sv., in-8.
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Histoire et Mé-
moires de l'), in-4.
Académie Française {Recueil des discours, rapports et pièces
diverses lues dans les séances publiques et particulières
de r), in-4.
Académie Royale des Sciences et Belles-Lettres [de Ber\m]{His-
toire de T). Berlin, in-4.
Académie royale des Sciences et Belles-Lettres {Nouveaux Mé-
moires de V). Berlin, 1770 et sv., in-4.
Académie royale des Sciences, des Belles-Lettres et des Arts de
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précédé d'une Histoire de l'Académie par M. Gos-
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Affiches, Annonces et Avis divers [Affiches de Province], 1760
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Album (L'), journal des arts, des modes el des théâtres, 1819
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Almanach des Dames. Tubingue-Paris, 1801-1835, in-12.
Almanach des Demoiselles ou le Chansonnier de l'Amour et
des Grâces, 1812, in-18.
Alm,anach des Grâces ou Hommages à la Beauté [Jacquelin],
1804-1807, in-18.
Almanach des honnêtes gens (P. Salles), 1797, in-18.
Bibliographie 509
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in-18.
Almanach {Nouvel) des Muses pour l'an grégorien..., 1802-1815,
in-18.
Almanach des Prosateurs [Vi\ N*** et Lamare], an X (1801),
an XII (1803), in-18.
Almanach Littéraire ou Etrennes d'Apollon, 1777-1793, in-18.
Ambigu {U) ou Variétés littéraires et politiques (Peltier). Lon-
dres, 1805-1809, in-8.
Annales de la Littérature et des Arts, 1820-1826, in-8.
Annales du Musée et de l'Ecole moderne des Beaux-Arts (Lan-
don), 1800 sv., in-8.
Annales politiques, civiles et littéraires du XVIII" siècle [Lin-
guet]. Londres, 1777 sv., in-8.
Année (L'j Française ou Mémorial des Sciences, des Arts et des
Lettres, 1824-1825, in-8.
Année (L') Littéraire, 1754-1790, in-12.
Annonces, Affiches et Avis divers [Affiches de Paris], 1760 sv. ,
in-8.
Annuaire nécrologique ou Complément annuel de toutes les
Biographies, 1824, in-8.
Archives littéraires de l'Europe, 1804 sv., in-8.
Artiste (V), 1831 sv., in-4.
Barde {Le) français, faisant suite aux Chansonniers français et
des Demoiselles, 1825 sv., in-18.
Bibliothèque du Nord, ouvrage destiné à faire connaître en France
tout ce que l'Allemagne produit d'intéressant,d'agréable
et d'utile dans tous les genres de Sciences, de Littéra-
ture et d'Arts; par la Société patriotique de Hesse-
Hombourg, 1778 sv., in-12.
Bibliothèque Universelle des Sciences, Belles-Lettres et Arts.
Genève, 1816 sv., in-8.
Bibliothèque Universelle des Bomans, 1775 sv., in-8.
Bulletin polymathique du Muséum d'instruction publique de
Bordeaux. Bordeaux, an XI à 1806, in-8.
Catholique {Le) [baron d'Eckstein], 1826-1829, in-8.
Censeur {Le) Européen, 1819, in-f°.
Chansonnier des Demoiselles, pour faire suite au Bouquet f/e
jasmin, 1805 sv., in-18.
Chansonnier des Grâces (Le), an V (1797)-1830, in-18.
Chansonnier des Muses, 1801 sv., in-18.
Chansonnier sentimental {Le), ou Choix de Poésies propres à
former les qualités du cœur, an XI, in-18.
5io Ossian en France
Conservateur (Le), 1818-1820, in-8.
Conservateur littéraire (Le), 1819-1821, in-8.
Courrier de l'Europe, Gazelle anglo-française. Londres, 1776
sv., in-4.
Décade {La) philosophique, littéraire et politique, an II à 1812,
in-8.
Echo (L') des Bardes, ou le Chansonnier des Demoiselles, 1815
sv,, in-r2.
Elrennes de Polymnie, Recueil de chansons, romances, vaude-
villes, etc.. 1786 sv., in-18.
Elrennes du Parnasse, Choix de poésies, 1785 sv., in-18.
Etrennes lyriques, anacréontiques, 1781 sv., in-18.
Gazette et Avant-Coureur de Littérature, des Sciences et des
Arts, contenant toutes les nouvelles de la République
des Lettres, etc., 1774 sv., in-8.
Gazette Littéraire de l'Europe [Arnaud et Suard], 1764-1766,
in-S.
Gazette Universelle des Li;7/e>a^«re5,Deux-Ponls, 1770-1781, in-4.
Globe {Le), journal philosophique et littéraire, 1824 sv., in-4.
Guirlande (La) des Dames [Albéric Deville], 1815 sv., in-24.
Intermédiaire (/') des chercheurs et des curieux, in-8.
Journal anglais [Le Fuel de Méricourt etc.] 1775-1778, in-8.
Journal de Littérature française et étrangère [1783], in-r2.
Journal de Paris, 1760 sv., in-4.
Journal de politique et de littérature [La Harpe]. Bruxelles,
1774 sv., in-8.
Journal des Arts, des Sciences et de la Littérature [Colnet],an
VII à 1816, in-8.
Journal des Bâtiments civils, Monuments et Ar/5, 180 1-1802, in-8.
Journal des Beaux-Arts et des Sciences [abbé Aubert], 1768
sv., in-12.
Journal des Dames (M'"" de Maisonneuve), 1764 sv.. in-12.
Journal des Débats el Journal de VEmpire, 1800 sv., in-f°.
Journal des Muses, 1797-1799, in-8
Journal des Savants, 1762-1788, in-4.
Journal Encyclopédique. Bouillon, 1756-1763, in-12.
Journal Etranger, 1754-1763, in-12.
Journal Français, s. d.. in-8.
Journal général delà Littérature étrangère, 1822-1826, in-8.
Journal général de Littérature, des Sciences et des Arts, par
[Fontenai et] Guillon, 1801-1802, in-4.
Journal Littéraire [Clément, de Dijon] 1796-1797, in-8.
Lycée français, ou Mélanges de lilléralure et de critique, I81Î)
sv,, in-8.
Bibliographie 5i i
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Magasin Pittoresque, 1833 sv., in-4.
Mémoires secrets de la République des Lettres^ rédigés par
Fauteur des Étrennes de l'Institut, de la Fin du
XVlll^ siècle, etc.. et par plusieurs littérateurs indé-
pendants. Journal d'opposition littéraire [Colnet] ;
an VIII, in-12.
Mercure {Le) de France, Mercure français, Mercure de France^
1760-1818, in-12 et in-8.
Mercure {Le) du Dix-neuvième siècle, 1823 sv., in-8.
Mercure (Le) Etranger ou Annales de la Littérature étrangère,
1813 sv., in-8.
Minerve {La) française [Aignan, etc.], 1818-1820, in-8.
Moniteur {Le) Universel, 1800 sv., in-folio.
Publiciste {Le), 1801 sv.,in-4.
Quatre (Les) Saisons du Parnasse, 1805-1808, in-8.
Renommée (La), 1819 sv, , in-4.
Revue Celtique, in-8.
Revue de Paris, 1829-1833, in-8.
Revue d'Histoire littéraire de la France, 1893, sv., in-8.
Revue des Deux-Mondes, 1831 sv.,in-8.
Revue Encyclopédique, ou Analyse raisonnée des productions
les plus remarquables dans la Littérature, les Sciences
et les Arts, 1819-1829, in-8.
Revue Française, 1828-1830, in-8.
Souvenir des Ménestrels, 1814-1816, in-8.
Spectateur {Le), ou Variétés historiques, littéraires, critiques,
politiques et morales (Malte-Brun), I8l4 sv., in-8.
Spectateur {Le) du Nord, journal politique, littéraire et moral.
Hambourg-, puis : en Basse-Saxe, 1797-1802, in-8.
Spectateur (Le) Français au XIX'^ siècle, ou Variétés morales et
littéraires, recueillies des meilleurs écrits périodiques,
1801-1812, in-8.
Trésor {Le) du Parnasse, 1762-1770, in-8.
Veillées des Muses, ou Recueil périodique des ouvrages en
vers et en prose, lus dans les séances du Lycée des
Etrangers [Arnault, Laya, Legouvé et Vigée], 1798,
in-12.
5i2 Ossian en France
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Abry, Audic et Crouzei, Histoire illustrée de la Littérature fran-
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— Dictionnaire général de biographie et d'histoire...
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Dictionnaire historique et bibliographique (Ladvocat) nouv.
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in-8.
Quérard, La France Littéraire et continuations, 1827-1857,
18 vol. in-8.
Supplément à l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Scien-
ces, des Artsat des Métiers, Amsterdam, 1776, 4 vol.
in-folio
Vapereau (G.), Dictionnaire universel des Littératures, 4* éd.,
1870, in-4.
IX. Etudes historiques et critiques.
Abell (Mrs. Lucia Elizabelh) — Betsy Balcombe — Napoléon
TOME II 33
5)4 Ossian en France
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INDEX
ALPHABÉTIQUE
Cet Index ne comprend que les noms de personnes cités, et
les titres d'ouvrages lorsque ceux-ci sont anonymes. On n'y a
fait figurer ni les noms géographiques, ni ceux des personnages
des œuvres d "imagination et particulièrement des poèmes ossia-
niques, ni les titres de ces poèmes. Les mots Ossian, Macpher-
son {James) et Smilh se rencontrant plusieurs l'ois presque à
chaque page de cet ouvrage, on a jugé suffisant de n'indiquer
que les pages où ces personnages sont particulièrement étudiés.
Les chiffres en italiques renvoient aux pages où il est traité plus
en détail de l'auteur ou de l'ouvrage.
Abaris, I, 269.
Addison, I, 109, 184, 205, 262,365;
II, 303.
Ahhvardt, II, 28, 232.
Aignan, II, 20, 373-374, 392.
Aiguillon (duc d'), I, 148.
— (duchesse d'), I, 147-148,
157.
Albert (Paul), I, 217; II, 460-461.
Albins (d'), I, 408.
Alembert (d'), I, 177, 181, 204.
Alfieri, II, 339.
Ammien Marcellin, I, 194.
Ampère(J.-J.), 1,393; II, 172,560,451.
Anacréon. Il, 252, 259.
Ancelot(M"«), II, 45.
Andler, I, 6.
André, I, 178.
Andrieux, I, 397; H, 41, 241.
Angellier, II, 461.
Anglemont (d'), 11, 356.
Angoulême (duchesse d'), II, 276.
Annunzio d'), I, 331 ; II, 263.
Anot (Cyprien), II. 278, 369.
Arbaud-Jouques (d'), II, 85-91, 102-
103, 226, 229, 242.
Arbois (d') de Jubainville, 1,11-19,
67-68, 72, 94, 196; II, 10, 447.
Arioste (1'), 1, 117, 237, 238, 348 ;
II, 4, 20.
Aristote, 1, 234; H, 448.
Arkwright, 1, 297.
Arlincourt (d'), II, 290-292.
Arnaud (abbé), I, 104, 105, 107, 144,
172-173, 182, 229.
Arnaud (d* , 1, 176-177, 187.
Arnault(A.-V.), 1,397,410; II, 6-8,
10, 17, 20, 41,111,^/5-/^5,139,170.
— (Lucien), I, 297.
Arnold (Matthew), 1, 95, 149, 211.
Artaud, II, 391.
Arvède Barine, I, 74; 11,10, 43, -{65,
465.
Aubert (abbé), 1, 176.
Aubry, I, 286-È87, 292.
Aubry-Lecomte, II, 146.
Auger, II, 74, 177, 241-242, 246,249.
Auguis, II, 24.
Bachaumont, I, 148, 156, 180, 188,
224, 388.
Bachelet et Dezobry, II, 468.
Bachellery (M-), 1, 289, 295.
Baedekei-, II, 427.
Baïf, 1, 110.
Baïls(de), I, 104.
522
Ossian en Frar
Baldensperg-er, I. 6, 277; II, 35.
Ballanche, II, 170-172.
Balzac (H. de), II, 359, 379-380.
Baoïir-Lormian, I, 170, 342, 352,359,
382. 393, 402 ; II, 15, 20, 33, 56^-77,
80, 86. 91, 96, 101, ilO-UI, 119,
141,159. 175, 181,209, 227,241,253,
258, 260. 267-268, 292, 299, 303, 315,
339, 345, 356, 358, 399, 416, 454-
455.
Baraudon, II, 429.
Barbey d'Aurevilly, II, 29.
Barbier (Aug.), II, 354.
Barbour, I, 11.
Barjaud, II, 34.
Barthe, 1, 176.
Bastide (Jules), II, 172, 360.
Batsany, II, 28.
Baudouin, II, 438.
Beattie, I, 52, 386 ; II, Mî-i'W, 216,
292, 393.
Beauchesne (de), II, 356.
Beauharnais (comtesse de), I, 385.
Beaumarchais, II, 29.
Beaunier. I, 362-363.
Beauvarlet-Charpentier, II, 111.
Belloc, II, 181.
Beowulf, I. 238.
Bérenger, I, 205, 384.
Berleps (M"» de), II, 25.
Berlioz, II, 127, 130, 136, 359.
Bernard, I. 176, 180.
Bernard (Thaïes), II, 457.
Bernadotte, II, 29, 52, 142.
Bernède, II, 294-296.
Berquin, I, 176.
Berret II, 387, 388.
Bertin, I, 176, 178.
Bessières, II, 356.
Bélourné, II, 279.
Beyle (Pauline), II, 181-181.
Bible(U),l, 56,62, 127-128, 135. 155,
210, 215-216,267, 364. 368 ; 11,127,
175-176, 197, 204, 247, 316,324,368,
363.
Bielfeld, II, 18.
Bignan, II. 393.
— (A.) fils, II, 162.
Bilderdijk, II, 47, 164.
Bissy (comte de), I, 186.
Bitaubé, I, 245-246.
Blair (Dr. Ilugh), I, 23-28, 39, 52, 55,
79-81, 87, 92, 163, 170. 173, 203, 216,
32 1 -230, 2i2,2b3, 312, 315, 317,337,
367, 369, 372, 398; II, 6, 21, 27, 55,
79, 186, 215, 23^1-235, 269-270, 334,
363, 401, 448, 463.
Blair (Robert), I, 21.
Blanchet, II, 252.
Blanqui (Ad.), II, 421-422.
Bliii de Sainmore, I, 176-177.
Bock (baron de), I, 385.
Boissière, II, 393.
Boissonade, I, 324 ; II, 74-75, 226-
228, 236, 241.
Boigne (de), II, 430.
Boileau, I, 184 ; II, 41-42, 65, 72, 85-
86. 109, 188, 248.
Boissy d'Anglas, I, 387.
Boiste, II, 370-371, 470.
Boivin, II, 447.
Bonaparte (Louis), II, 250.
Bonneville, I, 409-410 ; II, 41.
Bonnet, II, 112.
Bonstetlen (de), II, 363-364, 374.
Borel (Petrus), II, 351-352.
Bosc, II, 442.
Bossuet, I, 111 ; II, 316.
Boswell, I, 28.
Buuché, II, 442.
Boucher de Perthes, II, 164, 280-282,
431.
Bouffet, II, 111.
Boufflers (de), I, 176.
Bougv (de), II. 454.
Bouillet, II, 468.
Boulay-Paty, II, 284, 351.
Bourgeois, I, 297.
Bourrienne, II, 6, 12.
Bouvier (abbé). I, 6, II, 272, 455.
Bovet (M. -A. de), II, 429.
Brady, I. 163.
Bridai (Philippe), I, 375-381.
— (Samuel-Elisée), I, 381-383.
Brifaut. II, 20, 358, 391.
Brizeux, II, 354.
Brooke (miss), I, 66 ; II, 86-81, 450.
Brotonne (de), II, 372, 374.
Brown (Dr.), I. 166, 198. 241.
BrugLiière de Sorsum, II, 264-266.
Brunetière, I, 372.
Buat (du), I, 194.
BufTon, I, 198, 364 ; II, 71.
Bullet, I, 195.
Buloz, II, 459.
Bûrger, II, 391.
Burns, II, 458, 459, 462.
Bute (Lord), I, 26, 28.
Buzonnière (de), II, 422-423.
Byron 1,1; II, 172,324,328, 330,339,
345, 385-3S7, 388, 390-391.
— Childe Harold, II, 194.
— Lara, II, 332.
— Mmifred, II, 194, 312.
Cabanis, II, 41.
Gabat, II, 405.
Gaffarelli, II, 6.
Cailleux, II, 442.
Galligé, II, 439.
Calvel, I, 181.
Gambry, II, 34, 225.
Gamoëns, I, 156 ; II, 20. 465.
Campbell (d'Islay), I, 65, 67, 70.
Campbell (de Tirée), I, 71.
Gampenon, II, 20, 170, -',07-W8.
Index alphabétique
523
Caraccioli, I, 186, 188, 203, 387.
Carducci, I, 152.
Garlyle (Alexander), I, 22.
— (Thomas). II, 287.
Gaslel (Richard), II, 31, 138.
Castel de Gourval, II, 372.
Castrén, II, 296.
Gatuelan, I, 307.
Gésar, I, 55, 109, 194, 196, 314 ; II, 193,
259.
Gesarolti,I,56, 172,216, "230-^36, 242,
247, 315, 317, 352, 410, 420; II, 8,
10, 23, 34. 47, 85, 87-90, 121, 179,
222, 262-264, 328,360, 380, 382,401.
Ghabanon, I, 37J .
Ghabot (de), II, 431.
Chamfort, I, 176, 177.
Ghampagny (de), II, 43.
Ghantreau, 1, 413.
Ghapelain, II, 290.
Gharbonnières (de), II, 250.
Gharlemagne, I, 15, 95,11,18.
Gharles X, II, 276 277.
Gharles-Edouard, II, 353.
Ghas, II, 236, 252.
Ghasles (Michel), 1, 98.
— (Philarète), II, 381,453-454,
467.
Chassaignon, I, 386.
Chastenay (M"= de), II, 4-5.
Chateaubriand. I, 199,214, 235, 268;
11, 10, 32, 104, 153, 178-161, ^,?g-
SW, 217, 220-223,229,242,247, 284,
292, 300.306,322, 324,328,355,378-
379, 392 392,440,456,464.
— AtalsL, I, 325 ; II, 154.
— Génie du Christianisme, II,
82.
— Les Martyrs. 11,106, 296.
— René, II, 54, 172, 307, 400.
Chateaubriand (Lucile de), II, 184.
Ghateaubrun, I, 173.
Ghatterton, I, 98, 207 ; II, 332, 459.
Ghaubet, II, 356.
Ghaulieu, II, 203.
Ghaussard, II, 109, 250.
Chênedollé, II, 30-31, 212, 251-252,
265, 286.
Ghénier (André), I, 390, 395-397; II,
100, 201.
— (Marie-Joseph), I, 390, yiOO-
404 ; II, 40-42, 49, 91, 96, 240-241,
243, 346, 384, 391.
Chérade-Montbron, 11,31,233.
Ghenavard, II, 163.
Ghesterfield (lord),I, 236.
Ghiniac (de), I. 386.
Christian (P.', I, 270; II, 315, 326,
338, 400-407, 410
Gicéron, I, 109 ; II, 324.
Gitoleux, I, 2 ; II, 332, 330.
Glark, I, 38.
Claude Lorrain, I, 412.
Glavareau, I, 297 ; II, 98.
Glément(de Dijon), I, 181, 183, 185,
188. 368 ; II, 122-123.
Glerk, I, 64-^.5,86; II, 232, 461-462.
Glermont-Tonnerre (de), I, 351-359,
371, 380, 398.
Gotilde de Surville, 11,22-23,56,357.
Golardeau, I, 176.
Colley Gibbcr, I, 184.
Golnct, I, 402 ; II, 238.
Golombel (de), II, 421.
Gomyn (Michel), I, 19, 67.
Condé. I, 410.
Gonnery (abbé), I, 165.
Cordellier-Delanoue, II, 339.
Corneille, I, 339, 382 ; II, 67, 448.
— le Cid, II, 115.
— Horace, II, 13.
Corot, II, 431.
Cottin (M"'« , II, 24, 29, 204.
Goupigny, I, 398-399 ; 11,58,98,110.
Courier (P.-L.), I, 228.
Cournand(de), I, 187, 191, 370-371,
387.
Courson (de), II, 458.
Gowley, I, 183.
Crébillon fils, II, 453,
Crémieux, II, 380, 455.
Greuzé de Lesser, II, 14, 20, 26, 33,
230.
Croiset(A. et M.), I, 132.
Cubières-Palmezeaux (de), I, 176,
178, 361.
Cunningham (Allan), II, 458.
Gustine (Ch. de), II, 423.
Cuvelier, II, 239.
Czartoryska (princesse), I, 388.
Daignan d'Orbessan, I, 194, 197.
Dalban, II, 358.
Damas-Hinard, II, 385.
Dampmartin, I, 412.
Dante, I, 1,345 ; 11,20, 179, 197,306,
322, 324, 339, 345, 371.
Dantès, II, 468.
Darcors, II, 449.
Darmeusteter, II, 469.
Darodes-Lillebonne, II, 358.
David, roi, I, 335, 398 ; II, 19, 43,
324.
David (L.), I, 130, 213 ; II, 150-151,
154.
David de Saint-Georges, I, 307-308,
416-431 ; II, 80, 442.
Déjaure, I, 299.
Delattre, I, 6.
Delavigne G.), II, 20, 354, 382.
Delcroix, II, 112.
Delécluze, 11,21, 150, 232, 360.
Delestre. II, 155.
Deleyre, I, 105-106.
DeliÙe, I, 353, 385, 388 ; II, 42, 45,
90, 250, 258, 266, 349.
5*4
Ossian en France
Demogeot, II, 460.
Denina, I, 245, 355, 408.
Denis Sined), I, 198, 247, 352. 419 •
II, 87. . . , , .
Dercy, II, 127.
Désaugiers, II, 134.
Desbordes-Valmore (M""), II, 356.
Deschamps, II, 124, 127.
Deschamps (Emile et Antoni), II,
346. '' '
— (Emile), II, 382.
Deschanel (Emile), II, 299.
Desessartz, II, 26.
Des Granges, II, 469.
Désorgues, I, 391, 410.
Despaze, II, 41, 53.
Des[ànoy, II, 85, 97-9.9, 264, 271.
Devéria, II, 164.
Deyverdun, I, 285, 29f-S92.
Diderot, I, 103, 1-W-I34,110, J86 '>18
223, 245, 275; II, 443, 464. '
Dillon (comte), II, 431.
Dorât, I, 176-177, 185, 188, 197, 324
Doré de Nion, II, 19.
Dorion, II, 26, 34, 105
Dottin, II, 447.
Douady, II, 469.
Doublet (M"''), I, 188.
Doumic, II, 469.
Dousseau, II, 428, 448.
Dreux-Dorcy, II, 161.
Drummond, I, 63, 66.
Dryden, I, 123. 183, 184.
Ducis, 1,362; II, 41-42, 71, 114, 159
168-no. ' ' > .
Duduit de Mézières, I, 185.
Dumas (Alex.) père, II, 46,342, 343
358. '
— Antony, II, 261.
Dupaty, II, 19! 35.
Dupont de Nemours, I, 109.
Dupais, I, 392.
Dupuy (Ernest), II, 332.
Duquesnel, II, 454.
Durand (Gh.), II, 278, 390.
Duroc, II, 129.
Dusaulchoy, II, 357, 391.
Dusausoir, II, 391.
Dussault, H, 72, 241, 245, 219 382.
Duval (Alexandre), II, 25.
Duval (Amaury), I, 399-400.
Duval (Georges), I, 297.
Eckstein (d'), II, 373, 391.
Edda (V), I, 406 ; II, 25, 193, 200, 220
287-288, 335, 391, 446.
Eichhoff, II, 451.
Eidous, I, 202, 241.
Elibank (lord), I, 25.
Elien, II, 354.
Enault, I, 289, 295; II. 429.
Enghien (duc d'), II, 277.
Epiménidc, II, 175, 176.
Esménard, II, 20, 72. 229, 242. 247,
Estève, II, 330, 385-386. '
Estourmel (d'), II, 99.
Etienne (G. -G.), II, 72, 391.
Etienne (L.), II, 462-463.
Eugène (prince), II, 142.
Evan Evans (Rev ), I, 167.
Evangile (l'), II, 207.
Eyre-Todd, I, 74.
Faber, II, 391.
Fabre (Auguste), II, 293-294.
Fabre (Victorin), II, 32, 100, 101
103-104, 293, 357.
Fabre d'Olivet, II, 3G-3' , 171.
Falconer, I, 386.
Faujas de Saint-Fond, I, 414 • Il
426. ' '
Fauriel, II, 217, 444.
Fellcr (abbé de), II, 371.
Fénelon, I, 204, 205.
Ferguson, I, 20, 22, 25.
Fernand, II, 439.
Feutry, I, 182, 384.
Fielding, I, 183, 345, 369 ; II, 303.
Firdousi, I, 148, 162; II. 447.
Flins des Oliviers, I, 176, 360, 363
386. '
Fletcher (Archibald), I, 69.
Fletcher (Johni, II, 345.
Fleuriais, II. 19.
Fleury (J.-B.i, II, 272-273.
Florian, I, 384, 422.
Fontaine (A.), I, 6.
Fontaine (P.-F.-L.), II, 142.
Fontaine-Malherbe, I, 307.
Fontanelle, I, 182.
Fontanes, I, 306, 324, 357-360, 400,
431 ; II, 6, 31, 41, 49, 217-218, 240,
241, 246-''24fl, 369.
Fontanelle, I, 393.
Forbin, II, 157-158, 165.
Forssell, II, 143.
Fortis (abbé), II, 360.
Foucaux-Gesbron, II, 113.
Fouché, II, 10.
Fourcroy, II, 20.
Fournier, I, 289, 295.
Fraguier (abbé), I, 204.
France (Anatole), II, 11, 466.
Francis, II, 134.
François de Neufchâteau, 1, 176.
Frénilly, II, 252.
Fréret, I, 192, 193, 196.
Fréron, I, 105, 108, 182, 260, 325,
339, 388; II, 241.
Fulchiron, I, 391.
Galgacus, I, 314.
Gallais, I, 412.
Galibcrt, II, 427.
Index alphabétique
525
Gallie, I, 83.
Gandois, II, 384.
Garât, 1,172.370-371; 11,35, 41, 234.
Garet, II, 272.
Garnier, II, 146.
Garcilaso de la Vega, I, 27.
Gatayes, II, 113.
Gaulle (de), II, 442.
Gautier (Th.), II, 352.
Gay John), II, 250.
Gay (Delphine), II, 36, 283.
Gazul (Clara), II, 373.
Géant, I, 6.
Gellert, I, 106, 190, 207; II, 20.
Genlis (M»" de), I, 411 ; II, 280.
Gensoul, II, 251.
Geoffroy, II, 132-133, 137, 215-217,
241, 244-245, 249, 357.
Gérard, I, 202.
Gérard, II, 8, 142-U3, 159, 165,168-
170, 313, 334.
Gérard-Granville, II, 271-
Géraud (Edmond), 1, 306 ; II, 44, 101,
1()6-IÛfi, 23S, 244, 321.
Gerstenberg, I, 420.
Gessner, l, 109, 110-11 1, 190-191, 20i,
207, 213, 364, 365, 369, 377, 384,
386, 387, 3^8, 390,395; II, 20, 37,
92, 112, 171, 175, 179, 25i^ 253, 257-
259, 355, 384, 392, 453.
Gibbon, I, 31 ; II, 228, 376.
Gilbert, II, 41, 42, 203.
Gillies, I, 70, 83.
Ginguené, I, 63 ; II, 41, 73, 79, 2S6-
■2Î1, 241, 260, 262, 326, 372, 401,
462.
Giraldus Cambrensis, I, 11.
Girard, II, 143.
Girard (J.), II, 24.
Giraud (Jean), II, 345.
Girodet, I, 365; II, 8, 135, 142, l-'tâ-
155, 159, 165, 237, 332, 334, 465.
Glover, 1, 195.
Gluck, I, 362.
Godefroy, II, 289.
Godefroy John), II, 142.
Godet (Ph.i, I, 374.
Gœthe,l, 1,228, 316,386, 399; II, 64,
173, 176, 186, 328, 339, 352, 374,
391.
— Faust, I, 426 ; II, 194, 248.
— Werther, l, 213, 277-301,
311, 398-399, 403, 426 ; II, 22, 54,
171, 175, 179, 183, 187, 194,307,309,
343, 346, 429, 440.
Gohin, II, 198.
Goldsmilh, I, 1S4-1S3, 345, 356, 390;
II, 303.
Gossec, II, 136.
Gottsched, 1, 106, 205.
Gouffé I Armand i, II, 124, 252.
Gounod, II, 127, 130.
Gournay, I, 298.
Graham, I, 63 ; II, 28.
Grainville, I, 152, 362.
Gravina, I, 231
Gray, 1, 24, 50, 106, 183, 184-183,
186. 200-201,-201, 218,262,356, 371,
386, 393, 395, 407, 410; II, 84,182,
203, 207, 229, 303, 336, 337, 357,
391.
Gwawdrydd, I, 168.
Grenier, II, 469.
Gresset, I, 176.
Grétry, II, 136, 170.
Griffet-Labaume, voir Labaume.
Grimm (Melchior), I, 130, 132, 134-
137, 144-145,149, 157,160, 171, 173,
186, 187, 222-223, 259, 266 ; II, 443 .
Grobert, II, 16.
Gros, II, 155-156.
Grosier (abbé), I, 334.
Groult de Tourlaville, II, 358.
Guarini, I, 109, 262.
Guérin (Eugénie de), II, 381.
Guibert, II, 19.
Guichard de Bienassis, II, 313.
Guillaume le Conquérant, II, 18.
Guiraud, II, 45, 76, 346-347, 382.
Gurlitt, 1, 326 ; II, 232.
Guttinguer, II, 239, 347, 385.
Guyot, I, 6.
Halévy (L.), II, 391.
Haller, I, 377, 387 ; II, 20, 171.
Harold (de), 1,39.
Hardiviller (d'), II, 425-426.
Hatzfeld, II, 469.
Harvey (M"»). II, 103, 159-160.
Hautpoul (M-"'= d'), II, 370.
Hervey, 1,185, 186. 189,218,376,387;
II, 42, 74, 76, 203, 391.
Hazard(P.), I, 6 ; II, 241.
Heine, II, 352.
Hédouin, II, 198, 280.
Hennequin (V.), II, 426.
Heredia (de), I, 347.
Herder, I, 78 ; II, 185.
Herriot, II, 469.
Hermeline, II, 431.
Herrig, I, 64.
Hervier, II, 357.
Hésiode, I, 215.
Hildebrandslied, I, 149 ; II, 92.
Hill (Thomas Ford), 1,69,414,418;
II, 377.
Hill, I, 239, 311, 322, 354, 390, 395, 397,
416-431 ; II, 6, 48, 55, 76, 78-80, 112,
161, 188, 191, 240, 253, 260, 262,
303, 305, 326, 331, 367, 377, 401,
402, 403, 406.
Hillcmacher, II, 440.
Hirmenech, II, 442.
Hoche, II, 48.
Hoffmann (F.-B.), II, 241-242, 245,
249.
57b
Ossian en France
Hoffmann (E.-T.-A.), Il, 339.
Holbach (d'), I, 205.
Holmondurand, H, 345.
Home (John), 1,20, 22, 25, 76-79, 81
319 ; II, 463.
Homère, I, 28, 44, 46, 62, 79, 80
123, 127, 135, 142, 150, 168, 199
212, 214, 215, 216, 225, 226, 228
233, 237, 238, 241, 272, 279, 318
320, 321, 335, 365, 368, 371, 376
378, 379, 396, 423 ; II, 7, 8, 22, 26
55, 63, 162, 169, 171, 176, 179, 187
197, 199, 201, 204, 211, 212-213,
216-217, 226, 235, 243, 245, 289,
294, 295, 307, 308, 322, 324, 340
341, 345, 368, 371, 385, 409, 442
443, 447.
— Odyssée, 1,15, 28, 46.
Horace, I,'l09, 110; II, 7, 14, 116
372.
Hortense (reine), II 109.
Houdetot (M"" d'), I, 134.
Hourcastremé (M"'), II, 19.
Howel-ap-Eynion, I, 169.
Huber, I, 104. 182, 190, 191, 207.
Hugo (Eugène), II, 351.
— (Victor), I, 235.426 ; II, 35
45, 46. 63, 66, 76, 94-95, 103, 201, 296
314, .SS.y-iiS9,3b6, 380, 386,434,465,
— Hernani, II, 115, 261.
— Préfa.ce de Cromwell, II,
382.
— Aymerillot, II, 100.
Humboldt (Alex, de), II, 142.
Hume, I, 22, 24, 25, 31, 50, 52, 109,
163 ; II, 228, 376.
Hus, I, 296.
Hyde (Douglas), I, 12.
Imbert, I, 176.
Imitation de J.-C. (l'), II, 324.
Ingres, II, I57-15R, 165.
Irvine, I, 70, 83.
Isaïe, I, 156, 335 ; II, 242, 247.
Janin, II, 388.
Jaucourt (d/). I, 186, 307.
Jay, II, 391.
Jean-Paul. II, 172, 339.
Jephlé, 1.268.
Joanne, H, 427.
Joh {livre de), 1,153, 155,215,392:
II, 307, 324.
Johanneau, II, 225.
Johnson (Dr. Samuel), I, 28, 52,.5,S-
•5 5, 109, 184, 325, 412 ; II. 6,186,
208, 228, 251,325.
Joséphine (impératrice), II, 5, 129.
Joubert (Joseph), 1, 358 ; II, 192.
Joubert (Léo), II, 253.
Joukovski, n, 458.
Jouy (Et ). H, 23, 72, 285-286.
Joyce, I, 67.
Jullien (13.), 11, 457.
Juris, II, 99.
Juvénal, II, 5.
Kaimes (lord), I, 22, 39.
Keating, I, 88, 164.
Kennedy, I, 67, 70.
Kipling. I, 331.
Kleist (Ewald von), I, 205, 386.
Klopstock, I, 106, 109, 202, 204, 207,
268, 367, 386, 400, 412, 420, 431;
II, 175, 212, 247, 259, 391.
Knox, I, 413.
Kretschmann, I, 420.
Kreutzer, I, 299.
Kriidner (M°"> de», II, 23, 252.
Labaume (Griffet-), 1, 308, 416 ; 11, 80-
85, 444.
Labiée, I, 401 ; II, 35.
Labédoyère (de), I, 288, 294.
La Bruyère, 1,356 ; H, 307.
Lacaussade, II, 332, -507-4/^,448.
Laclos (de), 1, 429.
Lacretelle aîné, II, 364, 374.
Lacretelle (P. de), II, 302.
La Dixmerie,I, 176, 195,202.
Ladvocat, II, 371.
Laffilé, II, 276.
Lafond (comte L.), 11,431.
Lafoscade, II, 339-341.
La Grange (vicomte de), II, 369.
La Harpe, 1.109, 177, 181, 325,555-
SA-2, 357 ; II, 378.
La Huerta, II, 174.
Laing, 1,6^,96,216; 11,28,225,226-
227, 229, 421.
Lalo (Gh.), II, 466.
Lamarque, II, 264, 265, 266-^7/.
Lamartine (A. de), I, 2,202, 235, 431;
II, 21,29,66,75,76,94,178, 181,201,
223,254,i^9.9-.5i>i?, 331, 356, 380,382,
386, 388, 389, 448, 456, 461, 464.
Lambert (Aug.), II, 212, 252.
La Morinière, I, 362.
Lamothe-Langon, II, 44.
La Motte, I, 204.
Lamotte, II, 251.
Lanson, I, 3 ; II, 462, 469.
La Place, I, 106, 180,195.
Larenaudière, II, 24.
Larevellière-Lépeaux, II, 167-168.
La Rochefoucauld, I, 366.
Larousse, II, 468.
Laserrie, II, 393.
Laserve, II. 19.
Latocnaye, I, 411-413.
Latour (A. de), II, 458.
La Tour d'Auvergne, 1, 193, 195, 197 ;
II, 225.
Lavedan, II, 251.
Laya, I, 239, 39.'J-395, 430 ; II, 41.
Le natteux, I, 181, 204 ; II, 234.
Le Braz, II, 191.
Le Brigant, I, 194.
Index alphabétique
5.7
Lebrun, consul, II, 14.
Lebrun (P.-D. Ecouchard-), 1,178;
II, 22, 29, 40, 41, 42, 238-239, 243,
250,371,385.
Lebrun (Pierre), II, 22, 30, 251.
Lebrun des Charmettes (P. -A.),
II, 85, 87, î/7, 233, 235.
Leconte de Lisle, I, 152 ; 11,65, 106,
296, i3Jt-i3S.
Lecornu, II, 251.
Le Déist de Botidoux, 11,390.
Lefebvre-Cauchy, 11,368, 372,467.
Lefèvre (Jules), II, 349-351.
Le Fuel de Méricourt, I, 183, 230,
309,310.
Le Gay, I, 361.
Legouvé, II, 41, 42, 120, 250.
Legrand, II, 112.
Legrand, graveur, II, 143.
Leguay, II, 161.
Leibniz, I, 197.
Le Jay, I, 249.
Lemaître, II, 182.
Lemercier (Nép.), 11,8, 20, 168, 283,
384.
Lemierre, II, 64, 153.
Le Mire, II, 161.
Lemonnier (Henry), 1,6; II, 152,
463, 465.
Lenepveu, II, 440.
Léonard (N.-G.), I, 176, 178, 5.55-
.«7, 409.
Léonard (Joseph), II, 252.
Leopardi, I, 1 ; 11, 64.
Le Prévost d'Exmes, I, 350.
Le Prévost d'Iray, II, 35.
Le Prieur, I, 177.
Leroux (Pierre). I, 289,294; 11,447.
Le Sueur, II, 15, 51, /^7-/54, 139, 244.
Le Suire, I, 182, 315, 317.
Le Tourneur, I, 120, 170, 186, 188,
210, 218, 220, 248, 3ÛÔ-343, 381;
II, 4, 40, 49, 54, 62, 65, 71, 76,
78-80, 85, 88, 97, 117, 181, 191,
200, 209, 215, 234, 240, 258, 260,
262, 263, 265, 270, 289, 293, 303,
326, 331, 337, 343, 367, 372, 399,
401, 402, 403, 405, 409, 411.
Leuliette, II, 252.
Levesque, 1, 385.
Lewis, II, 23.
Lezeverne (de), II, 416.
Lintilhac, II, 469.
Linus, 1, 358.
Littré, II, 469.
Llywarch Brydid, I, 169; II, 457.
Loaisel de Tréogate, I, 187,384,387.
Loève-Veimars, II, 366, 374.
Loiseau, 11, 465.
Loliée, II, 469.
Lombard, I, .351, 352-354, 398.
Longue (de), I, 204.
Lape de Vega, I, 345.
Louis XVIII, II, 276-277.
Louise (reine), II, 129.
Louvet de Couvray, I, 429.
Loyson (Ch.), II, 346, 3M-349.
Lowth {D'), I, 81, 203.
Lucain, I, 196, I9T, 262.
Lucet, II, 41.
Luchet, I, 386.
Lucrèce, I, 205.
LuUin, II, 22.
Mac- Arthur, I, 57.
Mac Gallum, I, 40, 70.
Mac-Donald (Alex.), I, 19, 63, 99.
Macdonald (.lohn), I, 69.
Macdonald (de Staffa), I, 69.
Macdonald (chevalier), I, 166.
Macfarlan, I, 56, 69; II, 452.
Mac-lnnes, I, 72.
Mac-Iver, I, 83.
Mackenzie (George), I, 69.
— (Henry), I, 58.
— (John). I, 40, 56.
Maclagan, I, 68, 69.
Mac-Lean, I, 68.
Mac-Mhuirich, I, 25, 68, 413.
Mac-iNab, I, 414.
Mac-Nicol, I, 54, 69.
Macpherson (Alex.), I, 25.
— (Ewen), I, 25.
— (James), I, 20-32.
— (Lachlan), I, 25, 55,St?-55.
Mahomet, I, 396: II, 448.
Maigron, II, 387-389.
Mairan, I, 173.
Maistre (Xavier de), II, 179-180.
Malboissière iLaurette de), I, 3S8.
Malcolm, I, 165.
Malcolm (lady), II, 9.
Malfilâtre, I, 205.
Mallct, 1,128, 160,178, 192-193,191,
199, 243, 273, 313, 372, 385, 406;
II, 193, 220, 286-287, 401.
Malo (Ch.), II, 276.
Malte Brun, II, 26, 33.
Marcellus ide), II, 208-209, 393.
Marie-Louise, II, 16.
Manzoui, II, 44, 283, 381,
Marchand, I, 183.
Marchairgy, II, 25, 290.
Maréchal (Christian , H, 300.
Maréchal (Eugène), II, 384.
Maréchal (Sylvain), I, 408-409,
Marignié, II, 228.
Marin, I, 148.
Marmier, II, 458.
Marmont, II, 280.
Marmontel, I, 178, 180, 202, 204,
371-373, 422; II, 4, 370.
Marotte, II, 272.
Marty, II, 440.
Mason, II, 453.
Masse, II, 98.
528
Ossian en France
Massenet, I, 300-301 ; II, 440.
Mauperluis, I, 112.
Mazois, II, 105.
Mécène, II, 372.
Méhul, II, 17, 111, 134-139, 216.
Ménard, 1, 202.
Ménégant, II, 19.
Menneval. II, 9.
Mercey, II, 426.
Mercier (Sébastien), 1, 177,202, 308,
317, 36^-370, 380, 39S.
Mercier (de Compiègne), II, 41.
Mercœur (Elisa , II, 356.
Mérian, I, ii44-t>43, 272, 355.
Méril (Ed. du), II, 451.
Mérimée, I, 98: II, 360-361.
Merlet, I, 325; II, 35, 460.
Métastase, 1, 106, 388; II, 212, 252.
Meyer, I, 11, 18, 67, 68.
Michaud, I, 409 ; II, 200, 236. 467.
Michaux (Ci.), II, 250.
Micliel-Ange, II, 177.
Michelet, II, 359.
Michiels, II, 388, 456.
Miger, 1,400; II, 85, SI, 91-95, 96, îU.
Millevoye, 11, 20, 5/-5i^ 36, 386.
Milton, 1, 62, 80, 98, 150, 153, 162,
184-185, 186, 190, 202, 216, 218,
262, 272, 368, 386, 387, 388, 395,
412 ; II, 8, 26, 37, 92, 171, 172, 179,
203, 212, 247, 252, 303, 306. 307,
324, 354, 371. 378.
Millin de Grandmaison, 1, 386 ; II, 81,
121, 232.
Millot (abbé), II, 371.
Miollis, 11, 23.
Moïse, 1, 358, 376 ; II, 252, 307,
448.
Monglond, I, 6.
Monperlier, 11, 99.
Montagu, I, 163.
Montaigne, II, 175.
Montégut (Emile), II, 345.
Montemayor, 1, 345.
Montesquieu, 1, 113.
Montferrier, II, .393.
Monti, II, 16, 20, 33, 245, 249.
Moore, 11, 388.
Morand, 1, 205.
Morel, 1,342.
Moreau (Elise), II, 356.
Morellet (abbé), II, 245,
Morgan (lady), II, 230.
Morin, II, 251.
Morison, 1, 83.
Mornet, 1, 5, 6, 364, 389 ; II, 461.
Morvonnais (de la). II, 355. 368.
Moufle, II, 357.
Mounicr, II, 181.
Murville, 11, 251. ^
Musset (Alfred de), 1, 281, 311 ;
II, 10, 64, 264, 302, 339-346, 358,
Napoléon 1", II, 3-13, 51, 74, 128,
141-142, 145, 156, 178, 180, 217,
225, 239, 240, 241, 253, 275, 285,
318, 328, 340, 353.
Narjoux, II, 430.
Necker, II, 216.
Necker de Saussure, II, 419-4-21 ,i30.
Nerval (Gérard de), II, 352.
Nicolaï, I, 63.
Nieheliingen, 1, 97, 238; II, 366.
Nisard, 11, 46, 382.
Nivernois (duc de), I, 163, 171.
Noël, II, 26, 236.
Norvins (de), II, 292.
Nodier. II, 175-178, 244, 246, 356,
361, 371, 414,4/^-4/9,421, 430.
Noussanne (de), II, 430.
Numa, 1,358 ; II, 14.
Nutt, 1, 11, 12, 73, 86.
OTlaherty, I, 88.
O'Grady, I, 12, 68.
Oisin (Ossian), I, 10-i9.
O'Reilly, I, 63.
Orphée, I, .358, 365 ; II, 174, 176, 226.
Ortez, 1, 419. ^
Ossian comparé à la Bible. II, 367. ^
— — à Byron, II, 318.
— — à Corneille, II, 12-
13, 17.
— — à Dante, II. 306.
— — à David, 1, 335.
— — à Ercilla, 11, 26.
— — à Eschyle, 11, 306.
— — à Firdûusi, 11, 446-
447.
— — à Gessner, I, 369.
— — à Gray, 1, 338, 371,
394.
— — à Homère, 1,28,44,
335,338,341,378; II, 238-239,269,
328, 364, 372, 381, 408.
— — à Isaïe, I, 335.
— — àJean-Paul.11,369.
— — à Job, II, 307,429.
— — à Kant, 11, 363.
— — à Lamartine, 11,
319.
— — à la Marseillaise,
1,412.
— — à Pindare, I, 335.
— — à Schiller, H, 381.
— — à Théocrite, 1, 340.
— — à Thomson, I, 394.
— - à Tibullc, 11, 269.
— — à Virgile, 1, 341 ;
11, 269.
— — à Dante et à Mil-
ton, II. 373.
— — à Homère et à la
Bible, II, 430.
— — à Homère et A Ca-
moëns, II, 465,
Index alphabctiqu«
529
Ossian comparé à Homère et à
Dante, II, 448.
— — à Homère et à
Esope, H, 419.
— — à Homère et à Mil-
ton, 11, 364.
— — à Homère et aux
Niebelungen, H, 444.
— — à Homère et à Sha-
kespeare, II, 359.
— — à Homère et à Vir-
gile, H, 368,448.
— — à Homère et à
Wace, H, 454.
— — à Klopstock et à
Schiller, II, 384.
— — à Robinson et à
J.-J. Rousseau, 11,381.
O'SulIivan, II, 81, 398, 436, 444, U9-
450.
Oswald, I, 63.
Otway, II, 303.
Ovide, I, 109.
Owen Jones, II, 457.
Owenson (miss), 11,230,236,347.
Paesiello, 11,130.
Panckoucke, H, 424-425.
Parizeau, II, 143.
Parny (de), I, 178, 203, 40',-407
II, 32,35,42,170,243,250.
Parseval-Grandmaison, II, 19, 20, 45.
Pasteur, II, 466.
Patrick (saint), 1, 19, 44, 69, 92 ;
II, 81,106.
Paul (saint), 1, 153.
Pauw (de), 1, 199, 373, 374.
Pédezert, II, 456.
Pellet, II, 356
Pélissier, II, 455.
Pellissier, II, 469.
Pelloutier, 1, 193, 197, 370, 385 ; II, 193,
366.
Peltier, II, 242.
Percy, I, 39, 189, 198, 199,207, 238 ;
11,459.
Perreau. 1, 364.
Perrin.I, 388.
Petit de Julleville, 11,469.
Petitot. 1, 409.
Petœfi,II,458.
Pétrarque. 1,390; II, 22,306,324.
Pévrieu, 11,391.
Pezay (marquis de), 1,176, 178.
Pfluguer,II, 99,251.
Philpin, 11,391.
Phinée, II, 171.
Picard, 1,373.
Pichot, II, 389, 422, 430, 458.
Picquenot, 11,27.
Picquet, II, 357.
Pictet, II, 319,451-453.
Piis (de),I, 176; 11,252.
Pillet, 11,41.
Pindare, 1,111, 335; 11, 14, 19,264,
356,366,447.
Pisistrate, 1, 135, 160, 313.
Plantade, 11.276.
Platon, 1,169 ; II, 171, 442.
Pleyel. 11,109, 110.
Plutarque, II, 137-138.
Poinsinet de Sivry, I, 194.
Poisson (abbé), II, 429.
Polonius, H, 391.
Pons de Verdun, 1,176.
Ponsard, II, 21, 39,72, 380,454-456.
Pontmartin (de), II, 387.
Pope (Rev.),I. 20.
— (Alex.), I, 79, 106, 123, 179,
183-184,189, 207,219, 262, 364,386,
388,390; II, 4,90,179,235,250,303,
459.
Poplawsky (von), I, 2; II, :299-S£4.
Porchal, 1,289, 295.
Porson, I, 153.
Porter (miss), II, 24.
Potez, II, 73.
Prévost (abbé), I, 105, 306 ; H, 179,
339.
Prior, I, 183, 184, 262.
Proisy d Eppe, II, 289-200.
Proverbes (livre des), II, 226.
Puflendorf, II, 193.
Pujol (A. de), II, 30.
Pythagore, II, 226.
Quatremère de Quincy, II, 137.
Quay (Maurice), II, 22, 176, 360.
Quellien, 11, 439.
Quérard,!, 148, 308.
Querelles (de), I, 410, 411.
Quinet, II, 353,374,386,458.
Quintilien, II, 235.
Rabelais, 1,214; H, 6.
Racine (Jean), 1, 330, 347, 380,382, 385,
410: 11,67, 72,118,212,247,265,266,
268, 381-383.
— Athalie, I, 403; II, 89, 247.
Racine (Louis), I, 204.
Radcliffe (Mrs.), II, 22,41,283.
Rapin (le P.), I, 204.
Regnault, II, 161.
Reitïenberg, II, 292.
Rembrandt, II, 130.
Rémy (abbé), I, 188.
Renan, I, 95 ; II, 443-447, 466,
Restif de la Bretonne, 1, 348-350, 368.
Reverdin, II, 143.
Reymond, II, 386.
Reynier (L.), II, 366, 374.
Reynold (de), I, 375.
Reyrac (abbé de), I, 204, 205, 384.
Reyssié, II, 301-302.
Richardson.I, 183, 191, 218-219,306,
369-387 ; 11,175, 179,211, 303,339.
53o
Ossian en France
Kicher (de Nantes), II, 367.
Rigault (Hippolyte), I, 188 ; II, 39,
71,76, 213, 459.
Rigolley de Juvigny, I, 176.
Rivarol, I, 386.
Robertson, I, 22, 25 ; II, 376.
Robespierre, I, 393, 411; II, 240.
Robinet, I, 181.
Rochon de Chabannes, I, 176, 178.
noland (Chanson de), l, 15, 92, 238 ;
II, 291.
Roman (abbé), I, 178.
Romance-Mesmon (de), I, 412.
Ronsard, II, 22, 75, 345.
Rosentlial, I, 6 • II, 154.
Rosières, 1, 388 ; II, 465.
Rosny, II, 252.
Ross (Th.), 1, 56 : II, 27.
Rossel, I, 374.
Rostand, 11, 75.
Roubaud, I, 104.
Roucher, I, 340, 397 ; II, 290.
Roujon, II, 463-465.
Rousseau (Jean-Baptiste), 1,203, 384.
Rousseau (Jean-Jacques, 1, 128, 189,
191, 205, 217, 218-219, 245, 273, 275,
277, 356, 362-363,364 ; II, 175,183,
192,194. 211,307, 339, 368,459.
— Nouvelle Héloïse, 1, 385, 386 ;
II, 309.
— Rêveries, II, 183.
Rowley, Il 372.
Roz, II, 431.
Rozoy (de), I, 176, 177, 202.
Ruckcrt, I, 148.
Rudbeck, 1, 198.
Rudler. I, 6.
Ruhl, II, 163.
Runciman, II, 80.
Ruskin, I, 409.
Sabbatier, II, 100.
Sage (Rev.), I, 69.
Saint-Ange, I, 109; II, 41.
Sainte-Beuve, I, 148; II, 11, 76, 172,
178, 300, 332, 353, 412.
Saint-Félix, II, 35.
Saint-Ferréol, II, 262-264.
Saint-Geniès, H, 2S6-28S, 399, 417.
448.
Saint-Lambert. I, 134, 206 ; II, 41.
Saint-Michel, II, 258-^6-2, 292,
Saint-Pierre (Bernardin de), I, 36-5-
366 ; II, 4, 171, 18.^, 307, 355.
— Etudes de la .\nture, II, 183.
— Paul et Virginie, II, 454.
Saint-Simon (marquis de), I, 168,
261-276, 308, 315, 320, 331 ; II, 191,
270.
Saint-Victor (Bins de), II, 135, 138,
152, 237, 373.
Saintine, II, 112,356.
Sakuntala, 11, 200.
Salibcrl, 11, 393.
Salm (princesse de), 11, 17, 26.
Salse (de), I, 288, 203-20',.
Salverte, 11, 113. 374.
Sand (George), II, 29, 358-359.
Sapho, I, 388, 396 ; 11, 17.
Saunders Bailey), 1, 63, 73-7-',, 89,
128, 163 ; II, 43, 461, 462.
Sautelet, II, 172, 360.
Say (J.-B.), II, 6.
Scarron, 1, 340.
Schiller, II, 25, 121, 212, 339, 391.
Schmeltau (de), I, 286-287.
Schmidt, I, 190.
Schonaich, I, 195.
Scott (VValter), I, 62, 79, 96; II, 32,
139, 164, 251, 331, 336, 352, 381,
3S7-30I, 416, 417, 422,423,427,429-
432,435,458.
Scribe, II, 29.
Seckendorf, I, 284, 390-291, 311.
Sénancour (de , II, 54, 170. 172-175,
181.
Sénèque, I, 109.
Sévelinges (de), I, 288, 293-204.
Shairp. II, 432.
Shakespeare, 1, 109, 184, 218, 238, 248,
317, 323, 324. 340, 367, 388, 395,
410, 412: II, 21,175, 202, 212. 217,
222.240,247,265,306, 310, 322, 330,
339, 359, 368, 374, 381, 383.
Sinclair, I, 56 ; II, 288, 375. 408.
Shaw (VV^), I, 54, 83.
Sigmund Siu:fusson, I, 372.
Simon (de Troyes), II. 125-126.
Simond, 11, 415-416.
Simonide, 11, 63, 447.
Sinner de Ballaigues, I, 296.
Sismondi, II, 27.
Smart, 1, 63, 7't, 89, 163.
Smith John), 1, 30.
Smollett, I, 183,410.
Snorro Sturleson, II, 193.
Socrate,Il, 207.
Solon, 1, 313.
Sop'.iocle, I, 44 ; II, 174, 202, 216.
Soulié |J.-B.-A.),II,292.
Soumet, II, 20, 45, 76, 346-347,
386.
Souveslre, 1, 297.
Spangenberg, 1, 198.
StaatT, II, 438, 456.
SlaëUM"» de), l,iOO;n, ISO, 2H-223,
240, 242, 243, 245, 328, 341, 346,
304, 363,364-365,368, 374,391,448,
456, 464, 468.
Stapfer (Albert), II, 172. 346.
— Paul), II, 466.
Steele, I, 184.
Stephen (Lesliel, 1, 213.
Stendhal, II, 179, 1S0-1f!l, 222.
Stern (L.-Chr.>, I, 11, 38, 63, 65, 67,
73, 86, 91.
Index alphabétique
53 1
Sterne (Lawrence), 1, 218, 386 ; II, 175,
177, 179, 303, 381.
Stokes, I, 11, 67.
Stone, I, 20, 99.
SLrabon, I, 196.
Stuart (M°"), II, 9.
Suard, I, 103, 104, 107, 126, -127-130,
132, 134, 136,143-146, 150-152, 154,
157,159-160, 161, 166, 169-171,173,
182, 191, 199, 208, 218, 222, 228,
229, 257, 272, 315, 331, 398 ; II, 78-
79, 191, 233-234, 443.
Sudermann, I, 331.
Sulzer, I, 199, 372-373.
Swift, I, 221.
Tacite, I, 92,109, 194, 314; 11,193,
205, 293, 296.
Taillasson, II, 85, .97-9.9.
Taine. I, 372 ; II, 28, 459.
Talairat, II, 16.
Talandier-Firmin, II, 277.
Taliesin, I, 168.
Talleyrand de), II, IJ .
Talma, il, 119.
Talvj, 1, 63.
ïardieu aîné, II, 80.
Tasse (le), I, 117, 127, 137. 213, 237,
238, 320, 321, 365, 386, 408; II, 8,
12, 20, 42, 43, 69-70, 73, 92, 162,
212, 272, 289, 306, 307, 308, 321,
339, 398.
Tassoni, I, 345.
Tastu (M-«), II, 355.
Taunay (Hipp.), Il, 399-WO, 450.
Termonville (de), I, 410.
Tedeschi (A.), 1,2,134,404: 11,198,
199, 241, 299, 377, 463.
Terrasïon, I, 195, 197.
Terrasson (H.), II, 390.
Tencin (M"» dei, I, 296.
Téry, II, 465.
Texte (J.), I, 2, 128. 189, 192, 217,
325; II, y<61.
Thamyris, II, 171.
Théis (de), II. 34.
Théophraste, I, 369.
Thérèse (sainte), 1, 396.
Thévenard, II, 34.
•Théry, II, 454.
Thierry (Augustin), historien, II,
390-391.
Thierry (Augustin), écrivain con-
temporain, I, 74; II, 465.
Thiers, II, 364, 374.
Thiessé, II, 293.
Thomas (A.-L.), I, 242-U3 ; II, 94.
Thomas (Ambroise), II, 127.
Thomas (W.),I, 323.
Thomson (.James), I, 21, IS-'i-ISô,
186, 189, 204, 205, 207, 377, 387,
394, 395 ; II, 203, 252, 303.
Thucydide, II, 6.
Tibulle, I, 109 ; II, 216,
Tieck, I, 424.
Tissot, II, 72.
Tite-Live, I, 314.
Tolstoï, I, 331 .
Toutain (P.), II, 431.
Trappe (de), II, 252.
Trédos, II, 385.
Treilhard, I, 393.
Tremault, II, 113.
Treneuil, II, 366, 369.
Tressan de), U, 35, 453.
Trouvé, II, 167.
Turgot, 1,103, 104, 10S~122, 124, 155,
167, 170, 171. 173, 177, 180, 202,
218, 222,239, 257, 261, 275, 315,
331, 39S; II, 41, 69, 79, 191, 327,
398, 464.
Turquety, II, 352.
Tyrtée, 'l, 374.
Valencey, I, 240-241,
Vapereau, II, 468.
Vérand, II, 391.
Vérax, II, 430.
Vercingétorix, II, 314,357.
Verny, I, 365, 386
Vianey, II, 434, 437.
Victor, II, 145.
Viennet. II, 383, 385.
Vigée, II, 41, 73.
Vigny (Alfred de), I, 2; II, 45, 46,
76, 265, 330-334, 380, 386.
Villars, II, 431.
Villemain, I, 63, 185,325; II, 11,21,
28, 375-379, 393, 453, 455, 459,462,
468.
Villemarqué(dela), II, 434-437, 443,
444.
Villers (Ch. de), I, 412; II, 212.
Vincent (J.-L.), II. 358.
Vincent d'Indy, I, 196; II, 106,
440.
Viollet, II, 198.
Viollet-Leduc, II, 101, 108, 237,245.
Virgile, I, 26, 29, 80, 109, 110, 117,
137, 156, 214, 238, 272, 320, 321,
340, 341, 376, 377; II, 8, 19, 26,
92, 169, 174, 179, 199, 202, 203,
216, 235, 245, 289, 295, 317, 322,
324, 372, 378.
Virieu (de), II, 310.
Volland (M"=), I, 130. 132, 134.
Vollange (de), I, 202.
Volney, I. 392, 425; II, 195.
Voltaire, I, 106, 128, 149, 167, 168,
176, 179,181, 184, 2-2^,236-240, 273,
275, 317, 339. 364, 368, 382, 420;
II, 4, 92,102,118,123,180,212, 240,
266,373.383,468.
Voluspa, II, 171.
Vrain-Lucas, I, 98.
53a
Ossian en France
Waddell (Hately),!, 64.
Wagner, II, 106.
Wailly (de), II, 16.
Walker, II, 366.
Waller, I, 183.
Walpole (Horace), I, 24, 52.
Warburton, I, 113.
Warton (Joseph), I, 184.
Wecken, II, 358.
Wieland, I, 345.
"Winckelried (A. de), 1,37'.
Windisch, I, 68, 73, 83, 94.
Winter, II, 138.
Wood, I, 245.
Wordsworth, II, 432.
Yart (abbé), 1, 185.
Yeats, I, 211.
Young, évêque de Clonfert, I, 69.
Young (Ed^vard), I, 181, 183, 184,
■ISo-iSS, 189, 190,204, 207,213,215,
218, 260, 277, 306, 323, 324, 365, 376,
387, 388; II, 41, 44, 50, 74, 76, 92,
102,171, 178, 203,211, 247,252, 253,
257, 259, 303, 310, 391, 392, 400,
428.
Zacharie, I, 106, 190, 206, 387.
Zimmer, J, 10-11.
Zoroastre, I, 358.
Zyromski, II, 73, 299, 309, 323,461.
TABLE DES MATIÈRES DU TOME 11
Pages
LIVRE TROISIÈME : L'APOGÉE {1800-1815). . . 1
Chapitre premier. — Napoléon I" et la mode ossia-
nique
I. Caractères généraux de cette époque. L'ossianisme de
Napoléon: le général Bonaparte ; le Premier Consul;
l'Empereur, Ossian poète préféré de Napoléon : l'os-
sianisme dans sa parole et dans son style. UOssian
de poche de l'Empereur. Raisons diverses qu'on a
données et qu'on peut donner de cette préférence.
Ossian et Corneille 3
II. Poésie ossianique officielle ou de circonstance. Poèmes
divers ; la Couronne Poétique ; les Hommages Poé-
tiques ; L'Hymen et la, Naissance. Ossian dans les
bibliothèques des lycées 13
III. La mode ossianique. Lr Malvina de M'"^Cottin. Témoi-
gnages de notoriété 21
IV. Prénoms ossianiques. Un exemple : l'état-civil de Fon-
tainebleau 28
V. Influences ossianiques sur le sentiment et l'expression.
Les Scandinaves de Chérade-Montbron ; Castel ; Chê-
nedollé ; Millevoye ; divers. — Aux environs d'Os-
sian : bardes; scaldes; Celtes et Gaulois, L'Académie
Celtique fondée par Napoléon et le nationalisme gau-
lois. — Rencontre de l'ossianisme avec le genre trou-
badour : Clotilde de Surville. Fabre d'Olivet et ses
Poésies occitaniques 30
534 Ossian en France
Chapitre II. — LOssian de Baour-Lormian (iSoi)
I. Baour-Lormian. Sa vie et sa carrière poétique. Son
caractère. Son attitude dans la bataille romantique.
Ses dernières années 38
II. Sa période ossianique. Ses essais. Son jugement sur
ses prédécesseurs. Traces d'ossianisme dans ses poé-
sies postérieures. Son Chant galliqueei sa Fête d'Os-
car 47
III. Les Poésies Galliques. Editions. Discours préliminaire.
— Le Tourneur base unique du travail de Baour.
Liste des vingt-trois poèmes avec indication de leur
origine. Ce que Baour donne d'Ossian. Les quatre
poèmes nouveaux des éditions postérieures. Deux
morceaux importants complètement refondus. — Com-
ment Baour abrège Le Tourneur. Raisons de ces sup-
pressions. Ingénieuse ordonnance du volume ... 52
IV. Valeur de la traduction : exemples. Le style. La versifi-
cation 63
V. Jugements contemporains. La traduction On félicite
Baour d'avoir abrégé Ossian. Le style et la versifi-
cation. Appréciations générales et succès. Influence
sur les contemporains et sur les romantiques ... 69
Chapitre III. — Traductions diverses, imitations et
romances
I. Deux traductions réimprimées : les Variétés Littéraires
de 1804 : V Ossian français complet de 1810. — La-
baume et ses poèmes irlandais (1796-1803). Origine et
caractère de ces morceaux 78
IL Traductions partielles en vers. D'Arbaud-Jouques, tra-
ducteur d'Ossian d'après Cesarotti (1801). Ses senti-
ments ossianiques. Valeur de son travail. Son style.
Appréciations de la critique 85
III. Miger etsesdeux poèmestraduits d'Ossian (1797-1804).
Ses idées. Son langage. Le lieu commun lyrique. Le
style. Ossian intermédiaire entre le classique et le
romantique 91
IV. Autres traductions partielles en vers : Taillasson( 1802).
Lebrun des Charmettes (1805). Le général Despinoy
(1801). Imitations qui sont des traductions libres :
Table des matières 535
Clavareau, Coupigny, Masse, Monperlier et divers
(1802-1813). . . ] 95
V. Le genre ossianique et Vimitation libre. Théorie du
genre : Victorin Fabre et Edmond Géraud. Les ré-
sultats ; poèmes et chants ossianiques de Fabre, Ar-
nault, Dorion, Géraud, Viollet le Duc et quelques
autres (1801-1813) 100
VL La romance ossianique. La harpe du Barde et celles
de Pleyel. Baour Lormian mis en musique. Nom-
breuses roma/ices /jarc^es ou (/^a//;'yues (1801-1814) . 109
Chapitre IV. — Ossian au théâtre (1796-1817)
L Conquête du Théâtre-Français par le genre ossianique :
Oscar, fils d Ossian, tragédie d'Arnault (1796). La
couleur locale, matérielle et morale. L'action et les
sentiments. Suc es cVOscar 115
n. Les critiques. Les jugements des journaux. Les paro-
dies d'Oscar 120
III. Simon de Troyes : deux tragédies ossianiques iné-
dites : Colgar el Sulallin; Finc/al libérateur . . . 125
IV. Ossian à l'Opéra : Ossian ou les Dardes, par Le Sueur
(1804) Histoire et succès de la pièce. Satisfaction de
l'Empereur. Valeur musicale des Bardes. Couleur
ossianique mêlée de couleur antique. L'action. . . 126
V. Les jugements de la critique. Les parodie- des Bardes. 132
VI. Ulhal, opéra, par Méhul (1806). La couleur et l'ac-
tion. L'instrumentation. Les jugements de la criti-
que. Une parodie cVUthal. — Le Colmal de Winter.
Le Wallace de Catel Ossian en pantomime : La Ca-
verne d'Os si an. — Conclusion 134
Chapitre V. — La peinture ossianique (1801-1817;
1. Le Premier Consul et la commande pour la Malmai-
son. VOssian de Gérard. Son histoire; son sujet; son
caractère 141
IL VOssian de Girodet. Son histoire. Les têtes d'étude
d'Aubry-Lecomte. Description du tableau parle pein-
tre lui-même. Eloges et réserves ; la critique ; David ;
les poètes. Conclusion sur ce tableau 145
III. Girodet poète : Le Peintre. Un tableau ossianique
restitué à Girodet. Ses dessins ossianiques. . . . 153
5 36 Ossian en France
IV. La Maloina cl e Gros. L^Ossian de Ingres; tableau et
dessin .^ 155
V. Autres peintres : VOssian de Forbin. Une scène dOs
sian par M''* Harvey. Tableaux de Belloc, de Le
Mire ; deissin deLeguay. Ossian et Malvina de Dreux-
Dorcy. . . 157
VI. Séries de compositions sur des sujets tirés des poèmes
ossianiques. Chenavard. \'ignettes et illustrations des
éditions d'Ossian. — Conclusion. . 162
Chapitre VI. — Solitaires et rêveurs
I. L'ossianisme intime. Larevellière-Lépeauxetson groupe:
Trouvé ; Gérard. Ducis et son Epîlrek Gérard L'ossia-
nisme de ce groupe 166
II. Deux rêveurs. Ballanche : le sentiment ; la mélancolie
et le souvenir. Sénancour: place importante que tient
Ossian dans Oherniann 170
III. Charles Nodier : Le Peintre de Salzbourg ; les Essais
d'' un jeune Barde et l'ossianisme de Nodier devant la
critique. Romans et contes divers : l'authenticité et
l'admiration 175
IV. Xavier de Maistre : une parodie d'Ossian. Stendhal ;
ce que veut dire pour lui ossianique. Quand il dé-
couvre Fingal. Incompatibilité de Stendhal et d'Os-
sian 179
Chapitre VII. — Chateaubriand
I. Importance d'Ossian dans l'œuvre de Chateaubriand.
Son enfance. Ses Tableaux de la Nature- Son voyage
en Amérique 182
IL Chateaubriand en Angleterre. Il découvre VOssian de
Smith- Ses traductions. Sa profession de foi de tra-
ducteur. Exactitude et valeur de ses traductions. Un
poème « écossais » 186
III. Citations et réminiscences d'Ossian dans les grands
ouvrages de Chateaubriand Ses idées sur les anciens
peuples, leur politique et leur religion, appuyées sur
des exemples tirés d'Ossian. Le Barde et la poésie des
ruines- Expressions et sentiments qui viennent d'Os-
sian. Velléda. Aes A a/cAes 192
Table des matières 53/
IV. Chateaubriand critique littéraire et ses citations d'Os-
sian. Homère; Young ; Beattie 190
V^. Chateaubriand, détrompé quant à l'authenticité d'Os-
sian, n'en persiste pas moins à tirer argument des
poèmes attribués au Barde. Exemples de ce raisonne-
ment. Sa manière de raconter la confection de VOssian
de Macpherson. Ses arguments contre l'authenticité.
Leurvaleur. Persistance desonadmirationpourOssian. 204
VI. Conclusion. Chateaubriand le premier des ossianistes
français par son aptitude à sentir la poésie ossia-
nique ; parce qu'il a pu la goûter dans le texte an-
glais ; parce qu'il a su l'exprimer. Il est l'intermé-
diaire entre Ossian et les romantiques • 209
Chapitre VIII. — M"" de Staël, Ossian et les « litté-
ratures du Nord »
I. Le livre De la Littérature : le système qui fait d Ossian
l'Homère des « littératures du Nord ». Caractères
distinctifs de ces littératures, analogues à ceux d'Os-
sian. Sympathie personnelle de l'auteur 211
II. Critiques de cette théorie. Geoffroy. Fauriel- Fon-
tanes 215
III. Seconde édition de la Littérature et réponse à Fon-
tanes. Ossian et les poésies Scandinaves. Intervention
de Chateaubriand. Origine de la mélancolie des litté-
ratures modernes. « Ossian chrétien ». Contraste avec
les Scandinaves païens. Conclusions sur ce débat. . 219
IV. Ossian dans les autres ouvi'ages de M'^^'^ de Staël.
Conclusion 222
Chapitre IX. — Ossian devant la critique. Résistances
et limites
I. Époque de discussions et de jugements. — Authenticité
des poèmes ossianiques. Les partisans. L'Académie
Celtique. La Notice de Ginguené. Les adversaires.
Boissonade ; les Archives Littéraires. Esménard ; la
Décade ; Glorvina. Opinions indécises : le Magasin
Encyclopédique; divers 224
II. Valeurdes poèmes ossianiques. Incertitude del'opinion.
— Les partisans, Ti'ois sui^vivances : réédition des
538 Ossian en France
Variétés Littéraires (1804) : Suard et Garai. Réédi-
tion de VOssian de Le Tourneur (1810). Traduction
du Cours de Rhétorique de Blair (1808). Importance
dOssian dans l'ouvrage de Blair. Eloges des cri-
tiques. Sympathies des poètes. Mérites de Macpher-
son aux yeux des adversaires de l'authenticité. . . 232
III. Adversaires d'Ossian et du genre ossianique. Les
poètes. Lebrun et son ode Homère et Ossian. Motifs
de son sentiment. Les critiques. Deux transfuges :
M.-J. Chénier; Fontanes. La Décade et son évolution.
Quatre critiques attitrés : Geoffroy, Hoffmann, Dus-
sault, Auger. Esménard 237
IV. Leurs arguments. La monotonie, l'obscurité et la
tristesse; le procès de la mélancolie septentrionale.
Le paysage ossianique opposé au paysage classique.
Le style. L'irréligion d'Ossian. Réflexions sur cet ar-
gument de Fontanes. Raisons de l'attitude de tous ces
critiques. Ce qu'ils défendent contre Ossian, . . . 242
V. Limites du succès et de l'influence d'Ossian sous le
Consulat et l'Empire. Les poètes. Omissions notables.
Influences rivales. — Conclusion sur cette période :
l'inspiration sentimentale ; l'inspiration littéraire. . 249
LIVRE QUATRIÈME : OSSIA?iISME ET ROMAN-
TISME {J 8 J 5-i 835) 255
Chapitre Premier. — Les dernières traductions en
vers (i8i3-i835).
I. Ossian entre 1815 et 1830. Caractères généraux des tra-
ductions en vers de la Restauration. — Saint-Michel,
traducteur et imitateur. Rapport de son travail avec
celui de Baour-Lormian. — Saint-Ferréol. Contenu de
ses recueils ossianiques. Ses prudences et ses libertés. 257
II. Deux soldats ossianistes. Bruguière de Sorsum : son
Fingal. — Le général Lamarque. Importance et épo-
que de son travail. Son exactitude. Son Discours
préliminaire. L'amour dans Ossian. Le roman ossia-
nique Publication tardive de son ouvrage .... 264
m. Traducteurs isolés et provinciaux : Gérard-Granville.
Un inédit : J-B. Fleury. Son Carthon et sa Mort
d'Ossian 271
Table des matières 539
Chapitre II. — La poésie calédonienne et Scandinave
sous la Restauration (i 814-1 83o)
I. L'allégorie ossianique en ]8l4-1815. Ossian poêle des
Bourbons. Un Chant gallique officiel. Ossian chante
le retour de Louis XVIII et le sacre de Charles X :
Laffilé, Malo, Talandier-Firmin et divers. Une pose
de première pierre en style ossianique. La poésie
nationale et le genre ossianique 275
I. La poésie politique et patriotique d'inspiration os-
sianique : Bardes et chants nationaux : Bétourné,
Hédouin, Moufle. — Boucher de Perthes. Ses poèmes
ossianiques à allusions politiques. Ses autres compo-
sitions ossianiques. Ses Chants armoricains d'inspi-
ration ossianique 278
III. Ossian au tombeau de Napoléon : Delphine Gay.
Ossian barde de la Revue Nocturne : Boulay-Paty.
Un ossianiste gascon 283
IV. Les poèmes ossiano-scandinaves. Le Balder de Saint-
Geniès : Odin, Ossian, les Gaulois et la chevalerie.
h' Interrègne de Proisy d'Eppe et son Chant du Barde.
Marchangy. D'Arlincoui^t et sa Caroléide : mytho-
logie Scandinave, germanique et calédonienne. Le
Mont d' Ossian. Même confusion dans Norvins, Baour-
Lormian, et divers 286
V. Deux poèmes calédoniens. La Calédonie, d'Auguste
Fabre. Ce qu'elle doit à Ossian. Absence de mytholo-
gie Scandinave. Arindal, de Bernède, et le genre os-
sianique. Conclusion sur cette inspiration intermé-
diaire entre le classique et le romantique .... 293
Chapitre III. — Lamartine
I, Bibliographie du sujet. Quand Lamartine a-t-il décou-
vert Ossian ? L'épisode de Lucy : une idylle ossia-
nique. Rectifications et doutes de la critique. Quel
Ossian a-t-il connu ? Celui de Hill ; preuves. Le poème
ossianique du jeune Lamartine : A Lucy. Eléments
divers de ce poème 298
II. Témoignages autobiographiques sur l'impression que
produisait en lui la lecture d'Ossian. Une liste de pre-
mières lectures. Ossian et Dante. Une autre liste. Con-
540 Ossian en France
clusions qu'on en peut tirer sur les goûts de l'auteur.
Werther et Ossian. Le rêve et la formation du paysage
intérieur. Témoignages tirés de la Correspondance :
rêves de voyage au pays d'Ossian. Transposition de
ces souvenirs dans Jocelyn. Un Ossian romantique . 305
III. Place d'Ossian dans l'œuvre poétique de Lamartine.
Evocation directe : transformation du type tradition-
nel du Barde. Quelques allusions. Influence. Impres-
sion générale. Rapprochements précis. Méthode de
M.vonPoplawsky.Rapprochements douteux. Exemples
de rapprochements probants. Autres analogies. La-
martine comparé à Ossian par ses contemporains.
Tableaux synoptiques des rapprochements. Conclu-
sions qui s'en dégagent. Causes du contraste entre les
deux périodes. Le type d'Ossian 313
IV. Ce que Lamartine doit à Ossian. Eléments qu'il né-
glige. Ce qu'il retient : le paysage, les sentiments . 322
V. Ossian et la vieillesse de Lamartine. Le Cours de Litté-
rature et les deux Entretiens sur Ossian. Contenu de
ce long morceau : l'historique ; la démonstration de
l'authenticité ; les traductions ; les jugements, . . 324
Chapitre IV. — La génération des Romantiques (1816-
i835)
I. Alfred de \'igny. Bibliographie. Réminiscences incer-
taines. Iléléna et O/ï/jona.Lepassageossianiqued'/f/oa.
Caractère de ce morceau. — Diverses mentions d'Os-
sian. La Veillée de Vincennes. Etude de ce morceau
et conclusion 329
II. Victor Hugo. Son goût d'adolescent pour le Nord
Scandinave. Les Derniers Bardes. Divers textes. Rap-
port de ce poème à Ossian, à Gray, et à Walter Scott.
— L'Aigle du Casque. Pourquoi Hugo s'est si rare-
ment inspiré d'Ossian 335
III. Alfred de Musset, Ses sources littéraires. Imitations
incertaines. Ossian et les Romantiques dans les Lettres
de Dapuis et Cotonet. La Coupe et les Lèvres : un
Tyrolunpeu calédonien. — L'invocation à l'étoile du
soir. Traduction et addition. Intérêt du thème et su-
périorité de l'adaptation de Musset. Une hypothèse
sur l'origine du morceau 339
IV. Autres poètes romantiques. Premier groupe : Soumet,
Table des matières 541
Rességuier, etc. Charles Loyson; son Allée d'Ossian.
Second groupe : Jules Lefèvre : son Parricide^ poème
ossiano-scanclinave de ton romantique. Eugène Hugo.
Divers. Théophile Gautier. Sainte-Beuve .... 346
V. Poètes contemporains. Les recrues de l'ossianisme.
Brizeux. Barbier. Deux femmes poètes : M™® Tastu et
Elisa Mercœur.Les inconnus : Pellet, Hei^vier, Picquet,
Dusaulchoy. — Deux fidèles : Victorin Fabre et Aug.
Moufle 353
VI. Le théâtre. Les romanciers : Alexandre Dumas ;
George Sand ; Balzac. Berlioz. Un groupe ossiaiiisant :
Mérimée ; J.-J. Ampère 358
Chapitre V. — La critique ossianique et le mouvement
romantique (i8j5-j83o)
I. Intérêt d'Ossian pour la critique de la Restauration. Les
disciples de M"" de Staël : Bonstetten ; Lacretelle ;
Thiers. UEssai sur la Litlérature romantique. . . 360
II. Ossian et la poésie nationale : Loève-Veimars ; Tre-
neuil. Ossian et le monde celtique: Reynier, Salverte.
Valeur sentimentale et religieuse : Richer ; La Morvon-
nais ; divers. Ossian et le sentiment religieux . . . 366
III. Place d'Ossian dans les cours de littérature et les
encyclopédies. D'Haulpoul ; Boiste ; de Brotonne ;
Aignan 370
IV. L'authenticité. Adversaires : Quinet. Partisans, en
grande majorité 373
V. Villemain et sa leçon sur Ossian Les faits ; les con-
clusions. Valeur de son exposé 375
VI. La mythologie ossianique intermédiaire entre le clas-
sique et le romantique. Balzac ; Ponsard. Quelques
témoignages de notoriété. Les adversaires du roman-
tisme font d'Ossian un élément constitutif de la poé-
tique nouvelle : nombreux témoignages 379
VII. L'influence de Byron et celle d'Ossian. Rapport de
ces deux influences. — Waller Scott. Caractères com-
muns de Scott et d'Ossian. On les associe. Scott rem-
place Ossian 385
VIII. Limites du succès d'Ossian sous la Restauration.
Critiques ; poètes. Le troubadour, le biblique et le
classique 390
Ossian en France
LIVRE CINQUIÈME.— LE DÉCLIN (APRÈS iS35). 395
Chapitre Premier. — Les dernières traductions en
prose ("842)
I. Tentatives pour traduire l'ensemble du corpus ossia-
nique vei'S le milieu du siècle. H. Taunay et sa tra-
duction inédite en vers. La grande traduction annon-
cée par Saint-Geniès 397
II. Christian. Son Etude critique et ses sources. Contenu
du volume. Comment il arrange Le Tourneur. Son-
dages. Conclusion. Comment il arrange Hill. Quelques
exemples. Conclusion sur la valeur de son travail. . 400
IIL Lacaussade. Son Introduction. L'influence ossianique
sur le siècle. Nouveauté et mérites de sa traduction.
Son style 407
Chapitre IL — Les Voyages au pays d'Ossian (1810-
.9.2)
I. Méthodes propres à enregistrer le déclin d'Ossian. But
de cette enquête. Pèlerins et touristes. Une exception:
Slmond 413
II. Première période (1815-1830). Lezeverne. Charles
Nodier : un enthousiaste, converti par le voyage
d'Ecosse. Les brouillards des Hautes-Terres et les
fantômes ossianiques. Necker de Saussure : un esprit
positif. Son résumé de la question ossianique. Adolphe
Blanqui. Ducos 416
III. Deuxième période (1830-1850). Buzonnière. Ossian
et W. Scott. Custine : un pèlerin passionné et un
peintre du paysage calédonien. Panckoucke : un con-
vaincu. D'Hardiviller. Mercey. Un Guide pittoresque.
Les premiers Joanue et Baîdeker. Le Magasin Pitto-
resque 4"22
IV. Troisième période (1850-1912). Un fidèle enthou-
siaste : Dousseau. Quelques adeptes : Enault; l'abbé
Poisson ; M. -A. de Bovet; A. Baraudon. Attitude de
la majorité. Ironie. Allusions. Ignorance complète
Table des matières 543
d'Ossian. Preuves caractéristiques de cette ignorance.
Interprétation du paysage des Hautes-Terres . . . 427
Chapitre III. — Derniers échos poétiques
I. Remarque préliminaire. Leconte de Lisle : Le Barde
de Temrah. Les sources : La Villemarqué. Motifs et
détails ossianiques. Le Massacre de Mona. Analogie
intime 433
IL Quelques réminiscences isolées. Baudouin. Jacques
Fernand. Quellien. Calligé et son Ossian. La cantate
Fingal pour le prix de Rome. Le hervaal de M. Vin-
cent d'Indy 438
Chapitre IV. — Jugements rétrospectifs sur Ossian et
l'ossianisme
L But et plan de ce chapitre. — Les celtomanes. La
Villemarqué. — Renan etla poésie des races celtiques.
Analogie du celtisme d'après Renan et de l'ossianisme,
La mélancolie de Firdousi et celle d'Ossian. — Les
celtisants. D'Arbois de Jubainville et divers . , . 441
IL Les ossianistes intéressés Saint-Geniès. Lacaussade.
Dousseau. — L'Irlande de 0' Sullivan. Jugement
d'un Irlandais sur Ossian. Les fragments cités : La
Chasse de fingal 448
III. Etudes et jugements divers. — Première période
(1830-1870). Etudesconsacrées spécialement à Ossian:
Ampère, du Méril, Eichholf ; le grand travail d'Ad.
Pictet ; Philarèle Chasles. Jugements favorables :
Ponsard à l'Académie. Le celtisme dans la littérature
française ; Michiels ; StaalF. Opinions indécises. Ju-
gements défavorables : Quinet ; quelques Revues ;
H. Rigault ; Taine 451
IV. Deuxième période (1870-1914). — La critique univer-
sitaire : Paul Albert ; Angellier. Les articles des Re-
vues et des journaux. L. Etienne. Arvède Barine.
Henry Roujon. Quelques études littéraires. Quelques
glanes récentes 460
V. Les encyclopédies et les dictionnaires, de la Biogra-
phie Universelle à la Grande Encyclopédie. — Les
Sja Ossian en France
Histoires de la littérature. — Les mots dérivés d'Ossian
dans les grands dictionnaires de la langue française. i67
471
CONCLUSION
47 T
BIBLIOGRAPHIE ^'"'
INDEX ALPHABÉTIQUE ^21
TABLE DES MATIERES ^'^'^
^f
MAYBNNB, IMPHIMERIB CHARLBS COLIN
F. RIEDER & Cie. loi. Rue de Vaugirard, PARIS
Bibliothèque de Littérature comparée
publiée sous la Direction de MM.
J. BÉDIER, Professeur au Collège de France
F. BALDENSPERGER et L.CAZAMl AN, Professeurs à la Sorbonne
P. HAZARD, Professeur à l'Université de Lyon
Volumes parus :
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La Culture française
à Francfort
au xvuf siècle
Un vol. in-S" 6 fr.
Autres Publications:
J. DRESCH. Gutzkow et la Jeune Allemagne.
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E. HALÉVY. Thomas Hodgskin (1787-1869).
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Un vol. in-8" lo fr. »
P. BRUN. Pupazzi et Statuettes — Etudes sur Je xviu" siècle.
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M. FUCHS. Théodore de Banville (1823-1891).
Un vol. in-8' lofr. »
M. FUCHS. Lexique du " Journal des Concourt ".
Un vol. in-S" 5 fr. »
E. HERRIOT. Précis de l'Histoire des Lettres françaises.
Un vol. in-i6 4 fr. 5o
G. PELLISSIER. — Etudes de Littérature et de Morale
contemporaines.
Un vol. in-16 3 fr. 5o
N.-M. BERNARDIN. — Les Chefs du Choeur: Corneille,
Molière, Racine, Boileau.
Un vol. in-16 3 fr 5o
N.-M. BERNARDIN. — D" xv au xx"= siècle — Etudes
d'Histoire littéraire.
Un vol. in-)6 3 fr. 5o
IMP. KAPP, PARIS ^